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mardi 2 décembre 2025

La dernière rose de l’été. Lucas Harari.

Le joli titre n’a pas grand-chose à voir avec cette histoire légèrement policière prétexte à de charmants cadrages sur les villas de bord de mer, mais il participe à l’ambiance élégante de cet ample album de 190 pages.
Dans le style jazzy de Loustal, une atmosphère désabusée s’installe.
Sous le soleil méridional, bien que des carrelets graphiquement intéressants ou des ferrys menant aux iles soient plutôt atlantiques, personne ne transpire, les corps se croisent, disparaissent et les individus solitaires gardent leur mystère dans des couleurs ravissantes.
Des chansons diverses rythment le récit qui s’épaissit en cours de route, devient inquiétant, sans se départir d’une certaine distance gracieuse.
On peut penser à Hitchcock, à Sagan,
même si l’anti-héros aux velléités d’écrivain n’écrit pas une ligne, bien qu’il ait acquis le livre de Jack London, « Martin Eden », décidément indépassable. 

mardi 25 novembre 2025

Le Dieu vagabond. Fabrizio Dori.

Alors qu’en ce moment, les dieux antiques ne sont guère vénérés, un ancien satyre de la bande à Dionysos, se met en route pour retrouver ses attributs perdus pour avoir contrarié Artémis.  
«- Tu ne te lasses jamais de raconter les histoires ?
- Les mythes sont faits pour être racontés. Sans ça, le monde s'appauvrit et meurt. » 
Les beaux dessins ne sont pas encombrés de trop de paroles gardant ainsi toute leur force, leur poésie. 
« Si vous ne voyez pas les choses clairement, 
c’est parce que vous les recouvrez constamment d’une couche de paroles,
Nous les satyres gardons la tête claire, solidement attachées au corps, 
et le corps bien ancré dans la terre. Le monde s’offre à nous spontanément. » 
La mythologie peut enseigner à notre société moderne désenchantée quand une rencontre avec Van Gogh nous entraine aussi vers les étoiles. Les silhouettes des vases grecs ont eu le temps de s’animer en 156 pages au graphisme soigné.  
Cependant cette joliesse, où l’onirisme est revêtu des codes élégants de l’art nouveau revu par le pop art, m’a parue un peu figée. Les personnages ayant volontiers la bouteille à la main m’ont laissé au régime sans alcool. J’aurai préféré des Dieux plus incarnés, moins lisses.

mardi 18 novembre 2025

Astérix en Lusitanie. Fabcaro Didier Conrad.

Ce 41° album réserve peu de surprises, à part la vigie du bateau pirate inévitablement coulé qui  maintenant prononce les « r » lorsqu’une galère phénicienne apparaît à l’horizon. 
«  Ô tempora ô mores ». 
Le pays des pêcheurs de morue sympathiques échappe aux caricatures appuyées.
Les chevelus à la moustache noire dont aucun poil ne dépasse sont nostalgiques et fatalistes : 
« Maintenant tout a disparu, mon cœur est fatiguééé
Mon bonheur à jamais perdu dans la douleur du passééé
Je ne vis qu’avec mon chagriiin Il ne me reste qu’à pleurer » 
Le plus festif des fado souhaite ainsi le bienvenue au « petit anxieux et au gros nonchalant » venus aider à la libération d’un  producteur artisanal de garum ( condiment à base de poissons) victime d’un Pirespès, traitre au service de Pluvalus le gouverneur, prédateur invitant tous les hommes d’affaires implantés en Lusitanie : 
« Paruvendus qui détient tous les papyrus d’information,
Elonmus bien sûr et Meïdinazix, le grand industriel de la caliga de sport… » 
L’évocation de la mondialisation capitaliste naissante s’agrémente d’allusions au milieu de la communication avec un certain Nioubiznes. Nous pouvons reconnaître nos démêlés avec des mots de passe toujours plus complexes, et retrouver la réforme des retraites :
«  Passé 75 ans, on a bien mérité notre repos, pas vrai ? » 
disent deux retraités bien de chez nous en vacances avec leur charavane au Portugal.

mardi 11 novembre 2025

Les seins. Guillaume Bianco.

