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mercredi 5 février 2025

Phèdre. Jean Racine Matthieu Cruciani.

J’accorde souvent une importance déterminante aux en-têtes de films, de livres, et ce soir une
première image de flèches et d’une cible, laissant pressentir drames et fulgurances, m’a mis dans de bonnes dispositions.  
« Le dessein en est pris, je pars, cher Théramène,
Et quitte le séjour de l'aimable Trézène. » 
Après une phase d’adaptation à la métrique alexandrine et malgré quelques références oubliées, l’excellente actrice Hélène Vivès dans le rôle titre nous acclimate aux passions démesurées auxquelles les dieux ajoutent leur grain de sel.
 « Je le vis, je rougis, je pâlis à sa vue ;
Un trouble s'éleva dans mon âme éperdue ;
Mes yeux ne voyaient plus, je ne pouvais parler,
Je sentis tout mon corps et transir brûler.
Je reconnus Vénus et ses feux redoutables,
D'un sang qu'elle poursuit, tourments inévitables. » 
Dans le cadre de mes repentances de potache plutôt amateur de San Antonio, j’ai apprécié cette pièce de 1677 pour laquelle le metteur en scène a évité tout « dépoussiérage » genre semelles compensées et panonceau contre la réforme des retraites : sobriété, clarté, respect. La puissance du récit se suffit à elle même lors de la mort d’Hippolyte : 
« J'ai vu, Seigneur, j'ai vu votre malheureux fils
Traîné par les chevaux que sa main a nourris.
Il veut les rappeler, et sa voix les effraie.
Ils courent. Tout son corps n'est bientôt qu'une plaie.
De nos cris douloureux la plaine retentit. »
Bien sûr des commentateurs.es après #MeToo ne voient les femmes qu’en victimes, alors que l’incestueuse Phèdre se montre toxique et que les jugements de Thésée ont quand même été manipulés par la gent féminine qui avait déjà quelque pouvoir #HeToo.  

samedi 7 décembre 2024

Les pieds tanqués. Philippe Chuyen.

Un ami enthousiasmé par le spectacle vu à Avignon, où la pièce jouée au boulodrome de l’île Piot a connu un beau succès, m’a donné l’occasion d'un aperçu des dialogues.
J’ai mieux compris à la lecture de ces 70 pages, la place que ne cessait de prendre l’Algérie dans sa vie, lui qui est né là bas, et le bien qu’a pu lui faire cette œuvre au langage fleuri permettant d’envisager les contradictions, d’exprimer regrets et chagrins, tout en continuant à jouer ensemble, à vivre ensemble. 
Depuis longtemps je n’avais pas lu de théâtre et bien que je ne goûte guère l’exercice, j’ai cru voir et entendre les quatre boulistes, sans leur truculence appréciée par ceux qui ont assisté à la représentation. 
Le mot pétanque vient du provençal quand les pieds doivent être ancrés au sol, bien « tanqués ».
J’ai mis du temps à identifier les personnages, ce qui m’a évité de tomber dans la caricature pittoresque pour approcher la complexité et l’intensité d’un sujet toujours d’actualité, traité ici avec bonhomie.
Les péripéties du jeu permettent le dialogue, les confidences. 
Le fils d’un combattant pour l’indépendance de son pays avait un oncle harki, 
le pied-noir aime l’Algérie de son enfance, 
alors que le père communiste du « Provençal de souche » portait les valises du FLN. 
Le parisien, dernier étranger à rentrer dans la partie, a sa part aussi dans ce passé douloureux qui le lie aux autres protagonistes. 
«  Parce qu’avec lui, les conversations, on n’a pas fini. »

mercredi 27 novembre 2024

La (nouvelle) ronde. Johanny Bert.

