vendredi 14 novembre 2014

La gauche et le peuple. Jacques Julliard, Jean Claude Michéa.

La question est lancinante, les réponses, sont elles attendues impatiemment?  
En tous cas pour moi, l'échange de lettres entre les deux intellectuels est bienvenu. 
Si je suis plus familier de la prose de l’éditorialiste qui écrit désormais dans Marianne après l’Obs, c’est que j’ai comme lui milité à la CFDT. Par ailleurs la problématique de la distance entre la gauche et le peuple se superpose à d’intimes distances culturelles, au moment où je vois ma petite fille à 3 ans accéder à plus de livres que ma mère en plus de 90 ans.
Lui, l’historien est plutôt rugby alors que le philosophe montpelliérain est footeux, plus âpre, plus radical, mais vif et toujours passionnant, atypique.
Leur constant souci de pédagogie fait que l’échange de haute volée est passionnant.
« Quels enfants allons- nous laisser au monde ? »
En 318 pages, l’entretien au bout de neuf  lettres échangées, remonte aux racines des débats à l’intérieur de la gauche : la question du progrès, du libéralisme, les rapports nature-culture et  de la morale. Le débat n’est pas qu’économique et va chercher dans les passions.
Pour avoir finalement bien ri aux caricatures de beauf de Cabu ou des Deschiens, j’avais aimé oublier que je venais de  chez ces gens  là. Quand  bobo parvenu, j’ai pu croire que j’étais plus familier d’un guide Dogon que d’un chauffeur routier d’Apprieu, je saisis la distance qui s’est installée entre sédentaires et nomades, autochtones et étrangers, alors que la défense de la classe ouvrière s’est dévaluée au détriment de la figure du sans papier. Du social au sociétal.
Julliard  fait le constat de la mort de la deuxième gauche dont il fut un des plus brillants promoteurs, il revient à des fondamentaux tels que la planification démocratique, la nationalisation des banques, la non-reconductibilité des mandats électifs, et rejoint son comparse pour ne pas se  prosterner devant les écrans et le pédagogisme libéral …
« Il y a moins de différence entre deux députés dont l'un est révolutionnaire et l'autre ne l'est pas qu'entre deux révolutionnaires, dont l'un est député et l'autre ne l'est pas.» R. De Jouvenel
La thèse de Michéa faisant remonter à la fin de la colonisation le regard condescendant des intellectuels sur la classe ouvrière remplaçant désormais les indigènes, est originale.
Et dans la ronde des citations je retiens aussi Fredric Jameson :
«Il est beaucoup plus facile d’imaginer la fin du monde que celle du capitalisme».
Pour rendre compte de ce livre, je passe par-dessus certaines difficultés de compréhension et recopie une pincée de définitions qui peuvent préciser certains sujets :
« Golem : Dans la mythologie juive, un être artificiel, incapable de parole et dépourvu de libre-arbitre, façonné afin d’assister ou défendre son créateur.
Téléologie: Doctrine qui considère que dans le monde tout être a une fin, qui conçoit le monde comme un système de relations, de rapports entre des moyens et des fins. Syn : Finalisme
Agonistique : Forme de démocratie où le conflit joue un rôle central.
La brigue : Manœuvre secrète et détournée pour obtenir de quelqu'un un avantage, intrigue, magouille.
Le lit de Procuste : Procuste  était un terrifiant brigand de l’Attique qui non seulement détroussait ses victimes, mais les faisait étendre sur un lit de fer avant d’étirer leurs membres au moyen de cordages ou leur coupait les pieds pour les mettre à la mesure du lit. Désigne toute tentative de réduire les hommes à un seul modèle, une seule façon de penser ou d'agir.
Démopédie : opinion publique »
Les formules « les eaux glacées du calcul égoïste » de Marx ou  la « common decency » d’Orwell sont travaillées en commun.
Je regrette qu’un tel dispositif de débat aussi fécond ne soit pas plus fréquent mais on me dit à l’oreillette que Gauchet et Badioux sont depuis peu dans un même livre. Au boulot ! 
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Les dessins ci-dessus viennent du "Point", celui ci-dessous, du "Canard": 

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