Potaches, enfantins, puisqu’il est question de « tétés », les carnets de l’auteur pour la jeunesse, sont gentiment amusants. 
Avec une bonne dose d’autodérision, le sérial looser ne fait pas de mal à celles qui l’affolent et nous allège du poids pesant en ce moment sur les hommes, souvent présentés comme de lourds machistes ou de toxiques masculinistes.  
Son plaisir pris à dessiner de douces rondeurs est bien innocent sous des traits vifs plus caricaturaux qu’érotiques.
Un autre volume intitulé « Les femmes sont folles » avec écrit en petit (« de moi ») annonce lui aussi une série d’anecdotes personnelles habilement racontées, pleines de scrupules sous forme de dialogue avec son éditeur Lewis Trondheim. 
Il pense que passer pour un homosexuel lui permettra de mieux draguer les filles, ou rêve de devenir une fille pour se palper les nichons. 
« Une meuf ça parle beaucoup »mais« il faut bien dire ce qui est… sans elles, le monde serait moins rigolo… Plus de maîtresse d’école, plus de chanteuses, plus de caissières de supermarché, plus de copines, de petites sœurs ni de mamans, plus de grands-mères… » 
Bon enfant.

mardi 4 novembre 2025

Comment je ne suis pas devenu un salaud. Matthieu Blanchin.

Lors du festival de bandes dessinées de Saint Nicolas de Macherin, le dessinateur venu en voisin m’a dédicacé avec délicatesse, un de ses albums autobiographiques.
Un psychologue en a écrit la préface : 
« Cet album est surtout un hommage incroyable à la bande dessinée. Cette dernière constitue, page après page, un fil d’Ariane qui semble avoir permis à l’enfant et à l’homme  qu’il est devenu de survivre et puis de vivre. Conçue à l’origine pour les enfants, la bande dessinée vient, encore et toujours, chercher cet enfant en nous, celui qu’on a trop souvent laissé en friche, qui a peut être transcendé la solitude et l’ennui en plongeant dans des albums, des heures entières, voire une vie entière. »  
Les 255 pages qui suivent en apportent la preuve, le titre avait annoncé un parcours difficile.
Le récit de son enfance apparu dans « Le val des ânes » 
est inclus dans cette livraison et se prolonge par des épisodes d’une adolescence d’autant plus incandescente que sa timidité compromet bien des relations et se mue parfois en agressivité, surtout au sein de sa fratrie.
Les moments d’apaisement, de plénitude sont plutôt rares, tant les désirs refoulés, les non-dits le tourmentent. Dans ce début de vie vécu comme violent, le souvenir de rencontres bienvenues autour de la bande dessinée pourra peut être réconforter, en abyme, des lecteurs qui pourront se reconnaitre dans cet univers plutôt rude.

mardi 28 octobre 2025

A l’intérieur. Mathieu Sapin.

 « Un ou deux policiers meurent toutes les trois semaines » dans l’exercice de leurs fonctions.
Pourquoi la description du fonctionnement de la police, de la gendarmerie enfermerait le lecteur  à Droite, côté obscur de l’opinion qui n’acquiescerait pas à la version : « la police tue » ?
Le chroniqueur de la République avait cette appréhension quand il a entrepris de raconter le quotidien de ceux qui nous protègent, depuis le stagiaire angoissé jusqu’aux responsables passionnés par leur travail. 
Quand Mathieu Sapin revêt jambières, casque et gilet renforcé pour suivre une compagnie de CRS lors d’une manifestation à propos des retraites, les lacrymos piquent les yeux.
Les portes de la police judiciaire, de la brigade criminelle, des stups, du service central de renseignement criminel de la gendarmerie s’ouvrent au dessinateur aux traits légers.
Le training de préfets pour gérer des situations de crise, les stratégies d’anticipation, de protection pour la visite du pape à Marseille ou sur le parcours de la flamme olympique sont intéressantes, comme un aperçu de l’enseignement dans l’école de la police à Saint Mandé.
Il va être au cœur des dispositifs qui ont à gérer les crises lors du meurtre de Nahel, des émeutes à Mayotte.
La communication officielle est rendue aimable par un humour qui conjugue  empathie et recul. Le dessinateur en était arrivé à commettre une Benalette (usurpation d’un pouvoir de police) comme le fit un certain Benalla, quand il a failli être renversé par un 4X4 à contresens.
Lorsqu'il survole les environs de Calais ou les abords de la Grande terre à Mayotte, dans ces lieux de tensions, de misère, la description d’un traitement humaniste plutôt inhabituelle nous apporte des éléments peu connus. Un sauvetage en montagne s’avère plus conventionnel même si celui qui est secouru se montre plutôt contrarié que reconnaissant.
Un prochain album consacré aux travaux de Notre Dame promet une approche de grandes réalisations.  

