mardi 31 octobre 2023

L’iris blanc. Fabcaro Didier Conrad.

Vicévertus, le médecin chef de l’armée de César est appelé pour soumettre un village qui toujours résiste aux romains. 
Inspiré de Granbienvoufas le philosophe grec, le beau parleur, va séduire le poissonnier en vantant « les senteurs apaisantes de ses poissons frais gorgés d’éléments essentiels » 
et le forgeron dont le son de l’enclume « facilite la circulation des énergies ».
Son verbiage compassionnel et manipulateur embobine également Bonemine
Avec lui, elle va rejoindre Paris en CGV (Char à grande vitesse) de la Société Nouvelle des Chars et du Foin. 
« Nous vous informons que nous circulons avec un retard de quinze sabliers suite à l’accident de sanglier d’hier sur la voie ». 
Lutèce, ses embouteillages, ses trottinettes et ses expositions d’art contemporain, ses bobos,
nous régalent. Astérix et Obélix vont à la recherche de la femme du chef Abraracourcix 
fort marri de ce départ. 
Elle reviendra au village avec ses bagarres salutaires un moment oubliées et son banquet pendant lequel Assurancetourix, le barde, retrouve sa place, entravé, après avoir bénéficié provisoirement de l’indulgence du village : 
« On s’était dit rendez vous dans Bysance ».
Le scénariste conserve les fondamentaux dont les allusions à l’actualité étaient une des composantes. 
Les enfants qui ont lu le premier album en 1964 ont vieilli et ont plaisir à retrouver un univers où les nombreux clins d’œil ont pris la place des découvertes, des surprises.  
C’est le quarantième album, je ne m’en lasse pas. 

lundi 30 octobre 2023

Linda veut du poulet par Chiara Malta et Sébastien Laudenbach

C’est l’histoire d’une petite fille. Son père est mort quand Linda était bébé, quant à sa mère elle doit se débrouiller seule dans une maison mal entretenue depuis la mort de son père.
Linda aime beaucoup la bague de sa mère offerte pour son mariage.
Un jour, elle demande à sa maman si elle peut emmener la bague à l’école, celle-ci bien évidemment dit : non. À la fin de l’école Linda rentre et sa mère ne trouve pas la bague. 
Elle lui demande si c’est elle qui l’a volée, elle dit « non ». Sa mère ne la croit pas donc elle emmène Linda chez sa tante Astrid (le préjugé de la tante méchante).
Sa mère rentre chez elle et découvre sa bague dans le vomi de son chat. Elle accourt chez sa sœur et elle dit à Linda : « dit moi ce que tu veux pour me faire pardonner »
Linda répond : « JE VEUX DU POULET AU POIVRON ! » 
J’ai beaucoup aimé ce film de mémoire et d’amitié car il y a beaucoup de retournements de situation.Nino Chassigneux 10 ans …………………………………………………………………………………
Film à la fois réaliste et poétique, abordant les sujets du deuil et de la mémoire, et traitant le monde de l’enfance avec une justesse rare.
Une petite fille a fait promettre à sa mère un poulet aux poivrons, mais tous les magasins sont fermés et une fois le promis à la casserole bien vivant trouvé, il va falloir le sacrifier d’où poursuites, dans un environnement peuplé de personnages drôles, sensibles, solidaires. 
Des blessés de la vie se débrouillent au pied des grands ensembles, dans un contexte de grèves. 
De petites filles joyeuses, insufflent une belle énergie à cette heure et quart dont il ne faut pas manquer le début pudique, subtil qui donne le ton avec profusion d’inventions graphiques, étonnantes, touchantes, lyriques dans les moments chantés.
Comme le titre énigmatique le laisse entendre, la fantaisie, l’originalité sont au rendez-vous.
Le prix du festival d’Annecy vaut bien certaines palmes cannoises.

dimanche 29 octobre 2023

Hors-piste. Martin Fourcade.

