dimanche 23 juin 2019

Manset dans les bacs en 2019.

Dodeliné par les litanies du chanteur dont la production est inversement proportionnelle aux  rares apparitions de son image, j’en suis à découvrir deux CD à l’emballage élémentaire dans la forme comme au fond, alors que je croyais plutôt bien le connaître.
Les inédits de 1972 sont d’un autre temps.
« Nous prendrons les chemins de France
Qui mènent autour
Du pied des tours
Et de l’étang
Où je t’attends »
Il chante en  latin : « Cupidum imperii caesare »
« Peut-être demain verrons nous
Nos enfants levés
Le glaive sur nous
De Caesar »
Et Jeanne
« Quand elle revint chez les siens,
Les gens l'attendaient sur le port,
Buvant le vin des musiciens,
Entourés d'hommes et de chiens »
Il n’hésite pas sur les images grandioses :
« Un jour l’homme est venu sur terre
Couronné d’ombre et de lumière »
Les mélodies planantes, les mélopées enveloppantes endorment les mots de ses poèmes à découvrir à chaque audition.
Dans une autre pochette plus charnue, Le langage oublié de 2004 est prophétique.
« Demain il fera nuit
je l'ai lu dans un livre
et les enfants iront
de porte en porte, de ville en ville
et les rats s'enfuiront
de porte en porte, de ville en ville »
Désespéré et grandiose, au risque de frôler le kitch.
« A quoi sert de pleurer
Sur ce qui n’est plus
Boucles adorées
Sucre fondu »
 Ses paroles bonnes à graver m’enchantent :
« On voit la fin du dernier monde connu
La fin du dernier monde qu’on eût
La fin du dernier monde possible
L’hônnette homme devient la cible »
Totalement, absolument de ce temps dont la mémoire tamise les lumières brûlantes :
« En ce jardin maudit du XXIème siècle
Où les enfants mauvais jouent sous les branches
A quelques faux moineaux jetant de fausses miettes
Cependant qu’on leur dit que c’est dimanche »

samedi 22 juin 2019

Les neiges du Kilimandjaro. Ernest Hemingway.

Chacune de ces douze nouvelles est un concentré d’humanité, de vitalité, de littérature.
Efficace, profond, « the » écrivain va à l’essentiel : les femmes, les lions, les taureaux, la force et la faiblesse, l’ennui. La mort peut venir d’une égratignure, l’amour sur des planches de sapin dures et pleines d’échardes.
Fort comme les alcools qui s’éclusent à tour de bras au coin du feu pendant trois jours de tourmente, dans un campement en Afrique, un vendredi avec des collègues légionnaires romains à Jérusalem…
Du Michigan, à Paris, à Madrid nous sommes d’emblée dans l’essentiel des solitudes, des défaites, des courages, des destins cabossés où même l’insignifiance peut être relevée avec malice en une mise en scène très contemporaine lors d’un hommage à la Suisse.
J’ai retenu comme d’autres lecteurs ce fragment qui laisse ouvert toutes les portes à l’imagination :
« Et là, devant eux, tout ce qu'il pouvait voir, vaste comme le monde, immense, haut et incroyablement blanc dans le soleil, c'était le sommet carré du Kilimandjaro. Et alors il comprit que c'était là qu'il allait. »
Pendant 188 pages j’ai eu l’impression d’assister à un meeting d’athlétisme où dans chaque discipline, des beautés fulgurantes battent tous les records. Un sommet !

vendredi 21 juin 2019

« New York Times »

