samedi 31 mars 2012

Vercors… terre de la Liberté. Reymond Tonneau.

« Histoire d’un miraculé » : c’est le sous titre de l’ouvrage de 250 pages illustré de photographies avec une préface de l’Abbé Pierre.
Paralysé par la pile de livres qui m’attendent, je ne serai pas allé d’emblée vers cette littérature où la majuscule est en général profuse et l’adjectif foisonnant.
Il a fallu qu’une dame qui a vécu de près ces évènements tragiques, à qui ce livre a été dédicacé, me le prête pour que je me replonge dans une histoire que je crois connaître un peu et dont je m’étais éloigné.
J’avais emmené pendant des années mes classes sur le plateau du Vercors conduit par un ami fervent et documenté et pensai ainsi avoir fait ma part de « devoir de mémoire » comme dit l’expression qui en a usé le sens.
A partir de cette histoire romanesque, une BD « A 18 ans sous les balles au Vercors » a été éditée, le scénario était tout trouvé.
L’aventure du jeune de Romans venant après la description d’une enfance rude et chaleureuse est pleine de suspens : le titre de « miraculé » est justifié. A Malleval, se repliant depuis le plateau, ses compagnons sont tués, lui est criblé de balles, il se relève, dévale les falaises et les ravins par « où les renards ne seraient pas passés », attend des heures interminables dans un arbre ou caché derrière un buis, alors que les allemands le traquent. Ses camarades lui avaient fêté ses dix huit ans avec une tranche de pain qu’ils avaient conservée. Son récit porte l’énergie de cette jeunesse qui nous épate à présent où il est bien difficile d’envisager de tels sacrifices pour son pays, surtout si précocement.
Comme est obsolète la formulation de l’abbé Pierre :
 « Sais-tu être frère, même de ceux qui pensent autrement que toi. 
Sais- tu causer avec eux chiquement, et les aimer… ? »

vendredi 30 mars 2012

Education, la France déjà dégradée ?

La dégradation est économique, culturelle et morale.
Mais le débat en vue de l’élection présidentielle pourrait porter sur l’école et sortir des politiques à court terme et contredirait les médias qui trouvent les débats- qu’ils organisent- bien pauvres.
Les mots nous ont tellement trahis que nous nous sommes transportés au pays des chiffres.
Ainsi la politique de l’évaluation cherche à quantifier chaque acte, et accroit la marchandisation de la société. Omniprésente dans les classes elle en modifie la pratique pédagogique.
Les estimations ne manquent pas qui s’appliquent aux appréciateurs eux-mêmes.
La France, a continuellement chuté depuis 2000 dans tous les classements internationaux qui évaluent les résultats des élèves. Le ministre de l’Education cache certaines études car les chiffres sont cruels pour le système éducatif français dont le chanoine a dit que « dans la transmission des valeurs et dans l’apprentissage de la différence entre le bien et le mal, l’instituteur ne pourra jamais remplacer le curé ou le pasteur ».
Les valeurs indexées sur le CAC ?
Nous sommes dans un pays où les inégalités sociales sont corrélées le plus fortement avec les inégalités scolaires.
Dans la grande salle bien remplie de la MC2 au forum de Libération, François Dubet sociologue a plus de liberté que le politique Vincent Peillon qui m’a paru compétent sur le sujet et moins empesé que d’ordinaire. « Même Standard & Poor’s - qui n’a pas toujours brillé par autant de clairvoyance - nous le dit : la clé de la croissance de demain se trouve dans les investissements massifs que nous devons faire aujourd’hui dans l’enseignement, la formation et la recherche, de la maternelle aux doctorats, et au-delà. Mais les moyens n’ont de sens qu’en ce qu’ils permettent de servir des fins. Celles-ci s’appellent pour nous : briser le noyau dur de l’échec scolaire, mettre sur pied une formation initiale et continue des enseignants digne de ce nom, réformer les rythmes scolaires, faire évoluer le métier d’enseignant, revaloriser l’enseignement professionnel. » 
En plaçant la concertation en préalable celui ci irritera les radicaux des deux extrémités : les rétros et les raseurs de table. Sa position se veut consensuelle car il sait bien que rien ne se fera sans les personnels qui souffrent en ce moment.
L’école n’est plus rectrice. Il s’agit de convaincre pour regagner une autorité morale, intellectuelle.
- En cinq ans, presque 10% des effectifs enseignants ont été supprimés et le métier n’attire plus.
- La formation des professeurs a été réduite à néant
- Les réseaux d’aide spécialisés aux élèves en difficulté (RASED) ont été démantelés.
- Près de 150 000 jeunes sortent sans qualification du système scolaire.
Cependant le rejet de la politique de sa Majesté Hélas ne doit pas conduire à la défense d’une forteresse. Concernant l’éducation le ton rituel est à la déception, c’est devenu tellement banal que nous avons oublié le temps où la maternelle faisait notre fierté (la scolarisation des moins de 3 ans, est passée de 35% à 13%). Les médias convoquent la Finlande : amenez les flocons ! Même dans les milieux qui ne cessaient de dire « le niveau monte », il est reconnu que les performances des élèves à l’entrée en 6e, pour la maîtrise de la langue comme pour les mathématiques, ne cessent de faiblir.
 Le climat scolaire est dégradé : quand on demande aux élèves :
« quand tu ne comprends pas, tu demandes au prof ? »
80 % répondent : « oui » dans l’OCDE, 80% répondent : « non » en France.
Mais je crains que la formule qui s’étonne : « un enseignant à 11ans, 11enseignants à 12 ans » n’entre dans une politique qui considère l’éducation comme une source de dépense et non d’investissement pour l’avenir.
L’engagement du nouveau président concernera la nation et non un département ministériel, une institution et pas seulement un service public.

jeudi 29 mars 2012

L’annonciade. Musée de Saint Tropez.

Le souvenir d’une première visite ne m’avait pas laissé de souvenir impérissable, mais comme souvent en musique par exemple, une deuxième rencontre accroit le plaisir : il en fut ainsi.
L’ancienne chapelle des Pénitents blancs qui devaient racheter les marins capturés par les barbaresques, offre depuis 1922 un cadre intime à la peinture. Elle est située sur les quais ravissants hors saison.
Torpes décapité pour ne pas avoir renié sa nouvelle religion donna son nom au village en échouant là depuis l’Italie avec une barque où avaient pris place un chien et un coq. Il devint un Saint protecteur des pêcheurs.
En 1892, Signac, sur son yacht l’« Olympia », découvrit le petit port, et s’installa, invitant d’autres peintres : Matisse, Derain, Marquet. Leurs toiles lumineuses sont là. Les mouvements pointilliste, nabis, fauve sont bien représentés avec aussi des statues de Maillol.
Rien que du beau monde : Bonnard, Braque, Rouault, Valotton, Van Dongen, Vuillard…
A la sortie de l’hiver, une façon douce de se remettre à la lumière, de refaire un tour parmi des familiers et vérifier comme notre regard les change : j’ai apprécié particulièrement Marquet qui me laissait plutôt indifférent et ce jour là, j’ai suivi ses promeneurs du dimanche longeant une mer inquiétante et belle.

mercredi 28 mars 2012

« On refait le voyage » : Saint Petersburg 2004 # 4

Pour l’heure, nous voulons tenter une visite à l’Ermitage. Un homme ne parlant pas français puis une demoiselle nous proposent leur service de guidage ( 30$ par personne !) que nous refusons, puis réduisent leurs prétentions en offrant d’acheter pour nous les places au tarif des groupes. Hésitations…. Puis nous acceptons, mais nous n’avons pas du coup de plan. Heureusement, le routard va nous rendre service. Après un réconfort grâce aux barres de céréales de Jackie, nous abordons la visite. Stupéfaction ! Nous traversons des pièces vues nulle part ailleurs, la grandeur y est de rigueur ; comment résumer la richesse de ce musée ? D’abord, il faut se repérer, de mémoire :
- Escalier monumental, tout est blanc avec des dorures d’une grande finesse - Les parquets remarquables en marqueterie, et bois d’essences et couleurs variées
- La salle des portraits époque Napoléonienne
- La salle du trône
- La salle avec la mosaïque romaine et le paon
- Le deuxième étage, escalier difficile à trouver, abrite les peintures françaises du 19e et 20e (Renoir, Gauguin, Marquet, Picasso, Matisse, Cézanne, Van Gogh…)
- La bibliothèque tout en bois. Son horloge indique encore l’heure à laquelle le gouvernement provisoire fut arrêté
- Une enfilade de salons ou cabinets de couleurs différentes
- Une galerie avec des motifs muraux floraux et animaliers très fins, très italiens, exécutée en 7 ans
- Salle de réception
- Des objets précieux (en ivoire, malachite, porcelaine ; des aiguières, d’immenses vases
à vin, une exposition de camés, une petite calèche avec compteur, des horloges….
- Des salles d’apparat rouge et or, des pièces d’habitation plus petites.
 Nous y passons bien quatre à cinq heures, sans sentir s’écouler le temps et surpris de la richesse à tous niveaux ! Nous quittons les lieux, chassés par l’heure de fermeture et décidons de rentrer cum pedibus par cette rue aux proportions parfaites indiquée par Larissa. Malheureusement, nous n’avons pas noté le nom et nous nous égarons un tantinet, allongeant le chemin qui devient interminable … Nous cafouillons aussi pour trouver le restaurant recommandé, rue Ligovski, de l’autre côté de la place à obélisque ; self service pratique, il suffit de montrer du doigt ! Nous rentrons avec plaisir ôter chaussures et étendre les jambes. Il y a foule dehors, les gens se promènent ; c’est samedi et il fait bon …. Seulement moins 5° !

mardi 27 mars 2012

Le val des ânes. Mathieu Blanchin.

