« Où commence ma
mémoire ? Parfois il me semble que ce n’est que vers quatre ans, lorsque nous
partîmes pour la première fois, ma mère, mon père et moi, en villégiature dans
les forêts sombres et humides des Carpates. D’autres fois il me semble qu’elle
a germé en moi avant cela, dans ma chambre, près de la double fenêtre ornée de
fleurs en papier. La neige tombe et des flocons doux, cotonneux, se déversent
du ciel. Le bruissement est imperceptible. De longues heures, je reste assis à
regarder ce prodige, jusqu’à ce que je me fonde dans la coulée blanche et
m’endorme. »
Au petit théâtre de la
MC2, l’acteur Thierry Bosc, seul en scène pendant une heure
et quart, nous fait partager le
passé douloureux d’un israélien devenu
écrivain, prix Médicis, mais surtout sa recherche des mots justes, préférant
les hésitations à la fluidité.
Du fond de la douleur reviennent de belles leçons, quand il
parle de son grand père :
« J'allais le
voir une fois par jour, il me caressait la tête et me montrait les lettres du
livre qu'il étudiait et il me racontait une petite histoire ou un dicton. Un
jour, il me raconta un proverbe que je ne compris pas; selon ses vœux je ne
l'interprétais pas correctement et il me dit: « Ce n'est pas important, l'essentiel
est d'aimer ce matin. »
Son aventure n’appartient qu’à lui : rescapé des camps,
orphelin, il survit dans les forêts d’Ukraine
avant de débarquer à 14 ans en Israël. Son écriture élémentaire peut
être partagée :
« Plus de
cinquante ans ont passé depuis la fin de la Seconde Guerre
mondiale. Le cœur a beaucoup oublié, principalement des lieux, des dates, des
noms de gens, et pourtant je ressens ces jours-là dans tout mon corps. Chaque
fois qu’il pleut, qu’il fait froid ou que souffle un vent violent, je suis de
nouveau dans le ghetto, dans le camp, ou dans les forêts qui m’ont abrité
longtemps. La mémoire, s’avère-t-il, a des racines profondément ancrées dans le
corps. Il suffit parfois de l’odeur de la paille pourrie ou du cri d’un oiseau
pour me transporter loin et à l’intérieur. »
Le grand corps de l’acteur s’inscrit dans un décor au
plafond bas dont les parois s’éclairent de silhouettes d’arbres, d’écritures,
sobres et belles, sur fond de musiques agréables et subtiles.
Au-delà des commémorations de la libération des camps, de la
condition juive, les débats actuels sur l’identité, la construction de la
mémoire, de soi même, ce qui s’appelle le vocabulaire d’une langue, la
barbarie, résonnent en profondeur.
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