Dans cette revue des nouvelles pratiques sexuelles en milieu urbain, les marionnettes  s’envoient joyeusement en l’air, et le public voyeur, sans culpabilité d’un autre âge, de rire et sourire.
De « La Ronde » d’Arthur Schnitzler qui fit scandale à l’époque, reste l’emboitement de dix histoires qui finissent par se rejoindre. Les rencontres hétérosexuelles fin XIX° sont devenues une option parmi d’autres expériences bisexuelles, asexuelles, polyamoureuses…
Un gars transformé en fille finit par rencontrer une fille changée en garçon. 
Le dispositif est malin, la scénographie inventive, les marottes permettent toutes les audaces quand faire l’hélicoptère avec son sexe est pris au premier degré, et que le plaisir explose dans les toilettes d’une boîte de nuit. 
Cependant les pantins admirablement sculptés et manipulés avec finesse n’offrent ni la profondeur, ni le temps de parler véritablement d’amour.
Je me suis surpris à trouver démesurée la taille des acteurs oubliés dans leurs habits noirs quand ils dévoilent leurs visages au bout d’une heure quarante, tant mon œil s’était habitué au format des poupées. 
Le dialogue entre une marionnette et le réalisateur aux accents de ChatGPT apparaissant nu sur le tapis où défilent les décors des dix séquences est savoureux. Celui-ci ressemble une statue de Ron Mueck, inerte, échangeant son statut avec sa créature impérieuse. 

mercredi 6 novembre 2024

Grand-peur et misère du III° Reich. Berthold Brecht Julie Duclos.

Brecht reste toujours d’actualité bien après que chut le mur qui divisait sa ville car l'extrême populisme s'impose plus que jamais. Pourtant ce n’est pas faute de secouer les sonnettes, les trompettes, les cloches, en papier, en images, en paroles.
« Après la chute de ce Reich, Grand-peur et misère du III° Reich ne sera plus un acte d’accusation. Mais il sera peut-être encore un avertissement ».
Les 2 h 20 de représentation découpées en treize séquences, jouées par une troupe conséquente, offrent un honnête moment de théâtre. 
L’auteur clairvoyant décrit dès les années 30 la puissance de la dictature nazie s’imposant dans l’intimité d’individus de toutes conditions, et comment même après la guerre et ses horreurs certains ont pu dire: « on ne savait pas ! » 
«  En juillet 1932 lors des élections législatives allemandes, le parti nazi d’Adolf Hitler devient le premier parti du pays avec 37, 3 % des voix » 
Dix ans avant la guerre, des camps de travail existent déjà, la société militarisée, les juifs persécutés, les intellectuels méprisés, la violence est partout. L’aggravation de l’oppression bien mise en évidence, ne s'est pas faite en un jour.
Des parents craignent que leur fils les dénonce, un boucher se pend avec un écriteau sur la poitrine: «  j’ai voté Hitler » après avoir refusé d’installer de faux jambons dans sa vitrine. La délation et le soupçon permanent abiment les hommes, quand le droit n’est plus le droit et que l’obéissance aveugle est la seule issue avec la fuite.
100 ans après, les démons resurgissent en Thuringe et en Saxe… partout. 
Sur le vaste plateau de la MC2, se révèlent analogies et écarts entre les périodes dans une mise en scène sobre.
Il n’est plus question de distanciation marque de fabrique du fondateur du Berliner Ensemble.

mercredi 30 octobre 2024

Le funambule. Jean Genet Philippe Torreton.

Le début de saison à la MC2 se tient sur un fil.
Loin de la recherche de beauté du chorégraphe qui l'a précédé dans une salle plus prestigieuse, le célèbre acteur a mis en scène le texte sombre de Genet, dont il dit lui-même que c’est un auteur difficile « sans désir farouche d’être entendu » mais qu’il « veut enflammer ».
Eh bien malgré les grands noms sur l’affiche, aucun incendie à signaler.
L’histoire d’amour entre le poète et un funambule se réduit à un monologue.
La vérité résiderait dans la silencieuse prestation corporelle du fildefériste souffrant, les mots pourtant insistants étant proférés dans le vide. La musique apporte un brin d’émotion sans être envahissante et le décor déglingué dit bien l’abandon et les solitudes.
Nous avons applaudi l’acteur en « dompteur d’acrobate », le circassien virtuose, le musicien multi instrumentiste, qui ont fait leur boulot. 
Mais est-ce Torreton à la diction trop dure et emphatique où le texte et ses mots impuissants, pathétiques, qui supporte mal l’oralité qui ont rendu ce spectacle rugueux, obscur?  
Les paillettes poétiques en introduction sont oubliées au bout de l’heure et quart quand la mort invoquée métaphoriquement est au rendez-vous. 
D’instructives notes d’intention signalent  la difficulté de l’entreprise : 
« … notre inconfort face à Jean Genet, notre difficulté à le cerner, cette façon qu’il aura en toute sa vie de nous faire comprendre que nous nous sommes assis à sa table, sans lui demander sa permission. »