Pour avoir commencé à aimer l’histoire avec les images trouvées dans les tablettes de chocolat, j’ai pris goût à rechercher des éléments précédant les évènements qui se présentent à nous.
Le journal « New York Times » va arrêter de publier des dessins politiques. Cette décision ne suscitera aucune marche blanche, il est vrai que dans le Dauphiné libéré ceux là ont disparu depuis longtemps. Cette évolution s’inscrit à la suite des meurtres de Charlie. 
Tout serait parti d’une caricature de Trump en aveugle avec kippa tenant en laisse son chien Netanayahou. Le poseur en citoyen du monde peut se sentir atteint par ce coup contre la liberté depuis un lieu au bord de L'Hudson devenu pour moi plus familier que Valencogne ?
Je n’ai jamais lu ce journal, et j'en suis comme ce copain qui mettait en évidence le Journal « Le Monde » sur la lunette arrière de sa voiture pour le prestige qu’il croyait que le quotidien de référence - comme on ne dit plus - lui aurait conféré.
Qui a vu quelqu’un lire un journal dans le tram pour la dernière fois ?
Le « politiquement correct » qui vise à polir toute aspérité, à diffuser du déodorant partout, n’est que l’autre versant d’un monde où le sang éclabousse les murs. Certes les dessinateurs sont moins inventifs que naguère et autour de la Place Saint Bruno les imitateurs de Reiser n’ont retenu que le côté crade de son trait. La médiocrité n'est pas un critère de choix.
Et puis tant crient avant d’avoir mal qu’on ne les entend plus, alors que cette restriction dans l’expression est grave même si le flambeau de la statue de Bartoldi ne brûle plus que pour quelque mièvre illustrateur. J’en suis à mettre Plantu en tête d’article, c'est bien parce qu’il cite Régis Debray. L’innocence n’est plus ce qu’elle était, ni la poésie, ni le « Canard » ni « Charlie ».
Quant à l’humour il loge dans les psychanalyses sur scène, les punch line féroces, du coup les blagues pour enfants sont difficiles à dénicher :
« Qu’est ce qui fait « nioc nioc » à longueur de journée ?
Un canard qui parle en verlan. »
Comme j’en suis au temps des recensions, voilà un dessinateur de BD et un de presse par décennie, mixant goûts personnels et notoriété commune :
Années 50
Années 60
Années 70
Années 80
Années 90
Années 2000
Années 2010
Hergé

Uderzo
Morris
Pratt
Geluck
Zep
Larcenet
Effel

Sempé
Reiser
Plantu
Bretecher
Jul
Chapatte
Cabu est mort et Wolinski.
Puisque je remonte au temps de la bakélite, en ces temps de bac tout court, me revient l’image que j’avais collée sur mon classeur de philo : un gorille dans la position du « penseur » de Rodin.
Ma prof n’avait guère goûté l'image mais je crois bien qu’aujourd’hui j’aurai plutôt le même regard qu’elle : quelques humains nous broutent avec les animaux, pourtant ils savent que les nounours ont aussi des dents pointues.
« Le secret du bonheur c’est la liberté et le secret de la liberté c’est le courage. » Thucydide

jeudi 20 juin 2019

Le street art. Gilbert Croué.

