jeudi 30 novembre 2023

Picasso et l’antiquité méditerranéenne. Gilbert Croué.

Pour le cinquantième anniversaire de la disparition de Picasso, le conférencier, devant les amis du musée de Grenoble, a consacré son temps à la partie jugée la plus élégante de l’œuvre de Picasso qui créa pendant 78 ans (il a vécu 92 ans) sous l’œil de « La chouette » (1953) symbole de sagesse depuis Athéna.
Le grand déconstructeur des formes et des conventions picturales était un homme de traditions.« Le Pigeon aux petits pois » a été réalisé en 1911
et « Mandoline et clarinette » en 1913, avant la mort de Rodin.
La vie à Malaga où il est né en 1881 était plus proche des temps très anciens que du siècle qui allait advenir. « Trois femmes à la fontaine».

Son père professeur de dessin lui a sûrement fait connaître au musée la mosaïque de 
« La naissance de Vénus »

et d’autres vestiges d’une occupation romaine 
qui eut Trajan et Hadrien comme empereurs venus de la péninsule ibérique.

« Héraclès combattant Nessos »  figurait sur une amphore 2700 ans

avant « Nesus et Déjanire » de Picasso aux volumes suggérés.
Nesos ou Nesus sur ses quatre pattes avait proposé au puissant Héraclès ou Hercule de faire traverser le fleuve à Déjanire sa femme mais le centaure fut traversé par une flèche vengeresse pour avoir essayé d’abuser de la belle. Son sang va imprégner une tunique que Déjanire donnera à son époux qui ne pourra s’en défaire: la tunique de Nessus désigne depuis une vengeance différée, une obsession difficile à évacuer et tout cadeau empoisonné.

« Héraclès secourant Déjanire enlevée par Nessos »  figure sur un  kylix (coupe à libation).

Picasso est lui même « Le centaure »  au trait déroulé sans lever le crayon.

La mythologie a inspiré toutes les époques : dans la sculpture de table de Jean De Boulogne  (1575), Déjanire appelle au secours. 
Picasso a illustré de 30 eaux fortes aux traits épurés, 
le texte d’Ovide « Les métamorphoses ».

« Jupiter et Semele » La maîtresse ne devait pas voir le visage de son amant mais quand celui qui lui avait fait un enfant se découvre, tout prend feu et le maître de la foudre a juste eu le temps d’arracher le petit Dionysos du ventre de sa mère et de le coudre dans sa jambe d’où la prestigieuse provenance inspirera bien des arrogants.

« Le repos du sculpteur » (1933), 
convient pour évoquer les moments de plénitude avec MarieThérèse Walter.

« Pan et Aphrodite » sur un miroir de bronze étrusque,
ou une « Idole des Cyclades » rappellent que la modernité date de bien longtemps.

« Homme avec un masque, femme avec un enfant dans ses bras » 
L’artiste à tête laurée est également semblable au faune au crayon, ou à l’eau-forte et aquatinte,

« Faune dévoilant une femme ». Il réalise toute une série à Antibes de ces êtres lubriques.

Jouant de la diaule, le « Faune musicien » célèbre les rapports amoureux :   
 « C’est curieux ; à Paris je n’ai jamais dessiné de faunes ; on dirait qu’ils ne vivent qu’ici » Sans quitter Marie-Thérèse, la mère de sa fille,
il s’engage dans une relation passionnelle avec Dora Maar.

« Dora et le Minotaure » : c’est lui encore mi-homme, mi-bête en 1936. 
Le mythe rejoint une passion précoce pour l’archaïque corrida où le sang des taureaux servait à féconder les champs.

« Corrida aux personnages ».
A 9 ans, il représente un « Picador dans l’arène »
et plus tard «  La mort du torero ».
Ce taureau de 1400 av. J.C. , provient d’Iran, il est plus âgé que ces charmants tanagras béotiens de 400 av JC .
« Tanagra au chapeau » plus exactement coiffée de la tholia et portant chiton, la tunique.

Ses plis élégants se retrouvent chez  
« Femme assise au chapeau et femme debout drapée. »

L’« Idole féminine mycénienne » datant de 1300 av. J.C.

ou l’ « Aiguière rituelle » du 16ème siècle avant J.-C venant de Santorin 
auraient pu être modelées par le prolifique maître.

Il avait dessiné à 14 ans un  « Jeune portant un agneau »,
son « Homme au mouton » semblable au

« Porteur de veau » « Moschophore » antique (550 av. J.-C.) 
 s’inscrit dans une connaissance de l’histoire de l’art que confirme

le « Portrait de Jacqueline » (1957) tellement semblable à une fresque où apparaît une

« Jeune crétoise dite la parisienne » (1400 av.J.C.).
 « Nos morts continuent de vieillir avec nous. » Pablo Picasso.

mercredi 29 novembre 2023

Définitivement. Grand corps malade. Thomas Baas.

