Mais combien de fois le vieux monde est-il mort depuis qu’on
le voyait derrière nous et qu’on courait : « Cours, camarade, le vieux monde est derrière toi ! »
vociférait-on dans les années « 1900 longtemps » comme les appelle
Manu Dibango.
Quelques lambeaux demeurent, d’autres sont oubliés, d’autres
subsistent. Ce que j’ai retenu d’un Braudel, vu de loin, c’est que l’histoire
chemine à différentes vitesses. Pris par les excitations de l’heure, nous ne
voyons plus grand-chose, mais quand
certains reniflent un air des années 30 en 19, je prends peur.
Entre ceux de ma génération qui ont renoncé à acquérir une
trottinette mais qui avaient lu les conclusions du Club de Rome(1972) et Greta
Thunberg (16 ans), combien de traders, de prophètes, de désabusés, de
sévèrement burnoutés ?
« Oh ! combien de
marins, combien de capitaines
Qui sont partis joyeux pour des courses lointaines,
Dans ce morne horizon se sont évanouis ! » Victor Hugo
Qui sont partis joyeux pour des courses lointaines,
Dans ce morne horizon se sont évanouis ! » Victor Hugo
De savoir que les abords des « fortifs » n’ont
jamais été des lieux « apaisés » n’atténue pas mes effarements
présents.
Les violences à Barcelone, Kaboul, Santiago…Paris, au quartier
Mistral se diffractent, se renforcent, se légitiment, s’excitent, se la jouent.
Trump et les gilets jaunes sont les produits phares de 2019.
Transgressifs, agressifs,
dans la toute puissance, ils se permettent tout.
Pour ce qui est de l’espace syndical que j’ai fréquenté, le
fait de ne plus déposer de préavis de grève ou en établir un courant sur trois
mois, ne plus déclarer de parcours de manif, se masquer, ne plus avouer son
nom, a hystérisé le climat social. L’horizontalité revendiquée en arrive à une
verticalité autoritaire de fait où la liberté prend des coups sévères au nom de
la liberté.
Qu’est ce qu’un piquet de grève ?
Parole de pédago : il n’y a pas pire dictature que
celle de ses pairs : c’est valable pour le travail en équipe comme pour
les classes quand les petits caïds ont
pris le pouvoir.
Jadis, avec mes camarades, nous méprisions les grèves rituelles de 24 h et nous avions cherché des modes d’action inédits, ceux qui s’inventent en ce moment contraignent plus fortement les collègues, les usagers.
Jadis, avec mes camarades, nous méprisions les grèves rituelles de 24 h et nous avions cherché des modes d’action inédits, ceux qui s’inventent en ce moment contraignent plus fortement les collègues, les usagers.
La fidélité, le courage n’apparaissent plus comme des
qualités cardinales. Et les compromis nécessaires par exemple à une vie en
couple ne semblent plus aller de soi
comme dans le champ politique. Alors
s’invitent aussi sec l’abstention et la remise en cause radicale de
l’élu(e) de son cœur ou de celui que désigna un bulletin de vote.
Les épidermes sont devenus très sensibles, les enfants des
enfants rois ne supportent pas la contrariété et la contradiction, que je vois
comme un des moteurs - j’allais dire du progrès - mais le mot est piégé depuis que nous avons
renoncé pour beaucoup à grandir, à vieillir.
D’autre part énoncer que la critique, la discussion sont
nécessaires à la démocratie, comme si ça n’allait pas de soi, marque la dégringolade
dans le « vivre ensemble » devenu une expression creuse. On ne parle
plus qu’en terme de lobby comme si celui des végétariens n’était pas devenu influent à l’instar de celui des pétroliers.
Pour conclure une citation dans un article de Roger Pol Droit
dans Le Monde des livres sous un titre poseur « Surtout n’évitez pas les
catastrophes » :
« Tout est foutu,
soyons heureux » ordonnait Clément Rosset, un philosophe, qui comble
mon goût des paradoxes en invitant à affronter le mauvais temps.
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