samedi 28 février 2009

Main basse sur l’école.

Eddy Khaldi est venu présenter son livre écrit avec Muriel Fitoussi à l’amphithéâtre de l’IUFM à l’invitation du cercle laïque de l’agglomération grenobloise. Les cheveux blancs dominaient dans l’assistance, même si un des derniers jeunes professeurs des écoles stagiaires de retour de manif est venu préciser le sens de leur lutte en illustration de la gravité des attaques adressées à l’école publique.
Nous avons le tournis devant l’avalanche des réformes, mais c’est une stratégie qui vient de loin, pas de l’improvisation : une déconstruction cohérente du service public. Agir vite, pour échapper à la confrontation avec les enseignants tenus dans le plus grand mépris au plus haut de l’état (voir le Canard Enchaîné de cette semaine).
Sous le beau nom de « créateurs d’école » depuis 1991, la droite des héritiers du club de l’horloge, dans son identité la plus décomplexée, prépare la remise en cause de la carte scolaire.
La gauche, complexée, refuse le débat idéologique, et c’est ainsi que le seul thème de la présidentielle- même pas approfondi- concernant l’école a été : la carte scolaire.
L’école privée n’est plus une variable d’ajustement : dans notre région, autant de Lycées professionnels dans le public que dans le privé. Le modèle institutionnel du privé devient la référence. Où en parle-t-on ? L’état français finance un lycée Jean Paul II (ils osent tout) à Sartrouville alors que les lycées sont la prérogative des régions. Un exemple où l’état favorise ses concurrents. J’ai révisé quelques une de mes idées reçues, pensant que ce n’était plus un problème, les curetons se raréfiant, mais dans la galaxie des organisations qui ont préparé cette révolution, il y a l’Opus Dei. Il y a encore 500 communes avec une école privée et pas de publique, les effectifs dans le privé sont en général plus faibles et la taille des établissements plus petits. Alors que les établissements publics sont sommés d’être autonomes, le privé en réseau est réactif puisqu’il n’est pas soumis aux obligations du public. Certains vont offrir des préparations à la formation de professeur du public. On pourrait croire que les ultras libéraux baisseraient d’un ton dans la période, pas du tout, ils sont au cœur de l’état sarkozien, avec le secours des ultras conservateurs qui tiennent le discours vantant l’école d’antan.
L’ancien IA de l’Isère a été limogé, après avoir été déplacé. Tout est calme.

vendredi 27 février 2009

On n’y voit rien. Daniel Arasse

Je n’avais pas compris pourquoi dans l’édition de poche, le tableau de Picasso « les Ménines » figurait sur la couverture d’un livre consacré à Bruegel, au Titien , au Tintoret ; et puis lors du dernier chapitre où Daniel Arasse détaille à son tour les Ménines de Vélasquez, l’explication arrive avec évidence. A partir d’une image, chacun compose à sa manière une interprétation qui recrée l’original. Si certains discours peuvent obscurcir notre vue, cet ouvrage d’un spécialiste de la renaissance italienne nous aide. A la façon d’un magicien qui gagne encore plus de notre admiration en dévoilant ses tours, il nous conduit avec humour « Marie-Madeleine, la putain tombée en sainte » et son érudition nous semble accessible. Dans les musées j’évitais les étages consacrés aux peintures mythologiques car je n’avais pas assez de références ; désormais, j’essaierai d’y porter plus d’attention. Ces tableaux tellement bavards me semblaient muets. La sophistication des symboles, les intentions des peintres peuvent entraîner des sur interprétations mais ces exercices appliqués par exemple à l’interprétation de la présence d’un escargot dans une scène de la visitation, nous amènent à apprendre à débusquer sous les évidences du quotidien, un sens profond.

jeudi 26 février 2009

Jean Achard

D’avoir laissé son nom à un lieu dans notre chef lieu de département, le natif de Sassenage a émoussé peut être de sa faculté à se laisser découvrir. La place aurait pris la place de l’artiste qui fera école à Proveysieux. Le musée Hébert à La Tronche convient bien à ces peintures assez classiques d’une campagne idéalisée, où les artistes commençaient à venir sur le champ. Nous pouvons voir d’autres tableaux que ceux qui sont installés au Musée de Grenoble. Paysages de montagne mais aussi de Normandie ou d’Egypte où il rejoint des Saint Simoniens expatriés là bas. Pour l’anecdote, nous sommes surpris à l’étage par des dessins des uniformes de ces adeptes du philosophe socialiste qui rêvaient de la fin de l’exploitation de l’homme par l’homme. Entrée gratuite et photographies sans flash autorisées.

mercredi 25 février 2009

« The » langue étrangère. Faire classe # 22

« Depuis la toute première enfance, l’enfant devrait avoir deux langues, ce qui rend impossible une certaine étroitesse d’âme, un certain dédain pour autrui. Mais c’est un idéal, une utopie. » G. Steiner.
Je glisse cette petite pastille de Steiner pour aérer une réflexion qui risque d’être plombée par des insuffisances personnelles tenaces. Un des charmes de notre métier réside bien dans la diversité des centres d’intérêt. Mais ajouter la cornemuse aux divers instruments de l’homme orchestre, ça use la mule.
Le débat sur l’apprentissage d’une langue étrangère à l’école s’est accéléré après la bonne fortune du linguiste Claude Hagège à "Apostrophe", quand les prescripteurs n’étaient ni Ruquier (ha ! Ha !) ni Ardisson (hin ! hin !). Sa conviction s’était avérée tellement communicative qu’il fut approuvé par tous et même la machine éducation nationale, promptement, se bougea : nominations avec profil, stages, assistants…pour des résultats me semble-t-il anodins.
Mon échantillon de profs d’anglais en collège, qui n’a pas perçu de progrès notoires depuis que des cours existent en primaire, ne constitue pas un panel assez large pour en tirer des généralités. Cependant, la légitimité de leurs avis vaudra bien celle d’expérimentations jamais évaluées : par exemple les cycles qui habitaient les circulaires mais pas la réalité.
Sur le terrain ces enseignants n’ont rien vu de durable et regrettent plutôt l’affaiblissement des capacités des élèves à apprendre et à repérer des structures grammaticales. Ne pourrait-on former des soupçons vis à vis de ce zèle inédit de l’administration quand les horaires de langue en sixième sont au plancher puisque des professeurs des écoles agréés (en vitesse) ont déjà formé (si peu) les néos-collégiens ? Prof d’anglais, c’est un métier. Faudra-t-il attendre son exposition dans un écomusée à côté du rétameur pour le reconnaître ?
De mon expérience personnelle, je ne retiens pas beaucoup de progrès par assistants interposés, américaines ou mauricien, scrupuleux ou désinvoltes, avec demi ou grand groupe. Ce n‘est pas faute d’avoir exploré, échangé, multiplié les supports, valorisé le travail qui présentait tous les attraits de la nouveauté. L’évidence de la pertinence de cet apprentissage éclata lorsque la classe, dans un téléphérique en route vers la mer de glace, entonna « Old Mac Donald », il s’ensuivit un gentil dialogue avec quelques touristes britanniques. Cette année là, une prof débutante assura amicalement quelques heures seulement pour sensibiliser mes mômes à l’anglais : elle savait y faire, elle.
La sixième perd ce charme des premières fois sans que les timidités adolescentes se résolvent, quand ce n’est pas la loi du silence qui s’impose aux filles dans certaines classes de collège. Mais faut pas dire, c’est pas la faute du pape.
Le désenchantement et le sentiment d’impuissance gagnent le collège unique qui lâche ses jeunes sur les chemins de l'orientation où tôt ou tard intervient la question de compétences. L’école s’ouvre à tous mais tous ne peuvent pas. Il y a trop loin des ambitions à la réalité. Comment accepter encore de retrouver la langue de bois en lisant les programmes édités par le ministère sur les soi-disant acquis linguistiques des élèves du primaire ? Comment sortira- t- on de la démagogie ambiante ?
L’oralité doit primer nous dit-on ; la vache espagnole « is french ». Il y a tant de demeures dans la maison de l’Oncle Sam. "The" bon accent : ça se discute. « Tri roupies » détrône Shakespeare : « Moi Ronald » « Toi Bill ». Tarzan n’use pas avec Jane de beaucoup de circonvolutions langagières. Cet anglais règne sans partage. Quant au rital, il se consolera du carton abandonné d’une Pizza …Hut.
L’étrangère ne s’apprend pas comme la maternelle. Alors la formation continue s’en remettra aux rencontres, à des voyages recadrés par les logiciels à reconnaissance vocale. Cette rose vision échappe à l’éduc.nat.
La supercherie de cette priorité ne trompe personne. Dans une séquence au collège : une fois enlevé le temps de l’installation, de correction des exercices, restent 35 minutes pour faire cours ou court et inciter à parler donc en comptant large 20 minutes pour 30 élèves = 40 secondes par élève. Des élèves s’entassent parfois à trente en collège.
En primaire, qui bénéficie d’un instituteur capable d’émailler sa journée de tournures, de vocabulaire, d’établir des ponts ? Ces bienheureux peuvent prétendre entrer dans un processus enrichissant : cette chance existe. Se pose la question du suivi, ces bonheurs peuvent s’oublier ou diffuser.
L'initiation à l’anglais s’empile par dessus d’autres nouvelles missions de l’école, au détriment de quels autres apprentissages ? L’horaire destiné au français en pâtit d’autant plus que l’engouement pour ce nouvel espéranto débarque dans un contexte où la France-qui-décline ne croit plus en son destin ni en sa langue. Lorsque les « bleus » ont le « blues », la nation a mal au crâne : dans quel état sommes nous tombés ?
« Le Monde de l’éducation » en souriait, le « Diplo » déplore. Le « Monde 2 » fait la photo.
A défaut du luxe d’une salle dédiée à l’anglais, les chansons me semblent un support efficace pour inventer une frontière à franchir afin d’aiguiser les curiosités. La musique s’installe, les mots semblent moins étranges, les blocages s’atténuent.
A l’école :
- Vous ferez de l’anglais.
- Mais je n’ai pas de formation...
- Vous passerez des cassettes.
Au collège…
- Vous remplacerez ce professeur de mathématiques.
- Mais je ne peux pas préparer un cours du jour au lendemain pour une classe inconnue.
- Vous passerez des cassettes.
« Ma cassette ! » Molière.
Des machines. Les psychologues consoleront les élèves à console dans leur solitude.
Ils consulteront sur la toile. Ils iront au Fight- club pour le contact.
Encore une touche à l’entreprise de démolition du travail des enseignants.
Quand un clavier ou un mange-disque remplace madame, qu’est ce qui peut rester de l’estime de soi, de la conviction à transmettre quand sont méprisés à ce point les contenus apportés aux élèves ?

