mardi 18 février 2025

Le démon de mamie. Florence Cestac.

Ah ! Ah ! Ah ! 
La patte de la dessinatrice pionnière se reconnait facilement : ses gros nez qui jadis me cognaient dans l’œil, conviennent parfaitement pour « enchanter la sénescence ». 
«  La sénescence n’est pas une pente que chacun descend à la même vitesse,c’est une volée de marches irrégulières que certains dégringolent plus vite que d’autres »
 Simone De  Beauvoir
Tout y est :
- Le choix du vocable : mamie, mémé ou grand maman…
- Les petits enfants communément nommés « chic ouf » et leurs parents avec leurs poussettes démesurées, leurs précautions délirantes.
- Les ancêtres qui ne reconnaissent plus personne.
- La frénésie d’activités du troisième âge : aquagym et chemins de Compostelle... ;;;;
- Les copines rigolardes au restau se font clore le bec par un jeune exaspéré qui a tellement entendu «  c’était mieux avant ! » : 
« Vos gueules les mamies boomeuses ! » 
- S’il y a du plaisir à transmettre et à ne rien faire, il convient de se tenir au courant : 
«  Cmd+A , copier, Cmd+c, quitter, aperçu… » 
- Les sites de rencontre  avec le torturé citant Baudelaire  
« Je t’aime surtout quand la joie s’enfuit de ton front terrassé
Quand ton cœur dans l’horreur se noie »
parce que tout de même, la vieille dame indigne qui doit davantage « graisser la serrure » n’arrive pas à la hauteur de la tragédie de papy en phase «  crépuscule des vieux ».
Et si la descente au tombeau vient après « l’abandon des occupations qui font ce que nous sommes » comme Hemingway le disait à peu près, la pirouette du confrère Philippe Druillet est bien dans le ton de l’album dont l’humour nous rend plus vifs :  
« Et ce ne sera pas la peine de venir à mon enterrement, je n’y serai pas. »
 Les vignettes sont grandes, les lettrages bien lisibles, adaptés à un public de « Tamalous » qui aimera se mirer dans ces soixante pages burlesques et pétillantes.

lundi 17 février 2025

The Brutalist. Brady Corbet.

Ce film magnifiant l’homme constructeur est tellement bienvenu, quand s’écroulent des maisons en Ukraine et à Gaza et que de piètres déconstruits s'amusent par ici.
Adrian Brody interprète un architecte de la mouvance « brutaliste », László Tóth, dont le destin remarquablement bien conté n’a pas besoin de faire valoir qu’il est tiré d’une histoire réelle pour nous concerner, nous émouvoir. 
Cette fiction va au-delà de la réussite professionnelle d’un Juif d’origine hongroise émigré aux États-Unis après la Shoah, faisant preuve de la même dignité lorsqu’il est sur un tas de charbon que lorsqu’il finit par réaliser un projet de bâtiment ambitieux à l’image de  cette œuvre cinématographique, louée de toutes parts, d’un réalisateur à ses débuts.
La musique crée d’emblée une tension qui permet de mieux voir les images magnifiques, sans  qu’on n'ait vu passer ces trois heures trente coupées par un entracte d’un quart d’heure pour lequel prévoir une chocolatine et un pain au chocolat à la séance de 10h 30 du dimanche matin.
L'étendue des sujets abordés n'entame pas la profondeur de ce grand film qui appelle les grands mots : l’amour, la honte, la générosité, la violence, où vont les traumatismes? 
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samedi 15 février 2025

L’honneur des chiens. Lydie Salvayre.

Cette compilation de 15 textes parus dans diverses revues occupe 136 pages vite lues grâce à la nervosité du style, à la verve de la lauréate du Goncourt 2014 
Pourtant ses colères me semblent surjouées et ses causes plutôt consensuelles qui justifieraient parfois le bon mot de Philippe Muray concernant  « les mutins de Panurge ».
Je la préfère anti conformiste :
«  … je me fous des paysages, et des jardins, et des forêts, et des prairies et des champs cultivés  et des grands espaces et des mers toujours recommencées et des banquises au bout du monde » 
Bien qu'elle tienne à s’excuser : 
« Je n’éprouve rien devant la nature aucune émotion, aucune inspiration rien, ce qui ne m’empêche pas, je tiens à le préciser, de la défendre contre toutes les menaces qui la guettent. »
Les combattantes Kurdes sont des « guerrières » mais l’appellation me semble quelque peu exagérée pour désigner les féministes de chez nous qui tiennent le haut du pavé.
Je la préfère modeste : 
« Je me méfie de la pureté, des grands sentiments, des envolées sublimes. Je recule devant trop de perfection, trop de bonté, de noblesse : j’ai le pénible sentiment qu’on me ment. » 
Ses chiens qu’elle aime « crottés » et « calamiteux » me paraissent bien sages et conformes même si en rapportant des écrits de Chloé Delaume, elle sait parler avec force des « maboules », des « cinglés » et de leur souffrance.
Ses emportements sont salutaires, son écriture limpide, 
mais l’hésitante me convient davantage: 
 «  Je viens de dire que je m’engageais, corps et âme en quelque sorte, dans l’écriture.
Premier accroc à mon emphase : qui est donc ce « Je » » dont je parle. ?  
« Je ». 
Qui ça ? »
écrit Beckett dans l’Innommable. »

vendredi 14 février 2025

Le dernier souffle. Claude Grange Régis Debray.

