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mercredi 16 octobre 2024

Outsider. Rachid Ouramdane.

La saison 24/25 à la MC 2 commence bien avec vingt et un interprètes du Ballet du Grand Théâtre de Genève s’accordant avec quatre fildeféristes sous les ordres d’un habitué de la maison. 
Les corps en juste au corps sont magnifiés par les lumières pour des chorégraphies très graphiques. 
Les pianos utilisés comme percussion ont cassé les oreilles de ma voisine qui a vu dans la musique de Julius Eastman du sous Phil Glass, alors que j’étais pris par les rythmes techno.
Je goûte toujours les effets de grand groupe où la précision impressionne malgré la vitesse des danseurs et la variété des mouvements. Les portés nous transportent et si l’espace est traversé par des déplacements tels des vols d’étourneaux, on pourrait aussi imaginer quelque environnement aquatique.
La belle agitation s’apaise avec les funambules aux gestes lents vers lesquels la foule au sol porte ses regards.
Ouramdane se montre plus convaincant dans ses images magnifiques offertes pendant plus d’une heure que dans le journal de salle où il évoque la « murmuration de la horde ».
Toutefois on peut comprendre son ambition de mettre en jeu ce qu’il a remarqué chez les « highliners » qui parlent peu du vide mais s’appuient sur l’air, et applaudir la séduisante troupe.

mercredi 17 avril 2024

Antichambre. Romain Bermond Jean Baptiste Maillet.

Un musicien et un plasticien entourent un écran où apparaissent leurs manipulations.
Cette heure de spectacle offre aux enfants le temps de regarder un trait de pierre noire agrandi, les traces d’une brosse, la naissance de plantes tropicales, et des couchers de soleil, sous des musiques en vrai. 
Un film rassemble les séquences vues dans la première partie sans gagner en cohérence : l’histoire d’amour qui permet de passer des territoires polaires à l’Amazonie, m’a semblé décousue de fil blanc. Les vues sur la ville sont cependant mignonnes alors que les animations restent rudimentaires. 
Ce côté rétro tranche, sans présenter d’alternative probante, avec la sophistication des productions des studios américains, mais ces bidouillages ont pour eux l’avantage d’être du spectacle vivant. 
Je mettrai donc sur le compte d’une subjectivité tatillonne le fait de ne pas partager avec « Le Monde », « Télérama », le mot « poésie » à propos de ce spectacle d’une heure, car la belle vient  d’après moi quand on ne l’appelle pas trop fort.

mercredi 17 janvier 2024

Stéréo. Decouflé.

Peut être parce que nous avons tant aimé les spectacles de Decouflé à la MC2, 
après sa découverte aux JO de 92 et que le souvenir d’un emballant « Chantons sous la pluie » est proche, la représentation de ce soir nous a parue ordinaire.
Bien sûr le thème rock and roll appelait du rythme mais celui-ci est modéré par des bavardages qui au début font sourire puis lassent. 
Les danseurs chanteurs acrobates, les performeurs, doit- on dire, sont souples et coordonnés, mais les mouvements ont déjà été vus comme si la créativité du chorégraphe s’était tarie.
Les morceaux de musique joués par un trio guitares batterie se succèdent comme au music-hall et régalent le public qui assiste donc à un concert dansé. 
Les costumes, les chaussures sont sympas mais le moment des surprises est passé ; un bon moment quand même.

mercredi 28 décembre 2022

Spectacles 2022.

Dans la profusion des tribunes politiques au théâtre, 
il en est de plus fortes que des proclamations : 
des retours utiles sur nos passions passées :
des classiques éternels: 
des images bouleversantes pour un témoignage puissant concernant les faibles : 
et des regards d’enfants s’allumant au bord des scènes avec de vrais acteurs :  

dimanche 6 mars 2022

Huit heures ne font pas un jour. Fassbinder. Deliquet.

Ces trois heures de théâtre éminemment politique respectent le « sans misérabilisme » annoncé. Très réticent aux prêchi prêcha, je craignais de les voir scander cette pièce tirée d’une série télévisée allemande, alors que le respect de la classe ouvrière ici décrite est remarquable de justesse, d’humour, sans rien masquer de ses contradictions. 
Le titre est parfait, la mise en scène fluide dit bien l’imbrication de la vie professionnelle et de la vie familiale, les émancipations individuelles et les espoirs collectifs, les ivresses festives et les dilemmes sentimentaux. 
Énumérer les thèmes abordés pourrait donner une idée de catalogue mais tout se joue entre les acteurs dont certains incarnent puissamment une classe sociale avec une touche de poésie qui nous approche du conte. 
Que faire des vieux ? Et qui s’occupe des gosses ? Union libre ou mariage ? Comment infléchir le destin ? Les discussions portent aussi bien sur le logement, les compétences, la grille des salaires, naturellement, sans didactisme. Une petite fille  arrive sur la scène en jouant au ballon comme la joyeuse équipe se séparant à bout d’arguments. 
La violence à l’égard des femmes ou des étrangers n’a pas besoin de revêtir la phraséologie « woke », pour apparaître vigoureusement. 
Le mot « autogestion » avec toutes les occasions de débats qui s’en suivirent connote une époque aussi révolue que les pantalons à pattes d’éph’.