mercredi 16 octobre 2024

Outsider. Rachid Ouramdane.

La saison 24/25 à la MC 2 commence bien avec vingt et un interprètes du Ballet du Grand Théâtre de Genève s’accordant avec quatre fildeféristes sous les ordres d’un habitué de la maison. 
Les corps en juste au corps sont magnifiés par les lumières pour des chorégraphies très graphiques. 
Les pianos utilisés comme percussion ont cassé les oreilles de ma voisine qui a vu dans la musique de Julius Eastman du sous Phil Glass, alors que j’étais pris par les rythmes techno.
Je goûte toujours les effets de grand groupe où la précision impressionne malgré la vitesse des danseurs et la variété des mouvements. Les portés nous transportent et si l’espace est traversé par des déplacements tels des vols d’étourneaux, on pourrait aussi imaginer quelque environnement aquatique.
La belle agitation s’apaise avec les funambules aux gestes lents vers lesquels la foule au sol porte ses regards.
Ouramdane se montre plus convaincant dans ses images magnifiques offertes pendant plus d’une heure que dans le journal de salle où il évoque la « murmuration de la horde ».
Toutefois on peut comprendre son ambition de mettre en jeu ce qu’il a remarqué chez les « highliners » qui parlent peu du vide mais s’appuient sur l’air, et applaudir la séduisante troupe.

mercredi 17 avril 2024

Antichambre. Romain Bermond Jean Baptiste Maillet.

Un musicien et un plasticien entourent un écran où apparaissent leurs manipulations.
Cette heure de spectacle offre aux enfants le temps de regarder un trait de pierre noire agrandi, les traces d’une brosse, la naissance de plantes tropicales, et des couchers de soleil, sous des musiques en vrai. 
Un film rassemble les séquences vues dans la première partie sans gagner en cohérence : l’histoire d’amour qui permet de passer des territoires polaires à l’Amazonie, m’a semblé décousue de fil blanc. Les vues sur la ville sont cependant mignonnes alors que les animations restent rudimentaires. 
Ce côté rétro tranche, sans présenter d’alternative probante, avec la sophistication des productions des studios américains, mais ces bidouillages ont pour eux l’avantage d’être du spectacle vivant. 
Je mettrai donc sur le compte d’une subjectivité tatillonne le fait de ne pas partager avec « Le Monde », « Télérama », le mot « poésie » à propos de ce spectacle d’une heure, car la belle vient  d’après moi quand on ne l’appelle pas trop fort.

mercredi 17 janvier 2024

Stéréo. Decouflé.

Peut être parce que nous avons tant aimé les spectacles de Decouflé à la MC2, 
après sa découverte aux JO de 92 et que le souvenir d’un emballant « Chantons sous la pluie » est proche, la représentation de ce soir nous a parue ordinaire.
Bien sûr le thème rock and roll appelait du rythme mais celui-ci est modéré par des bavardages qui au début font sourire puis lassent. 
Les danseurs chanteurs acrobates, les performeurs, doit- on dire, sont souples et coordonnés, mais les mouvements ont déjà été vus comme si la créativité du chorégraphe s’était tarie.
Les morceaux de musique joués par un trio guitares batterie se succèdent comme au music-hall et régalent le public qui assiste donc à un concert dansé. 
Les costumes, les chaussures sont sympas mais le moment des surprises est passé ; un bon moment quand même.

mercredi 28 décembre 2022

Spectacles 2022.