Souvenirs d’enfance à Velannes du côté de Saint Geoirs en Valdaine en Isère, de l’ainé d’une fratrie de trois garçons venue d’Echirolles, en banlieue.
Aucune nostalgie à la lecture de ces chroniques sincères où l’enfance est sans pitié, la mise en danger physique omniprésente, où les traumatismes psychologiques se tricotent pour plus tard.
Mépris à l’égard des paysans du cru, haines intra familiales, cruauté vis à vis des animaux : le tableau est sombre, les conneries se multiplient.
Le trait à l’encre de Chine donne des allures de journal intime que l’on découvre dans un mélange de gène et de plaisir. Ce choix de souvenirs impitoyables s’adoucit à la dernière image:
« De cette enfance, je garde cette impression d’absolu où tout prenait du relief dans une sorte d’éternel présent… Ces moments, j’aborde à nouveau à leurs rives, dans les yeux de notre fille Jeanne, 4 mois aujourd’hui… » 
C’est une fille.

lundi 26 mars 2012

Les adieux à la reine. Benoit Jacquot.

Quand l’histoire se joue, la grande ou l’intime, les acteurs qui ont le nez sur l’affaire sont les plus aveugles.
J’ai aimé madame Bertin préposée aux tissus qui fait de son mieux pour s’occuper de fanfreluches quand tout un monde s’effondre, et bien sûr toutes les actrices magnifiques dans des costumes d’une époque qui mettaient si bien les formes au balcon. Les belles étoffes sont parfois souillées dans cette version où juillet 1789 est pluvieux.
C’est souvent dans les couloirs que se nouent les intrigues, où passent les informations, où se défilent ceux qui trahissent, c’est là que le réalisateur a placé ses caméras. Ce point de vue est fécond quand la liseuse de la reine devient le personnage principal, ponctuant une vie corsetée de mots pour divertir, conseillant « La princesse de Clèves » à Marie Antoinette qui a tout dépensé mais sait qu’elle ne peut pas s’offrir la jeunesse.
Toute ressemblance avec quelque pouvoir contemporain aveugle avec cour en route vers la Suisse est évidente. J’ai de la compassion avec la liseuse d’alors, moins avec les diseurs d’aujourd’hui qui ne risquent que le ridicule de leur servilité.

dimanche 25 mars 2012

Tartuffe. Molière. Lacascade.

Certains mots occupaient toute la place dans mes souvenirs, alors j’ai goûté la réplique de Dorine à « couvrez ce sein » :
« Vous êtes donc bien tendre à la tentation, 
Et la chair sur vos sens fait grande impression ? 
Certes je ne sais pas quelle chaleur vous monte : 
Mais à convoiter, moi, je ne suis point si prompte, 
Et je vous verrais nu du haut jusques en bas, 
Que toute votre peau ne me tenterait pas. » 
Bien au-delà des révisions patrimoniales indispensables, cette pièce est malheureusement d’une actualité envahissante. Les hypocrites, les bigots, les mariages arrangés, avec plus seulement des rondeurs à cacher, mais des femmes toutes entières à voiler, sont même de plus en plus là, hélas !
Le metteur en scène qui joue le rôle titre combine le tragique et le burlesque, l’ancien et le moderne sans perruque ni jeans dans une comédie enlevée qui explore les voies compliquées menant vers la vérité.
La beauté du texte tranche tellement dans le babil ambiant que la scène de séduction de Tartuffe vis à vis d’Elmire est convaincante et élégante.
Je n’ai pu m’empêcher de comparer encore une fois mes perceptions des spectacles suivant la place qui nous est attribuée dans la grande salle de la MC2 : depuis le balcon, dans une vue d’ensemble, j’ai été sensible aux mouvements qui s’apparentent parfois à une chorégraphie avec jeux de portes et corps en dilemme.
Des scènes prennent des allures de dessin animé dynamique sans jamais céder à la facilité.
Les happy ends hollywoodiens de commande nous ont appris qu’avec une fin arrangée pour « un prince ennemi de la fraude », il convient que le malhonnête soit puni, au moins sur les planches.
La pièce date de 1664, c’est d’hier ?

samedi 24 mars 2012

N'espérez pas vous débarrasser des livres. Jean-Claude Carrière, Umberto Eco.

Les deux joyeux grands pères s’entretiennent avec Jean-Philippe de Tonnac, et leur pétillante érudition constitue le meilleur des plaidoyers pour le Livre qu’ils prennent bien garde de sacraliser, Ecco s’est constitué une bibliothèque gigantesque autour de l’erreur et des idées fausses.
C’est parce que j’ai la religion du livre que celui-ci m’a été offert, mais je ne sors pas de ces 280 pages rassuré pour l’avenir, j’ai seulement pris du plaisir à fréquenter leur gai savoir et c’est déjà bien.
Si Carrière reste beaucoup dans ses références à Buñuel, il touche juste quand il souligne que chaque lecture modifie le livre : « le temps le fertilise».
J’en serai à penser que ce n’est pas le temps qui nous tue mais les tentatives contemporaines pour l’abolir. Les supports numériques tiendront-ils le temps des incunables que les deux bibliophiles collectionnent ? Ecco remarque que « la renaissance religieuse fleurit dans des ères hyper-technologiques, à la fin des grandes idéologies, à des périodes d’extrême dilution morale ». Nous y sommes.
Et dans les débats qui traversent nos pays glacés, le rappel que les gens du sud reprochaient aux gens du Nord de manquer de culture est stimulant.
Quand Bossi de la Ligue est descendu à Rome pour un premier discours, une pancarte ironique indiquait : « lorsque vous viviez encore dans les arbres, nous étions déjà des tapettes ».
Les deux érudits emploient volontiers la notion de filtre pour choisir dans la profusion et ils reviennent sur l’histoire nous enseignant que les peuples sans écriture sont maudits ; l’acharnement des colonisateurs à en faire disparaître toute trace atteste du pouvoir des alphabets. Même si en Inde la tradition orale revêt le plus grand prestige. Lors des chants en groupe les erreurs individuelles sont atténuées, rectifiées.
« La tradition orale des grands poèmes épiques qui a perduré pendant près de mille ans serait donc plus exacte que nos transcriptions faites par des moines, lesquels recopiaient à la main dans leur scriptoria, les textes anciens, répétant les erreurs de leurs prédécesseurs et en ajoutant de nouvelles. »
Qui n’est pas saisi de vertige devant la plus modeste des bibliothèques ?
 Alors face à celle des deux compères ils ont des réponses à la question :
« Vous les avez tous lus ? »
 « Davantage, monsieur, davantage. »
 « Non. Ces livres-là sont seulement ceux que je dois lire la semaine prochaine. »
ou «Je n’ai lu aucun de ces livres, sinon pourquoi les garderais-je ? »

vendredi 23 mars 2012

Savons-nous encore parler à nos enfants ?

Cécile Duflot a repris le Scénique Président en lui disant que ce n’est pas ainsi qu’on parle aux enfants :
« Le devoir des adultes c'est protéger pas angoisser ».
A mon avis, elle a raison, quand la tête de l’état joue avec les peurs, c’est l’enclenchement des régressions qui amène à nier le réel pour ne pas affronter ses rudesses. Par ailleurs les écolos utilisent les peurs avec le nucléaire et pêchent sur l’autre versant par l’euphémisation, le déni face aux problèmes de sécurité ou d’éducation.
L’autre jour j’ai éteint la radio au moment où un pédopsychiatre disait qu’il aurait fallu une préparation aux enseignants avant de parler aux enfants du drame de Toulouse.
Si les enseignants ne savent pas parler de la vie, de la mort à leurs élèves, que peut-on attendre d’eux ?
Il ne s’agit justement pas que de mots mais de vivre avec les enfants au prix de maladresses qui font qu’une vie loin d’être irréprochable est justement la vie.
Tous ces parleurs me broutent et les purs nous tuent.
Hauts parleurs, les médias prennent souvent les politiques de haut :
« cette campagne n’aborde pas les problèmes de fond », 
alors qu’ils sont les principaux fautifs de l’abaissement du débat public.
Les chaînes d’information en continu ont imposé un tempo endiablé aux autres médias.
Les porteurs de micro délégués au plein vent n’ont qu’à confirmer ce qui vient d’être annoncé en plateau :
« effectivement ! ».
Les nouvelles sont vendues explicitement comme des marchandises :
« ne quittez pas, dans la suite du journal, nous verrons comment les anglais sont tellement contents de retarder l’âge de leur retraite »…
La confusion entre journalistes et amuseurs culmine sur Canal +, alors que sur les chaînes publiques les serviles sont au service ; sur TF 1, j’évite, même les commentateurs sportifs me hérissent.
A la télévision, la voix de son maître a toujours été prépondérante, mais à voir la façon de traiter Joly dans la chaîne humaine de Lyon à Pierrelatte ou Mélenchon à la Bastille, le conformisme s’étend de radios en hebdos.
 Bien des citoyens s’abstiennent désormais. Quand j’ai transmis à des camarades Outlook un édito d’Hélène Sixous concernant l’Hui, certaines m’ont fait part de leur lassitude, de leur envie de silence.
Alors, je ne me sens pas épargné par les formules toutes faites : « trop de buzz, de tweets tuent l’info ! ». Face à la bouillie des promesses où les grosses ficelles cyniques sont étouffantes, je me sens gagné par l’inappétence ambiante, tendance imbécile.
....
Dans le Canard de cette semaine:

jeudi 22 mars 2012

Le musée Cocteau.