"Les zèbres dans la ville" de Faith 47 (native de Johannesburg) annonçaient  la conférence  concernant l’actualité du « street art » catégorie majeure des arts plastiques, vus dans le catalogue destiné aux amis du musée de Grenoble.
De tous les styles, de toutes provenances, les jeunes artistes proposent à tous leurs productions parfois tellement spectaculaires que l’on ne doute pas qu’ils auraient su comment décorer La Sixtine.
Des villes ont été transfigurées : Baltimore, difficile à vivre, fait  désormais appel à des voyagistes pour des circuits consacrés à l’art des rues, « graffiti alley », comme à Philadelphie où 3000 murs ont été décorés. Il convient de ne pas confondre des appropriations intempestives et des créations vives, surprenantes, dialoguant avec l’espace urbain. http://blog-de-guy.blogspot.com/2017/01/biodegradables.html
Au pochoir:
Banksy, le plus célèbre, souvent imité, entretient fort habilement sa notoriété tout en restant anonyme. « L’hirondelle africaine » avait été effacée par une municipalité anglaise, alors qu’ailleurs des plaques de plexiglas protègent désormais ses œuvres.
Les références à l’histoire de l’art  sont fréquentes. «  La jeune fille à la perle »
« Un bon dessin vaut  mieux qu’un long discours ». En prise avec l’immédiateté, exposée à la vue de tous, la critique sociale et politique joue sur son terrain avec efficacité. 
« Les faucheuses » de Goin à Lisbonne. Les Parques FMI, BCE, UE peuvent couper les fils de la vie.
La parisienne Miss Tic, du nom d’une sorcière de Disney, a laissé des traces poétiques, elle aussi, à Grenoble. «  Je croyais à rien mais je n’y crois plus »
Zabou, à Londres, en cela, elle croit : « In art we trust ».
Le canadien Roadsworth a reçu 53 chefs d’inculpation pour ses interventions sur la chaussée ou les trottoirs, «  Nid de poule », mais la mobilisation des riverains a permis l’abandon des poursuites, il a consacré ses heures de TIG à ses jeux sur les routes.
Le style de  C 215, pseudonyme de Christian Guémy est facilement reconnaissable, ses portraits de « Simone Veil »  avaient été recouverts de croix gammées.
Papiers peints collés et retravaillés :
Lilyluciole, une femme encore, illumine les rues de Montréal et Paris, mettant en valeur le métissage.
Nadège Dauvergne, sur des papiers très fins, évoque les préraphaélites, « Pandora ».
Elle joue joliment avec les publicités, « Madame Récamier » d’après David.
Les femmes de YZ sont fatales, bien que les collages soient éphémères, elles demeurent les « Eternelles amazones » au Bénin.
Obey a commencé à peindre des t-shirts et des skateboards, à éditer des stickers, ses affiches pour Obama sont devenues des icônes. « Hope ».
JR est également très connu, «l’artiviste urbain » a collé ses immenses portraits sur le mur en Israël pour rappeler la parenté des hommes ou sur les bidonvilles de Rio, il a fait entrer 4000 visages « Au Panthéon ! »
Peintures directes et nacelles :
Conor Harrington, aujourd’hui mieux côté que Banksy, fait se rencontrer l’abstraction et des figures viriles très XVIII° siècle, les galeries reflètent la rue.  S’il en coûte toujours 3000 € pour une peinture sans autorisation, les festivals se multiplient tel celui de Grottaglie en Italie où  « When We Were Kings » est en majesté.
El Mac  veut redonner de la dignité aux victimes à Ciudad Juárez, une des capitales du crime  au Mexique : « Juarense y Poderosa ». Ses ondes de  gris très modelées sont spectaculaires.   
Les « rats »  du belge Roa inquiètent.
L’Hawaien Hula, sur son paddle, peint la montée des eaux : « Lewa ».
Natalia Rak la polonaise est flashy : « Quand les flèches ne suffisent pas » Moscou.
Réemploi de matériaux divers :
Bordalo II représente des sculptures d’animaux essentiellement en plastique.
Vhils le Portugais révèle ses portraits au burin, au marteau-piqueur et même à l’explosif. « La polynésienne »
Aheneah après Miss Cross Stitch fait du point de croix sur les murs avec 2300 vis et 700 m de fil. La française a réalisé cette œuvre au Portugal.
L’artiste australien  Buff Diss utilise du ruban adhésif et Abraham Clet  français vivant à Florence appose ses stickers sur les panneaux routiers.
Les délicats détournements de Sandrine Estrade Boulet sont éphémères mais Internet les immortalise comme tous ceux de cette liste internationaliste qui peut fournir une porte d’entrée à des recherches épatantes.
 

mercredi 19 juin 2019

Une vie entière. Robert Seethaler.

