Affichage des articles dont le libellé est bandes dessinées. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est bandes dessinées. Afficher tous les articles

mardi 14 octobre 2025

Vernon Subutex. Seconde partie. Luz Despentes.

Le pavé de 360 pages se tient en haut des productions BD : les marginaux mis en scène expriment une époque qui ne s’aime pas, avec l’acuité d’un Houellebecq et la force d’un Eugène Sue dont la réputation de ses « Mystères de Paris »  avait suffi à me dispenser d’aller à l’original. 
Cet album nourrissant  accroche le lecteur par le pittoresque des personnages, les résonances des moments contemporains « Nuit debout », « Bataclan »…  une verve attribuée à « Paris mère nature des bétonnés de la vie » : 
« Tant que les ateliers s’appelleront « self défense » autant étudier la peinture sur soie.
Le jour où on les appelle «  Je t’arrache les couilles avec mes dents » on en reparle… »
Les tatouages constituent des manifestes, les drogues une routine, la violence un folklore.
Le milieu du cinéma côtoie les SDF : 
« Le monde se divise en deux catégories ceux qui comprennent que c’est la guerre
et ceux qui s’accrochent à leur vie d’avant. » 
Peu importe que le héros principal paraisse assez insignifiant parmi les nombreux personnages hauts en couleurs qui l’escortent comme les ravis du flûtiste de Hamelin: 
« Ils voulaient en faire un Rimbaud alors que c'était juste un vieux cas social. » 
Bien que la playlist punk rock, élément essentiel du récit, chérisse la distinction pour initiés, les dessins du rescapé de Charlie expriment avec efficacité les moments de grâce des retrouvailles de tout le groupe des Buttes Chaumont arrivant à oublier ses solitudes agressives en des « kermesses pour punk à chiens ». 

mardi 7 octobre 2025

Le chanteur perdu. Didier Tronchet.

Je ne savais si je devais préciser qu’il s’agissait d’une histoire vraie, bien qu’arrangée, tant la recherche passionnée du dessinateur est incroyable. 
Pourtant bien des récits de l’auteur de Raymond Calbuth partent de situations vécues. 
Rémi B, héros de ces 180 pages, de son vrai nom Jean Claude Rémy, reconnu par Brassens, a produit un album édité par Pierre Perret puis s’est retiré dans une île malgache. 
Parti à sa recherche, le narrateur, bibliothécaire dépressif, offre une occasion de se remémorer Raoul de Godewarsvelde, un autre chanteur : 
« Quand la mer monte
J'ai honte, j'ai honte
Quand elle descend
Je l'attends
A marée basse
Elle est partie hélas
A marée haute
Avec un autre. »
 
Le Belge s’était pendu et le métis Rémi B, né au Vietnam, héros très discret de cette BD, lui avait consacré une chanson : 
« Mais quand le mal est trop profond
Et la débine et l'abandon
Si durs, revient la tentation
De la corde et du tabouret
Que cette idée au début peine
Habituelle et souterraine
Devient relance quotidienne
Et puis un jour, drôle de jour,
Un jour d'hiver, un fait divers
Chien écrasé, au Cap Gris-Nez ».
 
De Paris vers Morlaix, Berck, l’île aux nattes, les paysages sont variés.
Les années ont passé depuis le temps des cassettes, mais même à l’heure des amnésies fatales, « on a tous dans le cœur » quelques chansons inoubliables et quelques secrets à découvrir.

mardi 30 septembre 2025

Nos héritages. Fred Bernard.

