dimanche 24 octobre 2021

Fuck me. Marina Otero.

Contre-pied habituel : en lisant le papier accompagnant le spectacle le mot 
« performeuse » connoté art contemporain, je m’apprêtais à regretter ma première impulsion genre « papy se dévergonde » qui m’avait amené salle René Rizzardo ; mais pas du tout, alors que j'ai été déçu par celui que j'attendais
C’est pour l’instant le meilleur spectacle que j’ai vu de la saison : émouvant, drôle, violent, sincère, inventif. Avec au cœur de cette heure intense des approches neuves autour de mots tellement sollicités : liberté, authenticité, pudeur. 
Cinq hommes prêtent leur corps à « la cause narcissique » de l’ancienne danseuse dramaturge qui depuis le coin de la scène rappelle son passé au micro et par écran interposé. A force de se jeter par terre lors de représentations précédentes de sa trilogie, sa colonne vertébrale endommagée lui interdit de danser.   
Alors que l’autofiction a envahi la littérature et que je veux oublier une version approchante dans l'intitulé: « Baise moi » de Despente à la notoriété douteuse, sur scène, je n’avais pas de souvenir d’une telle force évitant même d’être tonitruante. 
Les dégâts occasionnés par le temps qui passe sont incarnés et en même temps transcendés par la beauté des corps, pathétiques, malmenés et surhumains: c’est tout un art. 
La belle argentine - oui « la belle Otero »- rend accessible le thème du « genre » tellement mode qu’il en est saoulant, il apparait ici en toute franchise. Sous des musiques excellentes, avec son « boys band », ses hommes, on ne peut plus nus, nous passons au-delà des procédés épate-bourgeois vus souvent sur scène. Elle s’est, on ne peut plus, dévoilée, mais qui voudrait y voir une quelconque inconvenance ? La vérité est nue, dit on. 
« Tandis que nous entrons dans l’hiver obsédant, 
Dans l’étroite saison, où, seule, la musique 
Fait un espace immense et semble un confident 
Qui, saturé de pleurs de nos soirs nostalgiques
 Les porte jusqu’aux cieux avec un cri strident » Anna  de Noailles
......
 Reprise des publications sur ce blog le lundi 8 novembre.

samedi 23 octobre 2021

De plus en plus de gens deviennent gauchers. Eugène Durif.

14 nouvelles en 117 pages étroites de chez Actes Sud plongeront les dépressifs un peu plus dans la tristesse à moins que ceux-ci s’estiment bienheureux par rapport à une kyrielle de personnages désespérants décrits avec intensité par l’auteur de « Sale temps pour les vivants ». Défense de rire.
Ils sont présentés en quatrième de couverture comme des tendres et des sensibles, mais je n’ai décelé aucun humour annoncé dans ces portraits où la violence alterne avec l’ennui.
Un intervenant devant des collégiens : 
«  Vous croyez que je n’ai rien d’autre à foutre dans ma vie que de venir gaspiller mon temps avec des petits bourgeois de merde comme vous, des petits privilégiés qui n’ont jamais eu à se battre pour rien, des gavés absolus et indifférents comme des canards que l’on emboque d’une culture dont ils n’ont rien à faire, une culture purement décorative dont ils n’ont même jamais pensé qu’elle puisse avoir un sens et une nécessité. » 
Sauf que son temps, il le gaspille en abimant aussi ses proches, il participe de la violence et à une déculturation qui le fait souffrir chez les autres tout en restant passif face au décor.
Quelques formules sont heureuses : 
« Petits copeaux de réel sur l’établi du temps »
Il faut des efforts pour que le moindre flocon de neige ne tourne au chagrin. 
« Pourquoi la neige n’a-t-elle définitivement plus cette façon enfantine et joyeuse de tomber ? C’est moi qui suis très vieux, et pourtant, par moments, en tournant la tête vers le ciel, j’arrive à ne plus rien voir de cette boue dégueulasse vers laquelle va s’échouer la blancheur. » 
Le nounours pendu de la couverture n’est pas trompeur. 
A offrir avec un baril de Xanax.

vendredi 22 octobre 2021

Le Postillon. N° 62. Automne 2022.