dimanche 21 novembre 2021

Oblomov. Ivan Gontcharov. Robin Renucci.

Devant le public de l’Hexagone de Meylan resté après le spectacle de 2h ½, Robin Renucci, directeur des tréteaux de France, plaçait l'adaptation de l’œuvre du russe au début d’une nouvelle trilogie consacrée au temps après avoir traité précédemment du travail et de l’argent à partir de textes du milieu du XIX° siècle.  
Le personnage principal sorte d’ « Alexandre Le Bienheureux », pas heureux, représente tellement un archétype que l’ « oblomovisme » est devenu un terme dans le monde slave désignant la paresse, l’inertie, comme on dit « donjuanisme ».
Le dispositif scénique est joliment éclairé et le découpage des scènes intéressant. Il conclut vivement une existence tellement passive que c’est difficile de l’interpréter comme une critique de l’affolement contemporain ou de l’avidité capitaliste.
Oblomov, le propriétaire terrien se soucie exclusivement de lui-même et les femmes penchées sur sa couche sont réduites à des rôles subalternes d’infirmière des âmes ou de pourvoyeuse de tourtes; quant à l’enfant, une ombre, il est confié à une autre mère.
Cette histoire d’un grabataire volontaire est peut être un signe des temps mais « On arrête tout, on réfléchit (et c'est pas triste) » daté des années 70 me semble hors de propos, alors que tant d’individus fatigués avant d’avoir travaillé ne voient plus leur lien à la société, ni de vocation personnelle. Il était commun d’envisager d’être pompier pour les enfants de jadis, maintenant qu’ils se font caillasser, il vaut mieux se tenir derrière son écran ... de fumée.

 

dimanche 26 septembre 2021

Ballet de l’opéra de Lyon. MC2 2021.

Un petit trait de lumière et le rideau se lève sur un danseur aux bras désobéissants : la saison peut commencer à la MC2. 
Dès que ses trois partenaires entrent, leurs gestes maladroits s’emmêlant, se démêlant, deviennent fascinants par leur précision.
Toute rentrée marque le temps qui passe, alors la souplesse des artistes me parait à chaque fois plus extravagante comme leur capacité à se souvenir de gestes nouveaux sous des cadences endiablées voire dans le silence. 
On entend leurs expirations et alors que souvent les danseurs semblent s’accorder sans se regarder, leurs regards sont expressifs.
Il s’agit de « N.N.N.N» de William Forsythe mais je ne sais pourquoi ces quatre lettres.
En deuxième partie « Solo for Two », du chorégraphe suédois Mats Ek sur des musiques épurées d’Arvo Pärt. Un homme et une femme apparaissent, disparaissent dans les ouvertures du décor, changent de costumes en étant toujours aussi virtuoses. Quelques touches d’humour m’ont plutôt embarrassé, surtout les tressaillements d’un escalier.
Final en beauté avec 8 danseurs solitaires et ensemble pour « Die Grosse Fuge » d’Anne Teresa De Keersmaeker 
reconnue aux premiers gestes quand la danse n’est pas qu'un accompagnement mais rend tangible la musique du quatuor à cordes de Beethoven.
Ardents, tombant, se relevant, vivants, nous vivifiant comme d’habitude.

dimanche 25 octobre 2020

Récital de guitare. Renata Arlotti.

A tous coups la guitare évoque l’Espagne, mais cette fois le plancher ne tremble pas ; nous sommes à l’auditorium de la MC 2 et  nous écoutons sagement les musiques dansantes dans toute leur subtilité.