Dans la profusion des tribunes politiques au théâtre, 
il en est de plus fortes que des proclamations : 
des retours utiles sur nos passions passées :
des classiques éternels: 
des images bouleversantes pour un témoignage puissant concernant les faibles : 
et des regards d’enfants s’allumant au bord des scènes avec de vrais acteurs :  

dimanche 6 mars 2022

Huit heures ne font pas un jour. Fassbinder. Deliquet.

Ces trois heures de théâtre éminemment politique respectent le « sans misérabilisme » annoncé. Très réticent aux prêchi prêcha, je craignais de les voir scander cette pièce tirée d’une série télévisée allemande, alors que le respect de la classe ouvrière ici décrite est remarquable de justesse, d’humour, sans rien masquer de ses contradictions. 
Le titre est parfait, la mise en scène fluide dit bien l’imbrication de la vie professionnelle et de la vie familiale, les émancipations individuelles et les espoirs collectifs, les ivresses festives et les dilemmes sentimentaux. 
Énumérer les thèmes abordés pourrait donner une idée de catalogue mais tout se joue entre les acteurs dont certains incarnent puissamment une classe sociale avec une touche de poésie qui nous approche du conte. 
Que faire des vieux ? Et qui s’occupe des gosses ? Union libre ou mariage ? Comment infléchir le destin ? Les discussions portent aussi bien sur le logement, les compétences, la grille des salaires, naturellement, sans didactisme. Une petite fille  arrive sur la scène en jouant au ballon comme la joyeuse équipe se séparant à bout d’arguments. 
La violence à l’égard des femmes ou des étrangers n’a pas besoin de revêtir la phraséologie « woke », pour apparaître vigoureusement. 
Le mot « autogestion » avec toutes les occasions de débats qui s’en suivirent connote une époque aussi révolue que les pantalons à pattes d’éph’.

dimanche 21 novembre 2021

Oblomov. Ivan Gontcharov. Robin Renucci.

Devant le public de l’Hexagone de Meylan resté après le spectacle de 2h ½, Robin Renucci, directeur des tréteaux de France, plaçait l'adaptation de l’œuvre du russe au début d’une nouvelle trilogie consacrée au temps après avoir traité précédemment du travail et de l’argent à partir de textes du milieu du XIX° siècle.  
Le personnage principal sorte d’ « Alexandre Le Bienheureux », pas heureux, représente tellement un archétype que l’ « oblomovisme » est devenu un terme dans le monde slave désignant la paresse, l’inertie, comme on dit « donjuanisme ».
Le dispositif scénique est joliment éclairé et le découpage des scènes intéressant. Il conclut vivement une existence tellement passive que c’est difficile de l’interpréter comme une critique de l’affolement contemporain ou de l’avidité capitaliste.
Oblomov, le propriétaire terrien se soucie exclusivement de lui-même et les femmes penchées sur sa couche sont réduites à des rôles subalternes d’infirmière des âmes ou de pourvoyeuse de tourtes; quant à l’enfant, une ombre, il est confié à une autre mère.
Cette histoire d’un grabataire volontaire est peut être un signe des temps mais « On arrête tout, on réfléchit (et c'est pas triste) » daté des années 70 me semble hors de propos, alors que tant d’individus fatigués avant d’avoir travaillé ne voient plus leur lien à la société, ni de vocation personnelle. Il était commun d’envisager d’être pompier pour les enfants de jadis, maintenant qu’ils se font caillasser, il vaut mieux se tenir derrière son écran ... de fumée.

 

dimanche 26 septembre 2021

Ballet de l’opéra de Lyon. MC2 2021.

