mardi 29 mars 2022

Goupil ou face. Lou Lubie.

Cet album prouve que l’humour, l’auto dérision, peuvent être essentiels pour partager ici les affres de la cyclothymie qui va de l’excitation la plus créative à des envies suicidaires.
Une telle lucidité de la part de l’auteur, une telle honnêteté dans l’exposé de ses égarements, une telle clarté dans l’explication des fonctionnements du cerveau, vous donneraient presqu' envie de vivre avec la même intensité, à moins que comme à la lecture de Doctissimo notre petit grain se révèle être une maladie perturbant votre vie et celle des proches.
Motivée par une envie de surmonter ses souffrances après un parcours où les thérapeutes ont eu du mal à diagnostiquer le mal, l’idée de représenter la cause de ses troubles par un renard tyrannique avec lequel il faut bien cohabiter est très riche.
Le récit des sautes d’humeur peut être poignant ou rigolo mais toujours fin, intelligent, avec un sens pédagogique à la manière de Marion Montaigne. 


lundi 28 mars 2022

Soy libre. Laure Portier.

 "Soy libre" donne une occasion de revenir sur la question
incandescente de la Liberté, ponctuation de bien des discours par chez nous. 
La cinéaste a confié à son jeune frère une caméra pour retenir des images d’un parcours chaotique à la sortie d’une adolescence passée de prison en centre d’éducation surveillée.
Ce jeune homme dit pardonner à ses parents, juste avant de revenir sur le poids de leur responsabilité. Il proclame son envie de changer mais veut qu’on continue à le reconnaître.
Il va au bout de ses envies d’émancipation d’abord puériles, autour d’une vespa et de tags, de larcins, il pratique le body building pour une construction de soi plus solide.
La caméra de sa douce sœur réalisatrice lui permet de sortir de la posture «  je me la joue » pour passer à un rôle véritable, éclatant d’authenticité lors de retrouvailles avec une grand-mère d’une sagesse transcendante. Le personnage concrétise un  projet de vie annoncé dans les dessins qui abandonnent les stéréotypes au profit de la représentation de tablées fraternelles, devant une maison où jouent des enfants.

dimanche 27 mars 2022

Campagne. Sébastien Valignat.

La sympathique remise en scène du spectacle politique actuel par la compagnie Cassandre a ravi le public du Petit théâtre de la MC 2, mettant d’accord les nostalgiques des « Guignols de l’info » et les lecteurs de l’Obs qui sont souvent les mêmes. 
Le projet de la troupe de vulgariser des recherches en sciences sociales est accompli, tant sont habilement mêlés les dernières conclusions d’Amnesty International à propos des libertés en France et les démêlés des repas de famille.
Les excellents acteurs assument les partis pris : 
« choisir un énoncé c’est déjà choisir son camp »
Mais ce réjouissant spectacle ne se contente pas de mettre en lumière « des fragilités de notre démocratie », il participe à mon avis à une défiance populiste envers des responsables politiques souvent maltraités. 
Les chapitres sont variés depuis une discussion familière à propos du vote blanc, un burlesque décryptage des évitements dans les discours, une piteuse France face au tribunal de l’histoire, une rétrospective comique des dernières élections, jusqu’à un épilogue qui m’a paru bien incongru à base de douceur et de bienveillance alors que des tanks toquent à la porte.

samedi 26 mars 2022

Connemara. Nicolas Mathieu.

