dimanche 26 juin 2016

Le Gorafi.

Tirés du numéro 2 de l’édition papier d’un des phénomènes éditoriaux de ces années dernières, quelques titres, pour patienter jusqu’à début septembre quand ce blog  reprendra son cours :
- Le Vatican admet finalement que les dragons n’ont « peut être »  pas existé.
- Sondage : 89% de hommes pensent que le clitoris est un modèle de Toyota.
- Violences : nouveau règlement de compte à 890 km de Marseille.
- Dieu : «J’aimerais tellement que les gens comprennent que je n’existe pas »
- Manuel Vals jugé meilleur candidat pour battre la gauche en 2017.
- Le racisme officiellement éradiqué en France grâce à des badges et des pétitions.
- Les secours peinent toujours à extraire mémé des orties.
- L’ours bipolaire est désormais une espèce en voie de disparition.
- Dieudonné : « Je travaille pour le Mossad depuis 2003. »
- Les verts n’aborderont pas le thème de l’écologie pour éviter les conflits lors de leur conseil fédéral.
- « Apprendre en s’amusant » ne serait pas amusant pour 80 % des élèves interrogés.
- Il est surpris de ne pas la séduire avec un sifflement, un compliment minable et une série d’insultes.
- Aider un ami à déménager : la crainte n°1 chez les 18-35 ans.
- Des photos de « Closer » montrent François Hollande se rendant secrètement en scooter chez la finance.
- Plusieurs bonnes nouvelles accidentellement publiées dans la presse ce matin.
- Elle obtient un CDI à l’issue de son stage.
Pas si absurde, combien se sont laissés prendre qui ont confondu Gorafi et Figaro.
Bonnes vacances aux fidèles lecteurs.
……………
Le dessin en tête est de « Marianne » et celui de dessous du « Canard ».



samedi 25 juin 2016

A O Lang Pho. Tuan Le.

Nous avons fini la saison à la MC2 en beauté : la salle était pleine à craquer d’adultes et d’enfants applaudissant à tout rompre.
Pour Madame Bernard (adjointe aux cultures de la municip' alitée de Grenoble ) : c’tait pas élitiste pour deux ronds, bien qu’une telle ampleur avec 16 acrobates et 4 musiciens ne soit sûrement pas donnée, d’autant plus que les artistes ne viennent pas que du Trièves : du cirque du Soleil, du cirque Plume, du Vietnam.
Bien souvent quand on parle de spectacle destiné aux enfants, c’est plutôt condescendant; ici se serait pour louer la clarté de la représentation, et le plaisir que nous prenons à nourrir notre part d’innocence, surtout pour ceux qui ont pu se sentir un peu plus arthritique face aux prouesses des contorsionnistes.
Limpide, cohérent, précis, poétique, drôle, inventif, énergique.
Des bambous forment  prestement des agrès. Des paniers de toutes tailles vont servir à basculer, à se travestir en insectes ou en canards, se muer en barques, en moyen d’escamotage ou en décors superbement éclairé.
Nous passons des images de vie au village à la ville comme dans un rêve aux musiques variées, lorsque les références à la tradition côtoient les clins d’œil aux jeux électroniques, au travail à la chaîne. Les pays du bambou, d’Annam et du Tonkin ont changé. Est-ce toujours « comme là bas » ?
Les couvercles tressés volent, la troupe bat des ailes, les traits des bâtons et la rondeur des paniers participent à une géométrie où tout parait si simple, si doux, si beau.

vendredi 24 juin 2016

Icônes. Anne James Chaton.

Qui n’a pas joué à reconnaître les personnalités évoquées dans cette courte représentation théâtrale à la MC2 ?
Toutes à spoil: Camille Claudel, Mata Hari, Virginia Woolf, La Callas, Jacquie Kennedy, Janis Joplin, Marlene Dietrich, Margareth Thatcher... il en manque une.
« Elles » ne sont pas nommées, pour faire émerger la figure unique d’ « elle », la femme témoin du siècle passé, le sous titre annonçant « une histoire du XX° siècle ». Mais les anecdotes nous les remettant en mémoire vont à l’encontre d’une généralisation, tout en constituant la part la plus attractive de cette « poésie sonore » .
Comme si on ne pouvait appeler un chant : un chant, en évitant de laisser de côté ceux qui ne parlent ni l’anglais ni l’allemand couramment. Et quelques refrains en français sont parfois bien assommants ; lorsque le chanteur Nosfell chante, il est plus convaincant.
Les qualifications des artistes dans les programmes d’accompagnement devraient être plus modestes pour ne pas attirer l’ironie : « actrice performeuse », « poète sonore », « danseur chorégraphe » pour « produire un espace visuel et sonore ». Et le terme « icônes » appelle plus l’émoticône fugace qui pullule sur la toile que l’enluminée à vénérer.
Le sonore poète aligne les phrases sujet / verbe/ complément dans une scansion d’ailleurs pas inintéressante. La longue séquence initiale où la performeuse secoue un grand tissu évoquant la mer est dans le ton habituel des introductions lentes dans bien des spectacles de cette année.
A l’heure où pressés par les restrictions budgétaires, les artistes interpellent les politiques,  il serait peut-être temps, pas seulement par intermittence, que s’éclaircissent les liens avec les spectateurs.
La limpidité du propos ne diminuerait pas l’émotion, car la poésie ne nuit pas à la pédagogie, à condition de ne pas la servir sous des couches de vernis pour initiés.

jeudi 23 juin 2016

Max Ernst. Christian Loubet.