Le passé reste toujours difficile à enseigner, si bien que 
ces 220 pages reliées m'ont parues  particulièrement réussies. Le récit très personnel de l’auteur à destination de son fils se marie parfaitement à l’histoire de l’humanité.
Le bourguignon avait déjà célébré ses racines et fait part de son engagement écologiste. 
Cette fois, il habille le petit garçon qu’il était en homme préhistorique, puis prend la toge antique. La renaissance, sa renaissance, correspond à l’âge du lycée…
Depuis sa naissance en 1969, il a « passé plus de temps dans les hôpitaux que ses parents et grands parents réunis ».
Mais alors que des apprentis punk gravaient «  No future » sur les pupitres, il disait « Yes » à l’avenir et cite en conclusion, Bruno Latour, le philosophe inquiet de notre inaction face au changement climatique et au cynisme des plus riches : 
« Tout n’est pas foutu, au contraire… » 
Les livres et une campagne à explorer en toute liberté lui ont permis de surmonter bien des épreuves. Dans une réflexion plus générale, son optimisme voisine avec la certitude qu’il faudra en passer par des contraintes comme lors de la crise du COVID (6,54 millions morts dans le monde, 152 000 en France), pour permettre de garder une planète vivable, quand se dissipera le mantra délétère qui relie « écologie » et « punition ».  
S’il n’idéalise pas le passé en remarquant par exemple que la pollution était plus évidente sur les plages dans les années soixante, il n’oublie pas les attentats islamistes récents et à propos de l’histoire longue où il met en évidence les combats féministes, l'auteur nous rappelle quelques chiffres indispensables : grippe espagnole : entre  40 millions et 50 millions de morts en 1918,  seconde guerre mondiale : entre 60 et 70 millions de morts.  
Il s’inquiète toujours du sort des animaux dont il découpait les images quand il était petit : plus que mille gorilles des montagnes et dix mille panthères nébuleuses, alors le guépard se demande «  a quoi sert-il de courir à 110 km/h » ils ne sont plus que 8000.  
Il mentionne aussi la progression de la production de voitures et n’oublie pas Sabrina Salerno « Boys ! Boys ! Boys » : raison et émotion, précision et rêves, contradictions et convictions.
Il avait noué des rapports fraternels avec Nino Ferrer
et rencontré Robert Badinter pour une bande dessinée consacrée à Idris sa grand-mère adorée, lui qui n’avait jamais été autorisé à lire un illustré alors qu’il avait eu accès à Hugo, Zola et Ovide dès qu’il sut lire. 
La gravité du propos d’une sincérité qui excusera des redites, se comprend aisément en s’accompagnant de dessins légers aux tons pastel.

mardi 23 septembre 2025

Champs de bataille. Inès Léraud Pierre Van Hove.

J’avais évoqué avant de l’avoir lue cette bande dessinée, 
réalisée par les auteurs d’ « Algues vertes » qui avaient déjà mis en lumière, au-delà du scandale écologique, une puissante omerta bretonne. 
Avec cet album documenté il s’agit plutôt du récit d’une histoire ancienne vue comme un « démembrement » accompagnant une mutation des campagnes sous le nom officiel de « remembrement ».
Les témoignages recueillis apportent, par leur variété, des nuances à la nostalgie d’une campagne de chemin creux peuplée de chants d’oiseaux. Qui vivrait aujourd’hui avec des parcelles où il faut sans cesse faire demi-tour avec la charrue, où l’hiver les sentiers sont impraticables ?
Pour évoquer la complexité des enjeux, le choix de retenir les remords d’Edgard Pisani, acteur majeur de la modernisation des campagnes, me semble judicieux, comme le revirement de l’ingénieur agronome René Dumont, premier candidat écologiste en 1974 qui disait après guerre : 
« Pour produire le maximum, il faut disposer de grandes quantités d’engrais ; de variétés de plantes et d’animaux perfectionnés ; de ressources en énergie surabondantes actionnant de puissantes machines. » 
Retrouver François Mitterrand en ministre de l’intérieur, ne manque pas de sel, lorsqu’il justifie le maintien des CRS pendant deux ans et demi dans un village breton refusant des tracés bureaucratiques, l’arrachage des arbres, s’élevant contre les accapareurs … 
« L’administration s’est heurtée à l’opposition d’éléments peu soucieux de l’intérêt général ni même de leur propre intérêt bien compris. » 
La parole est donnée aussi à ceux qui ont travaillé au « génie rural » ou dans les cabinets de géomètres, voire en tant que conducteurs de bulldozer. Ces paysans présentés souvent comme conservateurs se sont adaptés au gré des orientations dictées par des hauts fonctionnaires. La corporation organisée du temps du régime de Vichy finalement pas si « tradi » que ça, a maintenu un puissant pouvoir sous appellation syndicale et coopérative bien loin de l’origine de ces mots fraternels.
La distance entre ville et campagne s’accentue. 
Elle aurait pu être atténuée - facile à dire après les batailles - si les échanges de parcelles s’étaient faits à l’amiable entre voisins responsables. 
Je crains que l’aversion envers les agents arracheurs de haies soit la même que celle qui s’exerce contre les personnels de l’Office français de la biodiversité prônant le replantage des haies.