Ces 396 pages embrassent notre pays, notre temps.
«  Au fond, les vieilles amours étaient comme ces tapisseries décaties aux murs des châteaux forts. Un fil dépassait, vous tiriez dessus par jeu, et tout se détricotait dans la foulée. En un rien de temps, il ne restait plus que la trame, les manies et les névroses à découvert, le rêve agonisant en ficelles sur la moquette. » 
Les histoires d’amours de quadras, de jeunes gens et de moins jeunes, bancales ou fusionnelles, évitent le gnangnan. 
« on utilisait donc des services en ligne pour remplir son pieu comme son caddie. » 
Sous des musiques élémentaires,  
« Tan tan tan tatatan » 
«On dit que la vie, c'est une folie
Et que la folie, ça se danse »
 Le propos est nostalgique et pénétrant, furieusement de notre temps, en même temps. 
« Elexia proposerait d’ici peu des formations au management inclusif, des conseils en transition, des modules de design comportemental, des audits des systèmes cognitifs, des outils de prospective environnementale et collaborative. »
Ce serait comme un Houellebecq approuvé par les « Inrocks », avec une écriture parfaite aussi bien dans les scènes de sexe ou la description d’un paysage glacé, dans un open space ou une halle des sports à Epinal, à Castorama.
Tout est intense, à toutes les étapes de la vie, les énergies et l’ennui, un étang :  
« Leurs eaux fixes prenaient sous le ciel bas un aspect de mercure où filaient les nuages, les oiseaux migrateurs, les vols outre-mer. »
Nous sommes témoins d’un mariage, d’un accouchement, des émois de la jeunesse et de l’ingratitude adolescente, des prudences de la vieillesse et des imprudences des vieux, entre Paris et le Grand Est, des classes sociales qui s’éloignent et se frôlent. 
« On a si peu de raisons de se réjouir dans ces endroits qui n’ont ni la mer, ni la tour Eiffel, où Dieu est mort comme partout, et où les soirées s’achèvent à vingt heures en semaine et dans les talus le week-end. » 
Et voilà comme lors de son Goncourt, j’ai envie de retenir des tas de formules bien balancées, mieux vaut le lire : tout y est

vendredi 25 mars 2022

Zadig. N°13.

La périodicité trimestrielle de ces 200 pages permet un recul bien utile en ces temps pressés,
et peut valider quelques intuitions opportunes. 
La guerre en Ukraine fait sortir nos réflexions de leurs gonds, ainsi la critique pourtant balancée des aménagements du territoire favorables à l’agriculture trop consommatrice d’eau peut être envisagée différemment quand se pose la question de l’autonomie alimentaire.
Avec bon sens bien bourguignon, Bruno Latour place l’écologie au centre de la vie, il a  expérimenté des « ateliers de description du territoire » inspirés des cahiers de doléance de 1789, pourvoyeurs de réponses profondes à des questions élémentaires : 
« Qui sont ceux dont vous dépendez ? Qu’est-ce qui est menacé ? Que faites vous pour le défendre ? » 
Le thème développé cette fois « La province contre Paris » aurait pu ouvrir la boite de Pandore des surenchères populistes mais ce n’est pas le genre de la maison Fottorino patron du « 1 » et de «Zadig ». 
Alain Rousset président de la Nouvelle Aquitaine convainc en militant pour la décentralisation source de responsabilisation et de créativité à l’encontre d’une inflation de règlements. Un reportage dans de petites communes concernant des normes absurdes va dans le même sens. 
Par contre l’instauration d’une monnaie basque (l’Eusko) ne me semble pas décisive pour simplifier la vie pas plus que la culture du cannabis comme vecteur de dynamisme pour la Creuse et pour moi le terme « colonialiste » appliqué systématiquement aux rapports à la Corse a tendance à s’user.
Les données de Le Bras citant « Paris et le désert Français »(1947) de François Gravier sont parfois surprenantes et le rappel de l’histoire de la décentralisation n'est  pas inutile.
 L'article titré « Le mystère des chevaux mutilés » ( 500 en 2020) éloigne les rumeurs les plus folles et  restitue avec respect les doutes, les angoisses de personnes concernées. La même empathie est perceptible dans un reportage photos dans un camping de la Côte d’Opale : « immobile home ».
Rokhaya Diallo réussit le tour de force de ne pas mentionner le dédoublement des classes de CP en REP lors d’une dénonciation des injustices scolaires, simpliste énumération de poncifs. Et si Éric Fassin rappelle le prix reçu par Giscard D’estaing pour l’accueil des boat-people, l'universitaire doit voir sa honte concernant le manque de générosité de ses compatriotes et de ceux qui les gouvernent atténuée par l’accueil spontané des exilés Ukrainiens, dont il n’avait pas connaissance.  
Quand Philippe Jaenada écrit, il rend plus poignant les récits à propos de personnes disparues et François Henri Désérable en résidence dans la maison de Julien Gracq est inspiré : 
« Pendant l’hiver la Loire a le sommeil léger, alors elle sort de son lit. » 
Agnès Desarthe arrive à nous intéresser avec une histoire au départ pas folichonne.
Les écrivains apportent décidément un plus, sauf cette fois Leïla Slimani balourde quand elle s’essaye à une politique fiction de pacotille. 
Un reporter familier de l’immersion peut aussi être  un révélateur juste en rendant compte avec sobriété de sa semaine avec une équipe de soignants en psychiatrie.

jeudi 24 mars 2022

Musée Champollion à Vif.