« Le Léonard de Vinci du surréalisme », valait bien un exposé devant les amis du musée de Grenoble, le génie florentin nous avait depuis longtemps invités à rêver à partir de taches sur un mur.
Max Ernst peintre majeur du XX° siècle, doit sûrement à ses origines allemandes d’être quelque peu sous-estimé, d’autant plus qu’à son retour des Etats-Unis, l’abstraction en peinture était la règle sur notre sol. Il a finalement acquis la nationalité française après avoir été interné dans un camp en 40 à cause de ses origines, avant de rejoindre les Etats-Unis à la suite d’une de ses quatre femmes, Peggy  Guggenheim.
L’« Autoportrait » réalisé à 18 ans témoigne de son admiration des couleurs de Van Gogh, quand son regard affirme une hyper sensibilité tranchant avec un milieu familial rigoriste.
Le père va l’initier à la peinture, et leurs promenades en forêt vont cultiver la tradition germanique d’une nature peuplée d’êtres fabuleux.
Né en 1891 à Brühl près de Cologne, il s’éteint à Paris en 1976.
Tout jeune, quand l’oiseau qu’il possède dans une cage, meurt au moment de la naissance de sa sœur, il pense à une liaison entre les deux évènements. Il va développer tout au long de sa vie une grande curiosité et une émotivité aimant jouer avec les forces occultes.
Il commence des études de philosophie, étudie Freud, Nietzsche, puis à Paris, découvre Delaunay, Apollinaire, Chagall, juste avant la première guerre. Il  éprouvera l’absurdité et la douleur du conflit sur le front français et polonais.
Il prend une part active dans le mouvement Dada à Cologne où Klee joue un rôle éminent, puis revient à Paris et devient intime d’Eluard qui lui achète « l'Éléphant Célèbes ».
Le titre vient d’une comptine où le pachyderme a « du jaune aux fesses » ; le tableau transfigure une photographie d'un silo à grains africain et si des interprètes voient Europe dans la femme sans tête, la trompe peut inspirer d’autres commentaires.
Après l’épisode expressionniste et dada, il devient membre du groupe surréaliste et se montre intéressé par la peinture métaphysique de De Chirico.
Le « Rendez-vous des amis »  les réunit tous : René Crevel de dos, Paul et Gala Eluard la future compagne de Dalí, Aragon, Breton, Desnos, De Chirico en statue romaine... auxquels se sont joints Dostoïevski et Raphaël.
« Au Premier Mot limpide»  lisse est énigmatique, la main a des allures érotiques, le « M » est celui de Max.
Les oiseaux sont très présents dans son œuvre, avec un certain « Loplop, supérieur des oiseaux » représenté dans plusieurs toiles. « Deux Enfants sont menacés par un Rossignol » est une porte ouverte sur le rêve.
Le tableau de « La vierge corrigeant l’enfant Jésus devant trois témoins : André Breton, Paul Eluard et le peintre »  est plus accessible : le fils de dieu perdant son auréole où s’inscrit la signature du peintre peut être lu comme une image anticléricale, mais en remontant à l’enfance la signification s’élargit : le père avait peint son petit Max en Jésus lorsqu’il revint d’une escapade sur la voie du chemin de fer où sa curiosité l’avait amené dès 5 ans à s’intéresser aux fils électriques.
Expérimentant sans cesse les techniques les plus variées, il construit une œuvre considérable.
Le frottage : « Sur un plancher aux mille éraflures… je posai au hasard des feuilles sur les lattes que je frottai au crayon noir… je fus surpris par le renforcement de mes qualités visionnaires. »  « L’évadé »
Le collage : « Le Jardin de la France ». Un catalogue de fournitures scolaire l’avait intrigué par la diversité des images, il passera à la postérité pour le soin apporté à l’organisation de rencontres de hasard fertiles, oniriques et ludiques. Il utilise aussi différents matériaux qu’il peint et colle.
Le grattage permet de retrouver des couches recouvertes qui surprennent l’artiste lui-même, à l’instar de l’écriture automatique. « La Forêt » au musée de Grenoble est un exemplaire d’une série abondante.
La décalcomanie : en pressant des feuilles enduites de couleurs, il multiplie les paysages fantastiques comme dans « l’Europe après la pluie ».
Il aurait inspiré Pollock qui a popularisé la technique du dripping.
« L’œil du silence », « une sphinge masquée au bord du chaos » fournissait le titre à l’exposé du conférencier attaché à mettre en lumière les apports du « magicien des décalages imperceptibles ».
« Le nageur aveugle » peut également évoquer sa quête des sens cachés.
Son « Jeune homme intrigué par le vol d’une mouche non euclidienne » ne fournit pas seulement un titre poétique et surprenant, c’est que  dans ces géométries, « l’être cherche sa place pour ne pas se perdre ».
Loin des colères engagées de « L’ange du foyer » du temps de la guerre civile espagnole.
«La sculpture m'amuse de la même façon que je m'amusais lorsque je faisais des châteaux de sable, quand j'étais petit garçon.» 
Le village de Seillans dans le Var, où il finit sa vie, a mis en évidence son « Génie de la Bastille »

mercredi 22 juin 2016

Presque Falstaff…et les autres. Gilles Arbona.