Claude Grange, le médecin, accompagne des personnes en fin de vie, il distingue douleur physique et souffrance psychique. 
« Je soulage ta douleur et je serai là quand tu en auras besoin ».
Il a pu susciter la compassion envers son métier difficile lors de dîners en ville, mais lorsqu’il décrit les moments intenses qu’il a pu vivre dans son service de soins palliatifs, nous trouvons ce métier formidable, comme ses interlocuteurs d’un soir, après la lecture de cette centaine de pages où le « mouroir glauque s’égaye ».
Régis Debray, l’écrivain, éclaire ma vie littéraire depuis longtemps et signe préface et postface. 
« C’est la blouse blanche, non la soutane, qui prend les choses en main, et ce n’est pas un cadeau d’avoir à rendre l’âme sans savoir à qui. 
Reste que si l’âme a perdu l’au-delà, le corps en deçà y gagne. » 
Lorsque les malades sont convenablement pris en charge en soins palliatifs, ils ne demandent pas la mort.
Les débats contemporains concernant la fin de vie sont abordés au cours d’un récit très vivant où l’humilité est de mise. 
«  Jean Leonetti aime résumer sa loi en une phrase : Laisser mourir : oui, faire mourir : non. » « Le défunt détruit par le feu est miniaturisé ; il rejoint un infiniment grand en se faisant infiniment petit. La crémation rejoint le rite de purification. »
«  On en a fini avec le «  tu enfanteras dans la douleur ». 
Donnons-nous la chance d’accoucher les gens de leur mort, sans douleur… »
«  C’est un fait que les Saintes Femmes se retrouvent d’ordinaire aux étroits stratégiques de l’existence, ayant coutume d’être là au début comme à la fin, pour donner le jour et fermer les yeux. »

jeudi 13 février 2025

Rivaux et ennemis. Serge Legat.

En conclusion de l'exposé précédent concernant les amitiés d’artistes,
le conférencier devant les amis du musée de Grenoble laissait entendre que la frontière entre amour et haine était ténue.
Cette fois, il finit par les mots de Sainte Beuve après avoir évoqué quelques adversaires des cimaises : 
«  Puisqu'il faut avoir des ennemis, tâchons d'en avoir qui nous fassent honneur. »
- Au XIX°  siècle la ligne s’oppose à la couleur, ainsi le caricaturiste Bertall représente « Delacroix et Ingres en duel devant l’Institut de France » 
En 1827, lors du Salon de l’Académie des beaux-arts, dans « L’Apothéose d’Homère », par Ingres, l’auteur grec pose en majesté, l’Iliade et l’Odyssée à ses pieds, dans un « tableau de plafond » parfaitement construit. Il se situe en face de « La Mort de Sardanapale » par Delacroix à la composition chaotique.
Pour l’exposition universelle de 1855, Ingres présente 40 tableaux, Delacroix 35.
Si l’auteur de « La grande Odalisque » a empêché longtemps le romantique d’être élu à l’Institut de France, celui-ci finira par y accéder.
Tous deux, que
Degas voulait conjuguer dans sa peinture, ont laissé une empreinte magistrale dans l’histoire de l’art ; Cézanne voyait l’auteur de « La liberté guidant la peuple » comme « le père de l’art moderne » alors que Picasso se référait souvent au maître néo-classique.
- A Venise, au XVI° siècle, Le Tintoret, fils de teinturier, s’affirme face au patricien, Le Titien, auquel le « Doge Andrea Gritti » a passé commande,
ainsi que le pape « Paul III ».
Plus jeune de vingt ans, Le Tintoret dont l’ « Autoportrait » révèle les tourments,
intrigue pour obtenir de décorer la Scuola di San Rocco 
en offrant à la congrégation « Saint Roch en gloire ».
Le Titien a peint « Danaé et Cupidon »  puis dix ans après « Danaé recevant une pluie d’or » en renouvelant la légende par servante interposée.
Le Tintoret
donne sa version avec l’inévitable Zeus venu, sous forme de pièces d’or, féconder la jeune femme recluse par son père le roi d’Argos pour échapper à l’oracle prédisant qu’il sera tué par son petit fils. Il ne pourra échapper à son destin.
Arrivé de Vérone, Véronèse qui a dix ans de moins que Le Tintoret, s’empare d’un autre sujet mythologique permettant de peindre des femmes nues : «  Léda et le cygne » avec cette fois le Dieu des dieux en palmipède. Les trois rivaux s’influencent et s’inspirent.
- A Versailles, au XVII° siècle, « Charles le Brun (1619-1690) et Pierre Mignard (1612-1695), Premiers peintres du Roi » pourtant réunis sur la même toile par Hyacinthe Rigaud, se détestent. 
Le Brun, protégé de Colbert acquiert tout au long de sa carrière tous les titres :  premier peintre du roi, directeur de l'Académie royale de peinture et de sculpture, et de la Manufacture royale des Gobelins,
que Mignard l’ami de « Molière » et des dames
obtiendra en un jour à la mort de l’auteur de
« Les Reines de Perse aux pieds d'Alexandre »  
qui place le Roi soleil dans la lignée du magnanime conquérant. 
https://blog-de-guy.blogspot.com/2016/04/lart-du-portrait-au-xviii-siecle.html
Mignard reproduira à son tour la scène,
alors que sa « Vierge au raisin » ne doit son charme qu’à lui-même. 
- Sur la Côte d’Azur, au XX° siècle, Picasso émerveillé par La chapelle Matisse à Vence https://blog-de-guy.blogspot.com/2024/12/la-chapelle-matisse-marc-chauveau.html 
décore « Le temple de la paix » devenu un des ses musées à Vallauris.
« La joie de vivre »
de Picasso date de 1946,
celle de Matisse de 1906.   
Les phares de l’art moderne s’éblouissent mutuellement, 
chacun s’offrant les plus mauvais tableaux de l’autre,
mais « Au fond, il n’y a que Matisse » reconnait le mari de Françoise Gillot  
« Portrait de Françoise ».
Derrière le talent des artistes dont les « destins croisés » à travers les siècles ont été évoqués en quatre conférences, certaines de leurs existences pourraient se retrouver dans ces mots de Maurice Béjart : 
« Je n'en finis pas de commencer ma vie. 
Quand je pense qu'il y en a qui n'attendent pas d'avoir vingt ans pour commencer leur mort ! »