La belle guitariste Italienne nous propose d’abord des extraits de 24 caprichos (caprices) de Goya de son compatriote compositeur Mario Castelnuovo-Tedesco sur fond de « fantaisies », gravures satiriques de l’auteur du « Sommeil de la raison engendre des monstres ».
Pas besoin de démonter le génome des accords enflammés et surprenants sous les doigtés virtuoses de la jeune artiste pour savoir que nous avons franchi les Pyrénées.
En deuxième partie les musiques de Vicente Asencio et Enrique Granados s’accordent bien aux images ensoleillées de Joaquín Sorolla et Ramon Casas, loin du maître des ténèbres, mais gardant une part de mystère.
Par leur travail, leur capacité à mémoriser, leur énergie, de tels interprètes nous redonnent foi en notre culture dont on aurait tendance à douter sous les assauts des malveillants, des démagos et des criminels.  

dimanche 18 octobre 2020

Le jardin de mon père. Ali Djilali-Bouzina.

Joli titre, qu’éclaire une conclusion émouvante, après que l’humour ait parcouru pendant une heure et quart un récit souriant et grave, loin du carré de fraises ou de navets*  qui est devenu l’horizon de tant de nos contemporains.
Venant d’Algérie, la famille Djilali arrive dans le Sud de la France « rue des âmes du purgatoire » puis se fixe dans une HLM près d’un cimetière en Alsace, contrée que la mère trouve exotique avec une langue qui ressemblerait pour elle au berbère.
Le one man show a de nouveau touillé mes potions nostalgiques quand pourtant la vie est rude au cœur du conflit entre la France et l’Algérie, à aucun moment ne sourd de plainte misérabiliste.
Le chocs des cultures, la découverte des distances de classes sociales sont universels comme le travail qui tient le père debout ou la pudeur des parents qui n’affichaient aucun signe d’amour mais ne pouvaient se passer l’un de l’autre ; ils ont eu 12 enfants.
Ce spectacle bien mené avec des trouvailles de mise en scène simples et efficaces où sa complice Clotide Aubrier joue la souffleuse, avait bien commencé avec des remerciements à son institutrice qui dans le contexte convoque pour moi Camus voire Pagnol, comme on peut aussi penser à Begag pour la tendresse ou à Fellag pour la vitalité
Mais c’est du Djillali, personnel, sensible, sans effronterie, un beau cadeau à son père à qui il donne la lumière et les mots et au public qui ne boude pas son plaisir. 
Il revient en mars à la MC2.
*Champ de navets : Cimetière d’Ivry, où étaient enterrés les condamnés à mort, voir Brassens et Gaston Couté (champ de naviaux) 

dimanche 11 octobre 2020

Stance II / Dentro. Catherine Diverrès.

Premier spectacle d’une saison enmasquaillée : une silhouette noire sur fond noir s’anime au bout d’un moment, sa main accroche l’œil d’un projecteur solitaire.
Venant d’émerger tout juste du livre de Carrère, « Yoga », je me dis que la danse est une bonne source de méditation, et dans le prolongement de mes photographies de vacances, je persisterais volontiers à vouloir saisir les belles postures qui s’enchainent, fuyant à toute vitesse.
Je ne me souvenais pas d’avoir été enthousiaste à ce point lors du dernier passage de la chorégraphe à la MC2http://blog-de-guy.blogspot.com/2020/01/jour-et-nuit-catherine-diverres.html .
Cette fois assis au premier rang, nous percevons l’implication totale de la soliste et des duettistes qui se partagent l’heure, d’abord sur un poème de Pasolini (La terra di lavoro) dont je ne peux retrouver la traduction, puis sur un texte espagnol. Le silence est fort après quelques notes ténues de piano et des bruits de mécanique. 
La remarque sera bénigne concernant la personne créditée comme costumière qui n’a pas eu beaucoup de travail pour t-shirts noirs, pantalons noirs et robe noire.
La rencontre des deux danseurs est belle et remarquable la soliste dans un exercice toujours périlleux sur des musiques peu liantes. Solitude et tendresse se traduisent dans des mouvements à la fois retenus et explosifs que des critiques comparent à des calligraphies alors que cette forme d’écriture se fait dans une fluidité qui me semble fugace s’excusant presque.
Des pieds nus jouent dans les cercles d’une lumière insaisissable et parcimonieuse, les tensions s’affrontent à l’harmonie ; à la sortie de la salle Rizzardo nous rallumons nos écrans.       

dimanche 21 juin 2020

Souchon en concert. Ici et là.