Dans les montagnes autrichiennes la rude vie d’un homme pendant la première partie du XX° siècle.
«… il avait un toit sur la tête, il dormait dans son lit et, quand il s’asseyait sur son petit tabouret devant sa porte, il pouvait promener son regard sur un paysage si vaste que ses yeux finissaient par se fermer …» 
Un grand livre en 145 pages qui vont à l’essentiel, mais je ne saurais mieux dire que Philippe Chevilley dans le journal « Les Échos »: « Une vie entière semble écrit dans l'encre bleu foncé des torrents. Ce livre simple et juste enchante et nous élève. »
Garçon de ferme, estropié, travaillant à l’installation de téléphériques, prisonnier en Russie ; Andréas Egger surmonte toutes les épreuves. Sa force ne réside pas que dans ses bras, c’est un roc, comme ceux qu’il perce où qu’il extirpe d’une terre ingrate. La vie lui a fait au moins le cadeau d’une compagne, mais pas pour longtemps.
La fresque décrite sobrement est impitoyable sans tomber dans une complaisance qui aimerait le noir, mais notre frère humain est coriace, on dirait aujourd'hui résilient. Son histoire poignante est édifiante même si tant de frugalité est bien loin de nos habitudes. La mort est dans tous les coins, la misère, la violence, la solitude, alors les moments de lumière sont éblouissants.
 « L’aïeule est partie maintenant. Où, on peut pas savoir, mais c’est sûrement bien comme c’est. Là où meurt ce qu’est vieux, y a d’la place pour ce qu’est nouveau. C’est comme ça, ce sera toujours comme ça. Amen ! »   

mardi 18 juin 2019

Moi, assassin. Antonio Altarribea. Keko.

134 pages en rouge et noir, comme sorties du bois dont ont faisait les xylogravures. Quand le meurtre est une forme d’art, le récit a de quoi déranger et l’habile scénariste http://blog-de-guy.blogspot.com/2012/12/lart-de-voler-antonio-altarriba-kim.html peut passer pour un pervers.
Un professeur qui lui ressemble, anime un groupe « Chair souffrante, la représentation du supplice dans la peinture occidentale ». Celui-ci vient de dépasser la trentaine de crimes. Nous sommes rendus complices des derniers, sophistiqués et spectaculaires quand le « body art » devient du « bloody art ». Le regard documenté porté sur les performances de l’art contemporain et le rappel d’une histoire de l’art souvent doloriste en Espagne sont particulièrement adaptés à la bande dessinée. Le texte fouillé dialogue avec une iconographie puissante. Une bande dessinée pas destinée à tout public.
Par contre Rencontre sur la transsaharienne de Verdier et Christin n’aurait pas dû apparaître au rayon adulte de la bibliothèque. Pour avoir apprécié le scénariste qui avait travaillé avec Bilal, j’ai été déçu. En effet la rencontre improbable de trois humanitaires lyonnais avec deux africains qui quittent le Congo et deux émiratis qui viennent chasser dans les sables, est surtout celle de leurs véhicules dessinés comme du temps de Michel Vaillant. Le dessin est aussi banal que le scénario, naïf comme les personnages, ensablé dans son bac, sans chaleur, sans surprise.

lundi 17 juin 2019

Meurs, monstre, Meurs. Alejandro Fadel.

Le genre film d’horreur n’est décidément pas mon genre et si je poste cet avis incomplet c'est que ce  film présenté à Cannes l'an dernier est sorti en salle alors que d'autres bien plus intéressants, à mes yeux, n'ont pas eu cette possibilité. 
Je suis parti au bout d’une demi-heure, écœuré de tant  de sang, de fantastique à prétention théorisante, joué de façon outrée, dans des couleurs boueuses, sous des lumières fuligineuses. 
Le mot « érotisme » apparaissant dans certains commentaires m’a semblé vraiment tout son contraire : le ridicule confine alors à l’abject. Et en tant que mâle, je n’endosse pas non plus le costume du « monstre » qui serait en nous d’après « Le Monde ». Il s’agirait selon d’autres spectatrices ayant vu le film jusqu’à la fin, de l'assemblage d’un sexe féminin géant affublé d’une paire de couilles. Ce méchant poilu accumulant les têtes de femmes coupées n’oserait même pas figurer dans les bréviaires les plus rétrogrades qui honniraient le sexe à ce point. Avec ce type de Savonarolesque morale, les manifestants « contre tous » pourraient passer pour d’intempestifs progressistes.