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dimanche 19 septembre 2021

Tu n'en reviendras pas. Aragon Ferré.

J’aurai pu essayer de mettre des mots autour de plus modestes chansons, car celle là est un monument impressionnant à propos de la première guerre mondiale pendant laquelle Aragon avait été brancardier. 
Place à l’immortel poème où tout est dit de l’horreur survenant au milieu de l'insouciance:
« Tu n'en reviendras pas toi qui courais les filles
Jeune homme dont j'ai vu battre le cœur à nu
Quand j'ai déchiré ta chemise et toi non plus
Tu n'en reviendras pas vieux joueur de manille
Qu'un obus a coupé par le travers en deux
Pour une fois qu'il avait un jeu du tonnerre »
 
« Gueules cassées »:
« Et toi le tatoué l'ancien Légionnaire
Tu survivras longtemps sans visage, sans yeux »
 
La fatalité s’inscrit dans les odeurs de la vie et la chaleur fraternelle des hommes : 
« On part Dieu sait pour où ça tient du mauvais rêve
On glissera le long de la ligne de feu
Quelque part ça commence à n'être plus du jeu 
Les bonshommes là-bas attendent la relève
Roule au loin roule le train des dernières lueurs
Les soldats assoupis que ta danse secoue
Laissent pencher leur front et fléchissent le cou
Cela sent le tabac la laine et la sueur »
 
La pierre des monuments est solide
et la terre, où ils sont tombés les uns après les autres, accueille les morts. 
« Comment vous regarder sans voir vos destinées
Fiancés de la terre et promis des douleurs
La veilleuse vous fait de la couleur des pleurs
Vous bougez vaguement vos jambes condamnées
Déjà la pierre pense où votre nom s'inscrit
Déjà vous n'êtes plus qu'un nom d'or sur nos places
Déjà le souvenir de vos amours s'efface
Déjà vous n'êtes plus que pour avoir péri »
 
Mes lignes intercalées ne voudraient pas profaner des paroles sublimes parfaitement mises à la portée de tous par Ferré qui sur le même album a enluminé « L’affiche rouge » : 
« Vous n'avez réclamé ni la gloire ni les larmes
Ni l'orgue ni la prière aux agonisants »
 
Et tant d’autres : 
« Est-ce ainsi que les hommes vivent
Et leurs baisers au loin les suivent »
.
 L’étrangère : 
« Nous avions joué de notre âme 
Un long jour, une courte nuit,
 Puis au matin : "Bonsoir madame" 
L'amour s'achève avec la pluie. »

vendredi 25 décembre 2015

Noël 2015

Lorsqu'en la saison qu'il gèle,
Vint au monde Jésus Christ
L'âne et l'bœuf tout près de lui,
Le chauffaient de leur haleine
Que d'âne et de bœufs je sais,
Se trouvant près de leur maître
Que d'âne et de bœufs je sais,
Qui n'en auraient pas tant fait !

Et dès que ces pauvres bêtes
Virent le poupon si doux
Ell' se mirent à  genoux
Humblement baissant leurs têtes
Que d'âne et d'bœufs je sais
Qui pour tout se font la fête
Que d'âne et de bœufs je sais,
Qui n'en auraient pas tant fait !

Mais le plus beau de l'histoire
Ce fut que l'âne et le bœuf
Ont ainsi passé tous deux
La nuit sans manger, sans boire !
Que d'âne et de bœufs je sais,
Sous la soie et sous le moire
Que d'âne et de bœufs je sais,
Qui n'en auraient pas tant fait !