Le chanteur rêveur, révélateur, est si léger qu’il nous autorise à nous laisser aller sans retenue à une nostalgie qu’il distille depuis ses débuts lointains.
Nous sommes assis à nouveau avec lui à regarder depuis :
« Un terrain vague en pente
Au dessus d’la ville
Des vieux matelas des plantes
Et des bidons d’huile »
Et le public qui comblait le Summum peut d’emblée se souvenir de ses rêves :
« Moi je voulais les sorties du port à la voile
La nuit barrer les étoiles »
Et reconnaître :
« Je suis mal en homme dur
Et mal en petit cœur ».
Mais il ne joue pas trop de la familiarité, l’humour est là, juste comme il faut.
« Si la vie est un film de rien
Ce passage là était vraiment bien »
Les nouveautés sont à la hauteur des chansons qui ont accompagné nos vies.
 «  Les murs écroulés du monde,
Filez nos belles enfances blondes »
Et finalement j'ai même trouvé que je n’ai pas payé trop cher (15 €) le programme de quelques feuilles en plus de la place à 69 €, puisque j’ai pu comprendre de quoi il retournait  avec ce : « fancy-fairs. En Belgique, fête de bienfaisance. Cérémonie organisée par une école ou une association, dans un but caritatif, afin de lever des fonds pour soutenir une cause. De l'anglais "fair", foire, et "fancy", fantaisie. » J’entendais jusque là dans le  morceau « Le baiser » « folcifère à la fraise » comme une friandise.
« Ames fifties », il drope comme toujours les mots :
« Dans le Radiola
André Verchuren »  
Juste avant :
« Les enfants soldats
Dans les montagnes algériennes. »
Et si des grincheux estiment qu’il est désormais incorrect de fredonner
« La faiblesse des hommes elles savent
Que la seule chose qui tourne sur terre
C’est leurs robes légères »
Je les plains, il.e.s ne sauront pas ce que sont les «  chansons d’été » parce que :
« Chanter c'est lancer des balles
Des ballons qu'on tape
Pour que quelqu'un les attrape
Et que ça bebop a lullap »
Dans un concert précédent, il avait commencé son tour de chant avec la chanson des ballons, cette fois, il finit avec « La vie ne vaut rien » :
« Là je dis rien, rien, rien, rien ne vaut la vie »
Et juste pour rappeler le titre car le bonheur des mots et des musiques enjouées excitent "l’albatros pataugeant dans l’ice cream" et son besoin de graver tant d’autres souvenirs de ce tour de chance :
« Ici Khâgne Hypokhâgne grimpe à Normal Sup'
Là l'escalator est en panne, on tourne dans la ZUP
Fantin-latour et Degas, allez va au musée
En bas d'la tour y a deux gars, allez va t'amuser »

mardi 19 mai 2020

Contre le théâtre politique. Olivier Neveux.

Il n’y avait pas meilleur endroit pour trouver ce livre que le stand de la Librairie du Square tenu à la MC2 par une jeune fille avec laquelle j’aime discuter entre deux spectacles étiquetés politiques, mais qui ne l’est pas-politique ?
« Tout est politique » ainsi disait Thomas Mann à moins que ce ne soit Daniel Bensaïd comme l’auteur le précise au début de ses 300 pages augmentées de 376 notes qui soulignent les scrupules et l’érudition du professeur d'histoire et d'esthétique du théâtre à l'université Lumière Lyon-2.
«  Politique, ce spectacle paternaliste et compassionnel sur tel drame contemporain ?
Politique, cette moraline républicaine ?
Politique, cette mise en scène décorative de la domination ?
Politique, cette dénonciation téméraire des excès de l’argent ?
Politique, cette pesanteur macabre de messe ?...»
La jubilatoire liste introductive des interrogations ne s’arrête pas là, mais débouche sur une construction érudite visant à concilier fond et forme où les capacités de compréhension du lecteur sont mises à rude épreuve.
Les thèmes ne manquent pas:
« …les migrations, les migrants, les mineurs migrants, les lois racistes françaises, l’Europe, les licenciements, les sans-domicile-fixe[…], les personnes trans-genres… »
Lorsque je me rends à un spectacle théâtral j’ai souvent le sentiment de participer à un rite tournant entre initiés, et j’aggrave mon cas avec ce livre ajoutant du laborieux à la futilité.
J’y retrouve, au-delà des fauteuils, des questionnements au cœur de mon activité d’enseignant ainsi avec Rancière souvent cité :
« … l’explication est le mythe de la pédagogie, la parabole d’un monde divisé en esprits savants et esprits ignorants, esprits mûrs et immatures, capables et incapables, intelligents et bêtes. »
Ce travail universitaire de haute volée a donné l’impression au familier des brasseries que je suis, d’être entré dans un restaurant gastronomique, dont je ne sais goûter toutes les subtilités. J’ai pu me raccrocher furtivement à quelques égratignés dont je connaissais les noms : de Jean Michel Ribes qui fut à François Hollande ce que Jean-Marc Dumontet est à Emmanuel Macron. La citation du texte de Joël Pommerat critiquant la politique culturelle d’Eric Piolle en rappelle la pertinence.  
Si j’ai vu quelques spectacles auquel il fait référence
celui de Maguy Marin qui est évoqué était différent de ce que je connaissais
mais « Le théâtre du soleil » serait-il devenu tellement hors du coup qu’il n’est même pas cité ?
J’aime Jacques Lacarrière quand il disait :
« Je revendique le droit pour le théâtre de fréquenter les mauvais lieux de l’être, d’être rôdeur nocturne autour du mystère de nos origines, d’être l’aboi lucide qui hante les feux nomades de nos songes et pour l’auteur d’être l’archéologue de nos doutes, le rhapsode de notre double, le déchiffreur de nos fragilités. Assez de donneurs de leçons, de professeurs masqués de signes et de dramaturgies, de rançonneurs d’enfants crédules, de détourneurs d’engagement. » 
Comme Sacha Guitry disait à propos des femmes : « je suis contre, tout contre », nous comprenons bien que ce livre édité par la Fabrique qui publie aussi Badiou, Rancière et Bensaïd est contre la politique, tout contre, avec le théâtre.

