Sur les inesthétiques nouveaux panneaux d’affichage
municipaux qui
arrivent à enlaidir tout
ce qui s’y colle, l’
affiche, aux tons
pastels
annonçant
l’exposition au musée de Grenoble jusqu’à début février 2016, ne me
disait pas grand-chose. De surcroit, je ne savais rien de l’artiste aussi
célèbre aux Etats-Unis que Hopper ou Warhol ; il n’y a pas que les texans qui
ont des trous dans leur culture.
Merci à la conférencière, par ailleurs conservatrice au
musée de Grenoble, de nous faire découvrir cette dame disparue en 1986, presque
centenaire, qui ne fut pas que peintre de fleurs monumentales.
Elle n’a traversé que sur le tard l’Atlantique, imperméable pendant
longtemps à l’art européen, bien que professeur. Comme beaucoup de femmes
artistes de cette époque, la féministe a vécu un moment à l’ombre de son mari
Alfred Stieglitz, photographe et galeriste.
De la même façon que Frida Khalo, qu’elle rencontra au
Mexique, l’américaine est marquée par les lieux où elle a vécu de New York au
Nouveau Mexique.
« C’est primordial
de sentir l’Amérique, de vivre l’Amérique, d’aimer l’Amérique, avant de se
mettre au travail »
Sa vision cristalline, synthétique, à mi-chemin entre
l’abstraction et la représentation, lui offre une place singulière, en marge
des avant-gardes.
Ses premiers dessins oniriques, au fusain, les « Specials » frappent
Stieglitz :
« Enfin une femme
qui se donne »
Elle deviendra sa muse et sa femme, il produira plus de 350
portraits d’elle.
« La prêtresse de la couleur »
comme dit Kristeva suggère une sexualité, une spiritualité qui font penser au
style de Kandinsky « pour
qui les couleurs, les formes et les lignes sont des équivalents plastiques des
vibrations de l’âme » aussi
bien qu’à la calligraphie japonaise.
Les pistils érectiles
de « Grey Blue & Black-Pink Circle » sont suggestifs.
« Le sujet est en
toi, la nature ne donne que des suggestions. »
« Black Abstraction » où
s’inscrit un objectif photographique, marque les influences du huitième art ( la photographie) ayant désormais passé l’étape des
« pictorialistes » qui imitaient la peinture classique. Cadrages,
dégradés, agrandissements, forment un langage commun jusqu’à la finesse de la
couche picturale.
A la campagne près de Lake George, ses paysages atmosphériques
flamboient.
Ainsi « Rouge,
jaune et bande noire » qui est reproduite en affiche : dans les volutes de l’art nouveau et
de la danse, le romantisme, la tendresse féminine évoquent des symboliques
sentimentales.
Une « fenêtre » dans son minimalisme, sa vision orthogonale annonce l’installation
à New York, la ville fondamentale.
Dans Manhattan qui s’édifie, elle vit au 38° étage du Shelton hôtel, « au
milieu de l’océan ».
Et nous offre cette contre-plongée dans « New York Street with
Moon »
Orchidées, iris noirs, arums, pétunias, magnolias… : quand la
«Lady of the Lily » peint « Calla
d’Afrique dans un grand verre » un portrait de fleurs à connotation érotique, loin d'être une nature morte, c'est une « abstraction
biomorphique ».
Ses « iris blancs » dans la finesse
de leurs camaïeux sont une métaphore de la chair, « de ses membranes, de ses muqueuses ».
Bien que ne
constituant que 8% de sa production, ces fleurs se prêtant assez facilement aux interprétations freudiennes sont les
plus emblématiques de son œuvre, qui mérite d’être connue pourtant pour sa
variété.
Dans le désert du Nouveau Mexique, elle rompt avec la ville
verticale, pour les horizons infinis où le ciel prend toute la place. Son
contact avec les populations premières s’accorde avec ses fréquentations
intellectuelles.
« The Lawrence Tree » est
réalisé pour l’auteur de « L’amant de Lady Chaterley » et révèle une
appréhension panthéiste de la nature.
Sa puissante « Croix noire » vient parmi des paysages aux plans télescopés,
aux falaises voluptueuses rouges, dans des visions frontales.
Elle transforme des ossements en œuvres d’art
et enserre le ciel dans leurs architectures. Elle enfante des formes nouvelles,
elle qui n’a pas eu d’enfants. Elle collectionne aussi les pierres, mais
retrouve ses nuages depuis les avions qu’elle emprunte et nous redonne des vues
d’en haut d’une rivière qui serpente dans le désert : « C’était jaune et
rose ».
Ce
« ciel
au dessus des nuages » peut faire penser à Rothko en plus vaporeux,
et en annonce les champs colorés.
Un autre « ciel
au-dessus des nuages » très couru, de
7 mètres
de long se trouve à The Art Institute of Chicago.
Dans le catalogue de l’expo du musée, Julia Kristeva
écrit :
« Femme, amante,
modèle, artiste – Georgia O’Keeffe condense tous les rôles que les femmes ont
tenus dans l’histoire de l’art et dans l’art moderne, et qui les ont souvent
rejetées dans des marginalités douloureuses. »