mardi 21 octobre 2025

Un père. Jean louis Tripp.

L’article indéfini du titre évite un trop vibrant possessif et permet ainsi d’impliquer intimement chaque fils et chaque père qui se régaleront de ces 350 pages.
L’autobiographie partagée entre l’amour et incompréhensions évite tout pathos avec un narrateur fugueur de bonne heure pas toujours dans un beau rôle et ce père admirable pas toujours irréprochable.
L’auteur revient sur son pseudonyme dérivé de Tripier objet de moqueries et dont il est fier dans la dédicace au padre Francis Tripier- Mondencin.
La paternité c’est aussi la transmission d’un nom. 
« Cet homme est mon père...Mon papa.
Mais que sais-je de lui ?
Je n'ai vécu avec lui que pendant mon enfance...
Alors que sais-je donc de l'homme ?
De celui qu'il est avec ses amis, ses femmes et ses maîtresses...
Qui et comment aime-t-il ?
Et pourquoi l'aime-t-on ? »
 
A travers la chronique familiale, toute une époque est revisitée avec le vendeur de l’Huma au volant de la 404 familiale en Roumanie et en Allemagne de l’Est depuis leur Sud Ouest natal.
L’intime où la confiance se mêle aux trahisons se tricote avec les évènements du monde. Le rugby, la pédagogie Freinet, l’humour, agrémentent la chronique depuis nos années soixante où on marchait sur la lune et ce qu’il advint quand le mur tomba.
Les dessins expressifs se fondent parfois dans des couleurs sombres sans perdre de leur honnêteté.
« Les souvenirs… les vrais, les arrangés et ceux qu’on se fabrique… 
Ceux qu’on avait oubliés… qui parfois nous reviennent… 
Et ceux disparus à jamais. »

mardi 14 octobre 2025

Vernon Subutex. Seconde partie. Luz Despentes.

Le pavé de 360 pages se tient en haut des productions BD : les marginaux mis en scène expriment une époque qui ne s’aime pas, avec l’acuité d’un Houellebecq et la force d’un Eugène Sue dont la réputation de ses « Mystères de Paris »  avait suffi à me dispenser d’aller à l’original. 
Cet album nourrissant  accroche le lecteur par le pittoresque des personnages, les résonances des moments contemporains « Nuit debout », « Bataclan »…  une verve attribuée à « Paris mère nature des bétonnés de la vie » : 
« Tant que les ateliers s’appelleront « self défense » autant étudier la peinture sur soie.
Le jour où on les appelle «  Je t’arrache les couilles avec mes dents » on en reparle… »
Les tatouages constituent des manifestes, les drogues une routine, la violence un folklore.
Le milieu du cinéma côtoie les SDF : 
« Le monde se divise en deux catégories ceux qui comprennent que c’est la guerre
et ceux qui s’accrochent à leur vie d’avant. » 
Peu importe que le héros principal paraisse assez insignifiant parmi les nombreux personnages hauts en couleurs qui l’escortent comme les ravis du flûtiste de Hamelin: 
« Ils voulaient en faire un Rimbaud alors que c'était juste un vieux cas social. » 
Bien que la playlist punk rock, élément essentiel du récit, chérisse la distinction pour initiés, les dessins du rescapé de Charlie expriment avec efficacité les moments de grâce des retrouvailles de tout le groupe des Buttes Chaumont arrivant à oublier ses solitudes agressives en des « kermesses pour punk à chiens ». 

mardi 7 octobre 2025

Le chanteur perdu. Didier Tronchet.

