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samedi 30 décembre 2023

samedi 23 décembre 2023

Dictionnaire amoureux des écrivains français d’aujourd’hui. Frédéric Beigbeder.

Finalement des dictionnaires amoureux, j’en ai lus pas mal 
et malgré des dessins toujours aussi moches, la légèreté des rédacteurs convient bien à mes velléités d’exhaustivité.
Ayant choisi les auteurs que je connaissais, je n’ai pas lu les 281 notices allant donc, en ce qui me concerne, d’Angot à Zéniter.
Il est bon de partager les mêmes emballements hors des têtes d’affiche, par exemple pour Philippe Forest, ou des réserves, et même plus, à l’encontre de Tanguy Viel, voire de modérer des enthousiasmes envers une de mes chouchoutes : Maylis de Kérangal, ou d’apprécier des évolutions dans le jugement, Olivier Rolin.
Si le critique dandy, « Un cocktail, des Cocteau », ne se réserve pas de chapitre pour lui-même,  sa présence est assurément assumée dans ces 600 pages avec une subjectivité élégante en première ligne. 
Les coups sont retenus et le respect de mise, même si, relevé dans Babelio, l’absence de Sorj Chalendon est regrettable. 
« Les 54 719 absents frustrés auront le choix :
blâmer mon mauvais goût, se plaindre aux éditions Plon ou écrire de meilleurs livres. »
Placés dans une histoire brève de la littérature contemporaine où triomphent «  la victimisation politiquement correcte et la confession doloriste avec résilience finale » de stimulants logos sont distribués suivant les appartenances à des mouvements littéraires fantaisistes:
«  Les glauquistes apocalyptiques » avec Philippe Claudel, 
« Les américanisés » où figure Philippe Djian qui se retrouve aussi dans 
« Les écrivains cultes » avec Philippe Lançon et Patrick Modiano,
à distinguer des « Statues du Commandeur » pour entre autres J.M.G. Le Clézio 
ou auprès du « Plus grand écrivain français »: Michel Houellebecq ...
«  Nous nous proclamions voltairiens, camusiens, sartriens, nietzschéens ou surréalistes, nous sommes devenus chrétiens, musulmans ou juifs, suivant des dénominations précises, un martyrologe abondant et toutes les détestations qui vont avec. » Amin Maalouf

samedi 16 décembre 2023

Autour du monde. Laurent Mauvignier.

J’ai cru un moment à un exercice de style autour du tsunami de 2011 au Japon et puis j’ai été pris par la quinzaine d’histoires qui s’enchainent pendant 410 pages.
Elles s’interrompent pour démarrer au milieu d’une phrase passant de la Tanzanie à Rome, de Moscou à Paris, fondu-enchainés de nouvelles inachevées, garnis des désarrois, de rêves inaboutis d’hommes et de femmes souvent en voyage. 
« Quand on part si loin de chez soi, ce qu'on trouve parfois, 
derrière le masque du dépaysement, 
c'est l'arrière-pays mental de nos terreurs. » 
La littérature portée à ce degré d’acuité est un révélateur : 
« Même lui, face au spectacle d’un lever de soleil en pleine mer, est soudain moins banal. C’est comme si sa médiocrité révélait l’essence de quelque chose dont il serait un exemplaire parfait à défaut d’être unique - un homme gris, dans le matin gris, face à l’immensité. » 
Les personnages présentés souvent en recherche évoluent dans des mondes qui exaltent le plus souvent la beauté de notre terrible planète : 
« …alors elle se laisse porter au pays des merveilles et des songes éveillés - oui quelques jours d’un bleu léger et liquide comme la pureté de l’air, ce luxe facile et cette beauté devant elle, le lion de pierre, l’immense rampe sculptée dans le grand escalier et le détail de cette opulence, le silence moelleux d’une moquette épaisse d’un rouge profond… » 
Ce livre fort sans être accablant, grandiose et accessible, agile et chargé de toutes les nuances, émouvant et efficace, donne envie de tourner les pages au plus vite et de s’attarder.

samedi 9 décembre 2023

Les fruits du myrobolan. Marco Martella.