Un petit trait de lumière et le rideau se lève sur un danseur aux bras désobéissants : la saison peut commencer à la MC2. 
Dès que ses trois partenaires entrent, leurs gestes maladroits s’emmêlant, se démêlant, deviennent fascinants par leur précision.
Toute rentrée marque le temps qui passe, alors la souplesse des artistes me parait à chaque fois plus extravagante comme leur capacité à se souvenir de gestes nouveaux sous des cadences endiablées voire dans le silence. 
On entend leurs expirations et alors que souvent les danseurs semblent s’accorder sans se regarder, leurs regards sont expressifs.
Il s’agit de « N.N.N.N» de William Forsythe mais je ne sais pourquoi ces quatre lettres.
En deuxième partie « Solo for Two », du chorégraphe suédois Mats Ek sur des musiques épurées d’Arvo Pärt. Un homme et une femme apparaissent, disparaissent dans les ouvertures du décor, changent de costumes en étant toujours aussi virtuoses. Quelques touches d’humour m’ont plutôt embarrassé, surtout les tressaillements d’un escalier.
Final en beauté avec 8 danseurs solitaires et ensemble pour « Die Grosse Fuge » d’Anne Teresa De Keersmaeker 
reconnue aux premiers gestes quand la danse n’est pas qu'un accompagnement mais rend tangible la musique du quatuor à cordes de Beethoven.
Ardents, tombant, se relevant, vivants, nous vivifiant comme d’habitude.

dimanche 25 octobre 2020

Récital de guitare. Renata Arlotti.

A tous coups la guitare évoque l’Espagne, mais cette fois le plancher ne tremble pas ; nous sommes à l’auditorium de la MC 2 et  nous écoutons sagement les musiques dansantes dans toute leur subtilité.

La belle guitariste Italienne nous propose d’abord des extraits de 24 caprichos (caprices) de Goya de son compatriote compositeur Mario Castelnuovo-Tedesco sur fond de « fantaisies », gravures satiriques de l’auteur du « Sommeil de la raison engendre des monstres ».
Pas besoin de démonter le génome des accords enflammés et surprenants sous les doigtés virtuoses de la jeune artiste pour savoir que nous avons franchi les Pyrénées.
En deuxième partie les musiques de Vicente Asencio et Enrique Granados s’accordent bien aux images ensoleillées de Joaquín Sorolla et Ramon Casas, loin du maître des ténèbres, mais gardant une part de mystère.
Par leur travail, leur capacité à mémoriser, leur énergie, de tels interprètes nous redonnent foi en notre culture dont on aurait tendance à douter sous les assauts des malveillants, des démagos et des criminels.  

dimanche 18 octobre 2020

Le jardin de mon père. Ali Djilali-Bouzina.

Joli titre, qu’éclaire une conclusion émouvante, après que l’humour ait parcouru pendant une heure et quart un récit souriant et grave, loin du carré de fraises ou de navets*  qui est devenu l’horizon de tant de nos contemporains.
Venant d’Algérie, la famille Djilali arrive dans le Sud de la France « rue des âmes du purgatoire » puis se fixe dans une HLM près d’un cimetière en Alsace, contrée que la mère trouve exotique avec une langue qui ressemblerait pour elle au berbère.
Le one man show a de nouveau touillé mes potions nostalgiques quand pourtant la vie est rude au cœur du conflit entre la France et l’Algérie, à aucun moment ne sourd de plainte misérabiliste.
Le chocs des cultures, la découverte des distances de classes sociales sont universels comme le travail qui tient le père debout ou la pudeur des parents qui n’affichaient aucun signe d’amour mais ne pouvaient se passer l’un de l’autre ; ils ont eu 12 enfants.
Ce spectacle bien mené avec des trouvailles de mise en scène simples et efficaces où sa complice Clotide Aubrier joue la souffleuse, avait bien commencé avec des remerciements à son institutrice qui dans le contexte convoque pour moi Camus voire Pagnol, comme on peut aussi penser à Begag pour la tendresse ou à Fellag pour la vitalité
Mais c’est du Djillali, personnel, sensible, sans effronterie, un beau cadeau à son père à qui il donne la lumière et les mots et au public qui ne boude pas son plaisir. 
Il revient en mars à la MC2.
*Champ de navets : Cimetière d’Ivry, où étaient enterrés les condamnés à mort, voir Brassens et Gaston Couté (champ de naviaux) 

dimanche 11 octobre 2020

Stance II / Dentro. Catherine Diverrès.