Dans le « domaine des Ombrages »  propriété des Champollion,
au bout de la rue Champollion où le déchiffreur des hiéroglyphes,
trouvait un calme propice à ses recherches,
une mise en scène muséale dynamique conserve l’esprit de la maison de maître et nous impressionne en nous faisant part du cheminement de Jean-François bien aidé par son frère aîné Jacques-Joseph dont je ne mesurais pas tout l’apport.
A 11 ans le lecteur de la pierre de Rosette parlait déjà l’hébreu. 
Ce n’est qu’un début avant l’étude de l’écriture de grammaires saïdique ou memphitique et de la langue copte, dont l'une est réservée au commerce, et une autre aux liturgies, la hiéroglyphique pour les monuments et la sacerdotale pour les prêtres.
Le déchiffrement des hiéroglyphes effectué à Londres, vient après une mission franco-toscane et l'expédition décisive de Bonaparte en Égypte.
A la direction du Musée Charles X, il devient le père de l’Egyptologie qui depuis passionne les français.
Pour être résolument moderne, le fléchage de la maison familiale dans la ville n’est pas explicite,mais le GPS devrait y pourvoir et dans la maison la luminosité peu intense ne favorise pas la lecture des cartels.

Sinon en janvier, les fleurs d’oranger embaument et ce n’est pas du spray.
Sous des plafonds bas, sur trois niveaux,  l’équilibre est parfait entre une documentation bien mise en valeur et des respirations à base de maquettes, films, dioramas… avec des objets magnifiques bien choisis pour ne pas nous ensevelir.
Au temps des Champollion, la vie intellectuelle à Grenoble est intense. 
........
Dans le fond d’Archives des frères Champollion. Karine Madrigal. 
La conférencière devant les amis du musée de Grenoble confirme que le déchiffrement des hiéroglyphes et ce qui en suivit fut une affaire de famille : le fils Aimé-Louis fils de Jacques-Joseph Champollion Figeac, élève de l’école des chartes école des archivistes, a recensé 12 000 documents réunis en 60 volumes, des correspondances, pas seulement des deux frères mais avec 1500 personnes.
Celui-ci envoyé depuis Figeac à Grenoble pour aider au commerce un cousin est davantage intéressé par ses relations avec
Honoré-Hugues Berriat 
futur maire de la ville dont il épouse la sœur Zoé et
Joseph Fourrier le préfet ancien membre de l’expédition de Bonaparte. 
Jean-François étudie au lycée Stendhal qu’il vit comme « une prison » où il fait la connaissance de Louis Vicat inventeur du ciment artificiel.
Il suit les cours du botaniste Dominique Villars et de Raphaël de Monachis, le barbu peint par David, un moine copte qui lui communiquera une synthèse des travaux de recherche à propos des langues orientales qui le passionnent. Dans ces années 1810, il inventorie les objets de la bibliothèque publique et en particulier le cabinet des antiques, il y met au bain marie un vase canope et démaillote une momie.
C’est dans une « Lettre à M. Dacier » secrétaire perpétuel de l'Académie des Inscriptions et Belles Lettres, qu’il décrit sa découverte dont c’est le bicentenaire : « Je tiens mon affaire ».
Les correspondances s’établissent avec Aubin Louis Millin de Grandmaison, helléniste,
avec François Artaud directeur du musée des beaux-arts de Lyon,
et l’abbé Gazzera à Turin, haut lieu de l’égyptologie. Il passe plusieurs mois parmi la collection du consul Drovetti, pilleur officiel comme son rival anglais Salt, dont une collection est achetée par la France après des interventions auprès de proches du roi. Il est des épisodes cocasses comme lorsqu’il met en évidence les supercheries d’un correspondant qui s’attribue des découvertes qui ne sont pas de lui. En 1832, Jean François décède 10 ans après le déchiffrement des hiéroglyphes à l’âge de 42 ans.
Jacques Joseph continue à pérenniser l’œuvre du jeune frère, et contacte une nouvelle génération d'égyptologues.
Émile Prisse d'Avennes éminent archéologue considère que là où passe Lepsius, l
e père d’une école à Berlin des plus reconnues dans le déchiffrement, il ne reste plus rien.
Mais lui devant le pillage des monuments démonte subrepticement la galerie des ancêtres à Karnak pour la sauver.
En attendant la mise en eau du bateau devant transporter  l’obélisque de Louxor vers la place de la Concorde, il y a deux cents ans, un sarcophage est chargé, il se retrouvera au British Muséum.  
En 1922, est découvert Le tombeau de Toutânkhamon.
 