Je ne savais si je devais préciser qu’il s’agissait d’une histoire vraie, bien qu’arrangée, tant la recherche passionnée du dessinateur est incroyable. 
Pourtant bien des récits de l’auteur de Raymond Calbuth partent de situations vécues. 
Rémi B, héros de ces 180 pages, de son vrai nom Jean Claude Rémy, reconnu par Brassens, a produit un album édité par Pierre Perret puis s’est retiré dans une île malgache. 
Parti à sa recherche, le narrateur, bibliothécaire dépressif, offre une occasion de se remémorer Raoul de Godewarsvelde, un autre chanteur : 
« Quand la mer monte
J'ai honte, j'ai honte
Quand elle descend
Je l'attends
A marée basse
Elle est partie hélas
A marée haute
Avec un autre. »
 
Le Belge s’était pendu et le métis Rémi B, né au Vietnam, héros très discret de cette BD, lui avait consacré une chanson : 
« Mais quand le mal est trop profond
Et la débine et l'abandon
Si durs, revient la tentation
De la corde et du tabouret
Que cette idée au début peine
Habituelle et souterraine
Devient relance quotidienne
Et puis un jour, drôle de jour,
Un jour d'hiver, un fait divers
Chien écrasé, au Cap Gris-Nez ».
 
De Paris vers Morlaix, Berck, l’île aux nattes, les paysages sont variés.
Les années ont passé depuis le temps des cassettes, mais même à l’heure des amnésies fatales, « on a tous dans le cœur » quelques chansons inoubliables et quelques secrets à découvrir.

mardi 30 septembre 2025

Nos héritages. Fred Bernard.

Le passé reste toujours difficile à enseigner, si bien que 
ces 220 pages reliées m'ont parues  particulièrement réussies. Le récit très personnel de l’auteur à destination de son fils se marie parfaitement à l’histoire de l’humanité.
Le bourguignon avait déjà célébré ses racines et fait part de son engagement écologiste. 
Cette fois, il habille le petit garçon qu’il était en homme préhistorique, puis prend la toge antique. La renaissance, sa renaissance, correspond à l’âge du lycée…
Depuis sa naissance en 1969, il a « passé plus de temps dans les hôpitaux que ses parents et grands parents réunis ».
Mais alors que des apprentis punk gravaient «  No future » sur les pupitres, il disait « Yes » à l’avenir et cite en conclusion, Bruno Latour, le philosophe inquiet de notre inaction face au changement climatique et au cynisme des plus riches : 
« Tout n’est pas foutu, au contraire… » 
Les livres et une campagne à explorer en toute liberté lui ont permis de surmonter bien des épreuves. Dans une réflexion plus générale, son optimisme voisine avec la certitude qu’il faudra en passer par des contraintes comme lors de la crise du COVID (6,54 millions morts dans le monde, 152 000 en France), pour permettre de garder une planète vivable, quand se dissipera le mantra délétère qui relie « écologie » et « punition ».  
S’il n’idéalise pas le passé en remarquant par exemple que la pollution était plus évidente sur les plages dans les années soixante, il n’oublie pas les attentats islamistes récents et à propos de l’histoire longue où il met en évidence les combats féministes, l'auteur nous rappelle quelques chiffres indispensables : grippe espagnole : entre  40 millions et 50 millions de morts en 1918,  seconde guerre mondiale : entre 60 et 70 millions de morts.  
Il s’inquiète toujours du sort des animaux dont il découpait les images quand il était petit : plus que mille gorilles des montagnes et dix mille panthères nébuleuses, alors le guépard se demande «  a quoi sert-il de courir à 110 km/h » ils ne sont plus que 8000.  
Il mentionne aussi la progression de la production de voitures et n’oublie pas Sabrina Salerno « Boys ! Boys ! Boys » : raison et émotion, précision et rêves, contradictions et convictions.
Il avait noué des rapports fraternels avec Nino Ferrer
et rencontré Robert Badinter pour une bande dessinée consacrée à Idris sa grand-mère adorée, lui qui n’avait jamais été autorisé à lire un illustré alors qu’il avait eu accès à Hugo, Zola et Ovide dès qu’il sut lire. 
La gravité du propos d’une sincérité qui excusera des redites, se comprend aisément en s’accompagnant de dessins légers aux tons pastel.

mardi 23 septembre 2025

Champs de bataille. Inès Léraud Pierre Van Hove.