Je continue à lire le bimestriel grenoblois radicalement anti technologies nouvelles, 
bien que mis dans de mauvaises dispositions à cause de leur positionnement anti pass pourtant habillé d’humour : «  Siamo tutti antipassti »
Ils ne vont pas au-delà des étiquettes pour comprendre ce qui amène l’extrême gauche à manifester aux côtés de l’extrême droite et des « intégristes criant-sans aucune ironie : « touchez pas à nos enfants » », voire à suivre Didier et Raoul suppôts de Philippot.
L’usage des jeux de mots donne du punch aux articles : «Cafetiers pas cafteurs », cependant le contenu n’en est pas moins parfois contestable à mes yeux. Le mélange des genres nuit parfois à leur crédibilité quand l’ironie submerge l’information. 
Par contre dans la parodie, ils sont dans leur élément : un faux publireportage concernant les « e-shoes », chaussures à assistance électrique révèle avec verve les absurdités de certains engouements contemporains. 
Et leur page rigolarde après la défaite de Piolle aux primaires écologistes les amène à dresser un tableau piquant des loosers de la cuvette : 
«  Les bibliothécaires grenobloises. Cinq semaines de grève contre le passe sanitaire après avoir manifesté des mois contre la fermeture des bibliothèques il y a cinq ans, mais pas un seul article dans la presse nationale, ne serait ce que dans Libération. Meghan Markle change de chaussettes  et BFMTV arrête ses programmes. Si l’attaché de presse des bibliothécaires n’est pas un tocard, qu’est ce que c’est alors ? » Depuis la presse nationale en a causé. 
A mon avis, c’est leur combat qui n’est pas le bon : alors que chacun doit prendre sa part dans la lutte contre la pandémie, leurs positions outrancières ne peuvent que susciter l’incompréhension. 
Quant au chœur des soignantes ayant refusé la vaccination: elles geignent autour d’une situation qu’elles ont-elles-mêmes créée. 
Les critiques des rédacteurs sont affutées pour déceler le ridicule des discours technocratiques et la vacuité de certaines innovations tels des chèques cadeaux proposés aux citoyens qui ont bien trié leurs déchets. La numérisation du service des Métrovélos ne pouvait qu’attirer leurs remontrances.
Et c’est leur originalité que d’apporter des éléments vus nulle part ailleurs à propos du dossier de la « Papothèque », structure en difficultés financières qui s’occupe des personnes âgées dans le quartier du Lys rouge en soulignant les contradictions de la majorité municipale et l’opportunisme des oppositions. Leur vigilance concernant «  La Seveso valley » est salutaire et leur positionnement à côté d’une salariée abusivement licenciée du Synchrotron est attendu comme leur dénonciation des lenteurs d’Actis à propos de logements mal isolés voire insalubres. 
Leur coup de patte spécial sera cette fois pour Glenat et ses évasions fiscales et les tests comparatifs concernant les « bars-concepts » ne leur font pas vraiment une bonne publicité.
Les dilemmes des associations invitées à s’installer dans le nouveau centre commercial Neyrpic à Saint Martin d’Hères sont intéressants car nous sommes amenés à nous faire à l’idée que des démarches inédites sont à entreprendre lorsque les formules de l’éducation populaire « ne font plus recette ».
Ils abordent rarement les sujets culturels, mais à l’occasion de la sortie d’un livre : « Grenoble calling, une histoire orale du punk dans une ville de province », ils partagent l’humanité des rédacteurs mais trouvent que la musique est trop bruyante.

jeudi 21 octobre 2021

Autour de Rogier Van Der Weyden. Gilbert Croué.