Bernard de La Monnoye

mardi 25 décembre 2012

Noël 2012



"Le fleuve où la lueur des astres se réfracte
Semble dallé d’acier et maçonné d’argent ;
Seule une barque est là, qui veille et qui attend,
Les deux avirons pris dans la glace compacte.
Quel ange ou quel héros les empoignant soudain
Dispersera ce vaste hiver à coups de rames
Et conduira la barque en un pays de flammes
Vers les océans d’or des paradis lointains ?
Ou bien doit-elle attendre à tout jamais son maître,
Prisonnière du froid et du grand minuit blanc,
Tandis que des oiseaux libres et flagellant
Les vents, volent, là-haut, vers les printemps à naître ?"
Emile Verhaeren, Les bords de la route

mercredi 20 juin 2012

Haïku.

Parmi le cercle alangui des amateurs de poésie, il n’est plus question que de Haïku.
Cette forme laconique me semble être à la poésie ce qu’une citation est à un roman, même si leur douce fulgurance peut surprendre, réjouir ou laisser de glace.
Dans le jardin des mots rares où persiste la poésie, les auteurs contemporains sont sans visage.
Quelques syllabes parcimonieuses venues du Levant, accompagnent la fin d’un genre qui sollicita des écoliers, fit pleurer des pierres, sourire des nuages, prêta des ailes aux enfants rêveurs.
Marie Treize m’en avait transmis quelques uns :  

Perce-neige 
tout le cosmos est éveillé 
au son du tambour .

 Un flocon de neige
 est venu mourir
 vite j'irai l'enterrer.

Tout le ciel 
est contenu 
dans un bol vide.

Je m'assoupis
 un nuage de canicule 
sur les genoux.

Sur l'image sainte
 elle lâche
 une fiente l'hirondelle.

Si seul 
que je fais bouger
 mon ombre pour voir.

La lampe éteinte 
les étoiles fraîches
se glissent par la fenêtre.

dimanche 1 janvier 2012

Année nouvelle

J’extrais d’un poème d’Emile Verhaeren pris dans l’inépuisable recueil d’Albine Novarino "366 jours de poésie"
pour l’année qui s’en va :
« Dites, l’entendez- vous venir au son des glas, 
Venir du fond des infinis là-bas,
La vieille et morne destinée ? 
Celle qui jette immensément au tas 
Des siècles vieux, des siècles las, 
Comme un sac de bois mort, l’année. » 
Et de Luce Guilbaud pour l’année qui vient :
« Année nouvelle
donne-moi les fruits d’or 
dont chaque graine 
égrène les notes
qui chantent la douceur
d’aimer en arpège
jusqu’aux montagnes bleues
derrière l’horizon. »

dimanche 4 décembre 2011

A cause d’elles. Alain Souchon.

Je n’avais pas eu besoin d’un teasing un peu envahissant pour attendre avec impatience le CD vendu au profit de la recherche sur le cancer par celui qui « le mercredi s’balade une paille dans sa limonade ».
Illustrées par Sempé ces chansons d’enfance, qui pour beaucoup m’étaient inconnues, réunissent mes deux doux rêveurs préférés : Noël en novembre.
Comme souvent les comptines, ces complaintes sont étranges, mélancoliques, voire tragiques : trois petits coups de bâtons pour la petite hirondelle et le curé ne pleurera pas à l’enterrement de Simone.
Villon est là, « le cœur lui fend », Hugo accompagne ses crapauds, Félix Leclerc rend hommage à l’ours pris au piège, Béart évoque des enfants sages, Botrel plaint le petit Grégoire.
Nous pouvons découvrir des ritournelles traditionnelles :
« J’avais deux écus 
Le premier je l’ai bu 
Je ne l’ai donc plus 
Le second brillait si fort dans la lumière 
Que j’en ai fait don à la claire rivière 
Mais pour moi le monde est beau 
Dans les arbres là haut 
Chantent les oiseaux » 
Je préfère la version 2011 d’ « En sortant de l’école » de Prévert à celle plus emphatique de Montand.
En d’autres temps plus assurés, j’aurais aimé faire partager à mes élèves « Le jour et la nuit » qui ouvre la belle série. Mais l’école est tellement piétinée, que je ne sais comment les enfants prendraient cette chanson enjouée qui pour vanter l’imagination n’aurait pas besoin de lier apprentissages et ennui.
Le petit garçon de Sempé, en pyjama, au balcon de l’immeuble centre ville regarde les dauphins qui passent dans le ciel, il a bien mis son écharpe.

dimanche 20 novembre 2011

H.F. Thiefaine. Suppléments de mensonges.