En bord de mer dans la charmante ville de Menton est installé le nouveau musée dédié à Cocteau.
L’architecture qui se veut à l’image de l’œuvre de l’artiste protéiforme,  
« difficile à ramasser », peut prêter à discussion.
Non que la ressemblance avec le bâti alentour soit une règle intouchable, et j’apprécie parfois des surgissements architecturaux inattendus. Mais il se trouve que la construction trapue en forme de « tielle à la sétoise» est souvent montrée en vue aérienne par son côté le plus photogénique; en l’abordant à pied de loin, nous avions pris l’édifice de Rudy Ricciotti pour un parking. Le donateur américain Wunderman à qui l’on doit l"essentiel des œuvres présentées, n’a pu voir l’aboutissement de sa collection, il est mort quelques mois avant l’inauguration.
Derrière ses rideaux atténuant la lumière méditerranéenne, le musée propose des dessins, des photographies, des tableaux, des céramiques, une tapisserie, des bijoux, des extraits de films.
L’élégant auteur des « Enfants terribles » et des « Parents terribles » était éclectique.
 J’ai préféré ses dessins d’un seul trait à ces amoureux aux couleurs vives installés au « Bastion » lieu qu’il avait investi auparavant.
 On retient surtout le poète plutôt que le « prince frivole » qui connut les délices et les affres de l’opium. Et sa « Belle et la bête », son « Testament d’Orphée » m’ont paru datés.
Mais je comprends que l’artifice à ce point puisse séduire.
Par contre parmi un stock de citations légères et concises certaines n’ont pas pris la poussière :
« Ce qui caractérise notre époque, c’est la crainte d’avoir l’air bête en décernant une louange, et la certitude d’avoir l’air intelligent en décernant un blâme. »

mercredi 21 mars 2012

« On refait le voyage » : Saint Petersburg 2004 # 3

Il a neigé cette nuit, tout est blanc.
Aujourd’hui, c’est Tour de ville avec minibus et guide de l’agence Bolshoï Tourism (Bolshoï veut dire grand en russe). Le guide est une jeune femme blonde, prénommée Larissa. Elle parle un français presque sans accent.
Elle nous commente la perspective Nevski et ses palais puis nous dévie sur une superbe place, la place des arts, entourée de musées et théâtres. Au centre, la statue de Pouchkine qui participa à l’élaboration de la langue russe moderne à travers la littérature et la poésie. Nous repartons sur Nevski Prospekt. Nous apercevons au passage le cirque et une école pour jeunes filles de « classe moyenne » ; Catherine II avait décidé qu’il y aurait des écoles pour les filles, mais pas de mixité sociale. Après un contrôle de la police concernant l’assurance du véhicule, obligatoire depuis peu, nous jetons un œil à travers la vitre du bar Pouchkine, et nous stoppons sur l’île Vassilievski (Traduction = Basile), près de l’une des colonnes rostrales, anciens phares de la Neva décorés de proues de bateaux, celle devant laquelle les mariés se font photographier. Larissa nous explique aussi que les bulbes des églises représentent la forme des cierges, la lumière qui monte vers le ciel et leur nombre symboliserait les personnages sacrés. De façon plus pragmatique il semblerait surtout que cette forme permette à la neige de glisser plus facilement. Le minibus reprend la route à travers l’île, parmi les universités, les palais et la maternité.
Il se dirige vers le golfe de Finlande par l’une des 3 routes possibles (la petite, la moyenne, la grande). Nous traversons des quartiers style art nouveau avant d’atteindre le front de mer défiguré par un hôtel gigantesque. Quant à la Baltique, elle est gelée, impossible de distinguer la terre de la mer. Nous allons y faire quelques pas et photos. Curieux, nous observons une moto-ski qui remorque de quoi percer la couche de glace pour des pêcheurs, tâches noires au loin dans cette lisse étendue glacée. Nous remontons au chaud dans le Mercedes et quittons l’île pour la terre. Un arrêt est prévu à l’Eglise Saint Nicolas des marins, préservée même pendant la période soviétique. C’est une pure merveille, à plusieurs égards : d’abord sur le plan architectural, pas de grande voûte écrasante mais un plafond bas, des icônes dans des cadres en or sacrément baroques, assorties à un iconostase d’une grande richesse, deux poêles en faïence, des bougies allumées partout. Mais l’autre intérêt, c’est d’assister à un office orthodoxe dans une église pleine à craquer de fidèles. Comme il n’y a pas de bancs, les vieilles se sont regroupées près des poêles qui offrent des rebords pour s’asseoir. Quelques personnes à genoux se prosternent comme à la mosquée. Le pope bénit une table chargée de victuailles apportées là par les fidèles et garnies de bougies. D’une voix profonde, il chante, en tant qu’intercesseur, une litanie dans laquelle il cite des noms écrits sur des papiers
( accompagnés d’un billet de banque). Une chorale mixte a cappella lui répond en antiphonie. Dans l’un des bas-côtés, une femme en tablier noir sert une boisson et un morceau de gâteau ou de pain, que nous interprétons comme étant la communion. Sous le même uniforme, ses copines vendent des bougies ou des icônes. L’ambiance est chaleureuse. Il y a à l’étage une autre église que nous ne verrons pas, utilisée pour les fêtes. A l’extérieur, l’église et son clocher indépendant sont parés d’une façade blanche et bleue ; l’église arbore d’élégants balcons en fer forgé dont se servait la famille royale. Nous quittons ce lieu qui a enthousiasmé tout le monde.
Nous atteignons la Cathédrale et le couvent de Smolny situés à l’emplacement d’anciens chantiers navals (On y calfatait les bateaux et smolny veut dire goudron en russe). Les bâtiments sont en cours de rénovation, comme en témoignent les échafaudages et le ton cru du bleu des constructions de droite en contraste avec le bleu fané des constructions de gauche. A côté, l’institut Smolny était réservé aux jeunes filles de la noblesse, elles y apprenaient leur travail de bonne épouse. Nous continuons la balade motorisée le long des jardins de Tauride. C’était la propriété du prince Potemkine, vainqueur en Crimée (aussi nommée Tauride) et amant affiché de la grande Catherine. Toutes les rues que nous traversons sont bordées de palais ; pas de pierre, les constructions sont en briques recouvertes d’un enduit et peintes, de même que les atlantes et les caryatides.

mardi 20 mars 2012

Habibi. Craig Thompson.

Comme je ne suis pas du genre à passer mille et une nuits sur une BD, je ne suis pas allé au bout de ce pavé de 670 pages.
Je n’ai pas été entortillé par les ornements, les volutes, les arabesques d’une histoire qui entrelace joliment les brutalités d’un monde violent aux effluves d’un merveilleux revenu à des racines sacrées.
Mes mots auraient pu virer au positif mais l’arrière plan religieux omniprésent étouffe les personnages. L’esthétique très soignée ralentit une lecture dynamique. Tous les lieux et toutes les époques se mêlent.
J’avais l’impression d’avoir entre les mains un volume daté d’un XIX° siècle corseté, dont les grands mots seraient devenus atones même si l’esclavage et les ravages de la planète sont d’actualité.
Du temps où les livres étaient rares et l’espace compté, depuis j’ai su apprécier les plages silencieuses, l’humour.
 Je ne suis pas monté à bord du bateau échoué dans le désert.

lundi 19 mars 2012

Eléna. Andrei Zviaguintsev.

Je venais de voir « Les bonnes » de Genet, alors je n’ai pu m’empêcher de dire à la sortie du film que je venais de voir : « La bonne ».
Même si les usages interdisent de divulguer la fin, très vite nous comprenons qu’un drame se prépare.
J’ai beaucoup aimé le rythme des plans séquences qui nous laissent le temps d’entrer dans l’intimité des personnages, entre lesquels les rapports de classe demeurent malgré les apparences.
Les liens familiaux surnagent dans cette société violente, désespérante que les cinéastes russes, trop rares, savent décrire avec une lucidité bouleversante.
La musique de Phil Glass convient à cette froideur qui n’est pas celle du thermomètre.

dimanche 18 mars 2012

La loi du marcheur. Nicolas Bouchaud.