« La descente de croix » de Rogier Van der Weyden, que le conférencier a choisi de nous faire mieux connaître sur la musique « Cum Dederit, Nisi Dominus » de Vivaldi, présente en 220 × 262 cm, dix personnes dans la douleur et la compassion.
Cette partie centrale d’un retable dont des volets inventés dans une copie du « retable Edelheere » avec image de donateurs, est peinte sur 7 planches de chêne d’un même arbre séchées pendant 10 ans pour éviter que les panneaux ne se fendent. La confrérie des arbalétriers de Louvain avait commandé cette œuvre. Devenue propriété des  rois d’Espagne après son acquisition par la sœur de Charles Quint ; elle est exposée au musée du Prado.
Peut on parler de chorégraphie quand le corps effondré de la vierge suit le corps courbé de son fils 
et que leurs bras se rapprochent, parallèles, dans une harmonie de couleurs et de mouvements ?
Marie, livide, 
est entourée de sa demi-sœur Marie de Cléophas en pleurs, Marie Salomé son autre demi-sœur la soutient.
Saint Jean l’Evangéliste vêtu de rouge, puisqu’il a touché le corps du Christ, figure de profil 
comme Marie Madeleine de l’autre côté. Le protecteur de la Vierge est chargé de la mémoire des actes du fils de Dieu comme l’ancienne prostituée, la première à voir le ressuscité à la sortie de son tombeau.
Ils encadrent la scène se déroulant dans un espace restreint situé au dessus de l’autel où le prêtre présente l’Ostie à la hauteur du corps sacré. Joseph d’Arimathie, debout au pied de la croix ne touche pas le corps du supplicié en signe de déférence, il avait fourni le linceul et le tombeau.
Nicodème,
lui aussi disciple secret de Jésus, dans son manteau de brocard, coiffé à la bourguignonne, supporte les jambes du Christ. Sa naïveté serait à l’origine du mot « nigaud ».
Rogier Van Der Weyden né Rogier de La Pasture, avait commencé sa carrière d’artiste par un diptyque au format carte postale pour les dévotions privées, représentant «  La vierge » sous un arc gothique sculpté et
«  Saint Georges »
  tenant une si grande lance qu’elle ne peut être que l’instrument de Dieu.
« L‘annonciation » se déroule dans un intérieur flamand contemporain.
Sur la cheminée un flacon obturé d’un voile symbolise la virginité de Marie. Une grenade contient de nombreuses plantes potentielles (origine du mot néophyte) comme autant de promesses de convertis et une orange fruit rare mais suave annonce le paradis.Formé à la sculpture, il fut l’apprenti de Robert Campin .
Le « Triptyque de Mérode »  de Campin est renommé. L’ange Gabriel entré sans casser de vitre, autre allusion à la virginité, vient d’arriver, les pages des saintes Ecritures en sont tournées et la bougie soufflée.
Sur un volet latéral Joseph fabrique une chaufferette, une souricière posée sur la fenêtre attend le diable.
L’une des sages-femmes, de « La nativité »  également de Campin, entourée de phylactères, avait voulu vérifier la virginité de la parturiente ; elle a eu sa main desséchée le temps du doute.
Patron des artistes « Saint Luc dessinant la Vierge » autoportrait de RVDW peut représenter cette riche école flamande évoquée en un cycle de trois conférences  devant les amis du musée de Grenoble
A Florence sur la route de Rome, il a rencontré probablement Fra Angelico.
« La mise au tombeau »  à la tempera (peinture à l’eau et à l’œuf) par le moine peut se confronter avec
« Mise au tombeau  et lamentations sur le Christ mort »
dans la nouvelle technique à l’huile. Celle-ci permet par la superposition de ses glacis des transparences, des luminosités nouvelles, des regards qui nous poursuivent,
ainsi dans le « Portrait d'une dame » 
celui d' « Antoine de Bourgogne »
ou de « François d'Este »
Les quinze panneaux du « Jugement dernier » commandé par Nicolas Rolin pour les hospices de Beaune montrent
la pesée des âmes par saint Michel et entre autres, les damnés et les sauvés qui ressusciteront dans leur 33° année comme le Christ.
Si les « Vierges de douleurs face au Christ mort » marquent une date importante dans l’histoire de l’art,
le « Retable de Miraflores » représente toute une existence passant du blanc de la nativité, au rouge de la mort et au bleu du deuil, tout en nous invitant à ne pas nous attarder au premier plan sous ses arcs en diaphragme, mais à aller toujours plus loin.
Un puissant  memento mori figure au dos du « triptyque de la famille Braque » où Jesus est entouré de Marie et de saint Jean l’évangéliste. Sur la croix de pierre gravée est inscrite en caractères d’or, du début du quarante-et-unième chapitre de l’Ecclésiastique (1-2) :
« Ô mort, que ton souvenir est amer à l’homme juste et qui vit en paix au sein de ses richesses, à l’homme exempt de soucis et qui prospère en tout, et qui est encore en état de goûter le plaisir de la table ! »