dimanche 10 mai 2020

Le portrait de Dorian Gray. Thomas Le Douarec.

La pièce adaptée du roman de Wilde traite bien plus que de la recherche de la jeunesse éternelle : le portrait de Dorian qu’a réalisé Basil va vieillir alors que le modèle restera beau physiquement mais se désagrégera moralement sous l’influence d’Harry le brillant désabusé aux accents qui font parfois penser à Edouard Baer.
Wilde dont les formules peuvent peupler sans peine un dictionnaire de citations nerveuses disait : «  Dorian Gray contient trop de moi-même, Basil est ce que je pense être, Harry ce que les gens pensent que je suis et Dorian ce que j'aurais aimé être en d'autres temps. »
Le metteur en scène tient le rôle central d’Harry, l’influenceur, et cite l’auteur qui l’a inspiré après avoir présenté ses comédiens. Il renoue ainsi avec une tradition sympathique après un moment de théâtre à l’ancienne où les acteurs et actrice jouent plusieurs rôles avec virtuosité dans une mise en scène qui exprime sans tapage les aspects fantastiques d’un destin tragique.
« Spiritualiser son temps : certes, la tâche est enviable. »
Il est question du pouvoir de l’art, des remords, de la beauté, de la mort, de la vieillesse, de la sincérité, de l’amour, d’amitié, de la méchanceté, de l’humour :
« Pour être populaire, il faut être médiocre ».
« La chose la plus commune, dès qu'on nous la cache, devient un délice. »
Ses vacheries en particulier à propos des femmes peuvent sembler déplacées aujourd’hui, mais la cruauté peut se pardonner de temps en temps quand elle est bien tournée :
« Les femmes sont faites pour être aimées, pas pour être comprises.»
Autour de sujets éternels, le suranné peut avoir ses charmes pour aller au cœur de ce que nous masquent les tapages d’un omniprésent présent.

lundi 4 mai 2020

L’argent. Marcel L’Herbier. Jean François Zygel.

Nous sommes allés à la MC2  avant tout pour le musicien pédagogue vu à la télé qui sait si bien communiquer sa passion. Comme Zygel nous l’a expliqué, il est arrivé que des orchestres symphoniques soient invités à des projections cinématographiques de ce qui était à ses débuts un art forain.
Ce soir, le pianiste au premier plan fait mieux qu’accompagner les images muettes de Marcel l’Herbier, fondateur de l’IDHEC (Institut des hautes études cinématographiques).
Le film très art déco, inspiré du roman homonyme de Zola qui se déroulait au XIX° siècle, date de 1928, juste avant le crack boursier, alors que le cinéma muet vit ses derniers instants.
Si les regards expressifs des acteurs n’impressionnent guère le spectateur d’aujourd’hui, les mouvements de caméra, les décors, les costumes, justifient les éloges que cette œuvre richement financée a recueillis tardivement.
Le format  de 2 h 50 aurait pu être raboté, sans nuire à l’incompréhension qui peut naître devant la frénésie des mouvements boursiers, matière peu cinématographique, en dehors des vues sur un lieu qui avait toutes les raisons de s’appeler la corbeille.
L’aviateur adjoint du banquier a mis plus de temps à se décoller de sa femme que pour traverser l’Atlantique. Par contre il perd la vue et la retrouve en moins de temps que je mets à retrouver mes lunettes.
Il est intéressant de voir Antonin Artaud acteur et Yvette Guilbert en boursicoteuse, quant à  La baronne Sandorf jouée par Brigitte Helm dans le genre femme fatale qui ne succomberait pas ?
La silhouette des Dupond et Dupont apparaît même avant leur première sortie en 1934 dans « Les cigares du pharaon ».
Avant la conclusion qui apporte une touche d’humour bienvenue, une formule éprouvée se retrouve sur un carton : « L’argent est un bon serviteur mais un mauvais maître ». Elle peut servir de résumé.