J’avais offert ce livre à un jardinier qui aime les livres, il me l’a prêté à son tour : 
j’avais bien choisi. 
« Le goût du fruit du myrobolan était celui qu’ont les choses libres et sauvages, 
un goût austère mais doux, réconfortant même et étrangement familier. » 
180 pages sensibles partagées en 10 chapitres délicats offrent des mots « simples » comme on dit de certaines plantes, « les simples », depuis un titre qui évoque un prunier prometteur d’une magnificence réservée aux poètes, aux patients, à ceux qui connaissent aussi « les fruits de la consolation. » 
« Où, dans quels bienheureux jardins constamment arrosés,
Sur quels arbres, aux calices de quelles fleurs tendrement défleuries,
Mûrissent-ils, les fruits étranges de la consolation ? »
Rainer Maria Rilke.
Rien de tapageur, mais une attention à la nature briarde : 
«Un monde qu’on ne fait que traverser en étranger et dans lequel cependant la splendeur, à l’état de restes ou de fragments clairsemés, surgit de temps à autre».
Souvent proches des livres, ses personnages sont vus avec amabilité : 
un professeur qui aurait connu ­Samuel Beckett, un autre Pasolini, une vieille dame qui a toujours rêvé d’être écrivaine, des doux originaux mystérieux et discrets, le cantonnier ou le facteur… 
« Les volets étaient fermés mais la glycine grimpant sur les murs et les rosiers, 
par delà les barreaux du portail, commençaient à fleurir. 
« On dirait que Suzanne est toujours là » dit mon voisin. »

vendredi 8 décembre 2023

La clef des champs et autres impromptus. André Comte-Sponville.

La sagesse, la clarté, propres à l’accessible philosophe nous apaisent dans ces 275 pages aérées en  douze chapitres traitant pourtant de sujets graves :
euthanasie, mort des enfants, handicap, suicide… 
« C'est la joie qui est bonne, 
mais d'autant plus méritoire et belle qu'elle est souvent difficile. » 
Le retour sur la période de la pandémie et le confinement relativise mes agacements quand les chœurs médiatiques pleurnichaient sur la jeunesse sacrifiée : 
« Le panmédicalisme est la maladie sénile de l’humanisme ». 
Dans les hommages rendus à des  auteurs : Marcel Conche, Anne-Lyse Chabert et à son ami Jean Salem, « le rouge », la force acquise dans une enfance douloureuse vécue auprès d’une mère suicidaire permet d’aller de l’avant : 
« Puissent nos désespoirs, comme il est dit dans Shakespeare, 
contribuer à enfanter une vie meilleure ». 
L’humanisme des lettres du capitaine Dreyfus depuis l’Île du Diable où il était emprisonné dans des conditions effroyables n’en prend que plus de force : 
« Etre heureux si l’on peut, c’est la sagesse ; 
rendre les autres heureux, c’est la vertu ».  
Lorsqu’il est question des « Trois mousquetaires » la santé de D’Artagnan est enviable: 
«  sans remords dans le passé, confiant dans le présent, plein d’espérance dans l’avenir. »
Il admire Spinoza, Montaigne, Pascal, et en bon pédagogue, livre quelques extraits légers et naturels de ses compagnons de réconfort qui en arriveraient à devenir familiers. 
« Le présent que nature nous ait fait le plus favorable, et qui nous ôte tout moyen de nous plaindre de notre condition, c’est de nous avoir laissé la clé des champs » Montaigne
Il cite Brassens dans le chapitre intitulé «  Mourir sans Dieu »: 
« J’ai quitté la vie sans rancune,
J’aurais plus jamais mal aux dents :
Me v’là dans la fosse commune,
La fosse commune du temps »

samedi 2 décembre 2023

La fille qu’on appelle. Tanguy Viel.