Les comédiens de cinéma qui passent à la réalisation ne sont pas toujours convaincants et cassent le métier de metteurs en scène qui se prennent aussi parfois pour d’autres.
De surcroit les divertissantes évocations de quelques monuments de la littérature ou du théâtre type : « Victor Hugo en une heure », peuvent présenter un air de déjà vu, ou de bien vu parfois :
Là, le comédien Arbona, de chez Lavaudant et d’autres
est sans prétention : «Je n’ai jamais pensé pouvoir écrire quoi que ce soit. »
Il fait cadeau à son vieux complice Papagalli
du personnage truculent de Falstaff, présent dans quatre pièces de Shakespeare, sans insister sur son rôle  de séducteur pathétique dans les « Joyeuses Commères de Windsor ».
Certains replacent l’énorme couard dans le contexte historique qui résonne avec notre époque :
« Falstaff, comme Dom Quichotte, évolue dans un monde qu’il ne comprend plus. Lui, qui paraissait si moderne face au chevalier Hotspur, devient passé de mode. Les mots si chers à Falstaff n’ont plus le dernier mot. »
Dans le petit théâtre de la MC 2, tout est léger : sous l’armure, le bon vivant est mélancolique sans trémolo, sa drôlerie monte en verve après un jeu théâtral calamiteux dont on peut mettre un moment à comprendre que c’est volontaire. Les quatre acteurs sont excellents dans des registres variés où Racine, Feydeau tiennent la plume parmi quelques morceaux toujours savoureux de Shakespeare et d’autres.
« C’est un teckel qui tourne autour d’un sapin.
- Chic un cul !
- Mince, c’est le mien. »
Il est question de théâtre dans le théâtre et de la version cinématographique d’Orson Welles car tout est mis sur la scène jusqu’à la présence du critique de service qui incite les teneurs de blogs, « la bonne blague », à l’indulgence, puisque c’est surtout une histoire d’amitié.

mardi 21 juin 2016

Ceux qui me restent. Damien Marie & Laurent Bonneau.

Le graphisme est élégant, le découpage efficace et subtil mais les teintes pastels conviennent-elles pour traiter de la maladie d’Alzheimer ?
Le soixante huitard, veuf depuis longtemps, qui n’a pas assuré avec sa fille, essaye de reconstituer quelques morceaux d’une vie étourdie.
De beaux effets maritimes, mais le scénario lacunaire n’était pas très riche, bien que l’ambition de traiter d’un sujet envahissant soit louable.
Des rancœurs restent en suspens parmi des espaces bleutés où se diluent nos émotions et une empathie minimale qui aurait pu naître à l’égard d’un collègue de la même génération et pourtant : non !
S’oubliera rapidement, mais je retrouverai volontiers le dessinateur remarquable.

lundi 20 juin 2016

Illégitime. Adrian Sitaru.

Du « brutal» si le mot n’avait une connotation amusante depuis les « Tontons flingueurs », alors que l’humour est absent dans cette famille dysfonctionnelle et violente.
La façon de filmer où les regards ont toute leur expression rend bien le trouble et la tension entre enfants et père.
Malgré la lourdeur des sujets : inceste, avortement, collaboration avec le régime de Ceausescu, nous partageons le malaise des personnages.
Par la force des acteurs ce qui pourrait n’être que glauque nous interroge.
Une fois encore le cinéma roumain nous intéresse tout en décrivant une société où le temps des tablettes et téléphones portables est advenu, sans s’être délesté tout à fait des années  tyranniques.     

dimanche 19 juin 2016

De peigne et de misère. Fred Pellerin.

Depuis longtemps je n’avais pas assisté à un racontage du Festival des arts du récit en Isère, subséquemment je me suis fustigé rétrospectivement d’avoir manqué d’autres beaux moments qui auraient pu être à la hauteur de cette soirée exceptionnelle.
Dans nos régions, les insectes sont devenus si rares qu’ils ignorent désormais nos allées-venues automobiles, dans le village du jeune québecquois découvert aujourd’hui, Saint-Élie-de-Caxton, ce sont « Les lutins et les fées qui s’écrasent dans les pare-brise le soir » alors ce lieu de légendes a bien mérité d’accueillir pas moins que le début et la fin du monde.
Ce conteur qui tient son talent de sa grand-mère, mêle le fantastique au quotidien avec inventivité et vivacité, sans barboter dans une pacotille surannée, mais revivifiant ce que Vigneault appelait les « placotages ».
Cette province est bien belle, d’où nous viennent tant de chanteurs et de conteurs élémentaires, légers et profonds qui polissent et repolissent nos mots, les déplissent. Alors surtout ne pas dire qu’il s’agit d’un « one man show » ou d’un « stand up ».
 Puisque nous sommes les invités d’un pays où
« chaque cheveu fait de l'ombre sur terre »
l’attention aux autres est au plus haut comme celle qui est apportée aux voix qui disent si bien la douce fantaisie, le tragique, le loufoque, la solidarité dans une communauté aux individus hauts en couleurs, en douleurs, sans s’appesantir.
Ce feu d’artifice loquace, agrémenté de chansons à la guitare et à l’harmonica amarré à son porte-harmonica, se conclut magnifiquement par une boite contenant le silence, héritée bien entendu de cette grand-mère préhistorique «  quand j’ouvre ma boîte, tu fermes la tienne »
Les mots bafouillés, retravaillés, triturés, offerts en cascades se régénèrent et permettent tous les décollages poétiques, drôles et poignants.
Un des personnages, le barbier coiffeur, « habile à trier les cheveux blancs et les idées noires » a beau avoir inventé « la coupe du client qui ne reviendra plus jamais », le public fervent reviendra lui à tous coups.

samedi 18 juin 2016

Je ne me souviens pas. Mathieu Lindon.