L’acteur joue pendant 1h 50 Serge Daney.
Les paroles du critique emblématique des Cahiers du cinéma et de Libération sont portées avec une vivacité extraordinaire. Le dispositif est original et sobre, avec des variations autour d’un extrait de « Rio Bravo » où l’acteur se projette sur l’écran.
Je retournerai lire les « Cahiers » qui m’avaient découragé à force de paroles péremptoires et souvent absconses. Nous recroisons des mots qui tapissaient notre mémoire : « faux raccords, yéyés, portes vitrées, photos charbonneuses, accident métaphysique, Ava Gardner, A bout de souffle, Nuit et brouillard, l’Amérique… »
Dans ce spectacle j’ai surtout retenu les hésitations du passeur, sa modestie, son originalité, et à travers l’évocation de son enfance, cette notion de promesse qui recommence à chaque fois qu’on envisage d’aller dans une salle obscure. L’interrogation sur notre position de spectateur va au-delà des références à nos films préférés, il s’agit rien moins que de notre conception de la vie, des autres.
« Par chance il se trouve que le cinéma - et ça je l'ai découvert plus tard - était né dès le début sur deux jambes, une jambe absolument populaire, basique, triviale, imaginaire, et une jambe cultivée, compliquée, philosophique, élitaire, et qui a fait la critique, et que donc choisir le cinéma c'était sans s'en rendre compte choisir une culture. . . une maison avec deux portes, une porte que tout le monde prend- et qu'il faut prendre sinon on comprend rien au cinéma, et puis aussi une porte dérobée dans laquelle les gens - dès le début. dès le début - ont demandé au cinéma des choses absolument extravagantes. Il suffit de lire. Je sais pas. les textes qu'Abel Gance jeune homme écrivait, c'était quand même un intellectuel malgré tout Abel Gance eh ben moi je m'en suis pas rendu compte à l’époque mais je trouve que c'était le bon choix - ça je le regrette pas - d'avoir choisi le cinéma puisqu'on pouvait y rentrer avec tout le monde ou tout seul. »

samedi 17 mars 2012

XXI. Hiver 2012.

Après le numéro quelconque consacré aux utopies, celui ci consacré aux « Justes » constitue une livraison essentielle, pas seulement pour les articles traitants du thème principal, pas forcément  justement titré, se déroulant surtout dans des tribunaux. Un avocat est persuadé de l’innocence de son client, un père veut comprendre pourquoi sa fille a été violée à mort, un alpiniste virtuose est condamné pour homicide par imprudence après la mort de son bébé.
Le récit d’une catastrophe qui a tué autant de monde que la seconde guerre mondiale m’a secoué : la grande famine en Chine à la fin des années 50 où une population se retrouve dans la situation des camps d’extermination au plus profond de ses campagnes. Un monsieur veut édifier un muret à la mémoire de ceux qui sont morts pendant cet épisode stupéfiant : sur 121 habitants de son village seulement 50 ont survécu. Mais cette initiative est mal vue du pouvoir. De 35 à 55 millions de morts demeurent un secret d’état.
Le trajet de Johannesburg au Congo dans la cabine d’un camion avec une femme au volant nous dit beaucoup sur un continent flageolant raconté aussi en BD à travers les enfants des rues de Kinshasa.
Dans les effets de la mondialisation : ces femmes indonésiennes qui vont travailler à l’étranger comme domestiques.
Le reportage photographique porte cette fois sur une novice au New jersey, là rien ne bouge.
Le portrait de Bachar el Assad, qui suicide son pays après avoir représenté un espoir, replace l’actualité dans l’histoire, comme une interview d’Orhan Pamuk écrivain turc prix Nobel dont les racines sont à Istanbul, sa compagne est indienne et il dispense ses cours à l’Université de Columbia ; ses propos prudents sont intéressants.

vendredi 16 mars 2012

Ça commence à se voir !

J’avais renoncé à envoyer des courriers aux journaux quand sur leur site internet ils ont préfiguré les réactions sommaires type twitter, mais je n’ai pu résister à la complaisance de Patrick Cohen sur Inter; mon message n’a pas été accepté par le modérateur alors que ceux à tonalité UMP avaient droit de cité.
Où je reprochais au dit journaliste de s’être tu au moment des « n’importe quoi » de C. Bruni lors d’un repas télévisé et de ne pas intervenir quand V. Pécresse ne cessait d’interrompre M. Sapin, comme il l’avait fait pour protéger H. Guaino des saillies de D. Cohn Bendit. Et j’ajoutais avant que D.Schneiderman le souligne que l’anniversaire de Fukushima par les antis nucléaires - dont je ne suis pas - avait eu lieu sous des projecteurs éteints. La chaîne humaine entre Lyon et Le Tricastin a connu un silence retentissant, alors que G. Depardieu à Villepinte…
P. Val peut être content de ses troupes avec lesquelles ils attendaient impatiemment, le croisement des courbes, pour le spectacle. Leur parti pris commence à se voir. Je me garderai d’accabler les médias pour excuser la gauche de ses imprécisions et puis c’est tellement évident. Mais j’aimerais comprendre pour quelles raisons Val qui chantait :« rien n’est plus poétique que l’autogestion », qui pendant des années donna des leçons des plus vertes, est tombé dans les rets de la droite la plus cynique, la plus grossière.
Les hommes ne sont pas tous, bon sang ! des Besson, des Woerth, les femmes des Dati, des Boutin, des Bruni…
Il reste bien un lieu qui n’est pas enfoui sous les buvards républicains, où sous le mot 
« morale » on peut coller quelques images, où tout ne se vend pas, où payer ses impôts est un devoir, une fierté, un temps d’avant que la com’ ne nous ait rendu complètements cons.
Parce qu’au bout du bout, c’est bien de cette idée de l’homme que proviennent nos choix politiques : l’autre est-il une menace ou un frère ?
Après les églises où le mot « amour » résonne dans le vide, les préaux à proximité de chez nous sont désertés ; clignotent seulement de grands rassemblements où la gesticulation a pris la place de l’engagement. Les matchs de Ligue des champions ont tué ceux du quartier.
Rue 89 filiale du nouvel Obs dont le directeur donne le ton de l’opposition aux 75% d’Hollande, a rédigé un article sur la fin des blogs. Il ne resterait alors que 140 signes pour faire signe.
 ....
Dessin du Canard:

jeudi 15 mars 2012

Nature morte # 4 : un objet littéraire ?

Entre vie silencieuse et poésie. Bien que les catégories en littérature et en peinture soient différentes, les objets ayant une existence propre, le dialogue peut se nouer pour conclure avec Alain Guyot le cycle de conférences à eux consacré pour les amis du musée.
Le bouclier d’Achille dans l’Iliade est l’œuvre d’un dieu ; le roman fait œuvre d’art en dépeignant des œuvres d’art.
Philostrate de Lemnos décrit une galerie de tableaux rares à cette époque.
Au moyen âge aucun objet à signaler, par contre Rabelais va les accumuler en festin de mots.
Scarron dit du Sirus de madame de Scudéry qu’il est « le roman le mieux meublé », il est déjà le plus long de la littérature française.
De Saint Amant, poète baroque :
« C'est un melon, où la nature, 
 Par une admirable structure, 
A voulu graver à l'entour 
Mille plaisants chiffres d'amour, 
Pour claire marque à tout le monde 
Que, d'une amitié sans seconde, 
Elle chérit ce doux manger » 
Le style est haut pour un bas registre, et le créatif interprète le message de la nature.
Le siècle des lumières est riche en descriptions chez Restif de la Bretonne ou dans des contes érotiques chez Jacques Rochette de La Morlière, libertin grenoblois.
« les bougies placées derrière des rideaux de taffetas vert, qui semblaient être faits pour rompre la trop grande clarté, et qui ne laissaient que ce demi-jour qui paraissait avoir été inventé pour éclairer les entreprises de l'amour, ou pour ensevelir la défaite de la vertu. » 
Au XIX° siècle les ustensiles révèlent une position sociale avec la redingote du « père Goriot », l’intensité d’une passion amoureuse se tient dans un bouquet du « Lys dans la vallée », les marchandises sont abondantes chez la Sarriette, vendeuse de fruits du « Ventre de Paris » où les cerises « ressemblaient à des lèvres trop étroites de Chinoise qui souriaient ».
Théophile Gautier va faire un tour au delà des barrières du côté de Montfaucon.
« nous sommes dans une fabrique de poudrette : femmes, enfants, garçons et petites filles, vannent, blutent, tamisent la précieuse poudre [d’excréments humains] qui a la couleur, mais non le parfum du tabac d’Espagne… Tout est passé avec un soin minutieux, car il paraît que l’on trouve là dedans de l’argent, de l’or, des montres et autres objets précieux. » 
La franchise de l’horreur est aussi dans la charogne de Baudelaire.
Tout l’art n’est-il pas de trouver des pépites dans la plus noire des merdes ?
« Une de ces pauvres choses, enfin, dont la laideur muette a des profondeurs d'expression comme le visage d'un imbécile. » C’est la casquette de Charles Bovary.
Dans le genre citation à la Audiard où « un con qui marche va plus loin que dix intellectuels assis » :
« une carotte bien peinte vaut mieux qu’une madone mal peinte. »
Au XX°, après guerre, l’homme divorce avec son passé, alors ressurgissent les choses qui occupent toute la place.
Qui marche ? « Les chaussures légères à semelles de caoutchouc ne font aucun bruit sur le carrelage du couloir ».Robbe Grillet.
J’ai bien aimé l’expression du conférencier qui évoque « le langage qui se retend » chez Ponge redynamisant les choses dont il prend le parti.
« L'huître, de la grosseur d'un galet moyen, est d'une apparence plus rugueuse, d'une couleur moins unie, brillamment blanchâtre. C'est un monde opiniâtrement clos. Pourtant on peut l'ouvrir : il faut alors la tenir au creux d'un torchon, se servir d'un couteau ébréché et peu franc, s'y reprendre à plusieurs fois. Les doigts curieux s'y coupent, s'y cassent les ongles : c'est un travail grossier. Les coups qu'on lui porte marquent son enveloppe de ronds blancs, d'une sorte de halos. A l'intérieur l'on trouve tout un monde, à boire et à manger : sous un firmament (à proprement parler) de nacre, les cieux d'en dessus s'affaissent sur les cieux d'en dessous, pour ne plus former qu'une mare, un sachet visqueux et verdâtre, qui flue et reflue à l'odeur et à la vue, frangé d'une dentelle noirâtre sur les bords. »
 Guillevic par la parole délivre-t-il les objets de leur gangue diabolique ?
« L'eau que tu bois a connu la mer. »