mardi 16 septembre 2025

L’heure est grave. Pico Bogue.

Ce onzième album, cette fois choisi par mon petit fils, commence fort : 
« - Il paraît que le QI de la population baisse depuis la fin du 20ème siècle. 
- Eh oui, Pico! Nous les vieux, sommes plus intelligents que vous, les jeunes! 
- Notre QI baisserait à cause des perturbateurs endocriniens, des pesticides, de la pollution...et de la mauvaise éducation. 
Bref à cause de tout ce que vous, les vieux si intelligents, avez créé! » 
Le goût de la discussion, l’importance de l’origine des mots, peuvent se jouer aussi chez le marchand de bonbons. 
 Les petits sont toujours raisonneurs mais les adultes ne disparaissent pas.
Si je préfère les séquences courtes plus percutantes, le thème de la maladie et de la mort développé cette fois est traité franchement et d’une façon originale, marque de fabrique de la belle série. 
Les grands-parents ont la même fantaisie que les tout-petits, la même finesse, et nous le même plaisir à retrouver la vivacité, la candeur d’une famille qui n’élude pas les questions.  
« - C'est chimique la fidélité ?
 - Ben... J'ai entendu dire que ça peut être un agent conservateur de l'amour. »

mardi 9 septembre 2025

La ferme des animaux. L’Hermenier Labourot &Parada.

Elevé aux morceaux choisis, il m’arrive d’aller au plus vite pour aborder des phares littéraires, telle la dystopie d’Orwell dont est inspirée cette BD de 54 pages complétée par un dossier pédagogique.
La fable mettant en scène l’évolution d’une prise du pouvoir par des animaux avec des cochons à leur tête n’est pas destinée qu’aux enfants. Tant d’adultes parmi les plus informés n’ont pas tiré les leçons des dérives totalitaires de régimes socialistes promettant l’égalité.
Un des mérites de cette version colorée, dynamique, est de mettre en évidence les processus d’endoctrinement des plus sommaires, favorisés par les falsifications du passé: 
« Quatre pattes, oui ! Deux pattes, non! ». 
Les opposants disparaissent, un dictateur s’installe. 
Le cheval stakhanoviste se tue au travail :« Napoléon ne se trompe jamais ».   
Et toujours l’utopie de lendemains prospères à venir pour faire admettre les sacrifices présents. 
Tout est écrit dès 1945.Les préceptes des débuts de la révolution sont aménagés :
« Aucun animal ne boira d'alcool à l'excès ;
Aucun animal ne tuera un autre animal sans raison valable.
Tous les animaux sont égaux, mais certains sont plus égaux que d'autres. » 
La ferme reprendra son ancienne dénomination : « Ferme du Manoir ».

mardi 2 septembre 2025

Traverser l’autoroute. Sophie Bienvenue Julie Rocheleau.

Avant le geste dangereux dont il est question dans le titre, la vie d’un couple et d’un adolescent s'avère bien « plate », comme ils disent dans « La belle province » québécoise. 
«  J’en ai déjà full, des raisons que mes dimanches soirs soient scrap. » 
Leur langue nous régale dans cet album de 88 pages qui met de la dynamique dans la routine.  
« J’ai une tondeuse, une souffleuse, un aspirateur à feuilles et un garage pour ranger les outils dont je ne me sers pas. Parfois, à la fin de la journée, je m’ouvre une bière, je déplie une chaise, je regarde mon terrain, et je suis heureux. Le reste du temps, ma vie est comme celle du monde … plate. » 
Le langage graphique efficace suit un scénario simple pour un moment de lecture où la vie ordinaire révèle ses charmes quand le mépris peut s’effacer sans coup de cymbales et que l’héroïsme, sans en avoir l’air, tient à un simple pas hors de la voiture ou à un clafoutis.

mardi 24 juin 2025

Zaï zaï zaï zaï. Fabcaro.

