vendredi 27 novembre 2020

Cynthia Fleury.

Nageur ankylosé, encombré de métaphores,  je me tiens à quelques vénérables bouées pour éviter d’être englouti dans les ondes troublées par les dégouts sociaux en réseaux.
Si je n’hésite jamais à saisir des occasions de me vautrer dans le pessimisme, je ne m’étais pas senti particulièrement concerné par cet entretien de Cynthia Fleury dans Le Monde début novembre, et pourtant ! 
« Là encore, ce sentiment de ne plus comprendre le monde qui nous entoure n’est pas nouveau, il signe sans doute ce moment où chacun d’entre nous commence à faire connaissance avec un monde qui se passera de lui… » 
Et puis, de quelques paroles saisies au matin jusqu’à une récidive impromptue le même jour, je viens d’apprécier à nouveau la philosophe, entendue en d’autres temps, lors d’un forum à Lyon http://blog-de-guy.blogspot.com/2012/02/cest-quoi-etre-de-gauche.html .
Son dernier livre que je n’ai pas encore lu : «  Ci-git l’amer » peut-il nous « guérir du ressentiment » comme il est précisé en sous titre ? Les entretiens qui présentent son ouvrage de plus de 300 pages sont appétissants lorsqu’ils posent la psychanalyste face au « délire victimaire ». Son vocabulaire, osant de mots précis sur les plateaux rigolards, ne se laisse pas aller aux facilités médiatiques et laisse prévoir que la lecture de son essai ne doit pas être aisée :
« Le ressentiment est binaire, c’est un phénomène de réductionnisme, de refus de la complexité et de manque de discernement. Il dévalue, dénigre les outils même de la régulation démocratique et fantasme la radicalisation, la violence comme pureté de l’action. » 
Cette exigence dans l’expression témoigne d’un positionnement tranchant avec les lâchetés ambiantes tout en se gardant  forcément de dénoncer « l’autre ». 
« Le fascisme, le complotisme, le conspirationnisme, le populisme, l’intégrisme religieux, l’islamisme, toutes ces idéologies sont différentes mais ont en partage de grands invariants, dont l’impossibilité d’accepter le réel de l’autre, et donc le réel tout court. Ces phénomènes sont structurés autour de la pulsion ressentimiste, consciente ou inconsciente, le délire de persécution, le fait de préférer la construction d’un « fétiche » en lieu et place de la réalité qui est refusée, car jugée insupportable, injuste – souvent à juste titre. Ce « fétiche » peut être tout à fait un dogme religieux, une conviction « antisystème », que sais-je.»
«Pour qualifier le fascisme, Wilhelm Reich (1897-1957) use de la notion de « peste émotionnelle », mais elle est parfaitement opérationnelle pour désigner le monde d’aujourd’hui, dans la mesure où, rappelle-t-il à raison, le « fascisme en moi » précède le fascisme. Autrement dit, ce sont les individus insécurisés psychiquement qui « basculent » dans le ressentiment et possiblement dans la haine contre autrui, qui choisissent un leader, n’importe lequel, du moment qu’il vient conforter cette pulsion ressentimiste.» 
Nous sommes loin des conversations entre beaufs, quand je m’offusquais à l’objection que la lutte pour plus d’égalité était une affaire d’envieux. Aujourd’hui je trouve qu’effectivement rancœur, animosité, violence, se banalisent et relativisent des aspirations légitimes à plus de reconnaissance, nous rendant sourds quand viennent de surcroit s’y accoler parfois d’autres récriminations abusives.
Bien sûr chaque individu est essentiel, mais si tous les métiers sont nécessaires lesquels sont indispensables ? A ne plus distinguer les bornes, à donner le bac à tous, quand tout se vaut, rien ne vaut, et le flou vient dans les bambous : gare au loup ! Le mot " gardien de la paix" devient inaudible quand pleuvent les coups dans une société où le bonheur est indexé sur le temps de présence au bar.
Il est temps de retourner en librairie pour éviter de déverser à mon tour, sans discernement, du fiel envers les hostiles et les peu amènes. Amen.

3 commentaires:

  1. Tu me pardonneras d'être incorrigible, j'espère, Guy, mais... je crois que je ne lirai pas Cynthia Fleury, tout de même.
    A plus de 60 ans, et plusieurs "tranches" de psychanalyse derrière moi (parcours que je ne renie pas, d'ailleurs), je déserte actuellement la sphère de la psychanalyse, et son vocabulaire, et n'affectionne pas spécialement la sociologie non plus, comme ce qui tombe sous le qualificatif de "SCIENCES SOCIALES". Je regarde ces classifications avec soupçon, sans être.. complotiste, ou paranoïaque, me semble-t-il.
    Pourquoi pas affirmer que le choix du vocabulaire est une question éthique ? En tout cas, le choix du vocabulaire, couplé à la "théorie" nous met sous l'emprise d'une certaine vision du monde, et c'est cette vision que j'ai envie de mettre RADICALEMENT en doute, et en question.
    L'époque a l'arrogance... radicale de se considérer comme exceptionnelle, alors que je crois qu'en matière de l'Homme, il n'y a rien de nouveau sous le soleil.
    Pour (plutôt contre...) Cynthia Fleury ET NOTRE EPOQUE, ce matin, je me suis assise avec les "Satires de Juvenal" dans une traduction anglaise/américaine qui date de 1958. Une traduction qui a pris le parti de ne pas mettre Juvenal dans une jolie petite boite bien délimitée pour que des générations de BONS ELEVES français (mon Dieu, c'est une monomanie, une maladie ?, l'appel à être un "bon élève") puissent le classifier, compter les figures de rhétorique, en s'acharnant sur le latin, bref, une traduction formelle pour les vitrines de vieux musées... style "sciences de l'Homme". Non, j'ai plutôt une traduction truffée d'anachronismes, si verte qu'elle pourrait réveiller des morts, et.. elle me fait rire, parfois jaune, devant l'acide corrosif de Juvenal, homme LIBRE ET PAUVRE à Rome, après l'âge d'or de Virgile et Ovide. Il fustige le parvenisme, les nouveaux riches, l'inculture, le clientélisme, l'hypocrisie.. le populisme aussi.
    Je crois que je préfère passer mon temps avec Juvenal qu'avec Cynthia Fleury pour prendre la mesure des.. turpitudes de mon époque qui poursuit sa chute vertigineuse, mais n'a pas (encore) ressuscité les jeux d'amphithéâtre dans son élan pas si bien pensant que ça pour de nouvelles formes de.. paganisme vulgaire et brutal.
    Certes, il est fort possible que cette affection retrouvée pour Juvenal correspond bien à l'âge que j'ai, et.. un désenchantement certain que j'ai à voir le monde où j'ai trouvé une place sereine, confortable (mais pas bien pensant, je l'espère...), vilipendé dans un renversement de valeurs qui continue à me couper le souffle.
    Là encore... rien de nouveau sous le soleil. D'autres ont DEJA VECU ce que je vis ; je le sais, car je les lis, et leurs témoignages remontent aux débuts de l'écriture de notre civilisation, donc, je me console en sachant que je suis en bonne compagnie.
    On se console comme on peut...
    Avec le "rien de nouveau sous le soleil", on a aussi le... "ceci aussi trouvera son terme".

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  2. C'est quoi, et de qui, cette sculpture en haut, stp ? Merci.

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  3. Cette sculpture a été photographiée au Musée de la révolution à Vizille mais je ne sais pas le nom du sculpteur.

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