L’ami qui m’a fait écouter le dernier CD d’Hubert Félix Thiéfaine, m’a bien dit que ses fans - qui ne manquent pas - trouvaient le sexagénaire trop assagi : moi ça me va.
Après avoir apprécié cette dernière livraison, je suis allé faire un tour du côté de ses premières chansons que j’avais remisées au fond des années post soixante huitardes quand les fumées lacrymogènes avaient viré aux volutes d’herbes hilarantes.
Il tentait de prendre alors la succession de Ferré, drapé dans les synthés où il convoquait la folie :
« la folie m’a toujours sauvé & empêché d’être fou » 
Aujourd’hui, il ouvre sur une nostalgique promenade vers l’enfance, certes dans la
« ruelle des morts », où les filles y « faisaient goûter leurs framboises ».
Sage, même si le corbeau de Rimbaud, Poé et Van Gogh se pose dans les coins du livret.
Le voyageur court les banlieues d’Izmir, Santa Fe, Cuzco, et cherche l’amour toujours
« à l’ombre de mes rêves ».
Ses accents rappellent Baschung, Gainsbourg, et j’aime sa voix singulière et ses orchestrations élégantes. Sur fond noir, la moindre paillette de couleur donne toute sa lumière. Où l’on apprend que l’étymologie d’orchidée signifie « testicule » en grec ancien, si bien que l’orchidoclaste à qui il consacre un titre doit être sérieusement  
« brise burnes ».
Il se fait le torse d’Iggy Pop sur la pochette et le maquillage dégouline sous ses yeux, mais quand il s’exprime en québécois il se montre en pleine forme : il « toffe les runs » c'est-à-dire « qu’il tient le coup envers & contre tous » et s’il dit « j’sus sur le go » c’est une autre façon de dire qu’il « tient le coup ».
Tant qu’il y aura des filles pour « prendre son pion dans son circuit » .

dimanche 2 octobre 2011

Le Forestier. La maison bleue.

« C'était toujours la même 
Mais on l'aimait quand même 
La fugue d'autrefois 
Qu'on jouait tous les trois 
On était malhabiles 
Elle était difficile 
La fugue d'autrefois 
Qu'on jouait tous les trois »
La télévision rejoue les émissions de toujours avec toujours les mêmes si bien que De Chavannes apparaîtrait comme un petit nouveau...
mais j’ai été capté par une émission de FR3 concernant Le Forestier de retour devant la maison de San Francisco qui vient d’être repeinte … en bleu.
« Phil- à- la- kena » et « Psylvia » existent pour de vrai, et témoignent de l’honnêteté de l’auteur compositeur avec qui j’ai porté puis rasé ma barbe.
Les chansons accompagnent nos émotions, traversent et soulignent le temps.
Avec caméras ajoutées, les rides ont tendance à se remarquer un peu plus sous des lumières cruelles comme dans les miroirs des ascenseurs ; l’exercice de lucidité est salutaire.  
« Cette chanson, 
Quand je la chante, 
Je chante 
Pour du vent. 
C'est la chanson 
Du glas qui sonne. 
Personne Ne l'entend. »
Nous avons été féroces en même temps que lui, prenant des voix suaves au moment de « parachutiste », emballant « le soir à la brume » et passant « notre route » au moment où la fatigue nous tombait sur le dos.
La filiation avec Brassens,
la fraternité avec Cabrel, Souchon, Clerc,
la transmission avec Camille, Emilie Loiseau…
c’était chaleureux, parfois un peu empesé, mais une révision utile d’impérissables rimes.
« Dans ma tête, j'entends le grand ciné
Avec son gros anneau dans son zoreille »

dimanche 19 juin 2011

Brassens ou la liberté. La cité de la musique.