Ma frangine, fan du slameur, m’a prêté un album destiné aux enfants pour me convaincre des talents de Fabien Marsaud, le citoyen du neuf trois.
Je reconnais sa singularité accompagnée de dessins sympathiques créant une belle ambiance de douceur,  quand même trop uniformément mélodramatique.
Tout au long des textes on peut imaginer ses scansions caractéristiques mais sa poésie reste pour moi, trop surlignée.
La première partie « Définitivement » est consacrée à son fils qui va naître :
« Tu vas bousculer ma vie, définitivement ».  
Se retrouvent des accents de Renaud qui jadis m’enchanta, avant de m’agacer:
« J’ai déjà la rage contre tes profs, quand ils donneront trop de devoirs ».
 « Tu peux déjà » titre la seconde partie consacrée à son fils ainé : 
« Tu peux déjà rire chanter et bavarder »
 Bien sûr, bien des papas retrouveront de telles émotions : 
« Et quand tu perds au Memory, tu fais la gueule
J’te laisse bouder je joue au papa insensible
Mais à ce moment là t’es encore plus irrésistible »
 
Cette proximité avec son public dans le partage des sentiments assure le succès mais n’oblige pas à la banalité:
« La deuxième fois, c'est toujours autant d'émotions ».

mardi 28 novembre 2023

Les trompettes de la mort. Simon Bournel-Bosson.

Un enfant déposé par son père chez ses grands-parents va grandir.
Les couleurs tranchées conviennent bien à la description d’une maison froide voire inquiétante mais le grand-père tellement hostile en arrive à être peu crédible.
La rigidité des traits ne s’accorde pas au glissement onirique du récit et ce titre qui promet des saveurs rares n’est représentatif du récit courant sur 240 pages que par le mot « mort » qui évoque l’atmosphère angoissante et « trompette » pour le ton tonitruant de cet album.
« Tu sais, les poissons rouges sont petits parce qu’on les enferme dans un bocal. » 
Des commentateurs évoquent le conflit de générations, encore faudrait-il qu’elles se parlent : chacune campe dans sa solitude armée.

lundi 27 novembre 2023

Simple comme Sylvain. Monia Chokri.

Une professeure de philosophie confortablement installée dans sa vie de quadra s’éprend d’un artisan: de cette affaire banale d’amour réciproque, la réalisatrice qui apparaît dans le film a d’autant plus de mérite qu’elle nous livre une comédie bien enlevée, parsemée d’observations percutantes sur les différences de classe sociales et de réflexions à propos de l’amour de Platon à Spinoza. 
« La première fois qu'on partira sait-on jamais
Nous choisirons le seul endroit encore secret
Où nous pourrons dans l'eau profonde
D'un fleuve à découvrir encore
Nous aimer comme si notre amour c'était la mort » 
 Arthur Rimbaud, non Michel Sardou.
Les sous-titres en français de cette comédie romantique québécoise sont utiles pour savourer les expressions délicieuses des habitants de « La belle province ».
Et c’est bien le langage le sujet principal de ces deux heures douces amères. 
« Par les soirs bleus d'été, j'irai dans les sentiers
Picoté par les blés, fouler l'herbe menue »
 
Robert Charlebois.

samedi 25 novembre 2023

Brèves rencontres. Neuf écrivains.

« Peut-être est-ce cela, une rencontre, la vie ramassée en une seconde. Un mirage, un éclat, qui permet, l’espace d’un souffle, à peine le temps d’un battement de cils maquillés, d’entrevoir la vérité, avant qu’elle nous échappe pour toujours. »
La citation vient de Monica Sabolo à propos de Bonnie and Clyde dans un des chapitres d’un volume de 200 pages dans lesquelles se succèdent Sureau, Appanah, Le Tellier, Désérable, Ben Jelloun, Reinhardt, Azoulai et Philippe Lançon, le meilleur à mon goût.
Lecture a été faite de ces nouvelles sur France Inter en 2022.
L’image romantique, belle passante et wagon de bois, de la couverture ne représente pas vraiment la teneur de cet ouvrage où ces auteurs contemporains narrent essentiellement leurs rencontres avec des écrivains plus anciens… Woolf, Calvino, Gary, Genet, Breton, Madame de Lafayette, Cendrars, Stendhal.
L’histoire intitulée «  La traversée des sentiments » la plus romanesque me semble la plus fidèle au titre bien que la brièveté ne fut pas le caractère le plus marquant d’une demande de mariage réitérée trois fois.
Les exercices d’admiration sont aimables et l'écriture élégante amène quelques surprises. Ainsi le récit de « La Princesse de Clèves » permettra à une jeune fille cloitrée dans sa chambre après un chagrin d’amour de profiter de l’été : 
«  Un roman d’amour sans scène d’amour, un comble. Tu as raison et il faut prendre à la lettre le tout dernier mot de cette histoire : i-ni-mi-table. Autrement dit, ne faites surtout pas comme je dis... »   

vendredi 24 novembre 2023

Un été avec Jankélévitch. Cynthia Fleury.