dimanche 22 mars 2020

Illusions perdues. Balzac. Pauline Bayle.

Pour être passé de la salle des fêtes de mon village à quelques défaites au chef lieu, voilà un titre susceptible d’attirer celui qui aime se recoiffer en se regardant dans le rétroviseur, envisageant deux heures et demie de délectation morose par théâtre interposé.
Le combat de l’idéalisme et du réalisme peut occuper toute une vie.  
De surcroit l’annonce « D’après  Balzac » réalise un retour digest vers un phare de la littérature française laissé de côté depuis «  Le colonel Chabert » dont j’avais préféré d’ailleurs le film de1994 qui en était tiré.
 Mais après avoir lu un avis de Télérama, je craignais une mise au goût du jour conventionnelle:
« forte de l’effronterie de la jeunesse qui envoie au tapis, décors, costumes, orthodoxie de la représentation, bref tout ce qui assoupit le théâtre ».
Eh bien pas du tout ! C’est du théâtre dans toute sa pureté, avec une mise en scène élémentaire efficace et novatrice qui n’a pas besoin de faire appel à des dispositifs tape-à-l’œil, des acteurs jouant plusieurs rôles avec virtuosité et conviction.
L’adaptation de textes littéraires est périlleuse qui accentue souvent une tendance à la déclamation présente trop souvent à mon goût sur les plateaux : ici les dialogues sont vifs, le théâtre dans le théâtre pas surligné, pourtant l’histoire se situe en milieu journalistique dans le domaine culturel.
Les conformismes, les jeux de pouvoir, les compromissions, l’hypocrisie, les ambitions, le goût pour l’argent et la gloire, du début du XIX° valent toujours au XXI° siècle.
« … pour faire fortune en littérature, blessez tout le monde surtout vos amis.
Visez les amours-propres, attaquez les, mordez-les et le monde vous caressera »  
La metteuse en scène par ailleurs excellente comédienne   
réussit à faire partager sa façon de voir : « Dans le roman, il y a la tentation de la jouissance qui contredit l’exigence de créer une œuvre qui soit plus grande que soi. »
Ce beau travail personnel élague dans le roman de 700 pages avec 70 personnages, tout en montrant des individus et pas des idées désincarnées qui n’accèderaient pas à la contradiction.
La distanciation ne nous fait jamais oublier que nous sommes au théâtre et nous offre de beaux moments quand les protagonistes scandent une danse secouant la poussière du plateau ou lorsque le jeune Lucien de Rubempré né Chardon joué par une fille séduisante  et charismatique, passe d’Angoulême à Paris.

dimanche 15 mars 2020

Persona. Bertrand Belin.

Je venais de me relire
http://blog-de-guy.blogspot.com/2014/02/parcs-bertrand-belin.html
et le chanteur à la MC2 démarre : «  Petit à petit l’oiseau fait son bec ». Décidément.
La voix grave est typée, la musique efficace, les lumières de music hall, le Breton qui se situe au-delà de l’intervalle entre « Avec le temps » et « A la queue leu leu » bouge bien, la salle est pleine, les textes élégants même si malgré l’ample amplification, des mots m’échappent, mais je n’ai pas été transporté. On a l’impression que le concert démarre et puis ça retombe, des pleins et des déliés, du fraternel et du détaché, ici et ailleurs.
« Il y avait un homme ce matin
Comme hier d'ailleurs
Il y avait un homme ce matin
Sur le cul »
L’évocation du travail comme une malédiction est dans l’air du temps, mais je suis d’un autre temps: le mime du creusement genre « attention travaux » me semble bien facile sous les projos, alors que les pelles sont  désormais mécaniques. 
« Dans ce jardin noir de bleu » me plaisait bien, c’est de Dylan.
Il n’hésite pas non plus à reprendre Bashung au rappel, lui à qui on rappelle sans cesse cette filiation :
«  Je m'acolyte trop avec moi-même
Je me colle au pare-brise ça me gêne
Ça sent le cramé sous les projos
Regarde où j'en suis
je tringle aux rideaux
C'est qu'on freine
Je voudrais descendre de là
C'est comment qu'on freine »
Il avait fini fort avec l’évocation d’un migrant, il ne triche pas, dit la distance, mais n’a pas détourné le regard.
« Un point rouge
Dans la nuit
C'est une clope
Je te dis
Un point qui danse
Dans ces collines
On se balade ici
Ma main au feu
Un ours qui fume
Je n'en crois rien
Il faut que cela soit quelqu'une ou bien quelqu'un
Qui suit un sentier
Quelqu'un de transi
Quelqu'un qui fuit
Qui cherche un pays
Où vivre
Vivant »