Georges aurait eu 90 ans, s’il n’avait disparu il y a trente ans déjà, en 1981.
La force tranquille c’était bien ce gars là.
Les derniers temps, il souffrait beaucoup, une ambulance l’attendait entre deux prises de son.
Le timide était discret. Le sportif, fort. L’amant de Puppchen, universel. Le poète immortel.
Le sympathique Panthéon qui lui est dressé à La Villette nous en apprend sur sa façon de vivre en accord avec ses idées quand pour lui, la fidélité, l’anarchie n’étaient pas des postures.
Pendant le parcours où se presse la foule, il n’est pas aisé d’écouter les chansons, lire les BD, voir les objets, les photos, tout en ayant pour certains un audio guide aux oreilles.
En ce qui me concerne, c’est surtout le magnifique catalogue rétrospectif de 300 pages qui m’a permis d’apprécier pleinement les bandes dessinées de Joann Sfar, un des commissaires de l’expo, et prolongé le plaisir avec des fac-similés de ses carnets, un recueil de photos, de photos de notre famille.
Alors peinard, je déguste les pages, après la satisfaction d’avoir accompli un pèlerinage, en ayant applaudi une vidéo au milieu de mes compatriotes en communion, dans un Bobino reconstitué avec même le poteau au milieu de la salle.
Les portraits tels « L’auvergnat », « la Jeanne », « Corne d’Auroch » … qu’il a élevés à la dignité de personnages de légende étaient bien réels, et « Les stances à un cambrioleur » tirées d’un vécu où l’argent venu à la fin de sa carrière lui était aussi indifférent que lorsqu’il n’avait pas un radis.
Une autre époque ! C’est aussi pour cela qu’il nous est si précieux avec le legs d’une poésie travaillée, cent fois remise sur l’établi, qui a donné une saveur de plus à nos amitiés, à nos vies.
La façon de Joann Sfar de rendre hommage est vraiment en accord avec l’esprit de Brassens, tendre et ne se prenant pas au sérieux. De faire s’interroger des enfants d’aujourd’hui sur la pensée libertaire, les faire retrouver le grand homme au Japon où il se serait caché, rapproche les époques, éloigne les révérences, et nous surprend, nous les familiers qui avons vieilli avec lui et sans doute mieux grâce à lui.
« La Camarde qui ne m'a jamais pardonné,
D'avoir semé des fleurs dans les trous de son nez,
Me poursuit d'un zèle imbécile.
Alors cerné de près par les enterrements,
J'ai cru bon de remettre à jour mon testament,
De me payer un codicille.

Pauvres rois pharaons, pauvre Napoléon,
Pauvres grands disparus gisant au Panthéon,
Pauvres cendres de conséquence,
Vous envierez un peu l'éternel estivant,
Qui fait du pédalo sur la vague en rêvant,
Qui passe sa mort en vacances. »

dimanche 1 mai 2011

Gianmaria Testa.

Comme Paco Ibanez m’avait donné envie d’apprendre l’Espagnol,
Testa nous met à l’Italien sans peine, avec son 6° CD :
« Da questa parte del mare »:
« e in mezzo al mare va
una barca scura
che ha perso il vento
perso alla sua vela
e chi la sta aspettar
l'aspetta ancora »
« et au milieu de la mer va
une barque noire
qui a perdu le vent
perdu sa voile
et qui l’attend
l’attend encore »

« De ce côté de la mer » est un CD sur les migrations, et les ritals en furent jadis de ces voyageurs.
Ce morceau de texte ci dessous est en hommage à Izzo Jean Claude, celui des polars.
«Pourtant nous la connaissions nous aussi
L'odeur des cales
L'amertume du départ
Nous le savions nous aussi
Et une langue à désapprendre
Et une autre à apprendre en vitesse
Avant la bicyclette.
Nous le savions nous aussi
Et la buée de notre haleine sur les vitrines
Et la tiédeur du pain
Et la honte du rejet.
Nous le connaissions nous aussi
Ce regard muet »