Le souvenir vague de Perrec, auteur de « Je me souviens », prolongé par quelques imitateurs de magazines, allait-il consoler les béances de ma mémoire tracassée ?
La proposition était tentante.
Bien qu’une seule phrase des « Antimémoires » de Malraux depuis un champ lexical voisin, situe le glorieux ancêtre dans une autre cour : 
« L'orgueilleuse honte de Rousseau ne détruit pas la pitoyable honte de Jean-Jacques, mais elle lui apporte une promesse d'immortalité. »
A travers ce portrait, en creux, l’oubli des autres, m’a paru trop explicite pour attirer ma sympathie.
« Si la vie est une drogue, je garde mes distances avec le produit, je consomme avec modération. Entre la coupe et les lèvres, il y a de la place pour la réticence. »
Bien que  s’appliquant à la contrarier, l’élégance de l’écriture du chroniqueur littéraire de Libération vient parfois amoindrir une sincérité qui pourrait toucher.
Quelques séquences donnent à réfléchir :
« Exagérer c’est faire comprendre la vérité ou le mensonge ? »
 Mais fallait-il tant d’anodines remarques pour les mettre en valeur ?
« Je ne me souviens pas d’avoir aboyé  quand on me traitait comme un chien »
Placé  derrière un épigraphe de Victor Hugo :
«  Celui dont le flanc saigne a meilleure mémoire »
Ces 150 pages manquent justement de chair pour ne pas paraître comme un exercice de style agréable à lire, mais oubliable.

vendredi 17 juin 2016

Comprendre le malheur français. Marcel Gauchet.

Le village en couverture du livre est couvert de nuages. Nous sommes loin de 81 quand une icône à clocher de la campagne de Mitterrand figurait sur un fond bleu. Cet essai de 370 pages murmure à  mes oreilles couchées par l’inquiétude, avec le mot « malheur » pour appeler, excessif, fidèle pourtant au sentiment que se complaisent à renvoyer nombre de nos compatriotes.
La clarté de l’expression favorisée par la forme de dialogue avec un journaliste de Marianne et un chercheur du CNRS permet d’avancer dans la compréhension de cette dépression française. De surcroît, je me retrouve dans cet essai en terrain rassurant avec la laïcité rappelée comme valeur inaliénable. Tout en admettant que je n’avais pas envisagé une telle importance du rôle de la religion dans les processus historique, ni que le général De Gaulle fut dans la durée aussi exceptionnel :
« En mettant ensemble l’autorité de l’Etat et la légitimité démocratique, l’incarnation monarchique et l’impersonnalité républicaine, le dynamisme économique et l’identité historique du pays, les bourgeois et les prolétaires. »
Notre universalisme, depuis 89, événement majeur dans la formation de notre nation, s’est perdu dans la mondialisation.
La sévérité de l’historien philosophe à l’égard de la construction européenne prônée depuis un moment comme substitut au socialisme, m’amène à réviser quelque naïveté. Au moment où la réconciliation avec l’Allemagne n’était pas acquise, le projet du « marchand de Cognac », Jean Monnet, visait à : « en finir avec l’Etat jacobin à la française en le contournant, disperser les pouvoirs, retrouver les vraies communautés, favoriser un style de gouvernement paternaliste où les gens éclairés prennent pour eux à la bonne distance des passions et des pressions populaires, les décisions qui s’imposent pour le bien commun. » 
Quant à aujourd’hui, alors que l’économie a supplanté le politique:
« On ne peut parler de l’Europe qu’au nom des objectifs que nous lui assignons. L’épreuve de la réalité n’a pas de place dans le discours sur elle »
Aimant les paradoxes, j’apprécie la formule qui relève  cette « ruse de la raison » :
« Mitterrand aura été le président par lequel sera passée la libéralisation de la société française que Giscard aura échoué à opérer »
Et cette façon de gouverner qu’on redécouvre à chaque fois :
«… l’axiome qui guide notre classe gouvernante : il vaut mieux ne pas affoler les français en leur décrivant sans fard la mutation à laquelle ils sont condamnés. »
Plus près de nous Sarkozy :
« Pour lui, énoncer les problèmes équivalait à les résoudre »
Et pour se faire du mal, extraire quelques mots du plan Langevin-Wallon et voir que ces ambitions ne sont plus d’actualité :
«La possibilité effective, pour les enfants français, de bénéficier de l’instruction et d’accéder à la culture la plus développée, afin que les fonctions les plus hautes soient réellement accessibles à tous ceux qui auront les capacités requises pour les exercer et que soit ainsi promue une élite véritable, non de naissance, mais de mérite, et constamment renouvelée par les apports populaires. »
Et après avoir remarqué la dissipation foudroyante des souvenirs après Charlie et le Bataclan à la mesure de l’émotion, insister sur le retour du « Business as usual »:
« Le néolibéralisme n’a pas besoin de se définir comme un passé parce que ce passé est révolu au regard de ce que sont les mœurs, les croyances, les aspirations spontanées des individus »
Pourtant : « Les questions qui sont devant nous, la question écologique, la question migratoire, la question des dérèglements du capitalisme financier, la question de la confrontation des cultures, la question du régime démocratique en mesure de faire face à ces urgences, signent toutes , de manière convergente, la fin de l’économisme triomphant… »
...................
Le dessin de la semaine vient de Télérama:

jeudi 16 juin 2016

Lucian Freud. Christian Loubet.