J’ai déjà apprécié aussi bien l’auteur de BD que le romancier,
mais n’avais pas lu les 72 pages cultes publiées en 2015 adaptées au théâtre et au cinéma.
Un recueil d’absurdités, au service d’une pertinente critique sociale dotée d’un humour toujours surprenant.
Le titre vient de la punition infligée à un auteur de bande dessinée qui n’avait pas sa carte de fidélité au moment de passer en caisse. Il s’enfuit après avoir menacé un surveillant avec un poireau.  
« Elle m'a dit d'aller siffler là-haut sur la colline
De l'attendre avec un petit bouquet d'églantines
J'ai cueilli les fleurs et j'ai sifflé tant que j'ai pu
J'ai attendu, attendu, elle n'est jamais venue»
Zaï zaï zaï zaï »
 Les chaînes d’info bavardent et font causer : 
« - En tant que voisins du fugitif, diriez-vous que c'est l'incompréhension totale ?
- Oh oui, c'est l'incompréhension totale.
- Diriez-vous qu'ici c'est la stupeur ?
- Oh oui, ici c'est la stupeur.
- Diriez-vous que vous sentez un climat d'insécurité croissant ?
- Oh oui, on sent un climat d'insécurité croissant. »
 Les politiques communiquent : 
« - Je crois que ces incidents sont clairement imputables à la politique sécuritaire par trop laxiste d'un gouvernement à la dérive... Et je joins mon pouce et mon index pour donner du poids à mon propos.
- Vous joignez peut-être votre pouce et votre index mais moi je colle tous les doigts de mes deux mains...
- Vous n'avez pas le monopole de tous les doigts des deux mains collés, hop, regardez... »
 Les auteurs de BD font rire et les journalistes aussi à moins qu’il faille en pleurer : 
« - Jean-Yves Duchaussoy vous êtes spécialiste des auteurs de BD. Concrètement, à quel type d'individu a-t-on affaire ?
- Il semblerait que nous soyons ici en présence d'un représentant de la branche dite "humour"...
- "Humour" ? C'est à dire... ? (Précisez bien pour nos téléspectateurs qui pour la plupart sont issus de couches populaires et ne comprennent pas la moitié de ce qu'on dit.) »
 Les dessins guère chatoyants offrent un recul pince-sans-rire et permettent ainsi de mieux apprécier des dialogues épatants (qui sont souvent des monologues).

mardi 17 juin 2025

Surface. Olivier Norek, Matz & Luc Brahy.

Le métier de policier est dangereux. La parisienne touchée lors d’un assaut  à Saint Denis 93 est mutée à Decazeville dans l’Aveyron et loge au bord d’un lac artificiel où un village a été englouti et donc propice à l’émergence de quelque cold case. 
« C’est pas un village. Ici, c’est un trou avec un code postal. » 
Les dessins de paysages sont plaisants, l’intrigue bien tarabiscotée comme les aiment les amateurs de polars, les personnages identifiables au premier coup d’œil comme la BD sait les mettre en place. 
« Vous savez, ici, il faut savoir rétrograder les vitesses.
C'est marrant comme les Parisiens ont du mal à ralentir. » 
Au-delà des ingrédients habituels : autopsies et cimetière, finesse de l’enquêtrice, distanciation par écran interposé lors d’entretien avec un psychologue, petite romance, faux morts et familles toxiques, quelques caractères bien stéréotypés de la «  province » mis en évidence ajoutent un mol intérêt à ces 136 pages. 

jeudi 12 juin 2025

Malaterre. Pierre Henry Gomont.