Sans misérabilisme, avec force, le chanteur à la voix éraillée comme il sied à l’expérience. Chef de gare, il a commencé dans la chanson à 37 ans. Sa douceur enjôleuse, rappelle à certains Léonard Cohen et pour moi Georges Brassens jusqu’à la moustache avec une rythmique qui éveille bien des nostalgies. Le plaisir est complet avec cette voix proche de celle de Paolo Conte avec aussi son côté jazzy, au service de textes émouvants sur une musique à écouter pendant des heures.

dimanche 24 octobre 2010

Ferrat.

L’unanimisme à l’occasion de la mort du chanteur, l’enterra un peu plus, comme sont ensevelis Aragon, Potemkine, Le temps des cerises, Ma France :
« Celle qui ne possède en or que ses nuits blanches
Pour la lutte obstinée de ce temps quotidien
Du journal que l'on vend le matin d'un dimanche
A l'affiche qu'on colle au mur du lendemain »

Autre temps où monsieur D’Ormesson était fustigé, l’ancien éditorialiste du Figaro est désormais prince des lucarnes, à l’unanimité.
Il s’en est fallu d’un numéro spécial d’ « Envol »journal d’action laïque de l’Ardèche, pour que j’essaye de poser quelques mots en hommage au citoyen d’Entraigues. Si la couverture du numéro de mai est dessinée par Ernest Pignon Ernest, autre artiste reconnu, engagé, les photos qui illustrent la brochure montrent que ce n’est pas un people de Saint Germain qui s’assoit sur les sièges en plastique des salles communales pour aider ceux qui trouvent que c’est un joli mot « camarade ».
Du temps où j’étais instit, je n’ai pas envisagé de séquence de géographie concernant l’évolution du monde paysan sans une écoute de « La montagne », et « Nuit et brouillard » remue encore bien des chœurs adolescents. Mais ce serait faire tort à nos engagements, à nos sincérités que de se contenter de lui accorder une place au pied du podium de nos chanteurs à textes derrière Brel, Brassens, Ferré.
S’il était moins habité, moins ciseleur de mots, moins fou, il fut plus proche, se trompant comme nous, à la hauteur de sa môme, dans ses bras :
« Ma môme, elle joue pas les starlettes
Elle met pas des lunettes
De soleil
Elle pose pas pour les magazines
Elle travaille en usine
À Créteil»

L’émotion lors de sa disparition allait au-delà de son personnage qui a vécu derrière une « fenêtre qui donne sur l'entrepôt et les toits » mais qui abritait de l’espoir et de l’amour.

mardi 5 janvier 2010

La mouette

La mouette
Trace en vol ta griffure de soie.
Ton cri laisse un sillage
Et se brise en tombant
Ton aile prend le large
Et d’un lent froissement
Ouvre le ciel en deux
Côté blanc, côté bleu
Mad

mardi 16 juin 2009

On n’est pas sérieux, quand on a septante ans

On n’est plus sérieux, quand on a septante ans
Un beau matin, on se lève, on n’a pas dormi
On dit adieu les rêves, on salue ses envies
On regarde au miroir ses rides de vieil enfant.

On enfile un vieux short, des baskets rose bonbon
On nettoie la bécane, on regonfle les pneus
La selle est un peu molle, propice aux abandons
Le chemin a des parfums mouillés dans les creux

Voilà qu’on aperçoit une casquette bleue
Des yeux rieurs, une barbiche claire, c’est Léon.
Septante ans, poète et vainqueur du Marathon
De New York, Paris ; on l’avait perdu des yeux

Premier mai ! Septante ans ! « - On se laisse griser »
La sève printanière, plus forte que vos artères
Est un alcool capiteux qui vous fait tanguer
- Bonjour ! – Salut ! Ce jour exauce mes prières !