Le titre « A fleur de peau » aurait dû convenir également pour caractériser Bacon présenté le même soir par le conférencier incontournable des amis du musée de Grenoble.
http://blog-de-guy.blogspot.fr/2016/06/bacon-la-peinture-de-la-sensation-brute.html 
Mais si la violence picturale et l’obsession des corps rapprochent ceux qui furent amis, là où Bacon exprime une souffrance subie, « Freud darde un regard féroce ».
Dans le portrait que Bacon a brossé de lui, « Three Studies of Lucian Freud », ses yeux n’apparaissent pas.
Petit fils de Sigmund, né à Berlin, fuyant les nazis, il arrive à Londres à l’âge de 12 ans.
En 44, il expose une peinture influencée par le surréalisme « The painter's room ».  
S’il se défend d’être influencé par l’inventeur de la psychanalyse, un divan est pourtant au centre de la toile ; de surcroit, tout au long de sa carrière, il représentera tant de lits et de sexes.
Deux fois divorcé, il a eu une quinzaine d’enfants de 5 ou 6 femmes.
Dans « Grand Intérieur, Paddington » c’est une de ses filles qui est allongée au sol, près d’une plante vigoureuse. L'espace sera un élément majeur de ses mises en scènes éclairées vivement.
Une fois son style trouvé, sa côte atteint des sommets.
Ses nus figuratifs, à l’animalité épidermique, sans concession,  avec sexe en plein milieu, vont chercher les personnalités, sous les chairs tombantes.
« Leigh sous la lucarne »,  annonce de nouvelles manières.
Les yeux se  baissent, loin de « Girl with a White Dog ».
Leigh Bowery était aussi imposant que sa femme, Nicola Bateman, était fluette, mais ils sont pareillement blafards dans « And the Husband », photographies d’un processus. 
L F entretient des rapports intenses avec ses modèles.
« Je pense toujours que "connaître quelque chose par cœur" permet plus de profondeur que de voir de nouveaux sites, aussi splendides soient-ils. »
Sue Tilley au « corps pléthorique »  occupe toute la place dans « Benefits Supervisor Sleeping » « sommeil à l’avantage du superviseur ». Le tableau au prix le plus élevé payé pour un artiste alors vivant, appartient à Abramovich propriétaire de l’équipe de Chelsea.
Foot et art : « allez vous faire foot ».
En 2001, il réalise le portrait, on imagine controversé, de « La reine Elisabeth II » dont le viril visage régalien est empreint d’un certain ennui.
La série « Lucie », du nom de sa mère qui avait tenté de se suicider, mesure le vieillissement et la lassitude.
En 2002, il suit  chaque jour, la grossesse du mannequin Kate Moss, «Nake portrait ».
Il lui a tatoué deux oiseaux au bas du dos qui  pourraient « coûter la peau des fesses », bien  plus chers que cette blague que je n’ai pu m’empêcher de recopier.
Il a travaillé 3 ans sur «  Portrait of the Hound » où pose son ami David Dawson.
Son dernier « Auto portrait », le montre, en son miroir, pathétique dans sa vigueur, les pieds dans des godillots ouverts, le pinceau comme une épée, la palette en bouclier dérisoire. Il porte les traces du temps de la même façon qu’il a intensifié la réalité dans ses toiles au matérialisme radical.
A propos d’« After Cézanne » version mise en scène de « L’après midi à Naples » avec servante et couple qui viennent de consommer. « Les nombreuses relations dans la vie du peintre en font un tableau autobiographique ». L’encadrement original en accroit l’intérêt.
« J'ai toujours voulu créer une forme de drame dans mes peintures. C'est pourquoi j'ai commencé à peindre des gens. Ce sont ces gens qui ont apporté de la vie aux images. Les gestes humains les plus simples racontent des histoires. »
« Pendant plus de soixante ans, dans un lent face à face avec ses modèles et avec lui-même, l’homme au regard de serpent aura hypnotisé sa proie pour tenter de « reconquérir le visage de l’humain » Jean Clair.

mercredi 15 juin 2016

Journal d’une femme de chambre. Benoit Jacquot.