Premier spectacle d’une saison enmasquaillée : une silhouette noire sur fond noir s’anime au bout d’un moment, sa main accroche l’œil d’un projecteur solitaire.
Venant d’émerger tout juste du livre de Carrère, « Yoga », je me dis que la danse est une bonne source de méditation, et dans le prolongement de mes photographies de vacances, je persisterais volontiers à vouloir saisir les belles postures qui s’enchainent, fuyant à toute vitesse.
Je ne me souvenais pas d’avoir été enthousiaste à ce point lors du dernier passage de la chorégraphe à la MC2http://blog-de-guy.blogspot.com/2020/01/jour-et-nuit-catherine-diverres.html .
Cette fois assis au premier rang, nous percevons l’implication totale de la soliste et des duettistes qui se partagent l’heure, d’abord sur un poème de Pasolini (La terra di lavoro) dont je ne peux retrouver la traduction, puis sur un texte espagnol. Le silence est fort après quelques notes ténues de piano et des bruits de mécanique. 
La remarque sera bénigne concernant la personne créditée comme costumière qui n’a pas eu beaucoup de travail pour t-shirts noirs, pantalons noirs et robe noire.
La rencontre des deux danseurs est belle et remarquable la soliste dans un exercice toujours périlleux sur des musiques peu liantes. Solitude et tendresse se traduisent dans des mouvements à la fois retenus et explosifs que des critiques comparent à des calligraphies alors que cette forme d’écriture se fait dans une fluidité qui me semble fugace s’excusant presque.
Des pieds nus jouent dans les cercles d’une lumière insaisissable et parcimonieuse, les tensions s’affrontent à l’harmonie ; à la sortie de la salle Rizzardo nous rallumons nos écrans.       

dimanche 21 juin 2020

Souchon en concert. Ici et là.

Le chanteur rêveur, révélateur, est si léger qu’il nous autorise à nous laisser aller sans retenue à une nostalgie qu’il distille depuis ses débuts lointains.
Nous sommes assis à nouveau avec lui à regarder depuis :
« Un terrain vague en pente
Au dessus d’la ville
Des vieux matelas des plantes
Et des bidons d’huile »
Et le public qui comblait le Summum peut d’emblée se souvenir de ses rêves :
« Moi je voulais les sorties du port à la voile
La nuit barrer les étoiles »
Et reconnaître :
« Je suis mal en homme dur
Et mal en petit cœur ».
Mais il ne joue pas trop de la familiarité, l’humour est là, juste comme il faut.
« Si la vie est un film de rien
Ce passage là était vraiment bien »
Les nouveautés sont à la hauteur des chansons qui ont accompagné nos vies.
 «  Les murs écroulés du monde,
Filez nos belles enfances blondes »
Et finalement j'ai même trouvé que je n’ai pas payé trop cher (15 €) le programme de quelques feuilles en plus de la place à 69 €, puisque j’ai pu comprendre de quoi il retournait  avec ce : « fancy-fairs. En Belgique, fête de bienfaisance. Cérémonie organisée par une école ou une association, dans un but caritatif, afin de lever des fonds pour soutenir une cause. De l'anglais "fair", foire, et "fancy", fantaisie. » J’entendais jusque là dans le  morceau « Le baiser » « folcifère à la fraise » comme une friandise.
« Ames fifties », il drope comme toujours les mots :
« Dans le Radiola
André Verchuren »  
Juste avant :
« Les enfants soldats
Dans les montagnes algériennes. »
Et si des grincheux estiment qu’il est désormais incorrect de fredonner
« La faiblesse des hommes elles savent
Que la seule chose qui tourne sur terre
C’est leurs robes légères »
Je les plains, il.e.s ne sauront pas ce que sont les «  chansons d’été » parce que :
« Chanter c'est lancer des balles
Des ballons qu'on tape
Pour que quelqu'un les attrape
Et que ça bebop a lullap »
Dans un concert précédent, il avait commencé son tour de chant avec la chanson des ballons, cette fois, il finit avec « La vie ne vaut rien » :
« Là je dis rien, rien, rien, rien ne vaut la vie »
Et juste pour rappeler le titre car le bonheur des mots et des musiques enjouées excitent "l’albatros pataugeant dans l’ice cream" et son besoin de graver tant d’autres souvenirs de ce tour de chance :
« Ici Khâgne Hypokhâgne grimpe à Normal Sup'
Là l'escalator est en panne, on tourne dans la ZUP
Fantin-latour et Degas, allez va au musée
En bas d'la tour y a deux gars, allez va t'amuser »