Les dessins nerveux, le récit dynamique rendent palpitant le destin d’un homme insupportable.
Des conflits familiaux destructeurs sont exportés au cœur de la forêt tropicale où les charmes de l’Afrique, la liberté adolescente née de la dérobade adulte vont construire des vies romanesques. 
« Ils avaient vécu dans la cage dorée des jeunes expatriés, 
avaient goûté le mirage d'une liberté totale. » 
L’histoire de ce père menteur, manipulateur, fumeur, buveur, coureur, irresponsable, malhonnête, égoïste, irascible … est bien plus passionnante que celle des gentils.
En 200 pages, cette bande dessinée évoque avec force des ambiances exotiques et familières, des caractères affirmés et complexes.   
« J’ai prié pour que tu dérapes, pour que tu heurtes un de tes précieux arbres, lancé à pleine vitesse et les yeux pleins d’alcool. Mais ne te trompe pas, mon petit Papa. Nous ne sommes pas soulagés. Je ne savais pas à l’époque que j’avais beau te haïr, je t’aimais quand même. »

mardi 10 juin 2025

Comédie française. Mathieu Sapin.

Le sous-titre « Voyages dans l’antichambre du Pouvoir » en couverture d’un album de 165 pages qui montre le dessinateur à la bourre perdant ses feuilles en courant vers l’avion présidentiel, laissait prévoir d’habituelles chroniques de l’ « embedded » sympathique de la République.
Les derniers jours du mandat de François Hollande, et le début de celui d’Emmanuel Macron sont traités d’une façon originale, sans mauvais esprit, sans être dupe des jeux de séduction, des stratégies de communication, rendant compte du travail des responsables, de leur énergie. 
L’actualité depuis les cortèges officiels est rarement racontée d’une façon aussi empathique, dénuée de servilité, honnête, sous des lignes claires qui n’ont jamais porté si bien leur nom.
L'insertion dans ce récit des années 2017 / 2019 de la vie de l’écrivain Jean Racine (1639-1699), pour lequel se passionne le dessinateur venu de la littérature jeunesse, ajoute une pointe d'originalité.
Il raconte par ailleurs le tournage d’un film auquel il participe en tant que scénariste-réalisateur : « Le poulain », suivez le regard… 
Le parallèle inattendu entre la position de l’auteur d’Andromaque devenu historiographe de Louis XIV et le timide auteur de BD s'avère fécond tout en restant souriant : les courtisans recevant la nouvelle de l’arrestation de Nicolas Fouquet sur leurs Smartphones est plaisant. 
Sans en faire trop avec les anachronismes, se pose la question éternelle de l’objectivité, de la sincérité, de la vérité, avec légèreté.

jeudi 5 juin 2025

Histoire de l’art en BD. Marion Augustin Bruno Heitz.

Que la BD traite de l’histoire de l’art, cela va de soi, puisque celle-ci met en images l’Histoire  tout court, avec ses bruits et sa fureur déjà illustrée avec humour par Bruno Heitz dont j’avais abondamment exploité pour mes élèves le sens de la pédagogie. 
Cette fois ce sont mes petits enfants qui me servent d’alibi pour l’achat d’un coffret de 7 albums depuis les premières traces de l’homme de 75 000 ans d’âge jusqu’au graff tout frais au coin de la rue. 
Les révisions peuvent avoir la même saveur que les découvertes qui ne manquent pas, malgré l’ampleur de l’entreprise laissant de la place à de pittoresques anecdotes.  
Trois livrets consacrés à Léonard de Vinci, à Van Gogh et l’autre à Monet précisent par ces biographies les étapes majeures de l’évolution de la représentation du monde par les peintres, sculpteurs, architectes qui exprimaient leur temps, le précédaient.
C’est un grand père qui conduit ses héritiers de Venise au Louvre à Orsay, Beaubourg, comme celui de Mona dans un ouvrage plus exhaustif : 
Botticelli, Bruegel, Dali, le cheval de Lascaux se reconnaissent sur les couvertures de chaque volume d’une soixantaine de pages comprenant quelques reproductions pour compléter ce voyage agréable dans le temps. 
Il est plaisant de voir évoquer la période impressionniste par un adepte de la ligne claire, ou la période baroque avec des personnages dont un point suffit à figurer les yeux. Le regard de Picasso, lui, est différent.

samedi 31 mai 2025

La jeune fille et la mer. Catherine Meurisse.