Quand on se plaint de la dureté des rapports humains contemporains, ce retour  plus de cent vingt ans en arrière permet de relativiser, car dans ce film peu de personnages échappent à la violence, à la noirceur.
Pourtant en deçà du livre d’Octave Mirbeau, d’une modernité d’écriture qui a justement inspiré plusieurs cinéastes.
« Un domestique, ce n'est pas un être normal, un être social...C'est quelqu'un de disparate, fabriqué de pièces et de morceaux qui ne peuvent s'ajuster l'un dans l'autre, se juxtaposer l'un à l'autre...C'est quelque chose de pire : un monstrueux hybride humain...Il n'est plus du peuple d'où il sort; il n'est pas, non plus, de la bourgeoisie où il vit et où il tend... »
Sans insistance, quelques traits de lumière enjolivent le quotidien, mais Dieu que ces temps étaient difficiles ! Meurtres d’enfants, femmes de chambre faites pour coucher, maîtresse de maison perverse, hommes libidineux, cruels, la maladie et la mort ne sont  jamais loin…
J’ai redouté au début le côté fermé de l’actrice principale mais elle évolue et face à l’adversité, on partage sa résistance. Elle est un être complexe et sur un scénario limpide, sa destinée réserve des incertitudes, des surprises.

mardi 14 juin 2016

Poverello. Robin.

Satisfaction de venir à bout d’un volume de 3 cm et demi d’épaisseur (590 pages), le temps que prend un film dans les formats usuels. Car il est question d’un film concernant le destin de Saint François d’Assise et la vie en parallèle de celui qui l’incarne devant les caméras : recherche de Dieu et recherche de soi.
La vie du Saint passant de la richesse à l’ascèse la plus rude est plus intéressante que celle de la vedette de cinéma qui trouve femme.
Cependant je ne serais pas allé à la recherche de la biographie de Pietro Bernardone si je n’avais vu en couverture un acteur parlant aux oiseaux assis sur une moto.
« Loué sois-tu, mon Seigneur, avec toutes tes créatures, spécialement messire frère soleil, qui est le jour, et par lui tu nous illumines. Et il est beau et rayonnant avec grande splendeur, de toi, Très-Haut, il porte signification. »
Le graphisme léger permet d’accéder facilement à cette histoire extraordinaire :
après avoir rassemblé 5000 disciples, François va renoncer au pouvoir…

lundi 13 juin 2016

Le tableau. Jean-François Laguionie.

Les vertus pédagogiques de ce film d’animation de 2011 m’avaient été tellement vantées que je n’ai pas eu de réelles surprises, tout en reconnaissant l’intérêt de cette production bien adaptée aux enfants.
Quelques personnages, issus d’un tableau représentant une forêt  d’où émerge un château, partent à la recherche de leur créateur. Ils sortent de leur univers dominé par la classe supérieure des Toupins, au dessus des Pafinis. Quant aux Reufs à l’état d’esquisses ce sont des parias.
La lutte des classes à l’heure des contes est accentuée par la hiérarchie des modes de  représentation.
Un gros bien épais commande, le crayonné en est froissé.
Passant de tableaux en tableaux, la plus tenace du groupe d’évadés retrouve le peintre en vrai avec pour seule question qui vaille au bout de son périple périlleux :
«  Qui est ce qui t’a créé toi ? »
Elle tranche avec les autres qui suivent passivement leur destin jusqu’à un revirement sans surprise des « Tout peints » qui trouvent qu’ils sont charmants ces « Pas finis » barbouillés de toutes les couleurs.
Ce voyage révise tous les genres : tableau historique, nu, autoportrait, paysage et nature morte.
Et l’on peut  s’amuser à voir Matisse, Douanier Rousseau, Bonnard, Modigliani, Giacometti, Cézanne ou Picasso.
Venise de surcroît au temps du Carnaval est le lieu de tous les passages vers des dimensions nouvelles et le réalisateur joue fort bien avec différents modes d’animations.
Ce film d’une heure et quart peut amener à de riches exploitations avec même une figure allégorique de la mort qui finit mal.

dimanche 12 juin 2016

Until the lions. Akram Khan.

Le familier de la MC 2, maître des battements,
cette fois à partir d’une scène circulaire pas si immuable que ça, fait toujours salle comble et cela se remarque car c’est loin d’être le cas pour pas mal de spectacles cette année.
Je craignais ne pas comprendre sa prise de parole en anglais concernant la défense de la culture au bout d’une heure époustouflante mais outre la simplicité du discours, son nouveau spectacle avait constitué le plus évident des plaidoyers.
Même si je n’ai pas perçu particulièrement les lions ci-dessous :
« Tant que les lions n'auront pas leur mot à dire, les histoires continueront de glorifier le chasseur », à moins qu’il ne s’agisse de lionnes ; l’animalité des humains est magnifiquement mise en scène et dansée d’une façon extraordinaire.
Je ne suis entré ni dans les subtilités du Mahabharata ni dans le questionnement sur l’identité sexuelle qui ont inspiré cette représentation, mais j’ai apprécié un langage universel aux rythmes entêtants, aux vibrations envoutantes, aux stridences acérées.
Chuchotements et cris, violence et virtuosité.
Cette œuvre traverse le temps avec une énergie très contemporaine mêlée à la profondeur des traditions et supplante l’espace : de l’Inde à nos contrées où « Nuit Debout » campe aux portes.
Tant de ballets ont mis en lumière des scènes d’amour mais celle du Bangladais Anglais est un sommet de vivacité, d’invention, de simplicité, d’intensité tout en restant d’une pudeur rare.
La présence de bambous ajoute du tranchant à une chorégraphie qui a enchanté le public retrouvant un habitué qui nous surprend chaque fois.

samedi 11 juin 2016

Un chemin de tables. Maylis de Kérangal.