mardi 24 février 2009

Navarin d’agneau

Et non le Navarro d’Hanin (Gloire à la Comtesse, reine du contrepet dans le Canard du mercredi).
L'agneau convient bien au goût évident du navet injustement méprisé. Prendre de préférence du collier, à faire trancher, plus goûteux que l’épaule délicieuse qui vaut aussi pour la dextérité dont doit faire preuve le boucher pour la désosser.
Rouler les morceaux dans la farine, les faire dorer dans l’huile avec oignons et ail.
Au bout de 10 minutes, ajouter de l’eau dans la cocotte avec le contenu d’un tube de concentré de tomates, un bouquet garni, sel, poivre. Laisser mijoter ¾ d’heure. La dernière fois j’ai fait cuire à part les navets, carottes, pomme de terre, j’ai privilégié leur personnalité plutôt que leur fondant, tellement fondant quand on met tout ensemble, que les légumes peuvent disparaître. Les navets sont excellents dorés dans du beurre puis cuits avec un bouillon Kub, ils peuvent être réduits en purée de même que les carottes et les pommes de terre, ça rajeunit un peu le look de ce plat pépère.

lundi 23 février 2009

Slumdog millionnaire

Les « chiens de bidonville » ont les crocs, mais ce n’est pas tous les jours que leurs souffrances sont récompensées par un pactole à faire rêver. Le prétexte à la surexposition médiatique d’un porteur de thé, à l’occasion d’un jeu télévisé où les réponses aux questions étaient contenues dans les épreuves de la vie du candidat est un ressort dramatique original, bien que parfois un peu systématique. Les scènes revenant à l’enfance sont virevoltantes et plus émouvantes que celles de la quête amoureuse, malgré le charme des acteurs. La dernière scène nous fait oublier les invraisemblances d’un scénario trop chargé : il s’agit bien d’une fable colorée, punchy. Penchant un peu trop à mon goût vers les cadrages obliques, même si cette esthétique nous rend l’Inde « terre de contrastes », plus familière.

dimanche 22 février 2009

Grenoble sous l’œil des photographes

Vingt jeunes grenoblois, qui se sont rencontrés sur le site de partage de photographies fickr.com, exposent à la galerie 8, dans la rue des Bons Enfants qui débouche sur le cinéma Le Club. La salle est vraiment exiguë mais le projet est sympathique, des photos sont à la disposition des visiteurs. Entre 14h et 18h du lundi au samedi jusqu’au 28 février. Ces amateurs revisitent à leur façon nos lieux communs de la cité olympique aux trois roses, aux trois tours, capitale de la houille blanche, des Alpes, de la noix, du gratin et des bulles.
La photographie, en illustration, a été prise au restaurant de la gare de Lyon.

samedi 21 février 2009

Participatif présent

Ce n’est pas sans raison que le monde politique souffre d’apparaître comme coupé des réalités du quotidien, de l’élu toujours réélu au militant des causes perdues.
Je donne raison à ceux qui peuvent trouver que mon zèle de néophyte dans mon implication au P.S. est aggravé par mes disponibilités de retraité; mais militant de base, j’ai toujours du mal à concevoir un parti où les professionnels élaboreraient seuls la ligne. L’adhérent étant sollicité de loin en loin pour coller quelques affiches, qui n’ont d’ailleurs jamais bouleversé un scrutin.
A propos, je ne me suis jamais senti si solidaire des poissonniers quand Séguela formule : « les poissonniers sentent le poisson, les publicitaires sentent le bonheur » ; n’aurait-il pas marché dans ce qui porterait bonheur, du pied gauche ?
Le naïf peut être redoutable de maladresses, qui ne saurait distinguer une compréhension tronquée, d’une mauvaise foi, et prendre pour des pratiques aux airs féodaux, de sincères reconnaissances.
En cette période de carnaval, sous le masque du bisounours, je peux examiner mon lot d’inélégances à mettre sur le dos de ces profs incorrigibles distributeurs de notes, mauvaises.
Où est l’irresponsabilité ? Mettre le doigt sur des faiblesses qui s’accommodent si bien avec les renoncements et chercher à faire évoluer un outil qui doit faire son miel des paroles libres, ou se taire. Bien au-delà des débats de personnes avec une Ségo et d’autres candidats à la caricature, prêts pour le bûcher des vanités.
Passons à présent, au participatif.
En poussant un peu la réflexion à ce sujet, je vérifie avec délice mon peu d’aptitude à l’obéissance, et je révise ce qui a constitué la part la plus intangible de mon engagement pédagogique : le goût de faire s’exprimer les autres, avec leurs différences. Mes propres incertitudes y trouvent leur remède. Et nous sommes plus forts un fois passés au feu des critiques. Veiller à ce qu'une fois refroidie, l’odeur de frittage, soit évacuée grâce au respect que se doivent les hommes de bonne volonté.
L’affirmation de soi passe par la confrontation, sinon les soliloques, déplaisants par surcroît, débouchent sur des impasses ; le bois pour les langues n’est plus de mode.
C’est bien dans nos fondamentaux : l’inscription des individus dans le collectif est valable pour améliorer des conditions de travail et de rémunération, mais notre épanouissement personnel passe aussi par la confrontation et l’entraide.
Dans ce refrain légèrement désuet du « tous ensemble », nous sommes au cœur de la résistance aux solitudes, aux compétitions individuelles.

vendredi 20 février 2009

Encyclopédie capricieuse du tout et du rien.

Je suis passé par tous mes états en lisant la dernière production de Charles Dantzig : 790 pages. Exaspéré au début, tant mon attente était déçue après son « dictionnaire égoïste de la littérature française » qui m’avait enchanté. Je trouvais que le titre de celui-ci pleinement justifié, tant il m’a semblé que le chroniqueur de France Inter commençait par l’exploration du rien et du n’importe quoi. Les villes qu’il évoque d’entrée avec des listes à peine entamées sonnent le creux : le snobisme le dispute à la banalité. Et puis je suis entré dans cette quête de l’impossible, j’ai partagé cette folle ambition de vouloir tout nommer, du plus futile au sublime : angoisse et jubilation. J’ai retrouvé son originalité, son humour, son érudition époustouflante. On avance à pas de géant dans ce pavé qui se lit comme un carnet. C’est toujours quand il parle de littérature qu’il excelle, avec son sens de la formule qui enchante. Sa rigueur s’accompagne de fragilité dans cette somme inachevée tellement personnelle, qui laisse toute sa place au lecteur. Si « tout livre est une tombe » celui là est revigorant, il ajoute de la profondeur à notre regard, même s’il souffle sans arrêt dans les trous de notre mémoire ou de notre inculture. Il y a la liste des « bons titres avec dimanche », la liste des « choses qui paraissent éternelles : un après midi d’été sous un soleil immuable … »
Je ne respecterai pas son conseil relevé dans « la liste des règles que je me suis faites : ne jamais répéter une citation faite par un autre ».
« Bons ou mauvais, je n’aime pas les souvenirs. Les mauvais sont pénibles. Les meilleurs sont les pires. » Paul Valéry.

jeudi 19 février 2009

Boulet. Notes

La bande dessinée, quoi qu’en disent certains auteurs, a un goût d’adolescence prononcé et Boulet qui arrive à ses 30 ans en souriant ne fait rien qu’à jouer de la naïveté. Il reprend aux éditions Shampoing les chroniques de son blog, très populaire, dans une version papier de 220 pages.
En colocation, aux prises avec son ordinateur, de dédicaces à Aubusson (Creuse) en centres culturels en Afrique, il varie les traits : du rigolo, au dessin d’observation classique, en passant par ses fantasmes de manga dans un foisonnement tendre et bienveillant. Un Larcenet pas encore papa. Ce "théâtre de la rue" nous repose; son blog est très mignon également. http://www.bouletcorp.com/blog/