Je connaissais le nom de l’athlète le plus médaillé aux jeux olympiques et entre hepta, déca, tri…  je savais que le biathlon c’était ski de fond et tir, mais pas plus.
Curieux de voir la prestation sur scène du catalan de Villard de Lans, monté sur d’autres planches, je suis sorti content  de la salle Lavaudan qui a déjà connu Brecht, Tchekhov…
Loin des one man shows agressifs, pousse aux rires, ce récit d’une carrière exigeante entre Vancouver, Pyeongchang, Sotchi, et Kontiolahti en Finlande ne concerne pas que les habitants du plateau du Vercors. 
Le gagneur jovial loin des vaincus vindicatifs connaitra d’autres plateaux, au théâtre du Rond Point à Paris par exemple.
Sincère, nous comprenons sa volonté d'être premier qui l’a conduit à des sacrifices, à des frictions avec son frère, modèle qu’il a dépassé. 
Quelques maladresses, des précipitations en rajoutent à la probité.
Une de ses petites filles lorsqu’il vient de prendre sa retraite au moment du confinement interrompt son repas : «  maintenant j’ai une maman et un papa ».
Il nous fait part sans insister du poids de médias quand la une de l’Equipe tellement espérée titre «  Samedi, Martin » il est tétanisé.
Il parsème de notations teintées d’auto-dérision des informations sur une discipline bien nommée et suscite l’admiration devant tant d’exigence de travail. 
Le méticuleux avait oublié ses munitions un jour et l’individualiste forcené a bien aimé les victoires en relais.  
Son énergie, son aptitude à la joie sont tellement communicatifs que la salle est debout au bout d’une heure et quart.

samedi 28 octobre 2023

Crépuscule. Philippe Claudel.

Conte glauque au temps des chevaux (harassés) aux confins Est de l’Europe où l’écriture nous accroche, avant que trop de noirceur des âmes accordée à la saison glaciale et aux paysages désolés, ne nous lasse.
La tempête : « … elle venait désormais buter et tournoyer dans le cul-de-sac du plateau dominé par de faibles crêtes sous lesquelles la ville s’était construite depuis longtemps. On aurait cru un fauve piégé, tournant en rond dans le treillis de fer au point de se mordre la queue. »
Un curé vient d’être tué, dans une bourgade perdue « au rectum de l’Univers », alors les dirigeants de « l’Empire » vont manipuler la populace pour exterminer la paisible minorité musulmane.
Un des romans de ce président du Jury Goncourt traduit en bande dessinée convenait bien au genre avec gueules effrayantes et contrastes appuyés. 
Mais trop de caricatures éloignent des nuances qui auraient rendu plus crédibles quelques lourdes correspondances avec des situations contemporaines, bien qu’une fine allusion aux réseaux sociaux d’avant les portables soit bienvenue.
Le méchant :  
« … cet avorton d’Evêque qu’on avait envoyé ici, à son corps blet sous l’habit, à son pauvre regard aux yeux dilués, à sa bouche décousue et baveuse. Son Dieu était-il à son image, cacochyme et impotent ? » 
Le bon :« Vous êtes un homme de religion, monsieur l’Iman, c’est à dire d’espérance et de foi. La vision que vous avez de l’homme est faussée par cela, et vous ne parvenez pas à croire que les brebis que vous avez en face de vous puissent se révéler, selon les heures et les circonstances, des hyènes sanguinaires. » 
Les richesses du style aux senteurs vigoureuses s’épanouissent sur le versant malpropre de la force, se dilapident dans des énumérations interminables qui faisaient sourire avec  San Antonio, mais tournent au procédé pour garnir les 507 pages.
L’odieux personnage principal invité à une chasse à l’ours, va se fournir au bazar qui vend 
« … des bassines en zinc […]… des pièges à fouine, à taupe, à vipère… » (20 lignes)
Il achète une pétoire ridicule et un costume risible : 
«…  un feutre noir, orné d’une plume d’émeu et d’un galon doré ayant appartenu à un officier de l’armée napoléonienne, disciple de Diane et grand coureur de femmes… »
Il devra se poster dans un lieu sinistre, le lac mort: 
«Ici la forêt avait abandonné la partie et ne laissait pousser au creux de l’immense cuve rocailleuse, où jadis les eaux d’un lac avaient dû mourir d’ennui et fini par s’évaporer, qu’une végétation basse, hirsute, broussailleuse, sale, qui mêlait les ronces, les aulnes courts et les charbonnettes. Des fougères brûlées par les gels aplatissaient leurs squelettes roux dans des brouets de neige ».
Des mots poétiques dans la bouche d’une petite fille misérable paraissent artificiels en milieu si fangeux :
«  Nous tournons le dos aux heures, aux hommes, à leur règles, à leur temps »
Finalement, en se dispensant d’être bon, le regard désabusé de l’auteur des « Ames grises », peut ne pas être émoussé: 
«  C’est sans doute là ce que certains hommes appellent le destin, terme pompeux qui sert à les grandir, ou la fatalité, autre vocable plus à même de les excuser. »

vendredi 27 octobre 2023

Où de vivants piliers. Régis Debray.