J’attendais sûrement trop de la contribution de mon auteure préférée, à une belle collection qui s’intitule «  raconter la vie » au Seuil :
Ces 100 pages sentent l’exercice, la commande, et en dehors du titre qui dit bien la diversité des expériences du jeune apprenti cuisinier, je n’ai pas su voir beaucoup  de personnalité dans l’écriture.
La littérature semble posée sur un documentaire. La narratrice suit un jeune étudiant qui multiplie les lieux d’apprentissage : « brasserie parisienne, restaurant étoilé, auberge gourmande, bistrot gastronomique, taverne mondialisée, cantine branchée… », manque le fast-food.
L’empathie avec ses personnages aux caractères contradictoires, complexes m’avait enthousiasmé dans son roman précédent. Cette fois nous ne savons pas grand-chose de Mauro, le héros.
Il sacrifie sa vie personnelle à un métier qui l’accapare sans que la passion soit perceptible sous les phrases aux adjectifs bien disposés pour une vision panoramique de la profession. La sueur des hommes semble aussi lointaine que la saveur des préparations.
Le menu aux intitulés savoureux en main, je suis pourtant resté sur ma faim :
« Dans ce livre, c’est vrai, le travail du cuisinier m’a fait penser au travail de l’écrivain. Longtemps, le cuisinier a été considéré comme d’autant plus génial, ou un artiste d’autant plus extraordinaire, qu’il arrivait à métamorphoser un produit. Aujourd’hui, par exemple, la vogue du fooding valorise au contraire le produit brut, restitué. Là est le talent du chef. Or, en tant qu’écrivain, où sommes-nous au plus près de la vérité ? Dans la métamorphose ou dans la restitution ? »
Je serai tenté d’écrire : « vivement le prochain livre ! » tout en sachant qu’il faut du temps. Les sollicitations que lui valent son talent gâchent un peu le fond de sauce comme ses brillants éditorialistes qui se multiplient et s’affadissent, comme tous ces chefs qui se chauffent plus sous les spots que devant leurs fourneaux.

vendredi 10 juin 2016

MDR (mort de rire)

« Piolle Pot »: j’avais trouvé rigolo le mot attrapé au vol parmi tant d’autres qui ne sont pas que gazouillis. Pour la famille écolo en déshérence, parmi d’autres, qui aime tant délivrer des leçons à la pelle, ce peut être un juste retour de fond de court. Quand de surcroît, l’incompétence est revendiquée par la responsable de la culture de cette équipe municipale exemplaire, ignorant jusqu’au nom d’une figure majeure de la danse : Pina Bausch, il y a de quoi s’inquiéter ou rire. Rire.
Mais une fois évaporé l’effet de jeu de mot malin, de ceux qui constituent le fond de nos matins, la fatigue me gagne. Cette plaisanterie participe-t-elle au présent climat de violence ?  
Lors des fins de manifs, quand les barrières qui séparent symbolique et réalité sont brisées par quelques allumés sous les yeux des indulgents, la haine se banalise et enclenche une escalade inquiétante. Les nez rouges côtoient les masques noirs.
Les amuseurs à la langue bien pendue qui se nourrissent de Gattaz à tous les repas tiennent-ils la même échelle que ceux dont l’ennemi est l’étranger?
En envisageant des échéances futures, je m’inquiète et me rappelle d’un mot de Clémenceau pour ne pas perdre quand même des occasions de sourire : 
« On reconnaît un discours de M. Jaurès à ce que tous les verbes sont au futur… »
Comme il y a eu dans le passé récent tant de malheurs depuis Cabu assassiné jusqu’aux crachats place de la République, ma peur, mauvaise conseillère, ne se situe pas seulement dans l’avenir.
On crie « au traître ! » envers Hollande dont l’ennemi fut la finance, mais se souvient-on du « je vous ai compris » de qui vous savez, de «  la réduction de la fracture sociale » d’un de ses héritiers, et de « la rupture » de l’autre ?
Cela  finit par apparaître comme une méthode de gouvernement, à moins que ce soit un retour du réel, au bout de quelques tournants vers la rigueur et de tunnels qui n’en finissent pas. Alors pourquoi ne pas le dire ?  Sur ce coup, ce n’était pas « mieux avant », comme nous le rappelle donc l’histoire si discrète, même quand elle date de la veille. Par contre c’est depuis une vision géographique que tous les éditorialistes prônent le changement : « allons voir chez nos voisins » tout en regrettant les tendances des français à ne pas s’aimer qu’ils entretiennent régulièrement.
Après avoir promu  l’idée que «  le niveau montait » l’école ne semble plus bonne à rien aujourd’hui, alors que la maternelle servait d’exemple, il y a peu, à ces mêmes voisins.
Dans le lexique des réformateurs - toujours pour les autres - pourquoi utiliser des mots bouleversants qui rendent sourds les acteurs et ne pas s’appuyer sur des réussites pour modifier, améliorer, réactualiser ? C’est la méthode prônée à l’égard des élèves. Elle pourrait prouver sa validité avec leurs profs qui sont au front. L’argent qui leur est distribué ne les guérira pas du sentiment de mépris dont ils souffrent. Si la pédagogie dite inversée est la dernière des marottes à la mode, rien que son appellation est dans un air du temps qui aime les zig zags.
Ainsi côté présidents un normal indécis succède à un anormalement excité,  ce qui donne en version mammouth(e) : dictée quotidienne après leçon de morale prônée le temps d’un tweet par la même qui envisage le collège plutôt comme un lieu d’animation.
Comme dit Le Gorafi :
« Apprendre en s’amusant » ne serait pas amusant pour 80 % des élèves interrogés. »
Dans le flot questionnant, une p’tite louche de plus, quand la raison est défiée :
La déclaration d’impôts par ordinateur constitue un progrès indéniable mais pourquoi interdire la forme traditionnelle ?
Le transport par le train est moins polluant que par camion, pourquoi refuser les subventions au Lyon/Turin ?
Et pour être à la hauteur d’une polémique à deux balles : 
Si Valbuena n’a pas été sélectionné, c’est que Deschamp n’aimait pas les petits ?
« La danse pourra cesser,
Le violon pourra casser,
Je veux rire, je veux rire. »
Jean Moréas
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Cette semaine: dessin du "Canard".