mercredi 18 février 2009

Histoire. Faire classe # 21

« Pourquoi notre mémoire est-elle devenue un Clémenceau, un porte-gloire désarmé, un encombrant à recycler, une impureté immorale et assassine, une périssoire ingouvernable qu’on aurait trop chargée et trop peu délestée ? » J.P. Rioux
L'irrésistible modernité ringardise le journal de la veille. Les gazettes se réduisent en objets pour cercles avertis de plus en plus restreints. L’info nous coule dessus en temps réel. En temps réel : si le temps devient réel, lui ; il semble que c’est la réalité qui prend des allures virtuelles.
Grand-père, pardon, Papy passe beaucoup de temps devant son ordinateur pour garnir l’arbre généalogique de la famille. L’arbre est joli, mais ne pousse-t-il pas dans des jardinets aux murs qui s’élèvent ?
Dans l’épais volume de nos histoires, de notre histoire, glissons quelques signets pour mieux percevoir les liens qui nous unissent à nos contemporains et aux morts, pour porter une lumière sur les objets de nos vies. Vivons l’humanité en ses jours de fête.
Comme un certain président qui avouait en direct ne pas comprendre un jeune, je n’ai pas accepté tranquillement que certains de mes spectateurs restent indifférents à mes efforts pour partager les charmes de l’histoire. J’ai eu souvent plus de chance avec les garçons dont les parents venaient du Maghreb qu’avec certaines petites filles maintenues au royaume de Barbie. L’histoire constitue l’épine dorsale qui va structurer le temps d’une année scolaire, le socle pour la créativité et les projets.
« Il neigeait. Les blessés s'abritaient dans le ventre
Des chevaux morts ; au seuil des bivouacs désolés
On voyait des clairons à leur poste gelés,
Restés debout, en selle et muets, blancs de givre,
Collant leur bouche en pierre aux trompettes de cuivre. »
V. Hugo
J’ai privilégié cette matière parce qu’un prof me l’a donnée à aimer avec son humour et sa conviction. Les toujours assis verront flamberge au vent bien pathétique quand j’essaye de transmettre le passé afin de ne pas reproduire les comédies en tragédie, j‘essaye.
Des débats ont agité les chercheurs, rien n'est venu effleurer le terrain. Aucune conférence ni stage n'a porté sur le sujet.
Les hussards noirs ont cessé d'être invoqués au pied des marronniers de chaque rentrée. Pourtant la guerre des mémoires se déchaîne, les souffrances entrent en concurrence : difficile donc passionnant de poursuivre le récit d’une nation. Le passé colonial de la France, l’esclavage ressurgit. A défaut d’infléchir le présent, certains s’attardent à refaire le passé : c’est facile, oui, mais n’est ce pas un peu vrai ?
Depuis quelques années sur quatre pages concernant l’époque de Louis XIV, une était consacrée au commerce triangulaire et j’avais emprunté à Tardi une de ses planches pour ne pas ignorer que les tirailleurs sénégalais se battaient au premier rang dans les tranchées de la première guerre. Ces regards renouvelés sur notre passé honorent une culture vivante qui sait reconnaître ses erreurs. Ce n’est pas infamant pour le citoyen d’aujourd’hui ; par contre le refus de connaître, la négation de la raison, la perte de l’humour, l’enfouissement de l’esprit critique conduisent à la barbarie. Liberté de parole ; ah le beau temps des lumières ! Nous avons à mener ce combat aujourd’hui, malheureusement. Même si je me trouve dans la position de ces vieilles badernes qui suivaient le combat de leurs troupes à la jumelle du haut d’une colline : je n’exerce pas dans un lycée de banlieue où l’obscurantisme religieux pèse sur les cours. Il faut reprendre le mot laïcité qui a même servi à sa négation lorsque quelque débat fut recouvert sous un voile. Pépé, les calotins se sont remis à croasser !
Pour les méthodes, des enfants de dix ans ne peuvent réemprunter les chemins de « l’école des annales ». Ils manquent encore de culture pour interpréter des documents bruts, et ne peuvent aligner que des banalités. Certains manuels ne formulaient que des questions, aucune information. Leurs auteurs se font secouer en ce moment. Très bien !
Comme en chaque domaine, il convient de prendre connaissance de ce que savent les enfants, de la façon dont ils se représentent l’événement puis d’assumer l’enseignement frontal en n’hésitant pas à mettre en scène. L’incarnation n’a pas nuit à toutes les religions : dialogues de sans-culottes s’attelant aux cahiers de doléance, lettres de poilus… Un peu d’épopée que diable ! Avec moult anecdotes, l’histoire mythique et puis ne pas hésiter à situer les controverses : les représentations de la terre à géométries variables, les cités lacustres qui remontent sur les berges, Galilée … Ces exemples illustrent la notion de vérité d’un instant, vérité relative, ils introduisent la complexité.
Multiplier des entrées :
- courte séance de vidéo
- diapositives
- grandes gravures type Rossignol
- textes courts où s’expriment des points de vue divers concernant le même événement
- dessins humoristiques
- musiques : Marseillaise, Pauvre conscrit du Languedoc, l’Internationale, Bella ciao, Le chant des partisans, Le temps des cerises, Les canuts…
- livres documentaires pour approfondir dans un coin de la classe.
L’histoire ne se vit pas que dans les livres
- objets de brocante à manipuler : soldats de plomb, casques, masque à gaz, ticket de rationnement…
- maquettes : villa romaine, immeuble en coupe du XIX ième siècle, avion biplan…
Ces pièces figuraient dans le musée de la classe, elles auraient pu appartenir à un fond commun à l’école avec son squelette grandeur nature, sa collection de fossiles, ses kaléidoscopes - un cabinet des curiosités.
Concrétiser la durée :
- En guise de révision chacun apporte son dessin au thème négocié pour une bande de couleurs variées qui traversera la classe : de la « crèche » de Jésus aux tours jumelles. Chaque élève contribue à cette fresque chronologique, surtout pas achetée dans le commerce.
Les magazines pour enfants Milan ou Bayard presse proposent dans ce domaine des dessins simples et rigolos. Ainsi peut-on renouveler cette appropriation des icônes de l’histoire autour par exemple des inventions du XIX ième, que chacun présentera.
Les débats d’actualité donnent l’occasion de fixer quelques repères historiques. Si le journal très prisé dans les écoles, « Mon quotidien » pourvoit en infographies séduisantes entre Britney Speers et une vedette jetable de la Star Ac, il ne peut substituer l’aléatoire du jour le jour à la cohérence d’une progression magistrale. A l’issue de la scolarité, une heure dédiée chaque année au 11 novembre apparaît sans doute un peu lassant et la guerre de 14 hors de la continuité, un peu en l’air, anecdotique. De même, la révolution française tous les cent ans de la maternelle au C.M.2 s’inscrit dans une durée légèrement longuette.
L’histoire palpite dans les pierres, dans les paysages, dans les cœurs.
Les connaissances abordées dans les classes précédentes se révisent avec un parcours dans la ville pour saisir quelques traces du passé moyenâgeux, renaissance et royauté, le rapport de la province à l’état, la ville et ses remparts et au-delà, quelques noms de rue. Les promis du tourisme culturel surlignent au fur et à mesure leur trajet sur une carte et lèvent le nez au-dessus des boutiques de fringues.
Le voyage de fin d’année nous conduit en pèlerinage dans le Vercors : dans les cimetières, monuments autour de la résistance, un spécialiste nous déploie in situ quelques affiches de l’époque et des photos ainsi en abîme. A midi au pique-nique les enfants prennent le maquis. J’ai eu la chance de pouvoir faire appel à d’anciens résistants qui savaient user de beaucoup de pédagogie pour parler de leur jeunesse : de grands moments.

mardi 17 février 2009

« Ce jour où ce qu’on sait est devenu inutile » J.B. Pontalis *

Parfois je me dis cette phrase, pendant une insomnie. Je me démène sous ma couverture. Je me sens grise comme un soldat avant la bataille. Je veille, armée.
Ces jours où je me dis que ce que je sais est devenu inutile, ces jours-là, j’ai peur. J’ai peur d’être trop vivante, constat inouï, angoissant.
J’ai peur de me lever, j’ai peur du jour nouveau qui pointe, j’ai peur des minuscules prisons des habitudes, ces petits cercueils.
Alors je reste gisante sous la couverture.
Des couvertures, j’en ai à foison. Des bleues, des roses et des noires. Des unies et des chamarrées, des laineuses, des cotonneuses, des soyeuses, des écossaises, la somptueuse en mohair, si légère.
A l’abri sous mes couvertures, je me répète ce que je sais, je me raconte mes vies : je vis à l’étouffé. Je tricote entre les vieilles images et les récentes des contes improbables. Etais-je heureuse dans ce champ où le photographe m’a surprise endormie dans la plénitude de mes trente ans ? Etais-je malheureuse sur cette plage où je ne souris pas, où je regarde des enfants qui s’éclaboussent.
Oui, je me raconte ce que je sais de ma vie, ces bribes, comme fibres végétales palpitant doucement dans le vent de la mémoire. Souvenirs fugaces, instables, insaisissables, du sable.
Tout ce que je crois savoir de moi et qui ne me sert à rien. Des écrans, des enveloppes, des tchadors. Je sue, le souffle en suspend, lasse comme un poisson pris dans la vase d’une mare desséchée.
Et puis je me lève, je rejette le linceul tissé par l’insomnie. Je retrouve l’eau froide, puis les vaisseaux bleus du Vercors défiant l’espace, le ciel et la vallée. Les premiers pas du matin sont chaque jour les premiers pas de la vie. Hier n’est que fumée et demain dans la brume. Un merle siffle sans vergogne sur la gouttière, la lumière brise les fenêtres. Le monde est terrible, vivre est terrible, être soi est une terrible énigme.
Il est des nuits merveilleuses où je brûle toutes mes couvertures. Le sommeil m’emporte comme une mère. Mes rêves me disent que je suis une inconnue, que la seule tâche, la seule qui vaille la peine qu’on s’y livre, c’est d’accepter de se perdre en cette inconnue corps et biens. Alors je ne peux me dire guérie, mais il arrive que je m’espère sauvée.
Philomène
J.B.Pontalis est un écrivain contemporain édité chez Gallimard.
Son œuvre est marquée par son travail de psychanalyste, mais c’est une empreinte légère, pudique, modeste.
Je n’ai lu de lui que des œuvres faites de fragments par exemple, « Fenêtres », « Perdre de vue », « l’enfant des limbes »
J.B. Pontalis m’étonne au vieux sens de se prendre la foudre.