Cette fois une des dessinatrices rescapées de l’attentat contre Charlie nous emmène au Japon. 
Elle se représente  caricaturalement maigrotte dans des paysages qu’elle peint avec délicatesse. Cette façon contrastée convient à des touches d’humour quand elle se trempe dans un bain très chaud et à la poésie quand elle ouvre son carnet où elle a mis quelques fleurs.
Cela permet aussi d’aborder le surnaturel avec la présence d’un tanuki, mythique raton laveur fantaisiste tel un guide vers la culture nippone.
Un auteur de haïku parfois revêche en résidence d’artistes avec la française s’avère être un bon passeur. 
« La poésie à laquelle j'aspire n'est pas celle qui exhorte les passions terrestres. Plutôt celle qui m'affranchit des préoccupations triviales et me donne l'illusion de quitter, ne serait-ce qu'un instant, ce monde de poussière. » 
Les caractéristiques japonaises sont évoquées sans nous ensevelir sous l’exotisme
« Natsukashii", nostalgie en japonais, désigne les beaux souvenirs qu'il fait bon évoquer. C'est un sentiment heureux. »« Chez nous, on préfère le bois au ciment. On préfère le temporaire qui, en se renouvelant, tend vers l’éternel. » 
Les enjeux liés à la place de l’homme dans la nature sont universels.
Cette centaine de pages m’a rappelé un livre tout aussi délicat.

mardi 27 mai 2025

Un bruit étrange et beau. Zep.

Un livre simple et lumineux.
Il y a le Zep dessinateur à succès de Titeuf, l’amical compagnon des cours de récréation 
d’il y a quelques années, aux couleurs cernées d’une ligne claire, 
et l’auteur atténuant ses traits réalistes sous des couleurs tendres pour des récits plus graves.
Celui là mène d’un couvent de Chartreux à la ville, qu’un moine doit rejoindre pour cause de succession notariale : du silence à la frénésie de Paris à la recherche d’un sens à la vie.
« Pas besoin de dire :
 "Là ! Il y a un bouquetin !". 
Pas besoin de dire qu'il est magnifique... 
Vivre dans le silence nous réduit à l'essentiel. Je suis chartreux. 
Cloîtré depuis vingt-cinq ans et sept mois. 
Aujourd'hui, c'est le temps de la récréation : la promenade hebdomadaire. 
Trois ou quatre heures pendant lesquelles on peut parler. Mais on perd l'habitude. 
Le bruit des mots qui résonnent dans ma bouche me paraît étrange... inutile. » 
Il ne s’agit pas d’un traité philosophique mais d’une occasion plaisante de réfléchir : 
« Si je ne doutais pas, je n'aurais pas besoin de croire.
Je ne serais pas un croyant... mais plutôt un "assuré". » 
Une rencontre exceptionnelle va-t-elle bousculer le choix radical de la solitude ?
Ces 84 pages paisibles où les questions fondamentales ne se cachent pas dans une complexité distrayante, sont bienvenues dans ce monde chamboulé.

samedi 24 mai 2025

La falaise. Manon Debaye.

Les crayons de couleur utilisés dans cette BD permettent d’atténuer la violence des mots et des situations à l’âge du collège.
Les tonalités douces de l’enfance contrastent avec des relations en milieu sauvage où les serments entaillent les peaux où l’écriture ne peut rien contre le harcèlement, la bêtise des groupes.
Un des garçons qui tracassent les filles, lit aux autres les écrits intimes de l’une d’elles : 
« Charlie était de plus en plus déterminée depuis que son père, l’horrible Morgath l’avait abandonnée. 
Astrid ne savait plus si Charlie voulait le retrouver pour le tuer ou bien le revoir une dernière fois. » 
L'auteur met en images un récit âpre autour des crises adolescentes à haute intensité pour deux jeunes filles de familles très différentes, aux caractères singuliers, Astrid et Charlie, une brune et l’autre blonde, réunies par une fascination pour le vide s’ouvrant au bord d’une falaise, symbole aussi de la profondeur vertigineuse des incompréhensions adultes.
Version océane de la série culte « Adolescence » : 

mardi 20 mai 2025

Deux filles nues. Luz.