jeudi 9 juin 2016

Bacon, la peinture de la sensation brute.

En introduction à la conférence de Christian Loubet devant les amis du musée de Grenoble sont posés quelques enjeux de taille:
« Peut- on se référer à un modèle de représentation humaniste après 1945 ? En arrachant ses masques, afin de se re-connaître, l’homme finit par déchirer sa chair. L’artiste met en forme le doute contemporain. »
Francis Bacon, mort à Madrid il y a 23 ans, était né en 1909 à Dublin, pas loin de chez  Oscar Wilde.
A 16 ans, il est chassé de chez lui pour avoir revêtu les habits de sa mère. Il assumera son homosexualité.
A Berlin, il découvre l’expressionisme, à Paris, Picasso et les surréalistes. Il rejette l’art abstrait trop esthétique, qui n’a « rien à combattre » et la figuration traditionnelle. De retour à Londres,  il sera marqué par les crucifixions de Roy de Maistre.
De 1933, année de l’installation du nazisme, il conservera une de ses « Crucifixion », alors qu’il détruit toutes ses autres toiles. Il va travailler ce thème pendant plusieurs années.
Des Érinyes, figures mythologiques monstrueuses, vengeresses, sont les éléments centraux du triptyque « Trois études de figures au pied d’une crucifixion »  de 1944. Les bouches hurlantes de cette allégorie de l’horreur vont frapper le public au plexus et initier une notoriété internationale.
« Fragment of a Crucifixion » : « Cette crucifixion d’un des fils des dieux, de siècles en siècles recommencée » Jean Clair. «Amas rose et pantelant de viscères au milieu duquel, s’ouvre terrible, la bouche ronde et hurlante ».
"Trois études pour une crucifixion" évoque le bœuf de Rembrandt, les carcasses de Soutine et le christ de Cimabue comme un ver vu à l’envers. L’accouchement est « viandesque », rouge sang dans la nuit noire.
Ses papes, en 40 variations, enfermés depuis leur sedia gestatoria, victimes de la condition humaine, hurlent, leur majesté est impuissante. En voici une « Étude d’après le portrait du pape Innocent X de Vélasquez », le cauteleux, «  troppo vero ».
Ses têtes en séries crient car «  la route de l’âme est coupée », dédoublées en miroir, fendues ou éclatées en trois. « Study for the Nurse from the Battleship Potemkin » est composée comme souvent à partir d’une photographie du film d’Eisenstein.
L’affrontement bestial de “La corrida” est enfermé dans un cercle, matador et taureau confondus.
« Sweeney agonistes » d’après le poète TS Elliot, traite de l’incommunicabilité avec au centre un compartiment d’où l’auteur du crime a disparu. Les taches sont jetées puis organisées, exploitant l’accident, pour retrouver dans la peinture, la vivacité de la photographie.
Si les amis de FB ne souhaitaient pas forcément être portraiturés,  «George Dyer », son ami, mort d’overdose la veille d’une exposition au Grand Palais est représenté dans son identité fuyante. La solitude et le désespoir perdurent dans d’autres toiles entre vomissement dans un lavabo et prostration sur le siège d’un WC, où flèches et macules ciblent la figure se fondant dans la nuit sous l’ombre de la mort.
Nous pouvons être choqués ou bouleversés par ses formes monstrueuses, torturées, enfermées, il ne s’épargne pas dans ses « Auto portrait » allant au-delà de l’anecdote, infra portrait, tuméfié, au delà de la psychologie.
Son atelier de Kensington, » où s’accumule « l’humus de la création » remonté à Dublin, conserve ce fouillis fructueux dont il prélevait des poussières pour les projeter sur ses châssis. Il mélange pastels et acryliques, usant de brosses, balayettes, chiffons, éponges, couvercles… Il choisit parfois de vitrifier les images pour mieux impliquer le spectateur par son reflet. Peignant souvent au bout de la nuit  « dans une empoignade du flegme et de la frénésie » suivant les mots de son ami Leiris, il réussit « à rompre ce qu’il peut faire facilement ». Après  la banalité du mal chez Arendt et Beckett, il veut toucher le fond d’une souffrance qui est le propre de l’homme. 
« J’aimerais que mes tableaux donnent l’impression qu’un humain est passé entre eux, comme l’escargot, laissant la trace de l’humaine présence et la mémoire du passé comme l’escargot laisse un sillon de bave »