lundi 16 février 2009

Noces rebelles

Le titre n’est pas bien choisi, tant la rébellion porte un sens politique, alors que dans cette réalisation de Sam Mendes, c’est d’un malaise existentiel dont il s’agit, genre « tu la voyais pas comme ça ta vie ».
« Fenêtre panoramique », titre du livre de Richard Yates, qui a inspiré le film aurait mieux rendu le dilemme de l’ennui et des rêves.
Les années 50 couleur sépia avec ses vagues d’employés en chapeaux, appartiennent désormais à une autre époque. La secrétaire de si peu d’importance, comme les enfants, disparaissent dans le décor. Il faut bien le personnage du fou pour révéler les impostures, les lâchetés ; le procédé est d’ailleurs facile malgré la puissance des acteurs. Petites vies; mais sommes nous supérieurs aux autres, différents ?
La cinématographie française s’est souvent sentie plus exigeante que les productions américaines, eh bien, en lancement, un film avec Sophie Marceau ne faisait pas le poids avec ses bribes rigolotes, avant la performance de Leonardo DiCaprio et Kate Winslet.
C’est le film hollywoodien qui pose des questions graves sur le sens de la vie.
Et tout le monde n’a pas la possibilité de débrancher son sonotone quand les cris se font trop stridents.

dimanche 15 février 2009

Bashung

Bien des critiques mettent au plus haut « Bleu pétrole » la dernière production de la « force tranquille du rock ». Ils apprécient la tonalité pop folk de ce CD, qu’il a concocté pendant 6 ans avec de multiples collaborations. Pour moi cette production agit comme j’imagine l’effet produit chez les derviches tourneurs pris par les sonorités envoûtantes. « Les tristesses surannées ». Je me suis régalé, même si je n’ai pas suivi assidûment sa carrière. Je venais d’essayer plusieurs CD de nouveaux chanteurs recommandés par « Libé », « l’Obs », mais le sexagénaire les enterre tous, d’autant plus qu’il s’approprie quelques titres majeurs : « Susanna » de Léonard Cohen qui lui va très bien, ainsi que certaines chansons de Manset, le chanteur culte de toute une génération, la mienne.
« Je t’ai manquée pourquoi tu me visais »
« Un jour je parlerai moins jusqu’au jour où je ne parlerai plus »
« J’ai des doutes sur le changement de l’heure en été…
Est-ce que vous avez des doutes des idées des rêves des douceurs éveillés ?
Le goût de changer de route à prendre ou à laisser ? »

Il traîne un cancer.
Le phrasé, la voix nous suivent, ses musiques soignées nous enveloppent, ses atmosphères ont de la gueule.

vendredi 13 février 2009

Les Bidochons en H.L.M.

Si le journal »Libération » ne m’avait pas envoyé l’album pour bichonner le lecteur de quotidien après un an d’abonnement, je ne l’aurai pas acheté. Le succès des personnages de Binet dont le patronyme est devenu commun ne m’emballait pas. De la même façon que les Deschiens me mettaient mal à l’aise, le mépris accompagnant souvent le terme « les gens » qui conduirait celui qui utilise le terme, au dessus de l’ordinaire, irrite le « beauf » en moi qui ne sommeille que d’un œil. Ces albums, finalement sont pour les Bidochons et venant de Libé qui m’agace encore parfois pour ses positions élitistes, ce cadeau ne constitue-t-il pas un signe d’évolution de la gauche vis-à-vis du peuple qui n’est pas forcément gibier à populisme ?
La défaite politique de la gauche s’est préparée dans ce fossé creusé entre les élites fréquentant Rolland (Garros), amateur de whisky, méprisant Rolland (Thierry) et le pastis.
Ces 50 pages sont drôles, et il y a de la tendresse, et de la vérité.
L’association pour la défense des locataires se constitue :
«- Donc sur 250, trois seulement se sont excusés !
- Quatre avec monsieur Travel que j’ai rencontré ce matin et qui m’a dit d'aller me faire foutre avec nos conneries !
- Celui-là ça m’étonne pas !
- Il sera le premier à venir gueuler le jour où il y aura un problème. »

Faits d’école

J’apprécie François Dubet car dans les débats concernant l’école, il sait situer tout en nuances sa place de sociologue et il exprime les positions aussi bien des profs que des élèves, sans asséner de leçons. Il sait que les acteurs du milieu éducatif retiendront ce qu’ils voudront de ses études. Ainsi le syndicaliste se servira de ses écrits quand il évoque la violence sociale extérieure mais ne semble pas avoir lu les lignes concernant la violence interne. Ce qui tranche avec les autres publications, c’est qu’il n’ignore pas les blocages, il ne les méprise pas, il les comprend, il sait reconnaître la pertinence d’arguments contraires à ses inclinations au sujet par exemple de la baisse du niveau, des vertus du redoublement, des répercussions de la taille des classes…
Les fonctions de l’école sont bien la distribution, la transmission, l'éducation tout en ménageant la nécessité de l’égalité et celle du mérite : vastes programmes pour Sisyphe au ministère.
Des questionnements stimulants : « à qui appartient l’école ? », des observations éclairantes : « le déplacement des tensions du système vers les individus ». En annexe la reprise d’un de ses articles dans Libé, où il défendait le collège unique contre la proposition de J.L. Mélenchon qui souhaitait rétablir des filières professionnelles dès la classe de quatrième ... en 2001.
Le temps d’un livre, on pense voir un peu plus clair, et il suffit d’un coup de ciseaux sur une joue professorale, et d’une pique jargonnante « des tendanciels systémiques » pour que les bras vous tombent. J’ai du temps pour me pencher sur ces papiers là, et je n’ai plus de bras, d’où ma molle lecture. Mais quand on voit le déni des travaux les plus documentés consacrés par exemple au rythme des enfants, le lecteur amateur peut avoir la tentation de replonger dans un recueil de poésies pour une efficacité égale. Ceux qui ont à épauler les jeunes vers l’avenir peuvent-il porter leur regard par- dessus la circulaire du jour, sont-ils condamnés à la défensive symétrique d’une volonté de rabaisser le débat au niveau des couches-culottes ?

jeudi 12 février 2009

Saul Leiter

Dans la jolie collection noire, "photo poche" chez Acte Sud, à un prix abordable, des photographies des années 50/60 en milieu urbain. Des cadrages encore originaux aujourd’hui : des reflets, des encadrements de magasins pour des lignes fortes. La vérité d’un instant peut se trouver à hauteur de semelle et la vivacité d’un parapluie rouge gagner à se situer en bordure. L’américain a fréquenté les milieux de l’abstraction lyrique et le nom de Rothko est évoqué pour le situer avec ses couleurs évidentes. Je viens de découvrir Saul Leiter et je reconnaîtrai sa patte.

mercredi 11 février 2009

Hiérarchie. Faire classe # 20

Nous étions si heureux, au milieu de la rue en chantant :
« La hiérarchie, c’est comme les étagères, plus c’est haut, moins ça sert »
Parfois nous pouvons penser que nous avons gagné en familiarité avec les têtes d’affiche, à défaut d’égalité.
Sur la toile, tout un chacun accède à l’expression.
Clic ! Clic ! : Finky, Ségo, Titinne se font alpaguer mieux qu’au coin de la rue :
plus de maîtres-penseurs, plus de maître, plus de…
Nous sommes à tu et à toi, à tue-tête. C’est le forum en mon fauteuil, la démocratie.
Et si l’on soulevait le voile, la toile ?
Dans le milieu enseignant, il me semble que le conformisme gagne.
Tout n’est pas perdu : nous nous épargnons quelque fatigue avec les pompeux persuadés de leur vérité. Les particularismes maintenant s’assouvissent en sites, en réseaux, mais en dehors des cohortes sonorisées, il n’y a plus trop de voix dissonantes dans les assemblées.
De mon temps les inspections se raréfiaient, les inspecteurs s’éloignaient, dans une nuée de paperasses. Dans ce domaine de l’encadrement encore plus qu'ailleurs, je ne sais mesurer l’étendue des dégâts. Mes collègues toujours sur le terrain pensent me consoler: « tu es parti au bon moment ! »
Il m’était arrivé de déplorer un acquis syndical demandant aux inspecteurs d’avertir de leurs venues. Pourtant jadis, j’avais même milité pour leur retour aux champs. L’illusion d’une inspection précédée parfois de répétitions ne trompe pas un œil averti. De toutes façons, la note est péréquée : tout va bien. Paradoxalement cette visite annoncée sacralise l’inspection. Tout le monde tremble lors de cet événement exceptionnel. Sommes-nous si fragiles, peu sûrs de nous que des instructions officielles changeantes nous agréent à tous les coups.
Il n’y a pas si longtemps, les inspecteurs exerçaient leur autorité sans excès. Maintenant l’ordre règne.
Les protestations visent parfois un ministre lointain, mais il est rare que l’on rétorque à son inspecteur, que l’on s’oppose à un conseiller municipal.
Il y a bien aussi le retour sournois des maîtres- directeurs, faute de directeurs. Des adjoints s’étant défaussé de leurs responsabilités tandis que d’autres soignent leur plan de carrière : bénéfice réciproque. Le chef trônera plus près de chez vous.
« Si je viens m’immiscer ainsi au milieu des…
Non, la ligne est barrée.
Si je peux me permettre de m’adresser à vous…
Non plus. Pourquoi ce ton contrit ? Mieux vaut une formule plus directe et plus ferme :
Monsieur, je m’adresse à vous en ma qualité de directeur de l’Ecole Universelle, et au nom d’un grand nombre des hommes de cette région…
La formule est plus fière, mon aïeul la conserve. »
A. Maalouf

mardi 10 février 2009

Expressions dauphinoises.

