vendredi 20 janvier 2023

Madame Martin

Madame Martin est morte.
Madame.
Nous sommes là, désemparés, sans espoir de retrouvailles dans « les siècles des siècles », face au néant.
Pour se montrer à la hauteur de la digne institutrice (magister en latin),
on peut citer Victor Hugo, emblème de notre école républicaine.
Sommes-nous comme ces soldats de Napoléon courbant la tête pendant la Retraite de Russie ?
« Ce n’était plus des cœurs vivants, des gens de guerre ;
C’était un rêve errant dans la brume, un mystère,
Une procession d’ombres sous un ciel noir,
La solitude vaste, épouvantable à voir,
Partout apparaissait muette, vengeresse. » 
Nous sommes là, solitaires.
Nous sommes là, ensemble.
Ensemble, comme nous l’avons été dans nos ambitions pour les élèves qui nous étaient confiés.
Ensemble, dans nos rêves politiques aux nuances diverses qui se disaient et s’acceptaient.
La maîtresse du cours préparatoire était exigeante et distribuait des bonbons.
De Fontaine au Fontanil, de l’école de la Gare à celle de Rochepleine, elle a travaillé à la racine des apprentissages, délivrant aux collègues qui lui succédaient, des mômes outillés pour aller au bout de leurs capacités.
Au service des petites classes, ses savoirs ont été reconnus plus tard à l’Université Inter-âges.
Colette parlait franchement, elle savait que comme disait Camus: 
« Mal nommer les choses c’est ajouter au malheur du monde ».
Et nous sommes malheureux.
Attentive à l’orthographe, il fallait combattre sa modestie pour qu’elle accepte de vous corriger.
A force de compter les morceaux de nous en allés après tant de nos amis disparus, nous oublions les couleurs des images de nos vies dans les tiroirs de nos mémoires.
Des souvenirs pourtant ramènent aux rires, à l’humanité, à l’"Huma" : Boule et Bill de la méthode de lecture déboulent parmi les travaux d’aiguille, de confection de robe ou de blouse aux grandes poches, les recettes de cuisine, des longueurs de piscine et des courses sur la digue,  les fleurs et les dessins, les émotions autour d’un tableau de Courbet,  « Simone , le voyage du siècle » au cinéma, les parents d’élèves, nos parents,
et les anciens élèves qu’est-ce qu’ils deviennent ?
Les enfants toujours et nos petits enfants à qui envoyer le poème du jour :
« Année nouvelle
Donne-moi les oiseaux
Qui possèdent les mots
Doux et tendres
Les mots du cœur
Du grand large
Et de l’évasion. » 
(Luce Guilbaud) 

2 commentaires:

  1. Mes condoléances, Guy. Il me semble me souvenir que tu as déjà évoqué cette institutrice exceptionnelle, peut-être il n'y a pas si longtemps. Une personne qui avait la foi, j'ai cru comprendre. Il faut avoir la foi pour (bien) transmettre, en sachant que ce n'est jamais évident, même avec la foi...

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  2. Merci pour ce bel hommage à celle que nous avons toujours appelée Mme Martin malgré une plus grande proximité depuis qu’elle était retraitée. L’émotion était grande et sincère mercredi matin et votre texte nous a permis sans pathos de se souvenir de qu’elle était : une belle personne qui a accompagné tellement d’enfants et leur a donné les clefs de la lecture, gage d’autonomie et de bonheur d’apprendre . Merci

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