J’avais évoqué avant de l’avoir lue cette bande dessinée, 
réalisée par les auteurs d’ « Algues vertes » qui avaient déjà mis en lumière, au-delà du scandale écologique, une puissante omerta bretonne. 
Avec cet album documenté il s’agit plutôt du récit d’une histoire ancienne vue comme un « démembrement » accompagnant une mutation des campagnes sous le nom officiel de « remembrement ».
Les témoignages recueillis apportent, par leur variété, des nuances à la nostalgie d’une campagne de chemin creux peuplée de chants d’oiseaux. Qui vivrait aujourd’hui avec des parcelles où il faut sans cesse faire demi-tour avec la charrue, où l’hiver les sentiers sont impraticables ?
Pour évoquer la complexité des enjeux, le choix de retenir les remords d’Edgard Pisani, acteur majeur de la modernisation des campagnes, me semble judicieux, comme le revirement de l’ingénieur agronome René Dumont, premier candidat écologiste en 1974 qui disait après guerre : 
« Pour produire le maximum, il faut disposer de grandes quantités d’engrais ; de variétés de plantes et d’animaux perfectionnés ; de ressources en énergie surabondantes actionnant de puissantes machines. » 
Retrouver François Mitterrand en ministre de l’intérieur, ne manque pas de sel, lorsqu’il justifie le maintien des CRS pendant deux ans et demi dans un village breton refusant des tracés bureaucratiques, l’arrachage des arbres, s’élevant contre les accapareurs … 
« L’administration s’est heurtée à l’opposition d’éléments peu soucieux de l’intérêt général ni même de leur propre intérêt bien compris. » 
La parole est donnée aussi à ceux qui ont travaillé au « génie rural » ou dans les cabinets de géomètres, voire en tant que conducteurs de bulldozer. Ces paysans présentés souvent comme conservateurs se sont adaptés au gré des orientations dictées par des hauts fonctionnaires. La corporation organisée du temps du régime de Vichy finalement pas si « tradi » que ça, a maintenu un puissant pouvoir sous appellation syndicale et coopérative bien loin de l’origine de ces mots fraternels.
La distance entre ville et campagne s’accentue. 
Elle aurait pu être atténuée - facile à dire après les batailles - si les échanges de parcelles s’étaient faits à l’amiable entre voisins responsables. 
Je crains que l’aversion envers les agents arracheurs de haies soit la même que celle qui s’exerce contre les personnels de l’Office français de la biodiversité prônant le replantage des haies.

mardi 16 septembre 2025

L’heure est grave. Pico Bogue.

Ce onzième album, cette fois choisi par mon petit fils, commence fort : 
« - Il paraît que le QI de la population baisse depuis la fin du 20ème siècle. 
- Eh oui, Pico! Nous les vieux, sommes plus intelligents que vous, les jeunes! 
- Notre QI baisserait à cause des perturbateurs endocriniens, des pesticides, de la pollution...et de la mauvaise éducation. 
Bref à cause de tout ce que vous, les vieux si intelligents, avez créé! » 
Le goût de la discussion, l’importance de l’origine des mots, peuvent se jouer aussi chez le marchand de bonbons. 
 Les petits sont toujours raisonneurs mais les adultes ne disparaissent pas.
Si je préfère les séquences courtes plus percutantes, le thème de la maladie et de la mort développé cette fois est traité franchement et d’une façon originale, marque de fabrique de la belle série. 
Les grands-parents ont la même fantaisie que les tout-petits, la même finesse, et nous le même plaisir à retrouver la vivacité, la candeur d’une famille qui n’élude pas les questions.  
« - C'est chimique la fidélité ?
 - Ben... J'ai entendu dire que ça peut être un agent conservateur de l'amour. »

mardi 9 septembre 2025

La ferme des animaux. L’Hermenier Labourot &Parada.