mercredi 12 février 2025

Blizzard. Flip fabrique.

Longtemps après que les cercles de sciure ont disparu, des québécois, une nouvelle fois,  nous procurent bien du plaisir dans le domaine des arts du cirque,  
mais cette fois pas de Soleil au théâtre (du) : bonnets et boules de neige pour sept acrobates et un musicien en « temps de poudrerie » comme disait Vignault autre vigoureux bienfait poétique de ce bout d’Amérique tant aimé.
Parce que  « l’hiver est plus qu’une saison, c’est un mode de vie », « le ministère canadien du froid, de la froidure et du brrrrrr » donne quelques conseils clownesques qui ne marqueront   quand même pas les mémoires, alors que les performances acrobatiques le long des mâts, au bout de sangles à tourner les têtes, font frissonner, de plaisir, la salle. 
Le pianiste à roulettes accompagne le ballet des artistes au trampoline, avec quatre cerceaux pour un contorsionniste, des mains à mains époustouflants de force et de grâce, des jonglages étourdissants au moyen de pelles à neige, et des sauts à la corde parfaitement coordonnés avec des écharpes… 
La séquence de patinage guillerette et naïve s'accorde parfaitement au thème, dans l’esprit candide de la troupe, nous offrant un final poétique et athlétique très applaudi autour d’une structure  parallélépipédique dont ils ont joué avec virtuosité pendant une heure et quart. 

mardi 11 février 2025

Corto Maltese. Nocturnes berlinois. Juan Diaz Canales. Ruben Pellejero.

Cet épisode se déroulant en 1924 à Berlin promettait ambiances mystérieuses et péripéties inédites, mais je suis resté sur ma faim comme lors d’une précédente proposition avec d’autres auteurs voulant se situer dans la lignée d’Hugo Pratt, le créateur disparu il y a trente ans.
 
Bien qu’affecté un instant par la mort de son ami Steiner, le marin qui peut difficilement passer inaperçu, traverse les nuits de Berlin et les maléfices magiques de Prague avec un flegme qui met à distance le lecteur.
Ces années là sont bien sombres où les sociétés secrètes nazies apparaissent  avec une virulence grandissante dans la fragile république de Weimar. Mais d’autres enjeux autour de cartes de tarot m’ont semblé hors du jeu. 
La planisphère figurant en page 2 et 3 de l’album de 72 planches est nécessaire pour répertorier tous le lieux de aventures de l’insaisissable héros né en 1967, mais je ne sais si je serai au prochain rendez-vous.