dimanche 8 mars 2020

Joueurs, Mao II, Les noms. Don DeLillo. Julien Gosselin.

Spectacle de plus de 9 h : munis d’un bracelet rose, nous sommes autorisés à entrer et sortir à notre guise. Cette tolérance désacralise la représentation qui ne débute plus depuis belle lurette avec trois coups. Pour la pause la plupart des spectateurs visent entre deux pièces au moment du remue ménage des décors.  
Si l’intitulé énumère trois titres de livres de l’auteur américain, il ne fait pas émerger un sens particulier à ces heures saturées de mots dont les intentions m’ont semblé partir en tous sens.  A l’heure où les candidats en politique proposent de ne pas décider eux, mais promettent aux habitants le dernier mot, les artistes nous laissent plus que la marge pour interpréter ce que les interprètes ont bien voulu dire. Il n’y pas que les maîtres devant leurs tableaux noirs qui ont disparu, les managers derrière leur Power point ménagent leurs clients, leurs ouailles, leurs collaborateurs.
Les créateurs posent sur le plateau cette indécision, ces désarrois, cette crise des valeurs.
La salle n’est pas comble malgré le côté exceptionnel de la proposition mais les départs définitifs restent assez rares.
Des bouchons d’oreille nous sont proposés car la musique électro est prépondérante.
La langue est belle et l’écrivain qui m’était inconnu mérite le détour. Après cette rencontre tonitruante, une lecture apaisée pour goûter sa poésie vigoureuse s’imposera.
Cette citation provient du site Babelio, elle n’a pas été prélevée lors de cette journée où l’humour s’est fait discret:
« Je suis passée à côté.... pourtant j’aime DeLillo... j’ai accroché aux 50 premières pages puis aux 30 dernières superbement écrites en digne héritier de Faulkner.... pour le reste il m’a perdu, trop bavard, trop de circonvolutions au détriment de l’action. Un roman américain pour les new-yorkais... je ne me suis attachée à aucun personnage ».
A la sortie d’un tel spectacle, me venait la comparaison avec un monument,  voire, allons-y, une cathédrale, pour l’ambition, l’ampleur, la masse des techniciens et des acteurs requis même si le verdict des siècles demeure incertain.
Il y a de belles fresques qui peuvent rester énigmatiques pour ceux qui n’ont pas la foi, et quelques morceaux de bravoure telles de magnifiques statues posées ça et là par des officiants talentueux.
Les parois de verre coulissantes, les voilages sont devenus des décors habituels et un final tout le monde à poil a déjà été vu. La présence de caméras est systématisée.
Pensant échapper aux écrans qui envahissent nos vies, nous nous retrouvons lors d’un spectacle vivant à regarder essentiellement  par écrans interposés l’image des acteurs équipés de micros HF. A un moment, au milieu de la vaste scène est édifiée une cabane en contreplaqué très installation art contemporain, dans laquelle jouent les acteurs jusqu’à ce que leur image même disparaisse pour ne garder que la voix. Ce choix est fort et novateur.
La succession de trois pièces de trois heures chacune à la queue leu leu dans un format hors norme fait passer  au second plan le fil narratif qui évoque l’ennui, la chair triste, la peur venant de toutes parts, et un terrorisme assez daté. Mao et Moon sont de vieilles lunes.
Pourtant, comme avec son précédent spectacle,  de par sa durée exceptionnelle son inscription dans la mémoire supplantera sans doute d’autres représentations bruyantes derrières leurs parois de verre.   
http://blog-de-guy.blogspot.com/2017/01/2666-julien-gosselin.html