mardi 19 mai 2020

Contre le théâtre politique. Olivier Neveux.

Il n’y avait pas meilleur endroit pour trouver ce livre que le stand de la Librairie du Square tenu à la MC2 par une jeune fille avec laquelle j’aime discuter entre deux spectacles étiquetés politiques, mais qui ne l’est pas-politique ?
« Tout est politique » ainsi disait Thomas Mann à moins que ce ne soit Daniel Bensaïd comme l’auteur le précise au début de ses 300 pages augmentées de 376 notes qui soulignent les scrupules et l’érudition du professeur d'histoire et d'esthétique du théâtre à l'université Lumière Lyon-2.
«  Politique, ce spectacle paternaliste et compassionnel sur tel drame contemporain ?
Politique, cette moraline républicaine ?
Politique, cette mise en scène décorative de la domination ?
Politique, cette dénonciation téméraire des excès de l’argent ?
Politique, cette pesanteur macabre de messe ?...»
La jubilatoire liste introductive des interrogations ne s’arrête pas là, mais débouche sur une construction érudite visant à concilier fond et forme où les capacités de compréhension du lecteur sont mises à rude épreuve.
Les thèmes ne manquent pas:
« …les migrations, les migrants, les mineurs migrants, les lois racistes françaises, l’Europe, les licenciements, les sans-domicile-fixe[…], les personnes trans-genres… »
Lorsque je me rends à un spectacle théâtral j’ai souvent le sentiment de participer à un rite tournant entre initiés, et j’aggrave mon cas avec ce livre ajoutant du laborieux à la futilité.
J’y retrouve, au-delà des fauteuils, des questionnements au cœur de mon activité d’enseignant ainsi avec Rancière souvent cité :
« … l’explication est le mythe de la pédagogie, la parabole d’un monde divisé en esprits savants et esprits ignorants, esprits mûrs et immatures, capables et incapables, intelligents et bêtes. »
Ce travail universitaire de haute volée a donné l’impression au familier des brasseries que je suis, d’être entré dans un restaurant gastronomique, dont je ne sais goûter toutes les subtilités. J’ai pu me raccrocher furtivement à quelques égratignés dont je connaissais les noms : de Jean Michel Ribes qui fut à François Hollande ce que Jean-Marc Dumontet est à Emmanuel Macron. La citation du texte de Joël Pommerat critiquant la politique culturelle d’Eric Piolle en rappelle la pertinence.  
Si j’ai vu quelques spectacles auquel il fait référence
celui de Maguy Marin qui est évoqué était différent de ce que je connaissais
mais « Le théâtre du soleil » serait-il devenu tellement hors du coup qu’il n’est même pas cité ?
J’aime Jacques Lacarrière quand il disait :
« Je revendique le droit pour le théâtre de fréquenter les mauvais lieux de l’être, d’être rôdeur nocturne autour du mystère de nos origines, d’être l’aboi lucide qui hante les feux nomades de nos songes et pour l’auteur d’être l’archéologue de nos doutes, le rhapsode de notre double, le déchiffreur de nos fragilités. Assez de donneurs de leçons, de professeurs masqués de signes et de dramaturgies, de rançonneurs d’enfants crédules, de détourneurs d’engagement. » 
Comme Sacha Guitry disait à propos des femmes : « je suis contre, tout contre », nous comprenons bien que ce livre édité par la Fabrique qui publie aussi Badiou, Rancière et Bensaïd est contre la politique, tout contre, avec le théâtre.

dimanche 10 mai 2020

Le portrait de Dorian Gray. Thomas Le Douarec.