Le maire d’une ville au bord de l’Océan va devenir ministre, Max son chauffeur boxeur remet les gants pour le combat de trop dont la fille (jolie) Laura cherche un appartement : le déroulement de l’intrigue est sans surprise, avec méchant bien identifié et jeune innocente.
Les couleurs ne manquent pas aux métaphores. 
« C’est comme ça donc que la fusée blanche largua dans l’espace son premier étage désormais inutile, Max comme des lambeaux de métal qui exploseraient dans la nuit dont l’éclat ne serait plus l’éclairage des piscines plutôt les néons des bars à l’heure de la fermeture, avec ce teint jaunâtre qu’on se trouve dans le miroir des toilettes, et l’envie de frapper à mains nues dans son propre reflet. » 
La simplicité psychologique des personnages et l’évidence du scénario contrastent avec une écriture qui pour être travaillée en parait affectée, artificielle. 
«… elle s’était à nouveau barricadée derrière la fatalité, celle d’une jeune fille qui n’était pas née pour prendre des décisions et se laissait faire depuis longtemps par ceux qui savent s’y prendre- elle si clairvoyante en même temps, si capable de sonder toute situation, effarée elle-même peut être par la stérilité de sa propre intelligence. »
Les pensées parfois tarabiscotées des personnages n’empêchent pas leurs actes brutaux.
Cette distance entre réalité et raison, renvoie à notre époque ou le sens des responsabilités devient une denrée rare alors que la victimisation est le moteur de la vie sociale. 
« Elle a senti sa respiration se couper, comme un clou qu'on aurait enfoncé dans une horloge pour en arrêter l'aiguille, et elle n'a plus bougé pendant de longues secondes, interdite en somme, le cerveau à l'arrêt... »
Cependant le questionnement autour du consentement pour devenir banal n’en est pas moins intéressant à traiter avec quand même moins d’emphase. 
« Mais pour l’heure il lui semblait que du fond de l’océan toutes les déesses de la mer se dessinant sur l’écume chuchotante avaient décidé de parler, ou non pas lui parler mais pérorer comme elles savent si bien faire en commentant l’action. Et c’était comme un coryphée antique posé au coin du soir, une assemblée tenue par cinquante naïades qui psalmodiaient autour d’elle : Oh qu’as-tu fait, Laura ? Qu’as-tu fait ? »
Le chœur des déesses de l’Obs et de Télérama a bien aimé ces 170 pages. Pas moi.

samedi 25 novembre 2023

Brèves rencontres. Neuf écrivains.

« Peut-être est-ce cela, une rencontre, la vie ramassée en une seconde. Un mirage, un éclat, qui permet, l’espace d’un souffle, à peine le temps d’un battement de cils maquillés, d’entrevoir la vérité, avant qu’elle nous échappe pour toujours. »
La citation vient de Monica Sabolo à propos de Bonnie and Clyde dans un des chapitres d’un volume de 200 pages dans lesquelles se succèdent Sureau, Appanah, Le Tellier, Désérable, Ben Jelloun, Reinhardt, Azoulai et Philippe Lançon, le meilleur à mon goût.
Lecture a été faite de ces nouvelles sur France Inter en 2022.
L’image romantique, belle passante et wagon de bois, de la couverture ne représente pas vraiment la teneur de cet ouvrage où ces auteurs contemporains narrent essentiellement leurs rencontres avec des écrivains plus anciens… Woolf, Calvino, Gary, Genet, Breton, Madame de Lafayette, Cendrars, Stendhal.
L’histoire intitulée «  La traversée des sentiments » la plus romanesque me semble la plus fidèle au titre bien que la brièveté ne fut pas le caractère le plus marquant d’une demande de mariage réitérée trois fois.
Les exercices d’admiration sont aimables et l'écriture élégante amène quelques surprises. Ainsi le récit de « La Princesse de Clèves » permettra à une jeune fille cloitrée dans sa chambre après un chagrin d’amour de profiter de l’été : 
«  Un roman d’amour sans scène d’amour, un comble. Tu as raison et il faut prendre à la lettre le tout dernier mot de cette histoire : i-ni-mi-table. Autrement dit, ne faites surtout pas comme je dis... »   

vendredi 24 novembre 2023

Un été avec Jankélévitch. Cynthia Fleury.