mercredi 14 mars 2012

« On refait le voyage » : Saint Petersburg 2004 # 2

L’hôtel nous corne comme demandé à 7h.
Il nous faut nous équiper pour affronter la journée.
A 9h nous quittons l’hôtel « Octobre ».
Nous prenons la Nevski Prospekt jusqu’à la rivière / canal Fontanka que nous longeons ; nous nous extasions sur les bâtisses monumentales jaunes, ocres, pistaches voire rouges. Elles possèdent toutes d’énormes gouttières repliées obstruées et dégueulant la glace. La Fontanka ne laisse percevoir l’eau que sous les ponts sinon, elle se montre figée sous la glace et la neige. Des employés municipaux dégagent les trottoirs glissants à petits coups de pique. Des femmes ramassent les détritus peu nombreux. St Pet' offre la vue d’une ville propre sans trop de pubs, de tags et de déchets sans doute à cause du nettoyage entrepris pour le tricentenaire de la ville en 2003. Le soleil nous accompagne, campé dans le ciel bleu, mais quoi qu’en dise notre compère tête nue, il ne fait pas tellement moins froid qu’hier. En évitant de s’étaler sur la glace, nous repartons par la Moskovski Prospekt, traversons le canal et tirons vers la cathédrale Saint Isaac. Nous découvrons sur notre chemin un marché, qui permet l’achat de quelques oranges et d’une chapka pour celui qui était le plus réchauffé du groupe. Les marchands ont le teint plus foncé et leur sourire s’ouvre sur une dentition parée d’or, chez les jeunes comme chez les vieux.
Nous pénétrons dans la Cathédrale Saint Isaac, œuvre du français Auguste de Montferrand. Si l’extérieur est imposant, l’intérieur est époustouflant par sa taille, sa hauteur ainsi que par la richesse de ses matériaux : grande porte en or protégeant l’autel et les objets du culte, colonnes recouvertes de malachite ou de lapis-lazuli, statues dorées dans le tambour de la coupole, marbres polychromes du pavage. Quelques babouchkas grises jouent du chiffon et veillent au respect du lieu, pas un grain de poussière. En regardant vers le haut de la coupole, nous nous interrogeons sur la réalisation de la colombe : est-ce un trompe l’œil, une peinture, une sculpture ? Mais saint Isaac, c’est aussi la « colonnade », la plus belle vue de toute la ville. Il suffit pour la modique somme de 100R par personne de grimper les 250 marches en colimaçon de plus en plus étroites pour se retrouver sur les toits autour de la coupole encadrée par des colonnes érigées là Dieu sait comment ! Une vieille dame postée en surveillance brave le froid dans sa guérite. Elle tente de nous expliquer qu’il aurait fallu s’acquitter d’une taxe pour photographier aux guichets 250 marches plus bas. Devant notre simili incompréhension, elle abdique, surtout que nous sommes français, comme Auguste de Monferrand ! Des haut-parleurs diffusent de la musique. La vue est fantastique et nous permet de nous repérer côté Neva, côté Baltique, de situer les bâtiments d’après leur couleur et leurs dimensions. Vraiment un bon plan, avec en fond de grandes cheminées fumantes ! Nous optons pour l’un des premiers restaurants croisés. A l’étage, la lumière est parcimonieuse, mais le repas, nourrissant et bon : borchtch et poulet Stoganoff avec légumes frits (poivrons entre autres) Dommage que l’habitude soit ici de servir tiède, presque froid. Nous refaisons nos forces cependant et reprenons notre route vers l’Amirauté. Plus de soleil, mais quelques flocons épars commencent à tomber. Nous apercevons le palais d’hiver, la place immense tout comme l’édifice de l’état major avec l’arc de triomphe en l’honneur des armées russes et passons sur l’île Vassilievski. Nous assistons là à visiblement une coutume locale : devant une statue au pied de l’une des colonnes rostrales, des couples de mariés posent pour la photo. Après l’offrande d’un bouquet de fleurs à la statue, face au photographe, ils boivent une coupe de champagne ou de la vodka et repartent en luxueuses limousines ou voitures plus modestes. Trois couples se succèdent ainsi en peu de temps.
Nous poursuivons notre chemin le long de la Neva vers la forteresse Pierre et Paul. Nous la contournons en suivant les remparts puis la traversons en flânant sans visiter les bâtiments. Nous rentrons tranquillement ; Il fait froid sur le pont Troïtski most (pont de la trinité), mais la balustrade en fer forgée est bien jolie. Après notre passage dans les Champs de Mars, domaine des corneilles mantelées grises et noires, bien rondes, nous nous orientons vers l’Eglise Saint Sauveur du sang versé ou Eglise de la Résurrection du Sauveur. Une magnifique grille en fer forgé aux motifs végétaux sépare les jardins de cette église totalement russe avec ses bulbes et ses couleurs impensables qui lui donnent un aspect tarte à la crème vue de près. L’entrée, comme à Saint Isaac, est payante ; il nous manque quelques roubles, dont nous fait cadeau la guichetière en nous refilant un billet étudiant à demi tarif. Là aussi, comme à St Isaac, l’intérieur surprend, mais dans un tout autre style (début 20ème ) La mosaïque recouvre tout, et représente des scènes religieuses ou des décors floraux, assez « modern style ». Le bleu presque turquoise domine ; nous déambulons selon un trajet délimité par des tapis, de manière à ne pas endommager le pavage magnifique en marguerite. Nous remarquons les formes orientales disposées au-dessus des portes ; elles imitent les fameuses coiffes des femmes russes, ces sortes de diadèmes nommés kokochnika. Les lustres en laiton semblent eux aussi s’inspirer de l’orient. Lorsque nous sortons vers 18h, la nuit enveloppe la ville. Nous retrouvons facilement le chemin de la maison, et après change et commissions (vodka , lait et pain) nous regagnons notre asile avec plaisir. Dans un restau nous sommes accueillis par un jeune marocain étudiant natif de Fez avec lequel nous avons une connivence de latins (il nous apprend la température d’hier soir = - 20°.. )

mardi 13 mars 2012

Chroniques de Jérusalem. Guy Delisle.

Nous sommes bien contents d’avoir des nouvelles du canadien et de sa petite famille.
Papa est toujours au foyer pendant que maman sous le feu des conflits travaille avec MSF.
Comme en Birmanie qu’il nous fit découvrir si bien, les préoccupations du quotidien : trouver un terrain de jeu pour les enfants, passer du temps dans les embouteillages, permettent de décrire sans accabler une situation complexe, avec une simplicité biblique. Des moments de tension surgissent à la terrasse d’un café, après un moment de douceur dans un jardin caché, les petites contrariétés se mêlent aux absurdités les plus lourdes.
Le mur.
En 340 pages, il a le temps de nous faire part de l’actualité la plus spectaculaire :
opération « plomb fondu » (1400 morts),
de la violence permanente de la colonisation avec ses faux semblants : l’armée qui déloge des « illégaux » et les laisse se réinstaller le lendemain,
des sédimentations de l’histoire avec des cultes divers et rivaux.
Il évolue avec nous de la candeur vers une compréhension plus fine.
La description de l’intime avec ses lassitudes, ses paresses, rend encore plus présente une situation politique préoccupante grâce à son souci constant de multiplier les points de vue.
Il suit une visite de colonie avec un colon et sympathise avec des palestiniens ou des israéliens plus acerbes sur Israël que se le permettent les médias de chez nous.

lundi 12 mars 2012

Never let me go. Mark Romanek.