De la belle ouvrage ! L’ancien dessinateur de Charlie est à la hauteur voire au delà de ses  productions précédentes. 
Le beau livre aéré nous offre un point de vue original et fécond : nous suivons la vie d’un tableau d’Otto Mueller par… le tableau lui-même depuis le premier coup de pinceau en 1919 jusqu’à son accrochage en 2000 au musée Ludwig de Cologne.
Peu après avoir produit cette œuvre révélée seulement à la fin d’un récit mouvementé,l’artiste quitte Berlin sans Maschka, sa femme avec laquelle il reste cependant en contact :  
« Les Muses, on les invoque, on ne les convoque pas. » 
Au-delà des premiers plans qui voient se succéder divers acheteurs, on peut repérer par les fenêtres, les signes de la montée du nazisme, jusqu’à la confiscation de la toile présentée à l’exposition de « l’art dégénéré » organisée par les nazis sous les intitulés :
« Gaspillage des deniers allemands, 
Manifestation de l’âme juive, 
La folie comme méthode, 
Comment les esprits dérangés voient la nature, 
Insultes à la féminité allemande, 
Leur idéal : crétins et prostituées, 
L’insulte aux héros allemands de la grande guerre »
 en compagnie de Picasso, Kandinsky, Dix, Grosz, Chagall, Kirchner… 
« Qui l’aurait cru, Alice… 
Les nazis ont organisé la plus extraordinaire exposition d’art moderne de l’Histoire. » 
Quand on sait l’histoire du dessinateur, la réflexion sur la liberté d’expression acquiert encore  plus de force, alors que sous nos Windows crient à la liberté ceux qui la bafouent le plus grossièrement. L’art n’est pas anodin quand on voit l’acharnement des nazis à spolier les collectionneurs souvent juifs et les artistes. Cette approche sensible, parfaitement agencée et documentée donne matière à réflexion : bien sûr, avec nos yeux du XXI°, ces œuvres « dégénérées » ont acquis de la noblesse, mais si l’on évite d’employer des termes aussi lourds, est ce que tout tas de vêtement, charbon ou de fils de fer, à condition d’être entreposé dans un centre d’art contemporain peut se proclamer œuvre d’art ?

mardi 13 mai 2025

Sybilline. Sixtine Dano.

Chroniques d’une escort girl : les dessins à l’encre et au fusain apportent une douceur qui amène au-delà de la description d’un phénomène de société.
La prostitution concerne 20 000 mineurs en France.
Raphaëlle est toute heureuse d’entamer des études d’architecture à Paris.
Mais la vie est chère et le travail dans un bar peu rémunérateur.
« - L’autre jour je suis tombée sur un site... Tu te fais un profil, tu dis que tu es une petite étudiante qui galère et plein d’hommes sont prêts à te payer pour que tu passes du temps avec eux.
-Tu serais capable de faire ça toi ?
- Bizarrement je crois que oui. » 
Les souvenirs d’une enfance en train de s’éloigner, inscrivent les expériences rémunérées dans un récit où la recherche de l’amour, de la liberté, ne débouchent pas forcément sur des situations glauques. 
« Il ne me plaisait pas du tout, mais c’est allé assez vite et il m’a bien payée.
Au final, j’ai pas trouvé ça pire que de coucher avec un mec bourré rencontré dans un bar et qui te rappelle jamais après. » 
Les témoignages recueillis pour bâtir ce premier album n’amènent pas à une juxtaposition journalistique, ils donnent de l’épaisseur aux contradictions de Sybilline/ Raphaëlle jeune femme fragile et déterminée en recherche d’émancipation. 250 pages décapantes, originales, poétiques, sans concession.
 A un client : 
« - J’y arriverai pas je crois, le stress du travail, sûrement…
- Ah oui ? Pas plutôt la vision de ta femme à la maison, attablée devant un service vide
ou encore l’image de ta fille en petit chien sur le lit d’hôtel qui te fais reconsidérer l’idée de payer pour de la chair qui grandit encore 
ou peut être le fait de savoir que désormais, chez toi,seul ton porte-monnaie fait encore miauler les chattes ? »

mardi 6 mai 2025

Le guide mondial des records. Benaquista-Barral.