Concentrés de phrases inspirés du Petit dictionnaire des expressions dauphinoises de Christian Perrin Toinin 14€ aux éditions Arthéna, grand succès en librairie et en tabac journaux.
Pour les « magnauds » :
« Les bardelles se sont abadées.
Je suis fâché après mon belu de voisin et sa femme qui est un vrai cardon.
Je vais tacher moyen de retrouver ma cravate mais elle est à point d’endroit.
En patalant, le matru s’est pris un bon gadin. Il en a mais fait un rat pourtant ça l’empêchera pas de vionzer la prochaine fois.
C’n’est pas la peine de niouler, n’importe comment, si tu finis pas le gratin d’herbes et il va pas te reprocher, tu n’auras pas de salade de saramejou. »

Proverbe à propos des cheveux blancs :
« Peu importe qu’il y ait de la neige sur le toit pourvu qu’il y ait du feu dans la cheminée »

lundi 9 février 2009

Les trois singes

J’avais beaucoup aimé deux films précédents du réalisateur Ceylan : « Usak », « les climats ». Toutes les conditions étaient réunies pour présenter un film convaincant : des acteurs denses, le thème du pouvoir et du mensonge, une esthétique forte, mais la lenteur devient un système qui ne convient peut être pas à ce genre de film. Ce prix de la mise en scène à Cannes m’a laissé à distance.

dimanche 8 février 2009

"Tu nous as vus"

Cabaret Chromatic

Joli spectacle original à voir en famille ou avec sa classe : on peut s’amuser à reconnaître 17 tableaux de Bosch à Kandinsky animés par des artistes circassiens, des danseurs, des musiciens plein d’allégresse. Deux personnages sortis d’une bande dessinée de Gottlieb, dont Newton, nous servent de guides. Leurs bavardages disparaissent bien vite sous les vives couleurs de tambours de flamme qui prolongent « la forge » de Le Nain ou sous la virtuosité de l'acrobate au mât chinois du "Radeau de la méduse". Une Marianne échappée du tableau de Delacroix apparaît si fragile sur son fil. Little Némo se retrouve dans le lit géant de Van Gogh et la célébration de la terre croise les images de Millet et la puissance d’une danse aux racines africaines : un spectacle inventif.

samedi 7 février 2009

« La banque croûte et l’université jeûne »

Les slogans trouvent parfois la formule magique, et la postérité de 68 a tenu aussi à quelques bouquets de mots bien assortis. Cette phrase en titre prise sur une banderole de 2009 résume toute l’absurdité du système et son injustice.
Mais il n’en va pas toujours ainsi et bien des mots perdent de leur vérité.
« Maman, je t’aime, attache moi… » Les panneaux lumineux sur les autoroutes s’essayent à l’originalité, mais à afficher ainsi les sentiments les plus intimes ne les épuise-t-on pas ?
L’autre jour un chroniqueur s’insurgeait des développements culpabilisants concernant les places réservées aux handicapés : « si tu prends ma place, prends mon handicap » comme si une information ne suffisait pas.
Que de temps, de salive perdue à expliquer : « tu sais ce n’est pas bien de taper sur ton camarade ». Allons le dire dans les cours de récréation à Gaza !
Les mots n’ont plus de sens quand il faut mettre de l’amour derrière une ceinture de sécurité. Quand « enfoiré » est devenu un mot chaleureux ou lorsque Darcos dit valoriser le soutien scolaire quand il supprime massivement des postes de personnels spécialisés dans le soutien.
Dupliqués les clichés deviennent ridicules, ainsi jeudi dernier, l’expression« jeudi noir » compilée, propagée jusqu’à devenir transparente, a-t-elle suscité un petit additif le lendemain après le succès des manifestations : « jeudi noir…de monde » ?

vendredi 6 février 2009

« Où on va papa ? »

Se lit en un éclair et vous traverse comme une flèche. Jean Louis Fournier est le papa de deux enfants « pas comme les autres », il en parle avec amour, humour, noirs. « Je me moque moi-même de mes enfants. C’est mon privilège de père ». Terrible. Je n’avais pas tout apprécié de cet auteur qui avait un peu allongé la sauce dans sa grammaire impertinente mais dans ce livre où l’objet transcende tout jugement, je me mettrais volontiers de son côté contre les critiques de certaines belles âmes. Il a eu le prix Fémina et un grand succès de librairie. Un des deux enfants est mort : « Maintenant Mathieu est parti chercher sa balle tout seul. Il l’a jetée trop loin. Dans un endroit où on ne pourra plus l’aider à la récupérer ». C’est tout le long comme cela : intense, essentiel.
J’ai trouvé sur un site cette vidéo dont il est l’auteur, en ayant lu le livre, ce qui est drôle dans cette petite histoire prend une dimension poignante.

jeudi 5 février 2009

Musée Géo Charles

Le seul musée en France qui associe l’art et le sport se trouve à Echirolles.
La veuve de l’écrivain collectionneur a légué des œuvres de Derain, Delaunay, Léger que son mari avait acquises lors de sa vie dans le Montparnasse brillant des années trente.
Des œuvres contemporaines alimentent des expositions temporaires.
Le corps et l’esprit, les pieds et la main, les intellectuels s’encanaillent dans les tribunes populaires, l’encre et la sueur, PSG et NRF.
Un lieu familier avec des œuvres originales et un point de vue qui me convient complètement.
Même si je n’étonne plus grand monde, j’aime bien répondre par exemple, au questionnaire de Proust revu par Pivot :
- Quel personnage pour illustrer un nouveau billet de banque ?
- Yohan Gourcuff !