Dans le cadre du festival Cinéduc, j’ai appris le mot « dystopie »,
le contraire d’ « Utopie », thème de cette année. J’ajoute les précisions de Wikipédia puisque ce film de 2009 m’a semblé une parfaite illustration de cette définition : « Une dystopie- ou contre-utopie est un récit de fiction peignant une société imaginaire organisée de telle façon qu'elle empêche ses membres d'atteindre le bonheur et contre l'avènement de laquelle l'auteur entend mettre en garde le lecteur ».
Il convient de ne pas dévoiler le secret de cette pension anglaise tellement cosy et peuplée d’enfants si beaux qui chantent tellement bien.
La force de ce récit tiré d’un roman d’Ishiguro "Auprès de moi toujours " tient à la douce acceptation des personnages d’un destin
où « ils ne seront pas pilotes de ligne ».
Bien que « Le cri » de Munch me soit venu en référence où comme dans un cauchemar, l’effroi s’accroit quand aucun son ne peut sortir.
La brutalité implacable de ces destins, n’éclabousse pas l’écran, elle se love efficacement dans les belles lumières de la campagne et des bords de mer anglais.
Ce film d’amour romantique, appelle à une réflexion sur notre société grâce à un scénario qui nous embarque sans tapage, laissant pour nos mémoires saturées des traces pouvant persister.
« Je me retrouvais face à des hectares de terre labourée. (...) le long de la clôture, surtout sur le rang de barbelés le plus bas, toutes sortes de détritus s'étaient accrochés et enchevêtrés. C'étaient comme des débris qu'on trouve au bord de la mer : le vent avait dû en charrier une partie sur des kilomètres et des kilomètres avant de se heurter enfin à ces arbres et à ces deux rangées de barbelés. Je voyais aussi dans les branches des morceaux de plastique déchirés et des bouts de vieux sacs qui claquaient. Ce fut l'unique fois où, me tenant là, regardant ces étranges ordures, sentant le vent souffler à travers ces champs vides, je me laissai aller à une petite fantaisie de mon imagination (...) je pensais aux détritus, aux plastiques, qui claquait dans les branches au littoral de curieux objets accrochés le long de la clôture, et je fermai à demi les yeux pour imaginer que c'était l'endroit où tout ce que j'avais perdu depuis mon enfance s'était échoué, et que je me tenais là devant à présent. »
 Merci à mon camarade Daniel qui a aimé aussi ce « mélo en SF » pour être allé chercher dans le livre, les mots qui viennent à la fin.

dimanche 11 mars 2012

La salle d’attente. Krystian Lupa.

Ces 3 heures intenses de théâtre inspirées par les travaux du Suédois Lars Norén  nous donnent à voir les bas-fonds d’une société qui fait pourtant référence parmi les modèles à suivre.
Les marginaux aux yeux qui saignent nous renseignent sur le monde et sur nous-mêmes.
Quinze jeunes acteurs remarquables jouent les drogués, les alcooliques, les fous dans un sous terrain bétonné où ne parviennent que quelques bouffées de musique électrique ou des bruits de circulation automobile ; nous avons quelques nouvelles d’enfants abandonnés par téléphone portable.
Les soliloques des différents personnages projetés sur les écrans ont une grande force et nous interpellent. Cependant je ne suis pas d’accord du tout avec ceux qui interprètent ces existences violentes destructrices comme des choix de liberté alors que c’est tout le contraire : les drogues, la précarité la plus extrême, les traumatismes antérieurs les dominent.
Leurs cris au registre restreint : « suce ma bite ! », « ferme ta gueule ! » et l’obsession de « la chatte » ne sont pas entendus par les autres, chacun est congelé dans une solitude inexpugnable. Ils n’attendent rien.
La mise en scène en recherche semble amenée à évoluer, la diffraction sur les écrans de séquences jouées d‘ailleurs à plusieurs reprises, en multipliant les images n’étourdit-elle pas le spectateur ?
Des questions passionnantes sont posées concernant l’intensité, l’engagement des acteurs.
Désormais un spectacle fera œuvre d’originalité si personne ne se met à poil. Mais au-delà de modes parfois complaisantes, j’ai apprécié l’énergie d’une troupe qui malmène notre confort.

samedi 10 mars 2012

J’aime être gourmande. Colette.

J’avais un professeur passionné de l’auteure du « Blé en herbe », je me souviens de sa passion mais je n’avais plus de la dame que l’idée lointaine de parfums de rosiers anciens dans un jardin protégé des bruits de la cité.
Les carnets de l’Herne proposent un recueil de ses articles destinés au magazine « Marie Claire » en 1939 - 40. La cuisine, ses actrices et acteurs préférés, la « chatte », celle qui n’a pas voulu d’autre nom, les enfants, des conseils exprimés avec malice et légèreté…
J’ai été surpris de la modernité du style et si nos conceptions d’un appartement, des rapports hommes/ femmes, d’un menu ont évolué, son ton personnel, sa fraicheur font glisser ces 100 pages comme un sorbet léger.
Le Clézio : « La vie : le léger frémissement qui trouble les choses et les êtres, la passion pour tout ce qui bouge, pour tout ce qui se débat, aime et souffre. Aucun écrivain n’a apporté une telle attention à traduire le frémissement, le fourmillement, le pullulement de la vie sous toutes ses formes. »
………
Mon vieux copain Jean me transmet cette information :
Lundi 19 mars 2012 à 20h au Cinéma Le Club, rue Tourtain, à la Côte-Saint-André,
jour anniversaire officiel de la fin de la guerre d'Algérie,
projection et débat autour du film : "Octobre à Paris" de Jacques Panijel
Octobre 1961. La guerre d'Algérie dure depuis près de 7 ans. A Paris, le préfet de police, Maurice Papon, impose un couvre-feu "applicable pour les Français musulmans algériens". 
En réponse à cette mesure, 30 000 Algériens manifestent pacifiquement à Paris. 
La répression sera brutale … le silence s'installe. 
Fin octobre, Jacques Panijel commence la réalisation d'un film.
Terminé en 1962, censuré, il ne sortira officiellement qu'en 2011. 
La séance sera suivie d'un débat.

vendredi 9 mars 2012

Foot et chansons.

Posé devant « Les victoires de la musique » pour percevoir ce qui émerge des airs du temps, je suis sorti accablé par cette émission.
Il est vrai qu’en dehors des informations et quelques matchs du dimanche soir, j’ai peu fréquenté la télé ces derniers temps en ses divertissements.
La présentatrice Alessandra Sublet a beau faire dire à un de ses comparses qu’elle est « pathétique » cela ne l’excuse pas de sa vacuité.
Nous en sommes là, quand ceux qui occupent la lucarne assument leur nullité, leur vulgarité. Quel mépris pour le spectateur d’avoir comme leitmotiv après chaque chanson : « alors ça va ? »
Dans quel état est notre télévision ! Pujadas à la propagande et de surcroit une telle pauvreté dans les loisirs quand même Voulzy et Clerc sont en petite forme.
France 2 en tant que miroir d’une société qui ne s’aime plus comme le football en est un, ou Sarko qui est le nom d’une mise à bas de tout ce qui nous tenait ensemble.
Je laisse de côté le chahuté de Bayonne qui a accéléré un processus et bien qu’il veuille se présenter comme l’Omniscient Despote, il n’est qu’une marionnette, une façon de dire.
Je reviens au bord des pelouses que j’ai désertées depuis un moment, parmi mes potes les manchots méprisés, mettant de côté les mots enveloppés de nostalgie qui convoquaient l’enfance et les connivences des chauffeurs de taxi du monde entier.
Les 75% d’imposition d’Hollande et les réactions (bien nommées) qui en ont suivi, en soulignant les salaires choquants des sportifs m’ont amené à me mettre en cohérence avec mes convictions égalitaires, y compris dans un domaine où j’étais plus indulgent avec le salaire de Messi que pour les patrons ou les traders.
Il est temps que les joueurs enlèvent leurs écouteurs et mettent le nez au dessus des cohortes d’agents et profiteurs divers qui les entourent, pour entendre parler de décence, de solidarité.
Les matchs internationaux du sport le plus populaire sont plus que jamais des leurres où comme jadis les équipes nationales dans le Tour de France, les intérêts des financiers sont en train de prendre le dessus.
La majorité des joueurs de l’équipe de France joue à l’étranger, le championnat de France lui est animé essentiellement par les internationaux africains.
Peut-on "faire société" quand 1% s’en mettent plein les fouilles et que leurs frères des terrains pelés de leurs débuts souffrent davantage ?
Le bus de Knysna a écrabouillé le roman nécessaire de 98.
Il y en a marre des blessures imaginaires, des tricheries, des comportements infantiles qui abiment nos enfants.
Le Qatar Saint Germain, où l’Omni n’a pas été neutre, arrive dans un paysage où il faut des consignes du coach afin que les stars daignent saluer les supporters qui se sont sacrifiés pour accompagner des équipes qui ne vibrent plus que lors des mercatos. La marchandisation.
Bernard Lacombe dénonçait : « par moments, j’ai l’impression de voir une équipe de fonctionnaires! On dirait que chacun calcule ses efforts en pensant: « Faut pas trop que je coure, je vais passer pour un con ». »
En tant qu’ancien fonctionnaire j’approuve le bras droit d’Aulas que je ne porte pourtant pas dans mon cœur, il sort de la langue de bois qui fossilise tout.
Et l’OM perd tant de plumes !
Voir l’interview d’Onesta l’ancien entraîneur de l’équipe de France de hand dans Libé et la conférence de presse de Carteron entraîneur de Dijon sur le site rue 89.
De surcroit cette phrase magnifique de Michel Seydoux le président du club de Lille, qui parlant de Hollande : « Cela fera reculer le foot français de 15 ans en arrière » , c'est-à-dire… en 1998.