Dans la collection de petits livres édités par France Inter chaque année un auteur nous régale en évoquant un grand ancien : 
https://blog-de-guy.blogspot.com/2020/10/un-ete-avec-montaigne-antoine-compagnon.html  Cette fois la philosophe, excellente pédagogue, nous rend plus présent le philosophe juif : https://blog-de-guy.blogspot.com/2020/11/cynthia-fleury.html
 « Le malentendu est « la sociabilité même ; il bourre l’espace qui est entre les individus avec la ouate et le duvet des mensonges amortisseurs… »
J’avais déjà cité l’accessible auteur du « Traité des vertus » et du «  Le je-ne-sais-quoi et le presque-rien » mais je n’avais pas saisi l’occasion de l’apprécier plus complètement.
Quand les 180 pages s’ouvrent sur cette phrase, nous ne pouvons qu’être bien disposés: 
« Ne manquez pas votre unique matinée de printemps »
Je n’ai pu tenir le rythme d’un chapitre par jour qui me ravissait pour dévorer les dernières pages limpides et subtiles traitant pourtant de l’Histoire après avoir abordé la musique, l’amour, l’ironie, le courage, les pas sur la neige, le sérieux, 
« Nous serons déjà sérieux si nous faisons ce qu’il est possible de faire » sans « invoquer l’impossible » pour « quitter l’ordre du charlatanisme ». 
Amateur de paradoxes, j’ai aimé la dextérité du vieux résistant dont l’auteur d’aujourd’hui met en évidence une pensée si fraîche, nous invitant à réviser ce qu’est la gratitude, le mal … et à écouter Ravel  
« L'imprescriptible, c'est la vie de l'histoire et non le fossilisé, ce qui nous oblige à ne pas nous illusionner sur la bonhomie des êtres humains, c'est savoir que cet humain-là est capable de la pire inhumanité, indignité, barbarie. L'imprescriptible, c'est savoir que l'histoire est toujours devant soi. »

samedi 18 novembre 2023

La péremption. Nicolas Fargues.

Ne pas se fier à la quatrième de couverture :  
« Assignée femme » 
mais plutôt à la première phrase du livre de 190 pages écrit par un écrivain, se mettant dans la peau d’une femme, alors que les écrivaines ne manquent pas : 
« Ce qui a de bien avec vous, Madame, c’est que vous donnez envie d’être vieille ». 
Elle vient de prendre sa retraite de prof d’art plastique à 50 ans et si son écriture est pleine de verve, de lucidité désabusée, elle se refuse à intervenir tant auprès de ses élèves, de son fils, de ses ex, de sa mère, de son frère, de son nouvel amant qui la conduira au bord du lac Kivu au Congo.
Sa grande tolérance alimente tant de renoncements, se laissant si facilement prendre par « des ivresses sans fondement. » 
L’indifférence maquillée en bienveillance me semble dans cet air du temps bobo dont je connais la délicatesse bien que son hypocrisie agace. 
«  Une raison de vivre, cela peut se délaisser pour mieux que ça : se laisser vivre. » 
Le vieillissement devient pathétique lorsqu’il s’accroche aux modes tout en sachant leur vanité. 
« Il y a pire que notre splendeur d’antan qui pique l’égo : les éloges qui blessent. » 
J’ai aimé quelques nuances grammaticales signifiantes : 
« Qu’est ce qui t’a prise ? ça ne te va pas du tout. »
« Mais que te prend-il ? » 
La mise à distance épargne les grandes douleurs et la lucidité, l’ironie font des bonheurs de lecture, nous donnant l’impression de ne pas être dupe, d’être un malin nous aussi :  
« Tu penses à cette phrase de Robert-Louis Stevenson, tellement citée et tellement reprise pour justifier tout et n’importe quoi qu’elle a fini par s’apparenter à un bibelot de boutique pour touristes : «  L’important, ce n’est pas la destination, c’est le voyage. » Avec tes mots à toi, cela reviendrait à prétendre qu’à défaut d’un avenir, tu es en train de te fabriquer de beaux souvenirs. »

samedi 11 novembre 2023

Un chien à ma table. Claudie Hunzinger.

« Ecrire ça demande un second temps parallèle au premier. 
Etre au monde intensément, tout en n’y étant plus. 
Etre vivante et morte. » 
L’écri-vaine, dont la finesse d’écriture fait la force, rend compte de la vieillesse qui vient, et des sentiments humains accordés aux vibrations de la nature : un hymne à la vie alors que s’annonce une catastrophe à venir.  
« Soudain dans la boue des batailles se sentir en vie. » 
Au bout du bout d’un chemin accessible seulement en 4X4 au lieu-dit « Les Bois-bannis », au bout de sa vie avec son compagnon ironique caché sous les livres, elle a recueilli une chienne baptisée « Yes ».
« De mon côté, j’expérimentais presque désespérément le fait qu’avec presque plus rien on pouvait se sentir être au monde. Eprouver de la joie. Je devais beaucoup à Yes. Elle était la joie. » 
Depuis ce lieu isolé, elle ne parle pas seulement au cœur des mémères à chien-chien mais aussi aux lugubres dont les indulgences envers ces écolos féministes de la première heure peuvent s’affirmer puisque la condition humaine ici n’est pas dévalorisée par la célébration des animaux et des arbres, au contraire. 
« On ne s'ennuie pas avec lui [l'humain]. Il est le grand personnage du roman de la Terre. Rien d'un héros positif. Non, non, surtout pas. Qu'on arrête avec ça. Plutôt un beau salaud. Sera-t-il condamné ? Va-t-il s'en sortir ? Trouver l'issue ? Ou se suicider ? Surtout, surtout, ne pas raconter la fin. D'ailleurs personne ne la connaît. Ne pas compter sur lui, l'humain. Sur l'humain, on ne peut pas compter. Se méfier de lui. »

vendredi 10 novembre 2023

Claude Monet-Georges Clemenceau : une histoire, deux caractères. Alexander Duval-Stalla.

Les biographies parallèles du peintre consacrant sa vie à son art et du politique emblématique, se fondent sur une amitié profonde entre deux travailleurs obstinés. 
« La relation de Monet et de Clemenceau se nourrit d’une admiration réciproque. 
Monet pour l’énergie de Clemenceau ; 
Clemenceau pour la force créatrice de Monet. 
Elle se nourrit également d’une opposition. 
Celle de l’Impressionnisme et de la République contre les conservatismes et les conformismes. »
20 pages de notes scrupuleuses de références des citations s’ajoutent aux 270 pages d’une écriture agréable : 
« C'est fini? - oui. Et les deux hommes, si grands, s'embrassèrent en pleurant dans ce jardin d'automne où les roses s'étaient retenues de mourir. »
Ce retour vers un monde éloigné peut nous éclairer aujourd’hui quand il est question du « Tigre »
« C’est le sort des hommes politiques- je parle des hommes de combat- d’être exposés à toutes les surprises, à tous les attentats. Autrefois, on les assassinait ; c’était l’âge d’or. Aujourd’hui, contre eux, l’entreprise réputée infâme paraît légitime ; contre eux, le mensonge est vrai ; la calomnie, louange ; la trahison, loyauté… Dans une démocratie où tous les appétits, tous les intérêts, toutes les passions sont publiquement aux prises, quoi de plus tentant que de profiter sans scrupules de tous les incidents pour chercher à troubler l’opinion par des attaques personnelles des plus violentes. » Il se défend : « Où sont les millions ? » La campagne se déroule dans un climat de violence inouïe. Les attaques les plus insultantes et les plus basses sont lancées contre Clemenceau : « Vous sentez le cadavre » est même l’objet d’une affiche.»
(J.-N. Jeanneney, Clemenceau, portrait d’un homme libre, op. cit., p. 39.)
Au tournant des siècles précédents, pour les étudiants arrivés à Paris c'est : 
« La liberté, les idées nobles, l’espoir en l’avenir enivrent les jeunes gens ; ils rêvent d’une république universelle, de la fraternité entre les peuples, de la fin de la misère. »
Après la guerre de 70, celle de 14 : 
« …  qui s’annonce va révéler la vraie nature des deux hommes. D’un côté, un Clemenceau qui s’engage dans l’action et ne vit que pour la politique et de l’autre, un Monet qui s’exile à Londres pour peindre et fuir une guerre qui ne le concerne pas. » 
Si l’un a laissé une trace avec ses  pinceaux lumineux, l’autre d’une lucidité efficacement exprimée nous ravit toujours : 
« Tout le monde peut faire des erreurs et les imputer à autrui : c'est faire de la politique. »