mercredi 20 octobre 2021

Chalons sur Saône #2.

Nous nous engageons vers les vieilles rues où subsistent des maisons à pans de bois,
des hôtels particuliers (Noirot, Chiquet), un beffroi coincé au milieu de bâtisses.
La cathédrale Saint Vincent, pourvue d’un cloître, domine une jolie place avec des maisons à colombages.
Nous traversons la Saône pour gagner l’île Saint Laurent  et suivons le trajet fléché par l’Office du tourisme afin de passer devant  les endroits emblématiques.
https://blog-de-guy.blogspot.com/2021/10/chalons-sur-saone-1.html
Tout d’abord nous longeons l’ancien hôpital jusqu’au bout du quai du même nom.
Là s’élève la Tour du Doyenné (fermée). Elle est visible du pont et de la rive opposée, à un emplacement où elle est mise en valeur, bien qu’il ne soit pas celui d’origine. Abritant un escalier derrière ses briques rouges, elle faisait partie de la demeure d’un chanoine et fut  vendue puis démontée en 1907, mise en vente à Paris, achetée par un riche américain et restituée à la commune en 1927 qui l’installa à cette place d’honneur.
En poursuivant  le pourtour de l’île nous passons devant la caserne des CRS située dans l’ancien couvent des cordeliers que nous n’aurions pas spécialement regardée pour  nous diriger ensuite vers le quai de la monnaie et le bâtiment des pompes élévatoires.
Ici on battait monnaie au moyen âge. Quant aux pompes, elles furent installées en 1871 grâce à un legs de la famille Thévenin dont le nom apparait sur le fronton de la bâtisse. L’eau saine  pouvait ainsi  être puisée sous le lit de la Saône dans la nappe phréatique.
Comme nous arrivons à la fin du circuit et que l’heure du repas se rapproche, nous traversons la rue de Strasbourg, habituellement animée par des restaurants et leurs terrasses mais aujourd’hui c’est lundi, beaucoup profitent d’un jour de congé.
 Nous nous asseyons à une table de la brasserie Saint Laurent, en extérieur. Nous commençons par un spritz  pour fêter l’été et les vacances et choisissons le plat du jour, une calamiteuse escalope milanaise, si dure et desséchée qu’elle  résiste au couteau et aux dents. Immangeable et inimaginable de servir « ça » dans un restau ! Au serveur qui demande souriant « si ça a été? », je suis bien obligée de dire que non ! Il nous offre en compensation un café et un dessert.
Nous rentrons doucement par les quais de l’autre côté de l’île baignant dans la lumière dorée de fin de journée. 
L’heure est à la flânerie et nous regardons l’exposition extérieure provenant d’une recherche autour de photos de classe menée auprès des scolaires.