Cet entretien avec Gilles Haéri préfigure un livre qui
viendra après ses éloges de l’amour et
celui du théâtre. Il est si bon d’approcher une belle mécanique
intellectuelle qui n’hésite pas à admirer, aimer, faire partager ses
enthousiasmes avec rigueur, clarté, pédagogie et humour.
Il compare la pratique des mathématiques à une promenade par
un chemin tordu et complexe qui mène à une éclaircie : la découverte est
une récompense, singulière la beauté conquise. Aristote en faisait une
esthétique, le structuralisme avait mis les mathématiques en dialectique avec
la philosophie, alors que Sartre dans sa jeunesse disait : «
Science, c'est peau de balle, Morale, c'est trou de balle. »
Cette discipline qui au niveau de la
recherche est perçue comme
aristocratique alors que la formule : «
je n’ai pas la bosse des maths » est tellement répandue se
résume-t-elle à une histoire de « boss et de bosse » ?
Les mathématiques pour tant de philosophes sont
la condition préalable à toute rationalité, le processus de connaissance passant
par la preuve réfutable, explicite, décollé de tout récit révélé, tout le contraire de la mythologie.
Les mathématiciens contemporains travaillent
dans des spécialités souvent inaccessibles, dans une indifférence amère, alors qu’avec
les philosophes depuis l’apparition des « nouveaux », il suffirait
d’avoir une opinion, et surtout des réseaux pour faire croire à l’universalité
et apporter la banalité aux princes.
A la sentence de Russell : « La mathématique est
la seule science dont on ne sait pas de quoi on parle ni si ce qu'on dit est
vrai » peut s’opposer
Galilée : « La nature est un livre écrit en langage mathématique ». Badiou pense que la mathématique n’est pas qu’un jeu de langage rigoureux, sa vocation
est ontologique, du côté de l’être, dans ce qui résiste, en route vers
l’universalité. Les situations formelles peuvent s’organiser, les règles
s’identifier. Les maths ont inventé des formes avant leur réalisation : l’ellipse
est connue bien avant que la trajectoire des planètes soit repérée.
Platon le pédagogue : « que nul n’entre ici s’il n’est
géomètre », Spinoza : « Les hommes n’auraient pas pu
sortir de l’ignorance « s’il n’y avait pas eu la Mathématique » »
La philosophie a
parfois un rapport de révérence aux maths qui échappent à la singularité des
langues. Le plaisir peut être au rendez-vous de l’algèbre, de la géométrie,
bien que depuis Nietzsche une
rupture soit amorcée qui remet en cause la logique alors que dans le champ de
l’infini les maths apportent des innovations saisissantes, une complexité
provocatrice. Aujourd’hui l’histoire et l’esthétique semblent avoir pris le pas
sur l’épistémologie.
De l’amour le plus
cellulaire à la politique qui mène à l’univers tout entier, les arts, les
sciences, forment les catégories qui
permettent d’aller vers la vérité.
Les croisements
sont excitants : la politique peut elle parvenir à des décisions qui
résultent de la rationalité et s’élever au dessus d’un mélange bourbeux
d’affects et d’intérêts ? Ne plus être
vouée à n’être que de la rhétorique ?
L’amour lui ne
laisse pas indifférent, il peut être un apprentissage de la dialectique offerte
par l’approche de la différence.
Quand les questions
inévitables sur la pédagogie adviennent, le philosophe propose de raconter
l’histoire des mathématiques et pas seulement de ses résultats, commencer très
tôt à l’école mathématiques et
philosophie, ainsi la directive d’un
inspecteur : « la mort n’est pas au programme » pour
contrarier l’initiative d’un formateur en maternelle pourra faire rire même son
auteur à l’image de la salle conquise. Avec l’histoire du zéro, « l’être »
a pu naître du « néant » ; à ne pas confondre avec les codages
en 0 et 1 à la base de l’informatique qui ne dépasseront pas la pensée humaine.
Pourtant toutes nos machines bourrées de mathématiques pointent paradoxalement
nos pénuries de connaissances qui nous mettent sous les ordres de ceux qui savent, larbins d’un système où les usages financiers, militaires avec les
cryptages sont hégémoniques. C’est bien un enjeu d’émancipation qui est en jeu.
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Cette semaine le roi du tampon au pays de trotsks: