jeudi 27 novembre 2014

Rembrandt : entre mythe et réalité. Serge Legat.

Un cycle des conférences présentées par Serge Legat aux amis du musée de Grenoble  vient d’être consacré à « l’âge d’or hollandais », le XVII°, pendant lequel Rembrandt Harmenszoon van Rijn a tant fait scintiller « l’or des ténèbres ».
Le natif de Leyde, ville universitaire et bastion de l’église réformée, ne s’est pas cantonné à une spécialité. Ses effets de matières se sont exercés dans des portraits, scènes bibliques ou populaires, natures mortes en situation, paysages.
Si au XIX° siècle s’est forgée la légende d’un artiste génial, mais maudit, voué à la pauvreté et à la solitude, le conférencier s’est appliqué à nuancer ce trop romantique tableau.
Le père de celui qui fut le 8° d’une fratrie de 10 exerçait la profession de meunier, et connaissait une certaine aisance.
Après un apprentissage auprès de peintres qui avaient fait leur voyage en Italie, dès le début de sa carrière, il eut à son tour des élèves payants auxquels il enseigna tellement bien son style qu’en 1915, 740 tableaux lui étaient attribués. En 1990 il n’en restait  plus que 240. Des contestations s’ensuivirent. 
Il a beaucoup sollicité son entourage pour ses portraits, mais des doutes demeurent pour savoir si  celui  d’une « vieille femme », admirable, représente effectivement sa mère dont le regard méditatif exprime l’âme, puissamment, en toute sobriété.
Quand la profusion des rides éloigne tout lifting, le grand âge peut être magnifique.
L’homme des autoportraits trouve sa voie en 1629, avec des teints de terre et des lumières contrastées venues des caravagesques d’Utrecht.
Dans « Suzanne au bain », « une déflagration de blanc » vient souligner sa franchise : la main d’un des vieillards prend d’emblée possession de la belle. 
Le personnage de « Jérémie pleurant sur la destruction de Jérusalem », effondré entre la représentation abstraite de la ville en flammes et quelques objets peints minutieusement, exprime le destin dramatique du peuple juif dans son entier.
Si ses dessins sont indépendants de sa peinture, sa technique d’aquafortiste apprise auprès  de Jan Lievens, un de ses collègues, marque aussi son originalité : il retravaille ses traits, n’immerge pas ses plaques et fait couler l’acide sur le cuivre. http://blog-de-guy.blogspot.fr/2014/04/les-dessins-nordiques-du-musee-de_10.html
Ses eaux fortes sont vives et vibrantes.
Les tableaux devenus célèbres se bousculent :
 « Le philosophe en méditation » devant ses instruments de la connaissance, se trouve près de la fenêtre ; de l’autre côté de l’escalier central, une femme dans l’obscurité allume un feu.
« La leçon d’anatomie » respecte les lois du portrait collectif, individualisable et hiérarchisé. Trop en rapport avec une réalité inacceptable, il va à l’inverse du bon goût français contemporain http://blog-de-guy.blogspot.fr/2011/01/lexaltation-du-corps-au-temps-du.html
« La Compagnie de Frans Banning Cocq et Willem van Ruytenburch » à la tête d’une milice civile d’arquebusiers ne devrait pas s’appeler « la Ronde de nuit » car la scène est diurne mais le bitume de Judée employé pour sa réalisation s’est assombri avec le temps. Le tableau le plus populaire du nouveau Rijksmuseum vendu 16 000 Florins à l’époque (salaire annuel d’un ouvrier 250 Florins) a connu aussi une réduction de son format passant de 5 m à 4,38m sur sa longueur et de 3,87 m à 3,59 m en  largeur.
Assez mauvais gestionnaire de sa fortune, il avait portant épousé la riche orpheline Saskia, avec laquelle il se représente joyeusement, lui en « fils prodigue », elle en servante sur ses genoux. Elle meurt après avoir accouché de Titus, leur seul enfant qui ait atteint l’âge adulte.
Sa dernière jeune concubine Hendriddrickje Stoffels  avec laquelle il aura une fille, disparait également avant lui. Celle-ci avait été représentée en « Bethsabée au bain » une lettre à la main annonçant peut être la mort de son mari éloigné par David qui était tombé amoureux d’elle. Et c’est peut être Titus qui dans « la fiancée juive » appuie amoureusement sa main sur le ventre de la promise.
Rembrandt persiste dans la manière sombre avec ses « Pélerins d’Emmaüs », ignorant la mode qui a évolué vers des jeux de valeurs plus raffinés, des touches plus lisses.
Son Christ dans « La descente de croix », pauvre chose, est mort en homme et non en Apollon. La condition humaine est misérable mais digne. Dans « Le reniement de Saint Pierre » travaillé en pleine pâte, la gestuelle est essentielle, la servante tient la chandelle.
A côté de son « bœuf écorché », morceau de peinture pure, apparait le visage d’une jeune femme : la fin est inéluctable bien que tout puissant fut l’animal. Soutine et Bacon ont vu la bête.
Van Gogh écrit:
« Les portraits peints par Rembrandt… c’est plus que la nature, ça tient de la révélation. »
Cette dimension personnelle apportée à la quête d’une peinture allant à l’essentiel, au-delà de la représentation, a traversé les siècles.
« Un tableau est terminé lorsque le peintre a réalisé son intention » disait-il.

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