On met un pied à terre, on fait des regards doux
On s’essuie la nuque, on boit à son bidon
Vous aimez pédaler sur la digue, dit Léon
On opine, on lui offre un caramel mou.

Sur la berge de l’Isère tremblent les peupliers
Les neuves hirondelles chassent les moustiques
De nos sacoches kaki, on sort nos pique-nique
Pour lui pain et fromage, pour soi du lait caillé

L’ombre est fraîche, il vous couvre de son K-Way
« Quand on a septante ans, mieux vaut être prudent ! »
Ses yeux brillent comme lacs ; on n’ose dire ouais !
On s’endort pour de vrai dans un décor charmant.

On rêve du temps jadis, on était si sérieux
L’amour unique pour toujours mettait le feu
A chaque heure. On était plein et le monde vide.
A septante ans le monde est plein et le cœur vide.

Léon rampe vers vous, à la bouche une violette
Il dit votre nom les bras pliés sous la tête
Sa main touche la vôtre, il chante un vieil air
« La belle si tu voulais… », on ne fait pas la fière.

On murmure : « nous dormirions ensemble, lonla »
Il poursuit, tremblant : « dans un petit pré carré »
On s’entête : « sous les lilas et les résédas »
On trouve sur les fougères une couche pour s’aimer

On revient chaque soir au chemin des amants
On récite Rimbaud, on chante du Ferré
Le cœur est plein, le monde aussi, chère liberté
On se fout d’être sérieux quand on a septante ans.

Marité
Rappel de l'original:
ON N'EST PAS SERIEUX QUAND ON A DIX-SEPT ANS
On n'est pas sérieux quand on a dix-sept ans
Un beau soir, foin des bocks et de la limonade,
Des cafés tapageurs aux lustres éclatants !
On va sous les tilleuls verts de la promenade.
Les tilleuls sentent bon dans les bons soirs de juin !
L'air est parfois si doux, qu'on ferme la paupière ;
Le vent chargé de bruits, - la ville n'est pas loin, -
A des parfums de vigne et des parfums de bière...
Voilà qu'on aperçoit un tout petit chiffon
D'azur sombre, encadré d'une petite branche,
Piqué d'une mauvaise étoile, qui se fond
Avec de doux frissons, petite et toute blanche...
Nuit de juin ! Dix-sept ans ! On se laisse griser.
La sève est du champagne et vous monte à la tête...
On divague, on se sent aux lèvres un baiser
Qui palpite là, comme une petite bête...
Le coeur fou robinsonne à travers les romans,
Lorsque, dans la clarté d'une pâle réverbère,
Passe une demoiselle aux petits airs charmants,
Sous l'ombre du faux-col effrayant de son père...
Et, comme elle vous trouve immensément naïf,
Tout en faisant trotter ses petites bottines,
Elle se tourne, alerte, et d'un mouvement vif...
Sur vos lèvres alors meurent les cavatines...
Vous êtes amoureux. Loué jusqu'au mois d'août.
Vous êtes amoureux. Vos sonnets la font rire.
Tous vos amis s'en vont, vous êtes mauvais goût.
Puis l'adorée, un soir, a daigné vous écrire !...
Ce soir-là,... vous rentrez aux cafés éclatants,
Vous demandez des bocks ou de la limonade...
On n'est pas sérieux quand on a dix-sept ans
Et qu'on a des tilleuls verts sur la promenade.