Elevé aux morceaux choisis, il m’arrive d’aller au plus vite pour aborder des phares littéraires, telle la dystopie d’Orwell dont est inspirée cette BD de 54 pages complétée par un dossier pédagogique.
La fable mettant en scène l’évolution d’une prise du pouvoir par des animaux avec des cochons à leur tête n’est pas destinée qu’aux enfants. Tant d’adultes parmi les plus informés n’ont pas tiré les leçons des dérives totalitaires de régimes socialistes promettant l’égalité.
Un des mérites de cette version colorée, dynamique, est de mettre en évidence les processus d’endoctrinement des plus sommaires, favorisés par les falsifications du passé: 
« Quatre pattes, oui ! Deux pattes, non! ». 
Les opposants disparaissent, un dictateur s’installe. 
Le cheval stakhanoviste se tue au travail :« Napoléon ne se trompe jamais ».   
Et toujours l’utopie de lendemains prospères à venir pour faire admettre les sacrifices présents. 
Tout est écrit dès 1945.Les préceptes des débuts de la révolution sont aménagés :
« Aucun animal ne boira d'alcool à l'excès ;
Aucun animal ne tuera un autre animal sans raison valable.
Tous les animaux sont égaux, mais certains sont plus égaux que d'autres. » 
La ferme reprendra son ancienne dénomination : « Ferme du Manoir ».

mardi 2 septembre 2025

Traverser l’autoroute. Sophie Bienvenue Julie Rocheleau.

Avant le geste dangereux dont il est question dans le titre, la vie d’un couple et d’un adolescent s'avère bien « plate », comme ils disent dans « La belle province » québécoise. 
«  J’en ai déjà full, des raisons que mes dimanches soirs soient scrap. » 
Leur langue nous régale dans cet album de 88 pages qui met de la dynamique dans la routine.  
« J’ai une tondeuse, une souffleuse, un aspirateur à feuilles et un garage pour ranger les outils dont je ne me sers pas. Parfois, à la fin de la journée, je m’ouvre une bière, je déplie une chaise, je regarde mon terrain, et je suis heureux. Le reste du temps, ma vie est comme celle du monde … plate. » 
Le langage graphique efficace suit un scénario simple pour un moment de lecture où la vie ordinaire révèle ses charmes quand le mépris peut s’effacer sans coup de cymbales et que l’héroïsme, sans en avoir l’air, tient à un simple pas hors de la voiture ou à un clafoutis.

mardi 24 juin 2025

Zaï zaï zaï zaï. Fabcaro.

J’ai déjà apprécié aussi bien l’auteur de BD que le romancier,
mais n’avais pas lu les 72 pages cultes publiées en 2015 adaptées au théâtre et au cinéma.
Un recueil d’absurdités, au service d’une pertinente critique sociale dotée d’un humour toujours surprenant.
Le titre vient de la punition infligée à un auteur de bande dessinée qui n’avait pas sa carte de fidélité au moment de passer en caisse. Il s’enfuit après avoir menacé un surveillant avec un poireau.  
« Elle m'a dit d'aller siffler là-haut sur la colline
De l'attendre avec un petit bouquet d'églantines
J'ai cueilli les fleurs et j'ai sifflé tant que j'ai pu
J'ai attendu, attendu, elle n'est jamais venue»
Zaï zaï zaï zaï »
 Les chaînes d’info bavardent et font causer : 
« - En tant que voisins du fugitif, diriez-vous que c'est l'incompréhension totale ?
- Oh oui, c'est l'incompréhension totale.
- Diriez-vous qu'ici c'est la stupeur ?
- Oh oui, ici c'est la stupeur.
- Diriez-vous que vous sentez un climat d'insécurité croissant ?
- Oh oui, on sent un climat d'insécurité croissant. »
 Les politiques communiquent : 
« - Je crois que ces incidents sont clairement imputables à la politique sécuritaire par trop laxiste d'un gouvernement à la dérive... Et je joins mon pouce et mon index pour donner du poids à mon propos.
- Vous joignez peut-être votre pouce et votre index mais moi je colle tous les doigts de mes deux mains...
- Vous n'avez pas le monopole de tous les doigts des deux mains collés, hop, regardez... »
 Les auteurs de BD font rire et les journalistes aussi à moins qu’il faille en pleurer : 
« - Jean-Yves Duchaussoy vous êtes spécialiste des auteurs de BD. Concrètement, à quel type d'individu a-t-on affaire ?
- Il semblerait que nous soyons ici en présence d'un représentant de la branche dite "humour"...
- "Humour" ? C'est à dire... ? (Précisez bien pour nos téléspectateurs qui pour la plupart sont issus de couches populaires et ne comprennent pas la moitié de ce qu'on dit.) »
 Les dessins guère chatoyants offrent un recul pince-sans-rire et permettent ainsi de mieux apprécier des dialogues épatants (qui sont souvent des monologues).

