
D’autres y ont usé leur langue, alors j’éviterai de faire le malin, en alignant quelques mots sur un sujet qui met à mal l’icône de Grenoble : ville des salles blanches au pied des pistes immaculées. Mais l’image inversée d’une cité envahie par la pègre et l’insécurité est tout aussi fabriquée.
A lire bien des articles insuffisants parus cet été, je ne me sens pas moins légitime que d’autres pour m’exprimer.
Je m’insurge contre l’idée que ce quartier de l’Arlequin soit un quartier abandonné. Ce qui rend encore plus insupportables les dégradations dont il a pu être victime depuis longtemps. Des moyens ont été mis pour édifier un lieu agréable, et si la volonté politique s’est heurtée à la nature humaine peu apte à se comporter d’une façon citoyenne, ce n’est vraiment pas faute d’intentions bonnes. Les coursives devaient être des lieux de convivialité, elles sont devenues des couloirs angoissants.
C’est bien parce qu’un quartier ne peut être assimilé à ses arsouilles, voire bandits, qu’il convient de ne pas se taire sur le scandale des saccages et de l’omerta.
Je suis navré de la complaisance dont font preuve ceux qui absolvent les malfrats.
A l’opposé de la révolte, ceux-ci sont à l’âge de pierre du capitalisme : tout pour le fric ! Sous les projecteurs et les vacarmes d’hélicoptère, qui ramasse l’argent des tickets du spectacle ?
Et si je suis d’accord avec le tract appelant à la manif de ce samedi qui parle du chef de l’état :
« il ne lutte en rien contre la délinquance, qui est répréhensible pour tout individu sans distinction de nationalité ou d’origine : il met délibérément en cause les principes qui fondent l’égalité républicaine, alors que déjà une crise sociale et économique d’une extrême gravité menace la cohésion de la société tout entière. » L’impuissance publique fait du bruit, brasse l’air avec ses pales. Cela ne doit pas nous empêcher de prendre un peu de recul, de ne pas nous laisser enfermer dans des postures symétriques aux superficiels carapaçonnés d’en face.
Est-ce qu’un regard rétrospectif concernant la pédagogie dans des lieux expérimentaux, jadis recouverts sous des tonnes de paroles, peut être utile ?
Le pédagogue de Bégaudeau dans « Entre les murs » est amené à une réaction regrettable parce qu’à tellement disparaître face aux jeunes, en voulant leur plaire, il n’avait pas mis de barrière assez tôt. La mort d’un jeune fracassé dans sa toute puissance pourrait nous amener à reconsidérer nos égarements éducatifs. Quand était considéré comme réactionnaire l’instit' qui apprenait à ses petits à reboucher les feutres, nous ne pouvons cautionner tant d’imbécillité ; l’ambroisie des années non directives, qui innervait les écoles du quartier, a viré au vinaigre. Elle compte quarante ans d’âge et mesure l’amenuisement de l’influence des pédagogues.
Nous ne pouvons pester contre le bougisme de Sarkofeux sans porter un regard sur la durée. Retrouver « les gardiens de la paix » prendra du temps ; celui qu’on hésite à qualifier de président tant il a salopé tout ce qu’il touche, à commencer par la constitution, la notion de travail, de réforme, Môquet… mais je m’excite inutilement sur cette cible trop facile qui après avoir sucé quelques mots à connotation écolo, a choisi maintenant de tirer sur « les voleurs de poules ». Les sédentaires contre les nomades : « ça ne nous rajeunit pas ! » diraient les Pierrafeux. Et mon réflexe, à moi, c’est de m’opposer d’instinct à ceux qui attaquent les plus faibles et je trouve minable la chasse aux roms, la stigmatisation des gens du voyage qui n’ont pas assez de places décentes pour faire étape. Diversion et stratagème nauséabond contre des « boucs émissaires » et loi sur les terrains d’accueil non respectée.
Aujourd’hui quand se construit un commissariat, les riverains ont peur ! Oui, c’est le couplet « police de proximité », réponse aussi évidente que l’abandon du bouclier fiscal. Mais une politique qui toucherait à la moelle des comportements nécessite encore plus de patience, d’ambition : moralisation de l’exercice des mandats publics (Woerth à la retraite !), fin des rémunérations indécentes des PDG, refonte de l’imposition. C’est de l’institutionnel, quant au respect de papa, maman, du professeur : c’est de la morale. Prudence! Mais l’affaiblissement de l’éducation nationale ne se compte pas seulement en poste,la désintégration des valeurs républicaines la mine. Monoparentale s’accole à famille et ce ne sont pas les ambianceurs et autres médiateurs qui vont résoudre ces faillites. Où sont les pères ? Pourtant nous ne pouvons laisser aux religions, le poste de gardien des valeurs. Le XXI° siècle est bien entamé ; les déclarations dites sécuritaires de Grenoble ne seront qu’une péripétie oubliable si le discours de Latran s’inverse :
" Dans la transmission des valeurs et dans l’apprentissage de la différence entre le bien et le mal, l’instituteur remplacera le curé, le pasteur, l’iman et le prescripteur publicitaire »
« De la crise actuelle du socialisme européen, il y a plusieurs causes, mais l’une d’entre elles est la perte du sens moral, historique, culturel pour ses politiques. Non qu’il ne soit pas présent dans les engagements et les motivations militants. Mais il n’est plus suffisamment explicite. Or, pour créer (recréer ?) des liens de solidarité, il faut clairement exposer ce qui doit être le « bien commun ». C’est une condition pour restaurer la vérité, la bienveillance, la réciprocité entre les femmes et les hommes. » Bergounioux dans la Revue Socialiste