Dans le Canard cette semaine :

jeudi 8 mars 2012

La nature morte # 3 : face au monde moderne.

Au XVIII° siècle, la représentation de trophées de chasse affichait un privilège aristocratique, mais la profusion des miroirs dans les riches intérieurs déporta les natures mortes au dessus des portes et les destinèrent à la décoration avec effets de perspective inévitables.
C’est alors que Chardin qui inspira Manet et Matisse, dont la carrière fut aussi limpide que sa peinture, advint.
Les fonds ne sont plus anecdotiques et l’animal vivant qui apparaît au début de sa carrière à côté d’une raie fondatrice disparaitra, les objets amoncelés s’ordonneront. Le peintre qui perdait la vue se consacrant aux pastels à la fin de sa vie, n’est pas photographiable tant ses rajouts de blanc rompent subtilement les couleurs.
Diderot, premier des critiques d’art en parle si bien : « Ô Chardin ! Ce n’est pas du blanc, du rouge, du noir que tu broies sur ta palette : c’est la substance même des objets, c’est l’air et la lumière que tu prends à la pointe de ton pinceau et que tu attaches sur la toile. Après que mon enfant aurait copié et recopié ce morceau (pot d’olives), je l’occuperais sur la Raie dépouillée du même maître. L’objet est dégoûtant, mais c’est la chair même du poisson, c’est sa peau, c’est son sang ; l’aspect même de la chose n’affecterait pas autrement. Monsieur Pierre, regardez bien ce morceau, quand vous irez à l’Académie, et apprenez, si vous pouvez, le secret de sauver par le talent le dégoût de certaines natures. On n’entend rien à cette magie. Ce sont des couches épaisses de couleur appliquées les unes sur les autres et dont l’effet transpire de dessous en dessus. D’autres fois, on dirait que c’est une vapeur qu’on a soufflée sur la toile ; ailleurs, une écume légère qu’on y a jetée. »
Avec la révolution décline le genre.
 En Espagne Luis Meléndez va apporter de l’originalité en privilégiant les gros plans, en assurant un rendu d’une grande vérité à vous tromper l’œil, l’objet perd de sa symbolique bien que Serge Legat, le conférencier nous précise qu’une noix cassée était un symbole christique puisque la chair y est offerte.
La dinde plumée de Goya, le premier peintre de l’inquiétude moderne, nous fait passer du romantisme à la violence expressionniste.
Au XIX° le romantisme revient avec Géricault et Delacroix au homard baroque parmi les gibiers. Courbet va vers le réalisme et sa truite qui manque d’air c'est lui même.
Fantin La Tour célèbre la beauté du réel et délaisse le pathos.
Le pédagogue de cette soirée a mis l’accent sur le rôle déterminant des collectionneurs : le Docteur La Caze qui fit don au Louvre de 582 toiles et De Camondo Nissim, dont la famille disparut dans les camps, avait légué, entre autres, l’impressionniste bouquet d’asperges de Manet.  
« Monet, ce n’est qu’un œil, mais quel œil ! », disait Cézanne aux pêches et poires à perspectives multiples. Celui-ci recompose la notion d’espace et rompt avec l’impressionnisme, augurant du cubisme.
Picasso fait « du trompe l’esprit » et son seul rival Matisse libère la forme, en héritier du fauvisme, il fait chanter les couleurs.
Van Gogh dont les tournesols se tournent vers le soleil, cherche-t- il Dieu ?
Soutine pose un regard incorruptible sur la réalité et rend avec son bœuf écorché la version la plus douloureuse de la nature morte.
Finalement les surréalistes ne sont pas les moins minutieux à rendre compte d’un monde où tout est possible. « Une authentique nature morte nait le jour où un peintre prend la décision fondamentale de choisir comme sujet et d'organiser en une entité plastique un groupe d'objets. Qu'en fonction du temps et du milieu où il travaille, il les charge de toutes sortes d'allusions spirituelles, ne change rien à son profond dessein d'artiste : celui de nous imposer son émotion poétique devant la beauté qu'il a entrevue dans ces objets et leur assemblage. » Charles Sterling

mercredi 7 mars 2012

« On refait le voyage » : Saint Petersburg # 1

Je picore dans les carnets de voyage de ma femme.
Février 2004 : Depuis l’aéroport St Exupéry, nous faisons escale à Frankfurt avec la Lufthansa.
Deux heures de vol séparent Frankfurt de St Pet’ et il y a 2 heures de décalage entre la France et la deuxième ville de Russie de 5 millions d’habitants (8h en France = 10h à St Pet’)
A la nuit tombante nous amorçons l’atterrissage; par les hublots premières images de neige et de longues avenues illuminées de l’ancienne Pétrograd, Léningrad , de la ville aux 42 îles, la plus étendue de la fédération.
Nous passons assez rapidement les formalités de douane et de police, et récupérons nos bagages. La neige épargne la route et ne s’amoncelle pas sur une grande épaisseur, elle a gardé une certaine blancheur. Nous atteignons assez vite la ville, et longeons une cité genre Teisseire à Grenoble, aperçue à travers les vitres gelées, puis sur des artères bordées d’immeubles d’un standing plus élevé où les réverbères sont peu efficaces par rapport aux dimensions de l’avenue. Près de la gare de Moscou, le taxi de l’agence nous dépose à l’hôtel OKTIABRSKAYA, signalé en caractères cyrilliques. Nous prenons possession de vastes chambres surchauffées avec vue sur la place à obélisque et la gare, et nous lançons à la découverte de la ville. - 12°6 : au début, la température nous semble tout à fait supportable mais très vite, la chaleur emmagasinée s’évapore, nez et oreilles souffrent, même le plus jeune d’entre nous enfile une cagoule. Par contre, nos yeux sont à la fête lors de la découverte de la Nevski Prospekt. Nous effectuons une halte à une officine de change (28 roubles = 1$). Nous remontons l’avenue principale où beaucoup de monde circule sur les trottoirs sans manifester des signes apparents de refroidissement. Je suis déjà frappé de frénésie photographique: il faut dire qu’il a de quoi shooter entre les bâtiments, les églises baroques, les canaux et les arbres pris par le gel.
Nous arrivons au 17 Nevski Prospekt, au café Stroganoff Yard : il s’agit d’un grand chapiteau dressé dans la cour du palais du même nom bien chauffé mais avec peu de monde. Au menu, blinis fourrés ou spaghetti, pas de Stroganoff ni en blini ni en viande. Retour à grands pas à l’hôtel, avec l’objectif de grignoter des croquants et des chocolats importés par notre pâtissière émérite et de surcroit il reste des saucissons pour lutter contre la
« malnutrition ». Nous sommes perplexes sur la façon dont les lits sont faits : le matelas tient plus de la couette que du matelas, et la couette a un pliage bien étrange. Même dans les lits « matrimoniaux », les couchages sont individuels

mardi 6 mars 2012

Action originale au collège Barnave contre la dégradation du service public.