samedi 4 novembre 2023

Quel est donc ton tourment ? Sigrid Nunez.

Présenté comme la plénitude de l’amour du prochain d’après Simone Weil, le mot « tourment » revient avec la comptine : 
« Ah ! Vous dirai-je, maman,
Ce qui cause mon tourment. » 
L’expression frôle la désuétude littéraire, à l’opposé des « questata ? »
De littérature, il est question, sans surplomb, ni abus de références, mais comme tentative de dire l’indicible : la narratrice accompagne sa copine dans sa dernière ligne droite. 
« Ce qui attire le lecteur d’un roman, c’est l’espérance de réchauffer sa vie transie à la flamme d’une mort dont il lit le récit, a dit Walter Benjamin. » 
L’humour n’en prend que plus de vigueur : 
« Dieu est Mort – Nietzsche ; 
Nietzsche est mort - Dieu »
quand devant l’évidence :  
« L’enfer c’est pour les autres »
 Le monde devient plus beau au moment où se pointe la nuit : 
« L’heure dorée, l’heure magique, l’heure bleue 1 (en français dans le texte traduit de l'anglais) ».
Difficile de s’en sortir :« Tous ces livres sur l’atrocité de la vie moderne, dit-elle, dont une grande partie est brillante, je sais,  je sais, tu n’as pas besoin de me le dire. Mais je n’ai pas envie d’en lire davantage sur le narcissisme et l’aliénation, la futilité des relations entre les sexes. » 
Et le vieil instit ne peut être que ravi : 
«..  le fait que quelqu’un veuille m’apprendre des choses, qu’on s’intéresse à ma calligraphie, à mes bonhommes bâton, aux rimes de mes poèmes. C’était de l’amour […] et cet amour signifiait plus à mes yeux que l’amour de mes parents, car mes parents exagéraient la moindre chose positive… »
« … pour moi le seul lieu sacré était l’école, l’endroit de l’espoir, de la gratitude et de la joie. » 
250 pages d’une richesse qui n’a pas besoin de se faire reluire, honorent le titre par le récit de tant d’autres vies croisées :
« Elle n’aimait pas se souvenir qu’elle avait été jeune, disait-elle ; elle ne s’en sentait que plus vieille. »

samedi 28 octobre 2023

Crépuscule. Philippe Claudel.