mardi 17 juin 2025

Surface. Olivier Norek, Matz & Luc Brahy.

Le métier de policier est dangereux. La parisienne touchée lors d’un assaut  à Saint Denis 93 est mutée à Decazeville dans l’Aveyron et loge au bord d’un lac artificiel où un village a été englouti et donc propice à l’émergence de quelque cold case. 
« C’est pas un village. Ici, c’est un trou avec un code postal. » 
Les dessins de paysages sont plaisants, l’intrigue bien tarabiscotée comme les aiment les amateurs de polars, les personnages identifiables au premier coup d’œil comme la BD sait les mettre en place. 
« Vous savez, ici, il faut savoir rétrograder les vitesses.
C'est marrant comme les Parisiens ont du mal à ralentir. » 
Au-delà des ingrédients habituels : autopsies et cimetière, finesse de l’enquêtrice, distanciation par écran interposé lors d’entretien avec un psychologue, petite romance, faux morts et familles toxiques, quelques caractères bien stéréotypés de la «  province » mis en évidence ajoutent un mol intérêt à ces 136 pages. 

jeudi 12 juin 2025

Malaterre. Pierre Henry Gomont.

Les dessins nerveux, le récit dynamique rendent palpitant le destin d’un homme insupportable.
Des conflits familiaux destructeurs sont exportés au cœur de la forêt tropicale où les charmes de l’Afrique, la liberté adolescente née de la dérobade adulte vont construire des vies romanesques. 
« Ils avaient vécu dans la cage dorée des jeunes expatriés, 
avaient goûté le mirage d'une liberté totale. » 
L’histoire de ce père menteur, manipulateur, fumeur, buveur, coureur, irresponsable, malhonnête, égoïste, irascible … est bien plus passionnante que celle des gentils.
En 200 pages, cette bande dessinée évoque avec force des ambiances exotiques et familières, des caractères affirmés et complexes.   
« J’ai prié pour que tu dérapes, pour que tu heurtes un de tes précieux arbres, lancé à pleine vitesse et les yeux pleins d’alcool. Mais ne te trompe pas, mon petit Papa. Nous ne sommes pas soulagés. Je ne savais pas à l’époque que j’avais beau te haïr, je t’aimais quand même. »

mardi 10 juin 2025

Comédie française. Mathieu Sapin.