dimanche 16 février 2020

Möbius. Compagnie XY Rachid Ouramdane


Epoustouflant. Je cherche dans ma machine à synonymes de quoi multiplier les adjectifs pour dire mon plaisir: stupéfiant, étonnant, épatant, admirable, surprenant, formidable, remarquable, merveilleux, mirobolant.
J’avais déjà badé devant la troupe de circassiens en 2014 
mais c’est d’avantage que du cirque et plus que de la danse : un spectacle de l’évidence, de l’excellence.
Le rêve de voler se réalise, et une peur d’enfant vous poigne quand une femme s’envole et retombe dans des bras qui jamais ne faiblissent, en une trajectoire  fluide qui s’enchaîne aussitôt avec une course légère.
De la troupe nombreuse qui rassemble tous les formats, émerge parfois une flèche, un oiseau, un poisson, un bel homme, une femme superbe, qui se fondent très vite en une masse puissante, vivante, que la fatigue n’atteint pas. La solidarité, la confiance sont des certitudes nées d’un travail d’une exigence hors du commun. Tout semble si libre, spontané, accordé à la musique, intelligent, harmonieux, sans fin comme l’anneau de Möbius, oubliant son aspect curiosité mathématique, familier et toujours surprenant.
Une petite femme porte un balaise ou des facétieux vont soustraire en premier le porteur avant que celle qui était sur les épaules n’ait touché terre.
Le chorégraphe appartient à la maison et que ce soit en petite ou grande formation nous marchons, ou plutôt nous décollons 
Nous suspendons notre souffle pendant une heure dix et nous sommes debout avec toute la salle: Wahou !

dimanche 9 février 2020

La buvette, le tracteur et le curé. Serge Papagalli.

Je pensais me rafraichir après quelques spectacles bouffis de prétentions vus au chef lieu en revenant vers une valeur patrimoniale en la salle communale, hélas j’ai été vite lassé. 
Oui, les « petits en ont gros » et quand « on en a gros sur la patate on n’a pas la frite » mais l’arrivée d’un curé en soutane, arrivant de l’étranger (Lyon), fut-il joué par le complice Arbona n’ajoute rien à l’univers du bougon paysan matheysin.
Il y a bien l’instit à la retraite vivant dans le gite attenant et qui picole comme tout un chacun, mais le neveu simplet a beau jouer le jeu de la vérité en rimant façon «  poil au menton », il ne peut m’arracher un sourire, d’autant plus que Papagalli que j’apprécie comme acteur est presque tout le temps dans le registre de la colère. Il est accablé le plus souvent, « nom de Gu ! » à l’instar du nouveau curé qui aurait pu permettre quelques variations à la farce, comme lors du spectacle précédent.
Les téléphones portables ont beau avoir envahi un univers disparu, ce type d’humour a vieilli avec son sujet. Quand le neveu solitaire sollicite qu’on l’appelle sur son "tactile", la scène aurait pu avoir plus de force si l’acteur jouant le délirant ne sollicitait pas des rires gênants avec force grimaces et langue pendante.

dimanche 2 février 2020

White dog. Latifa Laâbissi.

Il y a tromperie sur la marchandise.
Nous avions bien lu qu’il était question du roman de Romain Gary, « Le chien blanc » qui « interroge sur la haine raciale » et que ce spectacle était de la danse.
Pendant une demi-heure quatre personnes tressent des cordes, tirent dessus, font des nœuds,  les défont, et puis se mettent à gesticuler, crier et retombent pour s’enfouir dans quelques paquets de macramé fluo. Ils portent une chasuble en jean et sourient nous montrant leurs dentitions dorées.
A défaut de commentaire plus laconique qui se résumerait à un sentiment de « foutage de gueule », je me réfère au journal de salle :
«  une lutte contre les assignations, une invitation à casser les codes, une fuite loin des identités et des genres ».
Ce ne sont pas les codes que la pièce nous a cassés, quant à la fuite c’était peut être la dernière solution raisonnable.
Le seul point positif est une durée d’une heure, égale au temps mis pour couvrir les dix kilomètres qui séparent ma maison de celle qui fut de la culture. La limitation à trente km/h est une promesse inatteignable.  
Je n’aurai pas perdu totalement ma soirée puisque j’ai appris ce qu’était un « lore » grâce à Wikipédia : « le lore, emprunt à l'anglais signifiant « folklore », « tradition orale », « diégèse », est l'histoire d’un univers de fiction ne constituant pas l’intrigue principale d’une œuvre. Ce terme est notamment utilisé dans le domaine des jeux vidéo. »
Voilà qui éclaire la note d’intention : « Un pas de côté, une fiction, une science-fiction pour entrer le temps d’une ronde, dans un lore sans folk à quatre corps… ».
On entend quand même quelques chiens : « Oua ! oua ! » Waf waf.