La pièce adaptée du roman de Wilde traite bien plus que de la recherche de la jeunesse éternelle : le portrait de Dorian qu’a réalisé Basil va vieillir alors que le modèle restera beau physiquement mais se désagrégera moralement sous l’influence d’Harry le brillant désabusé aux accents qui font parfois penser à Edouard Baer.
Wilde dont les formules peuvent peupler sans peine un dictionnaire de citations nerveuses disait : «  Dorian Gray contient trop de moi-même, Basil est ce que je pense être, Harry ce que les gens pensent que je suis et Dorian ce que j'aurais aimé être en d'autres temps. »
Le metteur en scène tient le rôle central d’Harry, l’influenceur, et cite l’auteur qui l’a inspiré après avoir présenté ses comédiens. Il renoue ainsi avec une tradition sympathique après un moment de théâtre à l’ancienne où les acteurs et actrice jouent plusieurs rôles avec virtuosité dans une mise en scène qui exprime sans tapage les aspects fantastiques d’un destin tragique.
« Spiritualiser son temps : certes, la tâche est enviable. »
Il est question du pouvoir de l’art, des remords, de la beauté, de la mort, de la vieillesse, de la sincérité, de l’amour, d’amitié, de la méchanceté, de l’humour :
« Pour être populaire, il faut être médiocre ».
« La chose la plus commune, dès qu'on nous la cache, devient un délice. »
Ses vacheries en particulier à propos des femmes peuvent sembler déplacées aujourd’hui, mais la cruauté peut se pardonner de temps en temps quand elle est bien tournée :
« Les femmes sont faites pour être aimées, pas pour être comprises.»
Autour de sujets éternels, le suranné peut avoir ses charmes pour aller au cœur de ce que nous masquent les tapages d’un omniprésent présent.

lundi 4 mai 2020

L’argent. Marcel L’Herbier. Jean François Zygel.

Nous sommes allés à la MC2  avant tout pour le musicien pédagogue vu à la télé qui sait si bien communiquer sa passion. Comme Zygel nous l’a expliqué, il est arrivé que des orchestres symphoniques soient invités à des projections cinématographiques de ce qui était à ses débuts un art forain.
Ce soir, le pianiste au premier plan fait mieux qu’accompagner les images muettes de Marcel l’Herbier, fondateur de l’IDHEC (Institut des hautes études cinématographiques).
Le film très art déco, inspiré du roman homonyme de Zola qui se déroulait au XIX° siècle, date de 1928, juste avant le crack boursier, alors que le cinéma muet vit ses derniers instants.
Si les regards expressifs des acteurs n’impressionnent guère le spectateur d’aujourd’hui, les mouvements de caméra, les décors, les costumes, justifient les éloges que cette œuvre richement financée a recueillis tardivement.
Le format  de 2 h 50 aurait pu être raboté, sans nuire à l’incompréhension qui peut naître devant la frénésie des mouvements boursiers, matière peu cinématographique, en dehors des vues sur un lieu qui avait toutes les raisons de s’appeler la corbeille.
L’aviateur adjoint du banquier a mis plus de temps à se décoller de sa femme que pour traverser l’Atlantique. Par contre il perd la vue et la retrouve en moins de temps que je mets à retrouver mes lunettes.
Il est intéressant de voir Antonin Artaud acteur et Yvette Guilbert en boursicoteuse, quant à  La baronne Sandorf jouée par Brigitte Helm dans le genre femme fatale qui ne succomberait pas ?
La silhouette des Dupond et Dupont apparaît même avant leur première sortie en 1934 dans « Les cigares du pharaon ».
Avant la conclusion qui apporte une touche d’humour bienvenue, une formule éprouvée se retrouve sur un carton : « L’argent est un bon serviteur mais un mauvais maître ». Elle peut servir de résumé.