L’historien,
conservateur au musée d'Orsay
a débuté sa conférence devant les amis du musée de Grenoble par une citation de
l’historien Pierre Laborie :
« Il n’y a plus
d’histoire quand on ne cherche plus à comprendre, mais seulement à juger ou
stigmatiser » sous une photographie datant de 1941 où Vlaminck,
Derain,
Van Dongen s’apprêtent à partir en « voyage à Berlin ».
Sartre qui avait occupé le poste d’un professeur juif
révoqué savait que tout acte sous l’occupation était frappé d’ambigüité. Comme
Clémenceau disait que « la
Révolution Française est un bloc »,
notre regard sur ces années sombres peut s’accommoder de variations de
perspectives, de nuances dans les clivages et les croyances.
Picasso a choisi de rester en France pendant cette guerre
qui a marqué son œuvre comme le montre l’exposition « Picasso au cœur des
ténèbres » (jusqu’au 5 janvier 2020).
Entre 1939 et 1944, le public lit, va beaucoup au cinéma, les musées sont fréquentés
et le marché de l’art est florissant, alimenté par des biens spoliés. Picasso qui a créé durant toute sa vie 50 000 œuvres, « se montre, se vend, se reproduit. »
Manessier pouvait peindre
« Saint Jérôme »
comme une allégorie de la tragédie française
et
André Fougeron montrer une
« Rue
de Paris » pas vraiment à la gloire de l’occupant. Les qualifiés
de l’art « dégénéré » n’étaient plus ceux de 1937.
« L’hostilité
qu’il suscite chez les uns est largement
compensée par le soutien qu’il trouve partout. Jusque dans les journaux
dont l’idéologie est contraire à la sienne»
« Le Charnier » en 1945 fait écho à la découverte des
camps, et entre dans le cadre de la peinture d’histoire à la suite du
« Guernica » de 1937 qui a « fait » Picasso.
Cette œuvre avait déçu les républicains, elle voyagea pour lever
des fonds au bénéfice de leur cause.
En 1942, sa demande de naturalisation n’est pas acceptée, la
fréquentation des milieux anarchistes ne l’a pas servi et il n’avait pas
combattu comme Apollinaire ou Cendrars, également étrangers, engagés pendant la
guerre de 14 du côté de la France.
« Le jeune homme à la langouste » inquiète les
convictions avec ce rire dans un visage clivé, déstabilisant. Ce retour vers
l’enfance signifie-t- il que Paulo le fils qu’il a eu avec Olga qui vit en
Suisse lui manque, alors qu’il revoyait régulièrement Maya la fille de Marie
Thérèse quand il séjournait à Royan ? Le faune toujours vif, à 60 ans,
entre dans l’âge mûr. Quand il revient à Paris, il renoue avec la peinture.
Dans son musée imaginaire, l’espagnol côtoie toujours Goya
qui s’opposa à l’occupation française du temps des guerres napoléoniennes.
Sa « Tête
de taureau » de 1942 ne figure pas dans l’exposition de Grenoble,
elle était au frontispice du recueil surréaliste « La
Conquête du monde par l’image ».
Aussi terrible, que le guidon
et la selle sont humoristiques, la « Nature morte au crâne de
taureau » apparaît devant une fenêtre qu’on appelait
une croisée. La foi catholique de Pablo est à l’horizon de bien de ses œuvres.
La religion est un lieu privilégié de transmutations, d’interprétations, quand
les objets du quotidien se hissent vers le symbolique, la croix est celle du sacrifice.
Il se peint dans la confrontation avec l’époque. Et pourtant ses tableaux les
plus noirs datent de 1944 bien que l’avenir, pour le PC auquel il adhère au
moment de la Libération, soit radieux.
Si Pierre Daix l’ami trouve que « L’aubade » résume bien
la tristesse du temps, on peut remarquer que la joueuse de mandoline, sourit.
Ce tableau, qui s’inscrit dans la lignée d’Ingres souvent cité par Picasso,
peut aussi paraître comme une mise en musique des plaisirs de la vie.
L’occupant de l’atelier des Grands Augustins fut
plus généreux qu’on le dit : il distribua
de ses œuvres à des amis. 10 ans après leur rencontre en 43, Françoise
Gilot, en majesté sur la photo de Robert Capa, a écrit un livre. Mais cela n’a
pas plu au maître et il ne voudra plus voir les deux enfants qu’il a eus avec
celle qui avait 19 ans quand elle l'a rencontré ; c’était elle qui était
partie
Le journal antisémite « Le Pilori » prend,
contrairement à Drieu la Rochelle, le parti de Vlaminck qui voyait
en Picasso « le responsable de la
destruction de l’art », en titrant contre le « représentant de l’art judéo communiste ». Pourtant
celui-ci comme Sartre avait apposé sa célèbre signature à un document
certifiant ne pas être juif.
Si « Le Rocking-chair »
imprime le mouvement avec humour,
« L’homme au mouton » devenu une œuvre totémique,
évite d’enfermer Picasso dans une iconographie comme s’il revenait à une
période rose. La sculpture fondue alors que le métal était rare, lance un défi
vers l’avenir. Plutôt moins touché que d’autres par les privations il s’était
adapté au contexte. Il restera adhérent au PC jusqu’à la fin de sa vie, même si
en 1953 il se fait rappeler à l’ordre dans l’Humanité : « Le
Secrétariat du Parti communiste français désapprouve catégoriquement la
publication dans Les Lettres françaises du 12 mars du portrait du grand Staline
par le camarade Picasso. »