Arthur Rimbaud

dimanche 14 juin 2009

L’espoir luit comme un brin de paille…

Dans le livre « 366 jours de poésie » chez Omnibus, à la date d’hier, Verlaine :
« L’espoir luit comme un brin de paille dans l’étable,
Que crains-tu de la guêpe ivre de son vol fou ?
Vois, le soleil poudroie à quelque trou,
Que ne t’endormais-tu, le coude sur la table ? »

Un brin de paille.

dimanche 7 juin 2009

Renan Luce

Sautillant, le jeune homme est parfait pour accompagner une matinée de printemps.
Il nous conte des histoires de tendresse, même s’il n’est pas très crédible avec sa voix juvénile en « Repenti ». Par contre il est charmant dans les « Voisines » et dans « La lettre », s’inscrivant dans la tradition d’un Renaud décoléré, sans parigotisme, il renouvelle le stock des trousseurs de rimes, boucleurs de courts métrages à la patte fraîche.
« Cherche regard neuf sur les choses
Cherche iris qui n'a pas vu la rose
Je veux brûler encore une fois
Au brasier des premières fois
Mais j'ai croisé sur mon chemin
Deux grands yeux bleus, deux blanches mains
Ses menottes ont pris mes poignets
Et ce sont ses yeux qui m'ont soigné »

dimanche 10 mai 2009

Federico l’Espagne et moi

Quand Daniel Prévost, un des plus célèbre comédien du festival off d’Avignon, se la joue modeste, tout en titrant « Lorca et moi », l’écueil est de taille. Eh bien, le comique aux lèvres minces réussit à s’extirper des images publicitaires avec naturel et sincérité : Il nous rappelle son engagement du côté de la C.N.T. Il n’est pourtant allé en Espagne que l’an dernier, et c’est l’enfance avec ses images héroïques qui revient. Il est vrai qu’il suffit d’un air de « Ay Carmela » pour que nous devenions indulgents. Quelques forts morceaux de Lorca qui n’est pas du genre à vous tapoter l’épaule en douceur.
« A cinq heures du soir.
Quand vint la sueur de neige
à cinq heures du soir,
quand l'arène se couvrit d'iode
à cinq heures du soir,
la mort déposa ses œufs dans la blessure »

samedi 25 avril 2009

Oiseaux matiniers

Pour un printemps, cet extrait d’Anna De Noailles :
« La juvénile odeur, aigüe, acide, frêle,
Des feuillages naissants, tout en vert taffetas,
Sera plus évidente à mon vif odorat
Que n’est aux dents le goût de la fraise nouvelle ».

Je découvre les poèmes de la coquette comtesse du XIX°.
Avec ces mots d’avril, me revient le souvenir des rédactions hebdomadaires de mes années collège, avec les heures passées à peser les mots, les phrases, et ma reconnaissance d’aujourd’hui de goûter l’écriture et le temps.
Ce ne sont pas les machines à reconnaissance vocale calibrant les paroles qui sauront trouver les parfums du printemps, les vapeurs des rêves, les mots bleus.
Des pierres sont jetées chaque jour sur l’écriture.
Il restera un alphabet en ses polices, mais plus de suspension, de pointe levée le temps d’une nuance ; un jet continu, un blabla envahissant nappera une sphère confuse.
Tchao Anna ! Qui oserait encore tutoyer le soleil ? Est ce parce que plus grand monde ne saura prendre un peu de temps pour chercher un mot, que ce cher matin ne pourra plus écarter « la mort, les ombres, le silence, l’orage, la fatigue et la peur » ?
Et les oiseaux trouveront-ils un dictionnaire pour se reconnaître à « matiniers »