mercredi 4 février 2009

« Base élèves » dans nos têtes

J’interromps, cette semaine, la publication de ma rubrique du mercredi « faire classe » où j’essaye de rassembler ce qui a constitué ma pratique pédagogique ces dernières années, pour transmettre un texte rédigé par Jean Pauly, directeur d'école dans le Lot, membre du collectif national de résistance à la base élèves.
Il m’a convaincu que le problème « base élèves » n’était pas anecdotique.
Ce sujet ne m’avait pas semblé central d’autant plus que j’ai eu à regretter parfois que des prises en charge d’enfants en souffrance ne soient pas effectuées suffisamment tôt, faute de partage d’informations. Mais il s’agit de bien autre chose. En outre, ce collègue exprime des ressentis sur l’évolution de la profession, que je partage, sans avoir réussi à les formuler clairement.
Prologue
C'est une réunion de directeurs et de directrices de circonscription.
Vous voyez le tableau, nous sommes dans une salle des fêtes de centre bourg.
Sur la scène – celle prévue sans doute pour les spectacles en costume de papier crépon, les évolutions collectives et les reprises de la chorale enfantine – sur la scène, donc, l'Inspectrice a installé son grand quartier général. Elle trône au centre, à un bon mètre de hauteur, on voit ses chaussettes et ses escarpins, et pilote la réunion derrière le rabat de son ordinateur portable. Un vague écran sur le mur affiche une succession de titres sur fond couleur, des diagrammes et des tableaux, illisibles depuis la salle. La salle où nous sommes… comme au spectacle, sur des chaises en plastique équipement collectif accrochées les unes aux autres par une barrette de métal… la salle où nous subissons plus d'une heure de consignes pour les saisies informatiques des évaluations CM2.
Que ça… pendant une heure!
Sur la scène aussi, la brochette des conseillers pédagogiques de circonscription, chacun à son pupitre. On ne voit pas leur tête derrière l'écran de leur portable et on devine qu'ils ne sont pas très à l'aise. Ils se terrent, les ex-collègues, barbouillés par la difficile digestion de toutes les couleuvres avalées, serrant le popotin sur la sellette, chacun sa tâche… qui d'apporter une précision, qui de prendre les notes, qui de confirmer la bonne parole. La responsable informatique a rang de ministre d'état et l'oreille de la patronne…
"T'as vu, elle a un nasus" me dit ma voisine. "Un quoi?" "Un Asus… c'est le top…"
Heureusement la pause café arrive… ça râle sec autour du verre en plastique… ça promet du saignant dans la deuxième partie des questions posées… et qu'on va voir ce qu'on va voir… et qu'on va pas se gêner… et qu'elle va nous entendre…
On se rassied dans les murmures…
Trente doigts se lèvent, le micro de salle est happé par la foule, trente questions, trente récriminations, trente déclarations fracassantes…
Et pas une sur ce qui saute aux yeux, qui paraît l'évidence dans cette mise en scène surréaliste et délirante… pas une seule mise en cause du conditionnement technologique et de la fuite en avant dans les systèmes.
***
Je fais partie des 170 directeurs et directrices qui ont signé l'appel à ne pas renseigner la Base élèves. 170… une paille… une aiguille dans la botte de foin de l'Education Nationale… une rumeur à peine audible dans l'assourdissant silence de cette grande muette.
La profession participe, dans son immense majorité, à ce projet. Elle s'est émue du contenu des renseignements demandés sans comprendre que la finalité de Base élèves était la création du répertoire et l'immatriculation forcée des jeunes scolarisés.
Elle aurait pu se poser des questions, s'inquiéter de la destinée d'un fichier centralisé, se préoccuper du contrôle nécessaire des systèmes informatiques ou mettre en avant le principe de précaution. Elle aurait pu, tout simplement, avoir le réflexe de la protection de l'enfance jetée ainsi en pâture dans le grand bain des politiques de contrôle de la population.
Elle aurait pu. Elle ne l'a pas fait. Elle ne le fait pas.
Comment expliquer que les enseignants trahissent à ce point les valeurs de leur métier et leur engagement pour l'enfance… sans même s'en apercevoir?
C'est une question que je me suis souvent posée et qu'on nous a souvent posée dans les réunions. Je vais essayer de l'aborder en avançant cette hypothèse : si la Base élèves a pu s'installer aussi facilement dans notre paysage, c'est qu'elle était là, tapie, dans nos têtes… c'est qu'elle était à l'œuvre, souterraine, dans les conditionnements subis depuis une vingtaine d'années.
Nous ne sommes pas complètement « victimes innocentes » dans cette affaire. Nous, c'est-à-dire les instits, les "de gauche", les républicains, les pédagogues, les syndicalistes ou les militants de l'école "nouvelle"…
Adeptes de la modernité, nous avons laissé filer la tradition humaniste du métier avec l'eau du bain.
Enfermés dans des batailles à court terme, nous n'avons pas su voir plus loin que le petit périmètre de nos revendications.
Intimidés par les discours des experts, nous avons accepté les techno-logiques (comme dit David Corneille) dans nos pratiques.
Dépossédés du point de vue d'ensemble, nous nous sommes fourvoyés dans des impasses… et nous avons commencé à perdre notre âme.
Je propose ici une mosaïque de réflexions, les unes argumentées, les autres plus intuitives, sur les bouleversements de l'école que nous avons vécus et qui ont préparé le terrain à la résignation. Le lecteur aura peut-être du mal à retrouver un lien direct avec le sujet, voire peut-être une cohérence. Le fil logique de tout cela n'est pas toujours encore très clair pour moi. Si je devais en dérouler un, d'emblée, ce serait celui d'une histoire d'instit (la mienne) et de son ressenti.
*Sortir du petit périmètre
Elle ne verrait de la mer que chaque vague, l'une après l'autre,
et ne comprendrait pas la houle et son immense mobilité,
ni les promesses et les dangers qu'elle recèle
(Note technique : au rugby, quand on dit qu'on joue dans le petit périmètre, c'est qu'on reste cantonné autour des regroupements et qu'on n'envoie pas la balle au large… C'est un choix qui peut s'avérer utile quand on n'a pas confiance dans ses capacités ou quand on est sur la défensive. C'est un jeu qui peut faire gagner sur un match, mais rarement sur une saison).
La bataille contre la Base élèves a été perdue par la profession en juillet dernier parce qu'elle a joué dans le petit périmètre. Elle n'a pas su voir plus loin, aveuglée par le débat sur les items et notamment sur celui de la nationalité et des sans-papiers… ce n'est finalement qu'un aspect secondaire, ou simplement une conséquence possible de la mise en place du fichier nominatif centralisé.
Nous savons maintenant - et nous commençons à être crédible là-dessus - que le point central est celui du numéro d'identification.
Aujourd'hui encore, pour beaucoup d'entre nous, la résistance à la Base élèves est une ligne dans le catalogue des résistances alors, qu'à mon sens, elle va au-delà des questions strictement politiques : la mise en place du fichier national n'est pas une invention de Darcos (elle a commencé en 2004); elle ne sera pas résolue par la démission du Ministre, ni par la défaite de Sarkozy aux élections… parce que le projet vient de beaucoup plus loin et résistera aux péripéties à venir. Il touche à des questions de fond qui se posent depuis longtemps à l'école et à la société sans qu'elles aient pris jusqu'à maintenant ce caractère déterminant.
Je crois que notre hiérarchie ne ment pas sur un point : le projet de la Base élèves est aussi un projet de gestion de l'éducation nationale, en gestation depuis longtemps dans les bureaux du ministère. L'équipe en place ne fait qu'achever un travail préparé par toutes celles qui l'ont précédée.
L'objectif est de moderniser la vieille Maison considérée par l'air du temps comme peu rentable et inefficace. Pour cela, il faudrait des outils de mesure (comme les évaluations nationales) et une gestion pilotée par des systèmes informatiques centralisés.
Je ne pense donc pas qu'on puisse assimiler ce plan de re-concentration autoritaire aux politiques de démantèlement de l'Institution Ecole, par ailleurs très réelles. Je serais même tenté de défendre le contraire : il s'agit d'une réorganisation par le haut d'un mammouth qui bat de l'aile. Le développement continu de la machinerie bureaucratique me fait plutôt penser au syndrome de l'Urss en phase terminale : ils pensent pouvoir s'en sortir avec encore plus de centralisation.
J'ai plusieurs fois évoqué le pouvoir de la technostructure… j'espère que cette formule a une réalité sociologique car elle évoque bien ce que je pense : les logiques auxquelles nous sommes soumis – auxquelles nous sommes sommés – ne sont pas forcément toujours des logiques politiques à court terme. Il y a une dynamique propre de la bureaucratie technique qui me paraît bien plus forte et plus profonde que la volonté des appareils politiques. Qu'elle soit utilisable à des fins répressives immédiates est une donnée, mais ça ne me semble pas être le cœur du problème, ni son origine.
La Base Elèves serait la créature de la technostructure.
Ce qu'on peut craindre, c'est qu'elle lui échappe comme le monstre échappait au Docteur Frankenstein ou comme le nuage de Tchernobyl filait entre les doigts des ingénieurs de la centrale.
*L'instit' d'hier et le professeur des écoles d'aujourd'hui.
La bonne pensée bruisse dans le silence feutré des bâtiments d'époque.
Je ne veux pas idéaliser ce que furent les années 70-80, les années d'un autre siècle… mais, convenons en, l'instit' d'alors avait beaucoup plus d'autonomie que le professeur des écoles d'aujourd'hui. L'Institution était un peu coincée, voire revêche, mais ne cherchait pas à tout tenir comme aujourd'hui. C'était une vieille dame poussiéreuse et un peu dure d'oreille qui exerçait son contrôle sur l'apparence et la tenue plus que sur le contenu du travail. Bonne mère, elle faisait preuve d'une certaine tolérance vis-à-vis de ses enfants les plus turbulents et réagissait avec discernement aux provocations de circonstance. Le personnel d'inspection pouvait parfois se montrer très ouvert… j'ai souvenir de quelques uns qui se permettaient des libertés par rapport au discours officiel tout à fait inimaginables aujourd'hui.
A l'Ecole normale, où j'usais le fond de mes jeans de ces années là, nous pouvions passer quelques jours dans la classe de Marceau, ou de Ségala, ou de Cadiou que nous nous étions donnés comme maîtres compagnons du moment… Les mouvements pédagogiques avaient pignon sur rue. Nous faisions des stages officiels chez les Francas ou dans les Cemea. Le mercredi, nous animions des après-midi Usep. Un groupe Freinet qui réunissait des profs et des élèves-maîtres s'était monté derrière les murs de la vieille maison. Un Inspecteur était président de l'Occe. Avant le premier poste, une dizaine d'entre nous s'étaient retrouvés dans un centre de colo pour préparer sa rentrée au bord de la mer, échanger des outils, des idées, des émotions.
Plus rien de tout ça aujourd'hui… une administration cuirassée, une machine et ses rouages bien en place, une armée de techniciens de l'éducation (de vrais professionnels!), des inspecteurs sans état d'âmes. Bientôt des super-directeurs… et des fonctionnaires.
Des fonctionnaires… la première fois qu'on m'a sommé de l'être, c'était il y a presque dix ans, pour me reprocher une liberté de parole… j'étais tombé de cul. Naïvement, je pensais que j'étais beaucoup plus qu'un fonctionnaire, beaucoup plus, beaucoup mieux, en étant un "militant de l'école".
On commençait à changer d'époque, sans doute… et c'était sous la gauche.
*Education et Education populaire
S'il avait le temps, il regarderait le ciel… de vagues souvenirs d'un stage franca…
Pour notre génération, l'école et les mouvements d'éducation populaire étaient intimement liés. Le plus souvent, nous avions été monos avant d'être instits. C'était un tout. L'enfance était un tout : à l'école, au centre aéré, en camp, à la cantine, au stade, à l'étude. L'éducation était un tout : les savoir savoir, les savoir faire, les savoir penser, les savoir être, les savoir dire… très loin des débats de sourds entre tenants de l'instruction et tenants de l'éducation. Aux formations des Cemea, par exemple, c'est un directeur d'école de banlieue qui nous emmenait dans les bois. Il ressemblait au maître à blouse grise de "La guerre des boutons" (le film). Nous sortions nos Opinel pour tailler des branches de noisetier. Nous aurions pu sortir nos stylos rouges pour souligner le verbe conjugué de la phrase ou poser la division à deux chiffres. C'était pareil. Tout cela procédait d'une émancipation républicaine qui n'avait pas besoin de dire son nom. Un état d'esprit. Une culture partagée par l'époque, les parents, la gauche, le syndicat, les œuvres… et l'Institution sans doute… du bout des yeux et des lèvres.
L'enfance était un monde. On la considérait en bloc. On n'avait pas de projets personnalisés. On ne décortiquait pas les tenants et les aboutissants. On y allait comme ça… et le reste (la psychologie, l'approche individuelle, les considérations particulières) suivait. J'ai l'impression qu'un élan nous portait et entraînait tout derrière lui sans qu'il soit besoin d'y remédier.
