Une universitaire, une journaliste de mode, un attaché
culturel qui se sont connus en khâgne à Lyon croisent leurs regards acérés à
propos de leurs années passées entre 1975 et 2004.
«Nos parents avaient
le monopole des souffrances de la guerre, nos grands frères avaient le monopole
de Mai 68, nos petits frères le monopole de l'esprit d'entreprise et les gens
encore plus jeunes le monopole du trash. Moi, je n'ai le monopole de rien.»
Les formules sont bien tournées, les 317 pages jubilatoires,
même si les personnages se retrouvent un peu artificiellement toujours au bon
endroit au bon moment :
à Madrid pour « La movida », à Berkeley au moment
de l’essor de Silicon Valley, sans avoir oublié de lointaines racines
prolétaires mais dignes, avec des parents qui ont connu les parents de Bernard
Canta, tout en découvrant des blues inconnus, en fréquentant des traiders, après avoir dansé au Palace, dîné avec Messié,
suivi les cours de Lacan, bien connu toutes les figures de l’amour...
Nous avons tous vécu ça, dans les livres et les magazines.
« Il serait aisé
de dire que j’ai confondu très tôt les livres et la vie. C’est une forme de
bovarysme, mais aussi une façon de se confronter à la noblesse du monde, à l’exigence
de ceux qui l’on vu comme un paradis embelli par les mots. »
Quelques débats sont vivement réactivés :
« J'ai assisté,
au milieu de la société française, aisée, omniscolarisée, enracinée dans des
siècles d'exigence, à une destruction d'intelligence qui humiliait, et parfois
détruisait sans remède, quelques-uns de ses meilleurs esprits. »
« Pour ne rien
dire de mes camarades du laboratoire de sociologie qui, à force d’animer les
chiffres comme un ventriloque sa marionnette, parvenaient à faire coïncider les
lèvres du mannequin avec des postulats acrimonieux et revanchards dont il eut
été aisé de démontrer en utilisant leurs propres armes, qu’ils correspondaient
exactement à leur position de classe. »
« Paradoxalement,
dans une société de la passion égalitaire, les privilèges du mérite sont plus
rudement ressentis que ceux de la nature. »
Des motifs enfouis sont remis à la surface, ainsi du milieu
de la mode :
« J’adore cet
univers, non seulement parce qu’il étouffe sous les dentelles ces mœurs de
jungle qui rendent toute vie difficile à traverser, mais parce qu’il avoue
jusqu’au nerf la part florentine, baroque et meurtrière de notre
existence. »
Nous nous réveillons car ça finit par se savoir :
« La généralisation
d’une vulgate psychanalytique ayant pour effet de rejeter sur la génération
supérieure la responsabilité des maux qui encombrent toute vie adulte ; le
traitement consécutif du malaise par l’Etat-providence, dont le maternage aura
contribué à faire de la France le premier pays du monde pour la consommation
d’anti dépresseurs par tête d’habitant »
Au bout de ces récits sincères qui ont pris bien du recul,
une formule qui mimerait la sagesse populaire :
« Il n’y a pas de
bonne version, seulement des interprétations »
ou d’un façon plus littéraire :
« Lorsque tous les leurres ont brûlé sur
le bûcher des phrases, les cendres avouent ce qui a vraiment été »
Debbie n'aime pas la Vérité...
RépondreSupprimerSi, si, je vous le jure. Cela ne fait pas bonne presse, et dans aucune école.
Lacan qui écrivait et faisait ses séminaires pour tenir debout face à son héritage philosophique ET religieux, il a écrit "les non dupes errent".
C'est une très bonne formule. Il était bien placé pour le savoir... Je crois que quelque part, il était non dupe.
Pendant un certain temps, certains lacaniens avaient compris que la fin de l'analyse coïncidait avec ce moment où... en bon non dupe, on marchait dans le droit chemin de la Lumière, la Vérité, patin couffin, tu vois la topo, qui nous arrive droit au-delà des Lumières, par l'héritage religieux.
Et, chose étonnante, ils ont été surpris de constater combien cet état de non dupe faisait voir l'Univers sous un grand néon, ce qui donnait une vision tout à fait glauque et.. DEPRIMANTE DEPRIMANTE de la vie.
Ils ont été perplexes.. Il y a de quoi être très perplexe.
Ce qui était censé nous rendre.. libres ne nous rend pas heureux. Peut-être même que la liberté (du sujet) est incompatible avec le bonheur, qui sait ?
Observation : étant donné combien le nomadisme submerge la culture occidentale, peut-être qu'il y a beaucoup de non dupes là dedans... et beaucoup d'errance avec. Pourtant n'être arrimé à rien, ça fait souffrir aussi, à sa manière.
Il y a une bonne raison pourquoi la France est le premier pays du monde pour la consommation d'anti-dépresseurs. C'est parce que l'Occident vit sous le régime de l'utopie cartésienne, et nous nous sommes aperçus que cette utopie ne nous rend pas heureux....La Vérité ne nous tient pas chaud la nuit, et.. en approchant de la grande nuit de la vie non plus...
Mais... il y a des illusions et des fantaisies qui sont plus porteuses, plus nobles que d'autres, non pas pour nous distraire, mais pour nous aider à nous reposer, et fermer les yeux un peu dans toute cette lumière dont on fait la promotion du matin au soir...