L’ancien guévariste désormais davantage mis en valeur par « Causeur » que par « Le Monde » est l’un des piliers d’une génération qui lisait. 
« La Nature est un temple où de vivants piliers
Laissent parfois sortir de confuses paroles
L’homme y passe à travers des forêts de symboles
Qui l’observent avec des regards familiers. » 
Baudelaire
Mais plutôt que l’image imposante religieuse et statique de la colonne ou du poteau, les mots du vieux monsieur paraissent préférables pour présenter ce livre d’hommages :
« Fût-il en fin de carrière ou de vie, un cadet de l’art d’écrire ne saurait déménager à la cloche de bois sans régler ce qu’il doit aux grands aînés qui l’ont, à leur insu, incité à poursuivre ou à tenter de rebondir. Tous les écrivains abritent au fond de leur cœur des passagers plus ou moins clandestins, souvent de la génération précédente, qui font pour eux office d’incitateurs ou d’excitants.» 
Les 186 pages d’un auteur familier, dont j’attends toujours avec gourmandise la prochaine production, renouvellent le genre respectueux avec subtilité et humour.
De Julien Gracq,  
« quand l’époque est à l’hirsute, le rebelle est boutonné» 
à Céline : 
« D’être adoré de tous, il serait aujourd’hui bien embêté, notre béni-non-non, lui qui aimait tant être détesté de tous. Il nous cracherait son mépris à la gueule mais son glaviot serait encore, pour vous et moi, comme une décoration.»
 A propos de Mauriac : 
« Avec le fil à plomb d’une foi, le démon politique n’abime pas trop ceux qui peuvent 
« rompre avec ce monde tout en y combattant » quitte à courir du scoop à l’évangile aller-retour. »  
Entre Aragon, Cordier, Gary, Genevoix, Giono, Sartre ou Yourcenar, des digressions en de courts chapitres concernant le protocole, les voyages… sont délicieuses.
Je pioche au hasard tant chaque phrase allie le style, en principe de droite et les idées en principe de gauche: 
« Les gens de mon bord me rasent dès qu’ils prennent la parole, tant ils aiment faire la morale ; l’autre bord, plus déluré, me fait bicher malgré moi, tant qu’on ne parle pas des prochaines élections. »
« C’est Stendhal, l’homme France et non l’auteur de La Légende des siècles. 
Nos prétentions à l’épique, au lyrique, au légendaire ne sont plus de mise-sauf enflure et grandiloquence. »

jeudi 26 octobre 2023

Création africaine. Haywon Forgione.

La conférencière a proposé aux amis du musée de Grenoble une vision de l’art contemporain africain tel que pourrait le représenter « Sibusiso » de Zanele Muholi.
A la fin de XIX° siècle, au moment de l’expansion coloniale, le Muséum des missions ethnographiques du Trocadéro privilégiait une approche ethnographique avant que le regard se fasse artistique sous l’impulsion
de Paul Guillaume ou d’Apollinaire : 
« Le Louvre devrait recueillir certains chefs-d’œuvre exotiques dont l'aspect n'est pas moins émouvant que celui des beaux spécimens de la statuaire occidentale. » 
Photographies de la collection de Paul Guillaume.
« La femme aux yeux bleus »
au regard noyé de Modigliani dans son épure ressemble
 à un « Masque Fang ».
Picasso
lors de son époque primitiviste scarifie une demoiselle.  
L’art extra occidental a profité de la mondialisation pour étendre sa renommée et devenir très côté. Quelques expositions panoramiques, passant du cultuel au culturel, y ont contribué 
de même que l’ouverture du Musée du Quai Branly, et son ambassade :
« Le pavillon des cessions »
au Louvre.
Seydou Keïta
, photographe malien
comme Malick Sidibé  peuvent illustrer des expressions identitaires.
L’ancien kinésithérapeute sénégalais Ousmane Sow utilise fer, terre, jute, paille, matières organiques pour « Toussaint Louverture et la vieille esclave » 
et malmène le bronze au vinaigre : « Lutteurs ».
William Kentridge
, arrière petit fils d’immigré juif en Afrique du sud, fils d’un défenseur de Mandela, exprime les conflits d’un continent, les identités violentées.« Remembering the Treason Trial ».
L’univers coloré, très BD, du congolais Chéri Samba a influencé beaucoup de ses compatriotes artistes : « Condamnation sans jugement ».
Adel Abdessemed
a été exposé à coté du Retable d'Issenheim de Matthias Grünewald.
Ses Christs de barbelés s’intitulent « Décor ».
Le « Jugement dernier XIV » de Barthélémy Toguo exprime aussi la douleur.
Plus explicites dans leurs références à la tradition, 
les tapisseries métalliques d’El Anatsui, composées d’objets de récupération, 
sont somptueuses.
Pour des spectaculaires travaux de perles, 
il faut bien un collectif à Ntombephi Ntobela pour réaliser : « The President ».
Otobong  Nkanga
dans « The Weight of Scars » tapisserie monumentale, 
deux silhouettes sont reliées à des cordes portant des photographies de mines abandonnées.
Les peaux de vache de Nandipha Mntambo veulent 
« subvertir les associations attendues avec la présence corporelle, la féminité, la sexualité 
et la vulnérabilité »
« Ghost »
de Kader Attia parle de lui-même du silence, du néant.
« Silk Tapestry »
 de Billie Zangewa originaire du Malawi affirme se position de femme, heureuse d’être une femme.
Lebohang Kganye, « Setupung sa kwana hae II », pose la question de l’héritage.
A la flamme d’une lampe à pétrole, Géraldine Tobe se reconnecte au passé d’avant les églises.
Les astronautes de Yinka Shonibare, sont habillés de Wax. « Space Walk ».
« En art point de frontière. » Victor Hugo