Pour protester contre la DGH (dotation globale horaire) insuffisante octroyée cette année au collège, ce mardi 6 mars, les élèves vont vivre une journée de cours particulière qui vise à les mettre dans les conditions d’enseignements qui les attendent l’an prochain.
Des heures, obligatoires d’après les textes officiels, sont absentes, et un nombre très important d’heures de cours doit être assuré en heures supplémentaires par les enseignants.
Ceux ci refusent ces heures sup car cela prive de travail d’autres personnels enseignants et nuit à la qualité du travail.
 Alors :
- en SVT, physique-chimie et technologie : les élèves n’ont pas manipulé ni fait de TP, qui nécessitent du matériel, que les professeurs n’auront plus le temps de préparer l’an prochain car les heures de laboratoire ou vaisselle (prévues pour la gestion du matériel) sont absentes de la DGH.
« La semaine prochaine, vos enfants bénéficieront du même cours mais avec tout le matériel nécessaire, pour rendre évidente la différence dans la qualité de l’enseignement. » a-t-il été précisé aux parents dans un tract envoyé à toutes les familles que j’ai recopié pour rédiger cet article.
- en latin : les 37 élèves de 5e, actuellement répartis sur deux groupes, ont eu une heure de cours à 37, dans une seule salle avec un seul professeur, puisqu’il n’est prévu qu’un groupe de latin l’an prochain en 4e et que les élèves, selon les textes officiels, ne sont pas autorisés à abandonner cette matière en cours de scolarité.
- en EPS : les élèves ont fait des activités sans matériel, toutes les classes d’un même créneau horaire dans un même lieu puisque les heures de coordination absentes de la DGH permettent de répartir l’occupation des locaux, gérer le matériel … etc.
- dans certains cours (espagnol, latin 3e, … etc.) : les élèves ont eu une demi-heure de cours puis ont été surveillés par le professeur une demi-heure, puisque il y a actuellement trop d’heures de cours pour le nombre de professeurs et que des contrats pour assurer les heures restantes ne sont pas prévus : des classes n’auront donc pas d’enseignants.
- dans les autres matières : les élèves ont vu leur heure de cours partagée entre deux enseignants. Les partages de classe vont en effet se généraliser l’an prochain : si les professeurs ne prennent pas d’heures supplémentaires, des partages de classes seront imposés, sans heure de concertation comme c’est déjà le cas cette année.
- dans l’ensemble des matières : le matériel informatique n’a pas été utilisé, car aucune heure n’est prévue pour rémunérer le professeur qui entretient le réseau informatique. Celui-ci serait donc très rapidement hors état de marche et voué à le rester, ce qui aurait comme conséquences : un suivi des absences et retards des élèves moins réactif (plus d’appel informatisé), un accès au cahier de texte numérique et aux notes des enfants impossible, plus aucun cours avec vidéoprojecteur, plus de séances en salle informatique (alors que la validation du B2I est indispensable à l’obtention du brevet) et des manipulations en physique ou technologie impossibles.
Après le boycott commun du C.A., les professeurs sollicitent les parents pour faire parvenir au rectorat leur soutien à leurs revendications.
Depuis le temps que les lassés des grèves de 24h en appellent à d’autres formes d’action, celle-ci me semble intéressante.
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Par ailleurs Monique vient de me faire parvenir ceci que vous pouvez agrandir en cliquant dessus:

lundi 5 mars 2012

Martha Marcy May Marlene. Sean Durkin.

Une femme échappée d’une secte va connaître des difficultés insurmontables à se réinsérer dans la société.
Les conditions confortables de la maison de sa sœur qui l’accueille ne vont pas apaiser ses terreurs.
Les valeurs mises en avant par le groupe où elle vivait questionnent les évidences de son beau frère qui justement refuse de s’interroger. Mais des dérives graves découvertes peu à peu, loin des premières images « peace and love », expliquent les perturbations de la jeune fille dont nous suivons l’enfermement.
Ce film évite les caricatures, il est aussi une occasion de réfléchir sur nos façons de vivre. Les flashbacks ne sont pas mécaniques mais suggèrent habilement plusieurs interprétations et participent à la montée de la tension, à l’installation dans une folie se heurtant aux bonnes volontés avec qui elle ne peut communiquer.
Une baba chez les bobos. Un thriller qui donne à méditer.

dimanche 4 mars 2012

Le centaure et l’animal. Bartabas.

L’actualité de Zingaro c’est Calacas à Aubervilliers aux références mexicaines et je ne me souvenais plus quel spectacle nous devions voir à Annecy.
Cette représentation dépouillée est loin des chevauchées sous chapiteau mais illustre un des points forts de Bartabas : sa capacité à nous proposer une telle variété d’univers.
Il rend totalement cohérent la danse butô avec les chants de Maldoror de Lautréamont et la présence intense des chevaux émergeant de la nuit nous fascine avec des musiques minimales et des lumières essentielles.
Du fond des âges, des forêts, de la vie, la quête de la sagesse. Des tableaux saisissants tels ce centaure où l’homme a tête de cheval, des chutes, des mouvements coordonnés entre le danseur et l’animal, un dialogue, un jeu des confusions entre cavalier et monture et les contrastes des sables blancs et noirs. La sauvagerie, la violence, et aussi la lenteur, la méditation, la liberté et la contrainte, le grandiose et l’infime intime, les oreilles des chevaux sont facétieuses.
Nous avons pu ressentir tout cela depuis la place privilégiée que nous avions car la perception du spectacle pouvait être altérée plus loin.

samedi 3 mars 2012

L’homme à genoux. Agustin Gomez Arcos.

Si ce n’était un ami qui m’avait recommandé le livre, je crois que je me serais lassé avant d’arriver à la 210ième page.
 Un jeune homme a laissé femme et enfant dans le nord de l’Espagne, il remonte le fil de ses souvenirs derrière sa pancarte lorsqu’il mendie à genoux dans le sud en bord de mer:
 « Mes frères, je n’ai pas de travail mère, femme et enfant sont restés au village
 Le besoin me met à genoux devant vous
 Pour demander l’aumône, merci » 
Le mendiant pose un regard désespéré sur la société depuis les mines de charbon, un passage dans une secte catholique, une approche des milieux de la nuit, la rue...
Parfois quand je fatigue à la lecture, j’accélère ; avec cet auteur je n’y suis pas parvenu car je perdais le fil d’une histoire chargée, lourde, grave, comme un ostinato déchirant.
« Le délabrement devient plus angoissant, plus cruel. Chats sauvages, chiens perdus, rats et pigeons crevés. Des étalages vides attendent les marchands du petit matin. Puanteurs d’urine, eaux putrides. Sur un banc, visages émaciés, cheveux gras et bras maigres, un couple adolescent sombre dans le sommeil. Le jeune homme les observe du coin de l’œil. Une fois encore, il a le sentiment qu’ils seront morts demain… »
La trace que laissent des œuvres n’est pas forcément indexée sur le plaisir de la rencontre; il se pourrait que je garde souvenir de ce destin qui est tragique même après Franco; le malheur est posté au coin de la rue.
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Depuis le site "rue 89", Marie Françoise m'a envoyé ce dessin de Na:

vendredi 2 mars 2012

Petits morceaux :

Un conte :
Une souris vit dans une ferme et voit la maîtresse de  la maison installer un piège.
Elle va avertir ses amis la poule et le veau.
Mais ils n’en ont cure : « les pièges ne concernent que les souris ».
Un jour un serpent est pris au piège. En s’approchant la fermière est mordue par le reptile.
Elle tombe malade et son mari tue la poule pour nourrir sa femme.
Puis elle meurt, alors le mari tue le veau pour les funérailles.
(d’après Maria Malagardis dans Libé évoquant les problèmes de la Grèce).
Des chiffres : 
- L’évasion de l’argent dans les paradis fiscaux est de 30 milliards d’€uros, soit plus de quarante fois la fraude aux allocations familiales.
- Plus de 8 millions de français vivent en dessous du seuil de pauvreté (954€ mensuels).
Des listes :
«Notre Artificieux Souverain»,«Notre Majesté Immature», «Notre Turpide Leader», 
« Notre souverain Sapiens », «Nicolas le Névrosé», « Notre Leader enflammé », 
« Notre vipérine Majesté », « le Père du Déficit », « Le Protecteur des Grandes Fortunes », « Notre frivole monarque », « Notre trépidant tyranneau », « Notre Glaiseux potentat » , « Le petimonier » d’après Patrick Rambaud.
Les personnels de santé, de l’éducation, de la justice, de l’éducation populaire, du pôle emploi, des eaux et forêts fatiguent.
 Morano, Copé, Lefebvre, Bertrand, Pujadas, Guéant, Guaino, Apathie, Hortefeux , Ségala, Woerth.
« Merveuilleux » : Carla Bruni.
Du positif : De Jean Viard sociologue dans Libé :
"Maintenant, comment passe-t-on d’un discours de tragédie à un discours heureux ? On sort d’un imaginaire du monde pour passer à un autre. Dans cette mutation, chaque identité nationale a des armes [...] Reste la France. Qu’est-ce qui nous rassemble ? Nous sommes une nation très politique. Ce qui nous rassemble, c’est la philosophie des Lumières, la révolution française, la laïcité, la langue française. Ces quatre fondamentaux sont un système de valeurs - les droits de l’homme - qui nous caractérise. L’abandonner et tout s’écroule[…] Il faut se demander comment récréer un projet français collectif. On a réalisé quelque chose d’extraordinaire : on est au cœur du modèle social européen que tout le monde rêve d’imiter. Désormais, on a, au cœur des sociétés, l’investissement sur l’individu. Aujourd’hui, 40% des emplois consistent à s’occuper du corps des autres. C’est une révolution : éduquer, soigner, divertir. Et c’est d’ailleurs parce que l’on a autant investi sur l’homme qu’il est devenu aussi productif. "
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Dans le Canard de cette semaine: