samedi 15 juin 2024

L’origine des larmes. Jean-Paul Dubois.

Le narrateur a mis deux balles de pistolet dans la tête de son père, mort depuis plusieurs jours de mort naturelle. Douze séances chez un psy dont les yeux coulent vont délimiter les chapitres. 
« Rouvrir les livres de peine, les almanachs de chagrin, les albums d’humiliation, entendre à nouveau cette voix de carnassier, voir ses mâchoires voraces mastiquer les jours de nos vies. » 
Ce prétexte insolite d’un assassinat, qui n’en est pas un, est pesant, tant l’auteur insiste sur le caractère haïssable de ce père à un point tel que seul le second degré peut le sauver:
« « Tu es un vrai salaud » Il a éclaté de rire. Un rire boueux, grasseyant, porteur de miasmes de toute une vie, un rire de bourreau, d’équarisseur, un rire de désaxé capable d’arracher la tête d’un oiseau avec les dents et celle de son fils au fil des ans » « Lanski a macéré dans l’immobilier véreux, la dépravation politique, les affaires frelatées, l’escroquerie médicale, le trafic d’animaux, les projets insensés, la corruption… » 
Mais  l’humour de Jean-Paul Dubois,
voyant son avocat en cocker, le psy en suricate et le père en murène, nous fait tout avaler.
Nous sommes pris par sa fantaisie farfelue, abordant vigoureusement les thèmes de l’intelligence artificielle, les rapports à la mémoire, à la réalité, les animaux bien plus consolants que les hommes ou les femmes, la mort, sous une pluie continue en 2032 à Toulouse. 
« De l’eau de l’eau partout et pas une goutte à boire ».
 L’écrivain à succès est facétieux lorsqu’il accumule les mots rares souvent à forte connotation médicale: sphénoïde, puisard, érubescence, cérébelleuse, ergastule, aristarque, épiphora, conjonctivochalasis, empyreume, enbata, acide ursodésoxycholique…
Quant à la corde d’un pendu il s’agit d’ :  
« Un beau cordage à trois torons, avec une épissure haute et une cosse en inox pour mieux faciliter le coulissement » 
Dans ce roman tourbillonnant de 256 pages, nous partons à la recherche d’un ancien secrétaire de L’ONU, retrouvons le livre d’un écrivain du moyen-âge Thomas a Kempis « L’imitation de Jésus Christ », accompagnant des cadavres, et souhaitons aller voir des images de Kim Tschang-Yeul peintre coréen des gouttes d'eau. 
« Il ne faudrait jamais rien dire, garder son moi pour soi, s’accommoder de ses nuisances intimes, les laisser décanter dans le bac à compost, attendre que ces épluchures de l’âme atteignent une granulométrie acceptable pour les évacuer à travers un tamis peu regardant. » 
Mais ce serait dommage de s’en passer !

1 commentaire:

  1. Très peu pour moi, Guy. Je fuis le vocabulaire médicale, qui est un latin SAVANT depuis des millénaires maintenant. J'ai suffisamment de mots savants à ma disposition pour vouloir employer d'autres quand je peux. Je ne crache pas sur les mots savants, mais je me souviens de mon inconfort chez le gynécologue, à l'époque où j'y allais encore, à devoir parler de moi avec ces mots savants. Cela ne me convenait pas, et me mettait mal à l'aise. J'ai/j'ai eu tort, peut-être, car je les connais ces mots savants, mais je ne veux pas/plus les employer pour parler... de moi. Et je ne veux pas les entendre non plus pour parler de moi ou d'autres, d'ailleurs. Un vrai rejet... extrémiste, j'en conviens.
    Ta dernière citation me fait penser à cette manière d'être qui est à 180° de moi, le "jamais rien dire, garder son moi pour soi" qui exprime la pensée.. orientale à la perfection.
    Je refuse d'être une orientale. Je ne le serai pas, et je paierai le prix pour ne pas l'être dans notre monde... moderne, si colonisé par cet orientalisme.
    De très vieux... conflits, là entre l'Orient et l'Occident, je vois. J'ai choisi mon camp. Parler de moi ne m'empêche pas de pouvoir écouter, lire des autres, et leur laisser une place, je l'espère. Que peut-on faire de plus dans notre bas monde ? Moi, de toute façon, je n'ai pas trop envie d'imiter Jésus, et pas le Bouddha non plus. Qu'ils restent... là où ils sont, ces éminences.

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