mercredi 25 octobre 2023

Arles.

Nous revenons à Arles chaque année pour les rencontres photographiques et découvrons toujours de nouveaux lieux.
Nous avions connu ainsi l’église Saint-Martin désaffectée  dans le quartier du Méjan (le milieu) qui servit de dépôt de laine au syndicat des éleveurs de moutons mérinos.
Entre les Alpilles, la Camargue et la Crau, c’est là que le Rhône arrive en Méditerranée.
La photographie, huitième art, celui de la mémoire, s’interroge sans cesse sur la profusion actuelle des représentations et cherche les beautés du plus démocratique des moyens d’expression.
La ville, sept fois plus grande que Paris est restée modeste malgré tous les labels patrimoniaux.
Nous longeons sans cesse les vestiges romains et ne pouvons manquer la tour Luma, réalisation architecturale des plus contemporaines, brillant de tous ses feux.
Les arènes
sont remarquablement bien conservées
depuis qu’au moyen âge un village avec deux églises se protégeait derrière ses hauts murs.
Elles n’ont pas connu le sort du cirque devenu une carrière après que les courses de chars furent passées de mode.
Le théâtre tout proche pouvait contenir 10 000 personnes conviées gratuitement lors de représentations en l’honneur des Dieux d’alors, la moitié de la capacité de l’amphithéâtre ou du cirque.
Dans le récent musée d’Arles antique,
un chaland du début de notre ère, chargé de lingots de plomb et d’amphores 
témoigne de l’activité portuaire
qu’une maquette de pont flottant  matérialise.
Les grecs avaient déjà installé un comptoir commercial que des vétérans romains  installés par César dont on vient de retrouver un buste, vont faire prospérer.
Le luxe des mosaïques, la profusion d’objets raffinés, la beauté des sarcophages en témoignent.
Neptune  et autres divinités majestueuses avaient laissé la place 
aux motifs chrétiens dès le IV° siècle.
Le cryptoportique
signifiant étymologiquement « caché » soutenait le portique qui bordait le forum, il n’en est pas moins impressionnant. Cette construction est située sous l’Hôtel de ville du XVIIe,
attenant à l’église romane Saint-Trophime du XIIe siècle, et son cloitre remarquable. Les pèlerins allant vers Saint-Jacques de Compostelle s’y arrêtaient.
Dans des quartiers aux noms enchanteurs,Trinquetaille, La Roquette, des hôtels particuliers côtoient des maisons plus modestes.
Des reproductions de tableaux de Van Gogh dispersés dans la ville ont plus de gueule, même un peu défraichies, que les tags qui ont submergé Grenoble,
comme aux Alyscamps (Champs Élysées en provençal, cité des morts vertueux dans la mythologie grecque) nécropole romaine citée par Dante et peinte également par Gauguin. 
« Tout comme à Arles où le Rhône s’attarde […] les sépulcres font le sol inégal. » 
Arles est d’autant plus photogénique que la réussite des « Rencontres » est justement de donner envie, sous le regard des maîtres, de saisir les lumières et le temps, tout le temps.
« Le seul menteur du Midi, s'il y en a un, c'est le soleil.

Tout ce qu'il touche, il l'exagère. » 
Alphonse Daudet.