L'éducation populaire a disparu de nos horizons. Petit à petit. Oublié, ce formidable gisement d'expériences, de connaissances, de pratiques ouvertes. Etranglé aujourd'hui par la suppression des subventions. Etouffé alors par les grosses machines du savoir officiel. Par le triomphe des experts.
*Le triomphe des experts
Il portait maintenant les cheveux courts et une boucle à l'oreille, comme tout le monde…
La disparition des écoles normales a sonné un premier glas. Je ne veux pas les pleurer maintenant, ne les ayant pas regrettées alors. Mais tout de même… en quelques années, les praticiens ont quasi disparu de la formation.
L'Université en prenant en charge les Iufm a apporté un nouveau souffle dans les bâtiments centenaires, une tenue intellectuelle, des connaissances, un recul sur les choses du quotidien. Mais en même temps, sûre d'elle même, elle a exclu de fait tout un pan du savoir instit, des traditions, des tours de main et des outils. Elle a exclu – peut-être sans le vouloir - les mouvements d'éducation populaire et les œuvres laïques en les reléguant d'abord à la marge du système de formation, puis en les confinant, comme des curiosités, au musée de l'histoire de la pédagogie.
Sur un autre plan, l'emprise de l'Université a fait beaucoup de mal à la culture humaniste du monde de l'école (l'esprit de polyvalence) en important le cloisonnement de ses matières enfermées dans des jalousies corporatives. Les conseillers pédagogiques spécialistes se multiplient aux dépens des "généralistes". Les promoteurs des disciplines se tirent la bourre dans l'antichambre du ministre avec leur plan de rénovation prioritaire. Les colloques font florès (la litanie des chercheurs du petit bout de la lorgnette) d'où l'auditeur ressort plus décousu encore. D'où aussi, le rare bonheur d'écouter la parole cohérente d'un intellectuel qui s'élève au dessus des disciplines pour un tour d'horizon salutaire…
Ce cloisonnement dont je parle et cet émiettement intellectuel ont joué un rôle important, il me semble, dans le triomphe actuel des experts et des conceptions de l'école de plus en plus techniques et de plus en plus fermées… On fractionne, on découpe l'acte éducatif en mille petits morceaux didactiques et on perd la vision d'ensemble. On perd l'âme des choses.
*Le bureau des statistiques
Mme Lambert présente l'organigramme de la cellule Développement et Perspectives…
Je m'amuse à imaginer l'étage du ministère consacré aux études statistiques.
Tout aurait commencé il y a une trentaine d'années. Quelques fervents de la règle à calcul – des mathématiciens, des géographes, des sociologues, des économistes – auraient pris position dans un obscur bureau d'une annexe de la rue de Grenelle. Les voilà maintenant au sommet du pouvoir, au creux de l'oreille du ministre, en ligne directe et sur le même palier… comparant, évaluant, conseillant, prévoyant, simulant, prospectant.
Enfin de la macro vision de l'école pilotée par des gens qui savent jusqu'au bout des ongles! Enfin du solide, de la réalité vraie mesurée par des professionnels de la statistique!
Les évaluations nationales nous sont arrivées dans la foulée. Elles ont mobilisé des centaines de milliers de classes, des enseignants, des conseillers, des inspecteurs et des chercheurs. Elles étaient d'abord complètement anonymes. Puis nous avons vu les premiers tableaux comparés… par circonscription, par classe, par élève enfin. Sans nous en apercevoir, nous avons rendu des résultats nominatifs. Nous avons rougi en réunion parce que le pourcentage d'échec sur l'item 46 était particulièrement élevé dans notre classe et que ça se voyait. Nous y avons cru… un peu. Nous avons pensé qu'il fallait en tenir compte. Ainsi nous avons enfermé nos élèves dans un labyrinthe de données chiffrées sans issue. Nous nous sommes enfermés nous-mêmes dans une mécanique évaluation–analyse–remédiation rigide et bornée. Et pour quel résultat?
Aujourd'hui, la boucle se boucle. La Base Elèves deviendra peut-être – on ne le sait pas encore - le support naturel des relevés des évaluations.
Traçabilité. Transparence. Lisibilité.
Zéro défaut…. ou déviance.
*La culture de la modernité
« T'as un look de jardinier Camif, Maurice… »
Nous avons aimé être modernes.
Enlever nos blouses grises, mettre les tables en carré, jouer de la guitare, écrire au marqueur fluo, travailler sur fichiers… nous précipiter sur les nouvelles technologies avec la foi du charbonnier… être de gauche.
Pas un congrès syndical sans l'appel à CHANGER l'école. Pas une déclaration pédagogique sans mettre en avant l'école nouvelle, l'école moderne, l'école de DEMAIN. Pas un discours de ministre progressiste sans de vibrants plaidoyers pour l'INNOVATION.
Trente ans après, les slogans fatiguent. A force de changer, nous avons perdu la boule et les mots sont vides. Ils nous précipitent dans des débats impossibles du genre "la grammaire, c'est réac" ou "le web c'est fun".
Les slogans nous figent.
Drôle d'époque où nous avons de plus en plus de mal à trier entre le vrai et le faux, le virtuel et l'accompli, le réel et l'illusion… le progrès et le moderne. Drôle d'aventure que celles des mots. Quand nous vilipendons la tradition au profit de la modernitude, le marketing agricole fait le contraire : les produits qui se vendent sont des produits Tradition et la nouvelle alimentation est identifiée à la mal bouffe.
Aujourd'hui, la "gauche moderne" renseigne la Base élèves tandis que la hiérarchie catholique, paraît-il, s'inquiète de l'atteinte au respect des personnes. Le discours obsessionnel de la modernité a été repris par les libéraux à l'assaut de la vieille forteresse.
Les mots ne veulent plus rien dire. Les géographies politiciennes n'ont plus beaucoup de sens. Mais on continue comme avant, conditionnés, comme les chiens de Pavlov.
*L'idéologie informatique
Les Lumières, c'est fini… si tu vois ce que je veux dire…
Un souvenir me vient à l’esprit… c’était dans les années 90 en plein boum des nouvelles technologies. Je participais au réseau Marelle que des petites classes rurales isolées utilisaient pour des correspondances et des interactions immédiates grâce à l’Internet, le fax, et toutes sortes de moyens de communication. Les instits qui animaient ce réseau étaient des pionniers (ils avaient commencé avec le minitel) et avaient alors une longueur d’avance sur les questions pédagogiques induites par l’introduction des Tice à l’école. J’avais été invité à présenter l’outil Marelle à un colloque d’un cddp quelconque. Un colloque… que dis-je ?... une foire commerciale plutôt.
Je ne connaissais pas grand-chose aux questions techniques. J’avais apporté une vieille bécane : le logiciel Marelle était très simple d’utilisation pour les élèves et ne nécessitait pas d’ordinateurs sophistiqués. J’ai vite compris que ça n’intéressait pas grand monde. Le public branché était attiré comme des papillons de nuit par le clinquant, la nouveauté, la performance et pas vraiment par l’intérêt pédagogique des machines. J’ai vite compris que ce petit monde abordait la technique de manière tout à fait infantile, comme fasciné, sans aucun recul.
Cette inconscience peut faire penser à ce que fut le scientisme à la fin du XIXème siècle… même absence de réflexion, même idolâtrie des machines, même idéologie ridicule. Ce pourrait être marrant… on sait maintenant, après deux guerres mondiales, que ça peut mener à des catastrophes.
La bêtise omnipotente des branleurs de clavier, le délire métaphysique de certains penseurs de l'âge informatique (la noosphère comme nouveau ciel des Idées), le cynisme des marchands de matériel font maintenant le quotidien de l'Education Nationale. Pas une année sans qu'un "spécialiste" nous vante le logiciel didactique miracle ou le nouvel équipement indispensable. Et les instits suivent… vaille que vaille… enthousiastes, ou culpabilisés, ou allergiques… ou les trois à la fois. Jusqu'à renseigner la Base Elèves.
*La fin d'un métier : du praticien à l'exécutant
On pensait que la classe était un bateau et que c'était beau.
Laurent Ott a souligné un aspect de la mise en place de la Base Elèves que nous n'avions pas mesuré dans les premiers temps. En créant le fichier national, l'institution externalise la gestion de chaque école, transformant le directeur en "bipeur de supermarché", celui qui transmet les données au nouveau super gestionnaire. Ce serait une dépossession de plus, l'achèvement de ce qui est à l'oeuvre depuis des années et que j'ai déjà évoqué plus haut : la perte de l'autonomie du praticien, le monopole de la parole pédagogique des experts, l'encadrement de plus en plus serré des initiatives et des projets, la culpabilisation, l'intimidation et l'infantilisation du personnel orchestrées par les DRH académiques.
Dans quelques années, il n'existera plus rien de ce qui a fait la richesse de la grande Maison, ce foisonnement, cette pléthore, comme dans un défilé de carnaval. Voici venir les bataillons au carré, les futurs professeurs des écoles recrutés au profil… les exécutants.
Je m'énerve depuis longtemps de l'enfermement progressif des préoccupations du milieu et de son corollaire corporatiste. L'horizon des revendications se borne le plus souvent aux problèmes de gestion et sort très rarement des sentiers battus et rebattus par les cortèges. En passant du praticien ouvert et curieux sur le monde au modèle du pion exécutant, la profession a perdu le goût des grands espaces. L'instit' devient un "travailleur" comme les autres (une autre manière de dire fonctionnaire).
L'instit' devient ce que l'époque en fait.
*L'acte éducatif est d'abord un acte d'humanité…
Le maître était content, la classe était ravie…
Le lecteur aura compris que je me méfie beaucoup des sciences de l'éducation, ou plutôt de l'éducation affichée comme une science. Je suis probablement très ignorant de ses apports concernant la connaissance de l'élève, les méthodes et les approches éducatives. Pourtant, j'aime penser qu'une petite part de l'éducation échappe aux catégories, comme à l'observation. Un je ne sais quoi, une magie, un petit rien insaisissable qui relie l'adulte et l'enfant et qui est sans doute déterminant.
J'ai l'outrecuidance de penser que je connais mieux la réalité de la classe que tous les chercheurs réunis. J'entends par là, la connaître intimement, presque charnellement, au fil des années, des longues années, dans la répétition et l'ennui, les habitudes et l'épaisseur du temps… l’encre de la photocopieuse, la poussière de la craie, le ronron de l’unité centrale… Je serai comme cet artisan qui connaît mieux la machine que l'ingénieur qui l'a conçue, parce que c'est la sienne, celle qu'il utilise quotidiennement, celle à qui il parle dans la solitude de l'atelier.
Un des aspects de la modernisation forcée de l'école est bien (comme le disait Christian Gerbelot) ce passage de l'artisanat du maître à celui du technicien de l'éducation dans des pratiques de plus en plus émiettées, sur la grande chaîne de l'entreprise Ecole. Dans ce cadre, les experts animeraient un bureau des méthodes, analysant chaque geste de l'exécutant et chaque étape du cycle pour en tirer le maximum en terme d'efficacité et de rentabilité, éliminant le superflu… à savoir l'envie, l'imagination, la fantaisie, la relation humaine.
Alors, le maître-personne n'existera plus, celui qui se trompe aussi, qui reprend, qui s'excuse, qui s'en veut… et qui vit.
*Les mômes
Ce qu'il aimerait Valentin, c'est disparaître. Se fondre et qu'on en parle plus. Voilà…
Les mômes, les gamins, les gosses, les drôles, les bout d' choux…
C'est pour ne pas les inscrire que je suis réfractaire à base Elèves. Viscéralement.
Parmi les chroniques que j'ai écrites*, une de mes préférées s'intitule Essai collectif… L'histoire de Valentin, le problème-Valentin qui passe en commission et "qu'on étudierait par tous les bouts". Lui, il n'aspire qu'à une chose "disparaître et qu'on n'en parle plus".
Cette chronique, je l'avais inventée et je ne pensais pas que j'allais la vivre en vrai. C'était en juin dernier. J'accueillais un élève de "centre" pour quelques semaines. A la réunion de synthèse comme on dit, son père, ses éducateurs, son maître du centre, le maître référent et lui, le gamin assis sur une chaise, comme nous, en rond. Alors, ils ont parlé de lui devant lui. Il fallait qu'il prenne conscience. Ils lui ont demandé de s'engager sur un objectif. Il a dit oui, qu'il s'engageait… c'était comme une mise en scène convenue et obligatoire. Le gosse, il tordait ses mains et balançait ses jambes sous sa chaise. J'étais malheureux pour lui. J'étais malheureux pour les gens de la commission (tous des copains). J'étais malheureux pour nous.
Jamais, on ne s'est autant occupé des mômes.
Jamais on ne les a autant étudiés, analysés, disséqués, traqués...
Ils ne peuvent pas y échapper : être acteur de ses apprentissages, choisir entre son père et sa mère, être citoyen, et consommateur pulsionnel, et spectateur averti…
Maintenant, ils ne font plus exception du monde des adultes.
Il faut qu'ils aient leur mot à dire, alors que parfois, ils aimeraient, justement, pouvoir se taire.
Les mettre sur un piédestal, n'est-ce pas aussi les mettre sur la sellette?
Fichons la paix aux gosses, ne les fichons pas…