Conte glauque au temps des chevaux (harassés) aux confins Est de l’Europe où l’écriture nous accroche, avant que trop de noirceur des âmes accordée à la saison glaciale et aux paysages désolés, ne nous lasse.
La tempête : « … elle venait désormais buter et tournoyer dans le cul-de-sac du plateau dominé par de faibles crêtes sous lesquelles la ville s’était construite depuis longtemps. On aurait cru un fauve piégé, tournant en rond dans le treillis de fer au point de se mordre la queue. »
Un curé vient d’être tué, dans une bourgade perdue « au rectum de l’Univers », alors les dirigeants de « l’Empire » vont manipuler la populace pour exterminer la paisible minorité musulmane.
Un des romans de ce président du Jury Goncourt traduit en bande dessinée convenait bien au genre avec gueules effrayantes et contrastes appuyés. 
Mais trop de caricatures éloignent des nuances qui auraient rendu plus crédibles quelques lourdes correspondances avec des situations contemporaines, bien qu’une fine allusion aux réseaux sociaux d’avant les portables soit bienvenue.
Le méchant :  
« … cet avorton d’Evêque qu’on avait envoyé ici, à son corps blet sous l’habit, à son pauvre regard aux yeux dilués, à sa bouche décousue et baveuse. Son Dieu était-il à son image, cacochyme et impotent ? » 
Le bon :« Vous êtes un homme de religion, monsieur l’Iman, c’est à dire d’espérance et de foi. La vision que vous avez de l’homme est faussée par cela, et vous ne parvenez pas à croire que les brebis que vous avez en face de vous puissent se révéler, selon les heures et les circonstances, des hyènes sanguinaires. » 
Les richesses du style aux senteurs vigoureuses s’épanouissent sur le versant malpropre de la force, se dilapident dans des énumérations interminables qui faisaient sourire avec  San Antonio, mais tournent au procédé pour garnir les 507 pages.
L’odieux personnage principal invité à une chasse à l’ours, va se fournir au bazar qui vend 
« … des bassines en zinc […]… des pièges à fouine, à taupe, à vipère… » (20 lignes)
Il achète une pétoire ridicule et un costume risible : 
«…  un feutre noir, orné d’une plume d’émeu et d’un galon doré ayant appartenu à un officier de l’armée napoléonienne, disciple de Diane et grand coureur de femmes… »
Il devra se poster dans un lieu sinistre, le lac mort: 
«Ici la forêt avait abandonné la partie et ne laissait pousser au creux de l’immense cuve rocailleuse, où jadis les eaux d’un lac avaient dû mourir d’ennui et fini par s’évaporer, qu’une végétation basse, hirsute, broussailleuse, sale, qui mêlait les ronces, les aulnes courts et les charbonnettes. Des fougères brûlées par les gels aplatissaient leurs squelettes roux dans des brouets de neige ».
Des mots poétiques dans la bouche d’une petite fille misérable paraissent artificiels en milieu si fangeux :
«  Nous tournons le dos aux heures, aux hommes, à leur règles, à leur temps »
Finalement, en se dispensant d’être bon, le regard désabusé de l’auteur des « Ames grises », peut ne pas être émoussé: 
«  C’est sans doute là ce que certains hommes appellent le destin, terme pompeux qui sert à les grandir, ou la fatalité, autre vocable plus à même de les excuser. »

vendredi 27 octobre 2023

Où de vivants piliers. Régis Debray.