dimanche 19 avril 2009

Bénabar

Au Summum, quelqu’un m’a dit que le parisien a eu un beau succès.
Je l’apprécie assez pour être allé, il y a déjà quelques années, l’écouter au Grand angle, et je commence à avoir une petite collec de ses CD.
Poète de mes 2000, impitoyable mais tellement fréquentable, sensible à l’air du temps et nous le rendant bien. Tendre avec les petits (l’employé amoureux de la majorette), implacable avec les bobos comme moi qui aiment être moqués, pourvu qu’on parle de nous !
La chanson est certes un art mineur, oui, et qu’importe, elle nous dit à chacun le temps et ses emballements, nos renoncements. Entre le Jeff déclamatoire de Brel où l’amitié pose ses tripes sur le vinyle et le petit bourgeois mesquin qui se fait livrer ses pizzas devant un DVD de De Funès, de la bière a coulé dans les bocks aux heures pâles de la nuit, Ferré !
Fini Jaurès, les Marquises ; nos ne trouverons pas la route de ces rendez-vous perdus d’avance dans des banlieues mal indiquées. En ces temps de répondeurs, le mot amour, voire amitié tourne à la pathologie pour addicts ados attardés. Bénabar nous excuse aussi de notre passé trop sérieux quand il fallait mépriser les Carpentier, où Jo Dassin s’accrochait pourtant à notre mémoire. Juste et délicat comme un dessin de Sempé, il dit le temps qui passe sans lyrisme, ni pathos, avec acuité, avec humour.
« Parce qu’on connaît par cœur
Le numéro du roi
Qui s’est fait couper la tête
Qu’on s’ rappelle sans effort
De notre digicode
Et de la distance du cent mètres
On en oublierait presque
Le numéro d’équilibriste
Le seul qui compte
Et qui consiste
A ne pas tomber. »

dimanche 29 mars 2009

Delerm, le fils.

Faudra pas qu’il se plaigne, le Vincent, que l’on cause à chaque fois de son papa Philippe, parce sur le terrain de la nostalgie qu’il emprunte à son tour, on sait faire aussi du côté des quinqua;on est même des cadors. Fanny Ardant ce ne serait pas l’univers des papas ? De sieste assassinée en petits plaisirs pour les grands et les petits, j’ai aimé l’univers paisible et provincial de l’écrivain de mon age. Les clins d’œil du fils, les marqueurs d’époque du chanteur traversent les générations et nous arrangent, nous parlent à nous les babys boomers insatiables, toujours « dans le vent » pour user d’une expression surannée. Nous avons annexé la génération Zatopek, mais Wayne Rooney nous évitons de le tâcler. Alors quand le petit fait oublier ses intonations nasillardes, nous pouvons goûter sur des mélodies souvent aguichantes:
« Et avant-hier
J'ai trouvé l'argument
Qui l'a calmée, sévère
Un tacle de Patrick Vieira
N'est pas une truite en chocolat
Une tente Quechua sur le canal
Un quatre étoiles
Un dirigeant d' la LCR
N'est pas un mono d' sports d'hiver »

Oui, c’est connoté, mais nous avons besoin de ces connivences, et j’apprécie aussi la petite surprise de trouver un photographe en chanson, « Martin Parr »repris en leitmotiv par un choeur féminin.
« Casino désert
Martin Parr
Vert fluo, dessert
Martin Parr
Cheveux bleus, grand-mère
Martin Parr
Vieillir quelque part »

Et d’ailleurs : « Souvent, le cœur des volleyeuses bat plus fort pour les volleyeurs »
et c’est ben vrai !

mardi 3 mars 2009

Derniers flocons

Les poètes ne sont pas pareils :
« Ah ! revienne l’automne, et revienne l’hiver
La mer déserte et grise
Avec ses îles nues
Et les nuages qui se déplacent
Dans un ciel sans éclat. »
Louis Brauquier
A la recherche de poèmes sur l’hiver qui s’est bien fait et qui s’en va, la question :
« Est-ce que les oiseaux se cachent pour mourir?" est de François Coppée (Non, pas Jean François !)
Le saule sur la tombe de Musset n’a jamais vraiment pris, et les laboureurs ont disparu, pourtant ces disputes atmosphériques ont de l’allure :
« Du pauvre mois de mars il ne faut pas médire,
Bien que le laboureur le craigne justement :
L’univers y renaît ; il est vrai que le vent,
La pluie et le soleil s’y disputent l’empire.
Qu’y faire ? Au temps des fleurs, le monde est un enfant ;
C’est sa première larme et son premier sourire… »

Alfred de Musset