Le sous-titre « Voyages dans l’antichambre du Pouvoir » en couverture d’un album de 165 pages qui montre le dessinateur à la bourre perdant ses feuilles en courant vers l’avion présidentiel, laissait prévoir d’habituelles chroniques de l’ « embedded » sympathique de la République.
Les derniers jours du mandat de François Hollande, et le début de celui d’Emmanuel Macron sont traités d’une façon originale, sans mauvais esprit, sans être dupe des jeux de séduction, des stratégies de communication, rendant compte du travail des responsables, de leur énergie. 
L’actualité depuis les cortèges officiels est rarement racontée d’une façon aussi empathique, dénuée de servilité, honnête, sous des lignes claires qui n’ont jamais porté si bien leur nom.
L'insertion dans ce récit des années 2017 / 2019 de la vie de l’écrivain Jean Racine (1639-1699), pour lequel se passionne le dessinateur venu de la littérature jeunesse, ajoute une pointe d'originalité.
Il raconte par ailleurs le tournage d’un film auquel il participe en tant que scénariste-réalisateur : « Le poulain », suivez le regard… 
Le parallèle inattendu entre la position de l’auteur d’Andromaque devenu historiographe de Louis XIV et le timide auteur de BD s'avère fécond tout en restant souriant : les courtisans recevant la nouvelle de l’arrestation de Nicolas Fouquet sur leurs Smartphones est plaisant. 
Sans en faire trop avec les anachronismes, se pose la question éternelle de l’objectivité, de la sincérité, de la vérité, avec légèreté.

jeudi 5 juin 2025

Histoire de l’art en BD. Marion Augustin Bruno Heitz.

Que la BD traite de l’histoire de l’art, cela va de soi, puisque celle-ci met en images l’Histoire  tout court, avec ses bruits et sa fureur déjà illustrée avec humour par Bruno Heitz dont j’avais abondamment exploité pour mes élèves le sens de la pédagogie. 
Cette fois ce sont mes petits enfants qui me servent d’alibi pour l’achat d’un coffret de 7 albums depuis les premières traces de l’homme de 75 000 ans d’âge jusqu’au graff tout frais au coin de la rue. 
Les révisions peuvent avoir la même saveur que les découvertes qui ne manquent pas, malgré l’ampleur de l’entreprise laissant de la place à de pittoresques anecdotes.  
Trois livrets consacrés à Léonard de Vinci, à Van Gogh et l’autre à Monet précisent par ces biographies les étapes majeures de l’évolution de la représentation du monde par les peintres, sculpteurs, architectes qui exprimaient leur temps, le précédaient.
C’est un grand père qui conduit ses héritiers de Venise au Louvre à Orsay, Beaubourg, comme celui de Mona dans un ouvrage plus exhaustif : 
Botticelli, Bruegel, Dali, le cheval de Lascaux se reconnaissent sur les couvertures de chaque volume d’une soixantaine de pages comprenant quelques reproductions pour compléter ce voyage agréable dans le temps. 
Il est plaisant de voir évoquer la période impressionniste par un adepte de la ligne claire, ou la période baroque avec des personnages dont un point suffit à figurer les yeux. Le regard de Picasso, lui, est différent.

samedi 31 mai 2025

La jeune fille et la mer. Catherine Meurisse.

Cette fois une des dessinatrices rescapées de l’attentat contre Charlie nous emmène au Japon. 
Elle se représente  caricaturalement maigrotte dans des paysages qu’elle peint avec délicatesse. Cette façon contrastée convient à des touches d’humour quand elle se trempe dans un bain très chaud et à la poésie quand elle ouvre son carnet où elle a mis quelques fleurs.
Cela permet aussi d’aborder le surnaturel avec la présence d’un tanuki, mythique raton laveur fantaisiste tel un guide vers la culture nippone.
Un auteur de haïku parfois revêche en résidence d’artistes avec la française s’avère être un bon passeur. 
« La poésie à laquelle j'aspire n'est pas celle qui exhorte les passions terrestres. Plutôt celle qui m'affranchit des préoccupations triviales et me donne l'illusion de quitter, ne serait-ce qu'un instant, ce monde de poussière. » 
Les caractéristiques japonaises sont évoquées sans nous ensevelir sous l’exotisme
« Natsukashii", nostalgie en japonais, désigne les beaux souvenirs qu'il fait bon évoquer. C'est un sentiment heureux. »« Chez nous, on préfère le bois au ciment. On préfère le temporaire qui, en se renouvelant, tend vers l’éternel. » 
Les enjeux liés à la place de l’homme dans la nature sont universels.
Cette centaine de pages m’a rappelé un livre tout aussi délicat.