Ces lettres, ces échanges avec des musicologues, des sinologues, de Grenoble à Baltimore, entre sciences humaines et sciences dures, permettent des avancées qui portent au-delà de découvertes décisives, sur des enrichissement méthodologiques de tous. Et ils sont bien dignes des « Lumières », ces savants qui se sont investis également dans la mise en place d’écoles d’enseignement mutuel. 

mercredi 23 mars 2022

Strasbourg #1

nous disposons de plus de temps pour  gagner  STRASBOURG, dans une circulation qui se densifie à l’approche de l’agglomération.
Nous abordons la ville par le Nord.
Une fois  rue de la Courtine, nous hésitons à nous embringuer dans la rue pavée d’apparence piétonne, par chance, une place vacante de parking nous tire d’embarras.
Nous finissons les 300 mètres à pied parmi des vélos débouchant sans crier gare.
Nous dénichons l’Office du tourisme et glanons des prospectus sur les attraits de la ville.
L’employé nous informe de la gratuité  exceptionnelle des musées en juillet, 
et nous donne les  renseignements concernant  le spectacle du son et lumière.
Nous pouvons maintenant flâner à notre gré pour une première imprégnation de la cité,
sous un ciel bleu et de belles lumières : 
nous passons par les petites rues,
immanquablement nous tombons face à la cathédrale dont la légende raconte que les coups du vent qui la cernent seraient les manifestations du diable tentant de rentrer. 
Nous poursuivons vers le pont du corbeau.
Nous observons les toitures des maisons trouées de fenêtres sur plusieurs niveaux.
Une petite brocante s’est installée juste avant la rivière l’Ill.
Le Pont du Corbeau doit son nom, non pas à l’oiseau ni au délateur mais à l’homme, le Corb,  chargé de récupérer les cadavres au moyen âge : 
« Il lui fallait sortir, trainer, et tirer les cadavres le crochet lui permettait de ne pas les approcher de trop près, il croche dans le mort avec son ‘croc’ d’où le surnom de ‘corbeau’ »  
« La première mention du pont du Corbeau apparaît en 1308 sous le nom de « Pont des Supplices ». Ce n’était alors qu’une passerelle en bois où se déroulaient d’horribles tortures et condamnations à mort. Parricides, infanticides, voleurs ou encore les femmes infidèles étaient jetés dans l’Ill… Une loi de 1411 oblige les condamnés à mort à être jetés à l’eau depuis ce pont, empaquetés dans un sac en lin cousu. À partir de 1466, le pont est aussi un lieu d'humiliations où l'on châtie les malfaiteurs : les voleurs et les pilleurs de jardins sont enfermés dans une cage sise sur ce pont et exposés aux moqueries des passants avant d’être jetés dans l’Ill d’où ils doivent regagner la rive à la nage.
Près de ce lieu chargé d’histoires cruelles nous nous attablons pour étancher notre soif.
Mais avant d’être servis nous nous replions fissa fissa à l’intérieur pour échapper aux bourrasques et à la pluie subitement débarquées.
Le temps de finir notre consommation, et  la météo se calme ;   
nous pouvons marcher jusqu’à la voiture.
Nous nous dirigeons vers  le quartier de la rotonde au nord-ouest et patientons avant notre rencontre avec notre logeur de Air B&B un sympathique maghrébin, chauffeur de VTC actif, rigolo, bavard, enclin à la bonne humeur.
Il nous raconte ses déboires avec les artisans chargés de construire sa maison, ses activités  diverses professionnelles. En Strasbourgeois convaincu et chauvin, il dénigre les Mulhousiens : on assiste une fois de plus à cette querelle fréquente entre les gens du Sud et les gens du Nord, vérifiable en France comme en Italie, partout. 
 
Nous apprécions la vue depuis la galerie au 6ème étage qui donne accès à notre studio. 
 
Nous gitons près du quartier Cronenbourg ; l’entreprise de bière a transformé  le C en K dans l’intention de laisser croire à une production germanique, et profiter de la réputation fameuse des allemands dans ce domaine.