Dans la collection de petits livres édités par France Inter chaque année un auteur nous régale en évoquant un grand ancien : 
https://blog-de-guy.blogspot.com/2020/10/un-ete-avec-montaigne-antoine-compagnon.html  Cette fois la philosophe, excellente pédagogue, nous rend plus présent le philosophe juif : https://blog-de-guy.blogspot.com/2020/11/cynthia-fleury.html
 « Le malentendu est « la sociabilité même ; il bourre l’espace qui est entre les individus avec la ouate et le duvet des mensonges amortisseurs… »
J’avais déjà cité l’accessible auteur du « Traité des vertus » et du «  Le je-ne-sais-quoi et le presque-rien » mais je n’avais pas saisi l’occasion de l’apprécier plus complètement.
Quand les 180 pages s’ouvrent sur cette phrase, nous ne pouvons qu’être bien disposés: 
« Ne manquez pas votre unique matinée de printemps »
Je n’ai pu tenir le rythme d’un chapitre par jour qui me ravissait pour dévorer les dernières pages limpides et subtiles traitant pourtant de l’Histoire après avoir abordé la musique, l’amour, l’ironie, le courage, les pas sur la neige, le sérieux, 
« Nous serons déjà sérieux si nous faisons ce qu’il est possible de faire » sans « invoquer l’impossible » pour « quitter l’ordre du charlatanisme ». 
Amateur de paradoxes, j’ai aimé la dextérité du vieux résistant dont l’auteur d’aujourd’hui met en évidence une pensée si fraîche, nous invitant à réviser ce qu’est la gratitude, le mal … et à écouter Ravel  
« L'imprescriptible, c'est la vie de l'histoire et non le fossilisé, ce qui nous oblige à ne pas nous illusionner sur la bonhomie des êtres humains, c'est savoir que cet humain-là est capable de la pire inhumanité, indignité, barbarie. L'imprescriptible, c'est savoir que l'histoire est toujours devant soi. »

jeudi 23 novembre 2023

La jeune fille à la perle. Jean Serroy.

D’après le roman à succès de l’américaine Tracy Chevalier, autour d’un tableau de Vermeer, le britannique Peter Webber en fait lui aussi toute une histoire.
Devant les amis du musée de Grenoble, dans la série « les peintres au cinéma », le conférencier a apporté des compléments qui ont donné du relief à une production de 2003 quelque peu académique. 
Le livre et le film ont fixé le titre du tableau qui s’intitulait parfois : « La jeune fille au turban ».
La fiction a pu se déployer car Vermeer dont le nom lui même est incertain a eu une existence mystérieuse. De 1632 à sa mort en 1675, il n’a pas quitté sa ville de Delft.
https://blog-de-guy.blogspot.com/2014/12/vermeer-s-legat.html
Le film pictural où chaque plan est un tableau sait dire la matérialité des pigments et aussi la réalité des conditions marchandes.
Il ne s’agit pas d’un biopic, mais de la genèse d’une œuvre.
Le peintre passe au second plan derrière son modèle,
 
la servante Griet, interprétée par Scarlett Johansson, très ressemblante avec l’originale qui  dans la réalité serait plutôt une fille de Vermeer.
Le père de onze enfants dont sept filles devait vendre ses tableaux surtout qu’il n’était pas du genre expéditif : 34 tableaux de lui ont été identifiés. Le percepteur Van Ruijven son commanditaire appartient à la bourgeoisie hollandaise. En Italie ce sont les seigneurs politiques et religieux qui financent leurs artistes.
L’arrivée de la domestique issue d’un milieu protestant dans une famille catholique suscite la jalousie de l’épouse et l’inquiétude de la belle mère.
Une idylle nait avec un jeune homme de sa condition, alors qu’elle est affrontée à l’animalité du mécène et à l’engouement de l’artiste.
Le maître s’est épris de son modèle, sensible elle aussi à l’importance de la lumière, quand elle mesure bien la conséquence du nettoyage d’une vitre.
Chaque geste compte dans une reconstitution précise d’une maison de cette époque et de la ville, seul plan de synthèse numérique, couteux.
Le dévoilement de la chevelure était (déjà) un enjeu de pudeur et de tradition.
Cette lumière serait-elle plus vraie que cette histoire inventée ?
Depuis Barry Lyndon de Stanley Kubrick, les candélabres, les torches éclairent les scènes d’un XVII° siècle où l’on vivait dans le noir. Mais les peintres depuis Le Caravage savent que le noir donne de l’éclat à la clarté.
Dans ce « tronie » (portrait de caractère) aux lèvres humides après une mise en scène précise, ce regard fascinant par-dessus l’épaule reste mystérieux et ouvre les imaginations.
Johannes dit Jan lui a offert deux bijoux de sa légitime et lui a percé l’oreille, un peu de sang  a coulé qui peut être interprété comme une défloration symbolique suivie d’une plus charnelle tout de suite après avec le garçon boucher.