Paul baron est chargé d’homologuer les performances ordinaires comme le plus gros des choux ou des plus honorables comme un record de natation d’une centenaire, et tant d’autres farfelues.  
La vie du jeune homme tout ce qu’il y a de normal peut être bousculée avec quelques ingrédients ordinaires : amour et intrigue policière agrémentent un quotidien routinier, offrant l'occasion de poser quelques questions.
« Est-ce si indigne de ne s'illustrer en rien ? 
De ne pas laisser son nom dans les livres ? 
Aujourd'hui le goût de la performance a été remplacé par l'exploit débile. 
À quoi bon s'emmerder à grimper l'Everest quand on peut avaler trois hot-dogs en trente secondes ? » 
Toujours habile le scénariste croisé ailleurs
est bien illustré par le sage Barral. 
 « Il faudrait créer un guide mondial de l'échec.
Un grand livre où tout le monde se reconnaîtrait.
l'homme qui a raté le plus d'examens, 
l'homme dont aucun rêve n'a abouti,
la femme qui a raté le plus de régimes,
la femme qui est devenue ce qu'elle redoutait. »

mardi 29 avril 2025

Le gigot du dimanche. Pelaez-Espé.

La nostalgie ajoute de la saveur au plat traditionnel généreusement aillé.
L’avidité surjouée de la famille visant les Louis d’or de la vieille qui reçoit chez elle toutes les générations fait partie du plaisir d’une lecture facile aux personnages caricaturaux où ne manque ni la malice, ni la tendresse. Une comédie.
Ah la politique après l’élection de Mitterrand, les préjugés de l’époque qu’on regarde de haut cinquante ans plus tard, le rugby le dimanche à Gaillac, les tromperies et les réconciliations, des surprises, les blessures et la vie qui va … Macarel !  
« Ça doit être ça, la vieillesse... 
Un vieux piano qui se désaccorde lentement, 
mais dont personne ne remarque les fausses notes... »

mardi 22 avril 2025

A propos de « Charlie ».

Tenir la ligne : 40 dessins. 
J’ai acheté ce « tract Gallimard » pour marquer mon soutien à « Charlie » et à l’association« Dessins pour la paix » bien que la répétition de la thématique du crayon plus fort que les kalachnikovs souligne nos impuissances.
Jean-Noël Jeanneney en rappelant dans une préface l’inscription dans la loi de la liberté d’expression et du droit au blasphème au XIX° siècle célèbre les progrès du passé, alors que présentement, les lumières s’éteignent.
                                                  Charlie quand ça leur chante. Aurel.
 L’illustrateur d’articles du « Monde » que j’ai connu plus original et plus juste,  
rappelle qu’il s’est affiché avec le badge «  Je suis Charlie » pour mieux faire valoir sa diatribe contre certains défenseurs de la liberté d’expression. La corporation des dessinateurs lui parait seule habilitée à défendre le dessin de presse. 
En 30 pages filandreuses, répétitives, sans la moindre trace d’un humour dont il parle sans l’exercer, avec une mièvrerie qu’il dénonce, il met du sel sur les plaies d’une gauche souffreteuse. 
Ses attaques mesquines contre Malka, Val ou Enthovein n’enrichissent pas son pauvre prêche, me confortant dans des choix contraires. Nous ne sommes pas prêts à nous réconcilier quand la laïcité passée par-dessus bord peut être récupérée par d’autres. 
Les arrangements avec la violence, la démagogie à l’égard des communautarismes nourrissent l’extrême droite. 
Donneur de leçons avec « ses ami.e.s woke », il n’apprend pas beaucoup de toutes les défaites qui se multiplient pourtant.