Le 20 janvier 2009.
*Pendant une année scolaire passée, j'ai tenu chronique tous les jeudis, depuis ma classe de Reyrevignes. Ces textes qui traitent de petites histoires d'école et de village, sur le mode littéraire, ont été rassemblés par les Editions Odilon dans un recueil "L'année des quarante jeudis", paru en mars dernier. A commander chez le libraire ou chez l'éditeur.

mardi 3 février 2009

Résistance contre Base - Elèves. « Les blés sont sous la grêle »

Monsieur le préfet,
Avant votre destitution, puisque récemment Grenoble n’a pas connu qu'une seule manifestation de 50 0000 personnes, mais deux ! Je porte à votre connaissance ci-dessous un texte lu par un individu nommé Jean Jullien devant 1500 de ses semblables. Comme il s’agit de mon maître, j’ai l’honneur de m’en déclarer complice. Par ailleurs si vous envisagez de mettre en « cabane » ce passionné du Vercors, parce que ça commence à faire un moment qu’il sème ses petites graines de liberté, vous devrez prévoir un vaste parloir parce qu’il y aura sûrement du monde pour lui apporter des oranges (non traitées).
Discours lu pour la défense de Jean Yves Le Gall directeur ayant refusé de « renseigner » Base Elèves, aujourd’hui menacé de sanction.
J’étais instituteur, directeur d'école.
Je suis ici pour bien des raisons.
J'ai travaillé syndicalement, pédagogiquement, avec plusieurs des directeurs qui refusent de renseigner Base-Elèves, dont Jean-Yves. Je les connais bien, je les estime. Ils disent non à de l'inacceptable. C'est la moindre des choses d'être à côté d'eux.
Fraternellement.
Une autre raison, c'est que je suis grand-père.
J'ai vécu le temps où, instituteurs, nous étions les maîtres de notre travail.
Concevoir et fabriquer ensemble des outils, apprendre le métier en allant dans les classes des uns et des autres, discuter quand c'était difficile...
Accompagner les enfants, leur donner les moyens de s'exprimer, de communiquer ; leur apprendre à s'organiser ; leur faire comprendre la nécessité de lois, de lois pour vivre ensemble, faites en commun ; laisser les enfants se tromper, tâtonner, découvrir... je suis convaincu que cela reste le cœur d'une éducation durable.
Et j'entends maintenant le manque de temps, les pressions, la traque de la rentabilité, je lis le ressenti de l'un des 170 réfractaires à Base-Elèves, qui écrit : « … l'école n 'est plus un lieu qui se gère lui-même mais un lieu géré en temps réel de l'extérieur et à son insu, l'école n 'est plus un lieu qui se pense mais un lieu qui est pensé. » Dans ce plan qui est en route, le tâtonnement expérimental, l'accompagnement des enfants, l'humain ne sont pas cotés : cette école à laquelle nous avons apporté une pierre d'humanisme, les naufrageurs sont en train d'en faire une machine à produire les cadres, les exécutants, les chômeurs dont leur système a besoin.
Un fichier, on sait où ça commence, on ne sait jamais où ça peut aller, celui des empreintes génétiques a dérivé jusqu'aux faucheurs de maïs . . .
Et dans notre environnement de jungle ultra-libérale, on peut vraiment, sans rire, se porter garant de l'usage d'un fichier ? Qu'en plus, l'enfance soit dans la nasse n'est pas tolérable.
Au sortir d'un conseil de discipline, dans les années 70, j'ai entendu, si j'ai bonne mémoire, le délégué syndical qui venait de défendre le collègue, expliquer qu'il avait plaidé la tradition universitaire.
Le 9 décembre dernier, un petit groupe de parents et de grands-parents réunis ici, devant l'Inspection Académique opposait un barrage symbolique à l'entrée des directeurs convoqués pour se former à Base-Elèves. La police avait été appelée et le représentant de l'I.A., très présent, ne s'est pas opposé à ce que des policiers sortent leurs triques d'emblée et, je peux le certifier, les utilisent.
Il se pourrait que des traditions universitaires soient en train de se perdre.
La Résistance des années 40 Ieur fait encore peur : : « il s’agit aujourd'hui de sortir de 1945 et de défaire méthodiquement le programme du Conseil National de la Résistance », écrivait en octobre 2006 un ancien numéro 2 du Medef.
Une résistance qu'ils couvrent de sur-commémorations pour la récupérer, la délayer, pour faire oublier que c'était non seulement un combat contre un envahisseur mais aussi pour un pays plus juste, pour la dignité des travailleurs, un combat contre l'Etat Français qui raflait, qui emplissait des camps et qui déplaçait les instituteurs.
Un Etat Français auquel le leur se met parfois à ressembler.
Les résistances aujourd'hui, ils les répriment. Une sanction est une sanction et c'est bien d'une sanction dont il est question pour Jean-Yves, directeur indocile et syndicaliste notoire.
Ce qui se passe maintenant n'est rendu possible que par un conditionnement en route depuis du temps. Maintenant, les blés sont sous la grêle, le temps est venu de se serrer les coudes, de retourner aux syndicats, aux mouvements pédagogiques, d'y travailler.
Dire non au gâchis, désobéir, dire oui à la vie. .. avons-nous oublié ? Et parce que, dans le déni de vie qui est en route, il y a de l'absurde, se souvenir de Camus : « je tire de l'absurde trois conséquences qui sont ma révolte, ma liberté et ma passion ».
29 janvier 2009

lundi 2 février 2009

« Il Divo »

J’aime l’Italie, et je fais à chaque fois l’étonné quand s’accumulent les preuves d’un état gangréné par la maffia. Pas besoin d’être très au fait des arcannes de la vie politique de nos voisins, le parcours d’Andreotti de ces cinquante années au pouvoir est accablant pour la société transalpine, et en même temps le cinéma français est bien incapable de produire un film aussi fort sur son personnel politique. L’humour du « pape noir », de « l’inoxydable » lui épargne un costume trop caricatural de salaud :"on m’accuse à peu près de tout, sauf des guerres puniques". Chaque plan est parfait, non comme un habillage branché, mais au service d’une investigation, qui va au-delà d’un destin politique : la caméra s’approche du masque de l’énigmatique insomniaque, et balaie les sombres palais Romains à un rythme endiablé. « Belzébuth » va se confier à un prêtre très tôt le matin, entouré d’une armada de policiers ; des suicides, des règlements de compte s’accumulent en parallèle, Aldo Moro est sacrifié. Des cartouches assassins énoncent la grossièreté de l’immunité du sénateur. Nous suivons le bossu impénétrable et solitaire dans sa vie de petit bourgeois migraineux, nous entendons la férocité de l’état et notre incrédulité s’excite :"le mal est nécessaire pour arriver au bien".

dimanche 1 février 2009

Arena à la MC2

Sur la scène, une idée d’arène pour un spectacle de flamenco. Le plancher vibre sous les pas énergique du danseur, dispositif élémentaire pour cette danse du corps tendu : claquement de doigts, frappe des mains, talons rageurs. Les chants envoûtants aux accents arabes s’ajoutent à l’évocation de la corrida dont le vocabulaire me demeure bien mystérieux avec des intermèdes présentant des vues de foule sur écran : pourquoi ces mouchoirs s’agitent? Mais la vitalité primale de la danse en dialogue avec la musique est là, intensément. Le mâle se cambre, en défi, en rupture, en attente, en explosion, même avec une pointe d’ironie. C’est l’occasion d’aller rechercher le poème de Llorca pour la mort d’Ignacio Sanchez Mejias.Il cogne au cœur et se marie à la danse,terriblement. A las cinco de la tarde:
« … Les plaies brûlaient comme des soleils
à cinq heures du soir,
et la foule brisait les fenêtres
à cinq heures du soir.
A cinq heures du soir.
Aïe, quelles terribles cinq heures du soir!
Il était cinq heures à toutes les horloges.
Il était cinq heures à l'ombre du soir! »