mardi 20 mai 2025

Deux filles nues. Luz.

De la belle ouvrage ! L’ancien dessinateur de Charlie est à la hauteur voire au delà de ses  productions précédentes. 
Le beau livre aéré nous offre un point de vue original et fécond : nous suivons la vie d’un tableau d’Otto Mueller par… le tableau lui-même depuis le premier coup de pinceau en 1919 jusqu’à son accrochage en 2000 au musée Ludwig de Cologne.
Peu après avoir produit cette œuvre révélée seulement à la fin d’un récit mouvementé,l’artiste quitte Berlin sans Maschka, sa femme avec laquelle il reste cependant en contact :  
« Les Muses, on les invoque, on ne les convoque pas. » 
Au-delà des premiers plans qui voient se succéder divers acheteurs, on peut repérer par les fenêtres, les signes de la montée du nazisme, jusqu’à la confiscation de la toile présentée à l’exposition de « l’art dégénéré » organisée par les nazis sous les intitulés :
« Gaspillage des deniers allemands, 
Manifestation de l’âme juive, 
La folie comme méthode, 
Comment les esprits dérangés voient la nature, 
Insultes à la féminité allemande, 
Leur idéal : crétins et prostituées, 
L’insulte aux héros allemands de la grande guerre »
 en compagnie de Picasso, Kandinsky, Dix, Grosz, Chagall, Kirchner… 
« Qui l’aurait cru, Alice… 
Les nazis ont organisé la plus extraordinaire exposition d’art moderne de l’Histoire. » 
Quand on sait l’histoire du dessinateur, la réflexion sur la liberté d’expression acquiert encore  plus de force, alors que sous nos Windows crient à la liberté ceux qui la bafouent le plus grossièrement. L’art n’est pas anodin quand on voit l’acharnement des nazis à spolier les collectionneurs souvent juifs et les artistes. Cette approche sensible, parfaitement agencée et documentée donne matière à réflexion : bien sûr, avec nos yeux du XXI°, ces œuvres « dégénérées » ont acquis de la noblesse, mais si l’on évite d’employer des termes aussi lourds, est ce que tout tas de vêtement, charbon ou de fils de fer, à condition d’être entreposé dans un centre d’art contemporain peut se proclamer œuvre d’art ?

1 commentaire:

  1. Je retiens deux idées dans ton exposé... qu'on ne "convoque" pas la Muse, mais on l'invoque, ce qui met la Muse dans une position assez difficile, je dois dire. Pour un meilleur aperçu de ce problème dans le cinéma, puisque tu aimes le cinéma, je te renvoie à "Indiscrétions", qui traite magistralement de ce problème avec finesse et intelligence. Du vieux cinéma encore capable de nous faire penser dans la subtilité, et pas le matraquage.
    Pour l'art.... tu ouvres une grande boite de vers, car qu'est-ce que l'art, et surtout... QUI A L'AUTORITE POUR DECRETER/DETERMINER ce qui est de l'art, et ce qui ne l'est pas ? C'est un sacré pouvoir de décider ce qui est de l'art, et ce qui ne l'est pas, et le fait d'être vendu aux enchères pour des prix astronomiques, est-ce que cela... suffit ? pour apporter la légitimité ? Combien de temps va durer cette légitimité ?
    J'ai déjà écrit ici que dans ses mémoires, Picasso, à un endroit, est très... critique envers sa propre production, et le fait de l'appeler "art", en se référant à l'Histoire, car il ne se trouve pas à la hauteur des anciens. Moment évanescent de doute ? Imagine un instant que tu es l'Empereur nu, mais que tout le monde, lors de ton défilé, s'exclame sur la beauté de ta tenue ? Dans le conte d'Andersen, c'est un enfant qui a la parole qui fait chuter... l'illusion ? la mystification ? Et l'Empereur... comment sait-il qu'il est nu quand ses yeux sont tellement obnubilés par les paillettes, et les paillettes dans les yeux de ses.. sujets ? Des fois... on pourrait ne pas savoir ? oublier ? quoi, au juste ?
    De quoi perdre le Nord, non ?
    Mais je n'attache ni la même valeur, ni le même... prix à un tableau de Picasso ou un tableau de Van der Weyden, c'est sûr. Et cela indépendamment des prix dans les salles de vente aux enchères...

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