L’ancien guévariste désormais davantage mis en valeur par « Causeur » que par « Le Monde » est l’un des piliers d’une génération qui lisait. 
« La Nature est un temple où de vivants piliers
Laissent parfois sortir de confuses paroles
L’homme y passe à travers des forêts de symboles
Qui l’observent avec des regards familiers. » 
Baudelaire
Mais plutôt que l’image imposante religieuse et statique de la colonne ou du poteau, les mots du vieux monsieur paraissent préférables pour présenter ce livre d’hommages :
« Fût-il en fin de carrière ou de vie, un cadet de l’art d’écrire ne saurait déménager à la cloche de bois sans régler ce qu’il doit aux grands aînés qui l’ont, à leur insu, incité à poursuivre ou à tenter de rebondir. Tous les écrivains abritent au fond de leur cœur des passagers plus ou moins clandestins, souvent de la génération précédente, qui font pour eux office d’incitateurs ou d’excitants.» 
Les 186 pages d’un auteur familier, dont j’attends toujours avec gourmandise la prochaine production, renouvellent le genre respectueux avec subtilité et humour.
De Julien Gracq,  
« quand l’époque est à l’hirsute, le rebelle est boutonné» 
à Céline : 
« D’être adoré de tous, il serait aujourd’hui bien embêté, notre béni-non-non, lui qui aimait tant être détesté de tous. Il nous cracherait son mépris à la gueule mais son glaviot serait encore, pour vous et moi, comme une décoration.»
 A propos de Mauriac : 
« Avec le fil à plomb d’une foi, le démon politique n’abime pas trop ceux qui peuvent 
« rompre avec ce monde tout en y combattant » quitte à courir du scoop à l’évangile aller-retour. »  
Entre Aragon, Cordier, Gary, Genevoix, Giono, Sartre ou Yourcenar, des digressions en de courts chapitres concernant le protocole, les voyages… sont délicieuses.
Je pioche au hasard tant chaque phrase allie le style, en principe de droite et les idées en principe de gauche: 
« Les gens de mon bord me rasent dès qu’ils prennent la parole, tant ils aiment faire la morale ; l’autre bord, plus déluré, me fait bicher malgré moi, tant qu’on ne parle pas des prochaines élections. »
« C’est Stendhal, l’homme France et non l’auteur de La Légende des siècles. 
Nos prétentions à l’épique, au lyrique, au légendaire ne sont plus de mise-sauf enflure et grandiloquence. »

samedi 21 octobre 2023

Mon maître et mon vainqueur. François-Henri Désérable.

 
« Est-il sensible ou moqueur,
Ton cœur ?
Je n’en sais rien, mais je rends grâce à la nature
D’avoir fait de ton cœur mon maître et mon vainqueur »
Verlaine dont le titre est tiré d'un de ses vers était inévitable pour une histoire d’amour fou entre deux fous du poète : Vasco conservateur à la BNF et Tina mère de jumeaux en passe de se marier avec un autre.
Poétique, drôle, bien que la distanciation permise par le récit dans le bureau d’un juge alourdisse à mes yeux ces 200 pages, d’autant plus brillantes que les histoires d’amour, comme disent la chanson, finissent… en hématome. 
« Le sonnet, c'est un peu comme l'amour conjugal : sa beauté naît des contraintes qui lui sont inhérentes. Pour le sonnet : nombre invariable de vers, invariablement répartis en deux quatrains suivis de deux tercets, nombre équivalent de syllabes pour chaque vers, alternance des rimes féminines et masculines, etc. 
Pour l'amour conjugal : pesanteur du tête-à-tête quotidien, inévitable effet de routine, inopportune irruption du trivial, etc. Et c'est en dépit de cela qu'il faut tirer du beau, voire du sublime - et c'est, inversement, ce qu'il y a de si grisant mais aussi d'un peu facile dans le vers libre et l'adultère… » 
Au cours d’une lecture jubilatoire, nous apprenons qu’à l’hôpital psychiatrique sainte Anne, en plus de l’inévitable allée Verlaine, il y a la rue Van Gogh, et celle nommée Gérard De Nerval, « Soleil noir de la mélancolie » qui débouche sur le parc Charles Baudelaire, l’auteur du Spleen.
Au cimetière Montmartre à côté de la tombe de Stendhal : 
« …  il y en avait une autre, sur laquelle on pouvait lire :Robert L. (1923-2006), époux de Nicole L., née J. (1932-20  ). » 
Les nombreuses allusions littéraires coulent de source dans un contexte où le drame fait sourire : 
«  Et qu’est ce que la vie, disait Vasco, si l’on y songe un instant ? 
Des petits bonheurs éphémères, dominés par d’insondables chagrins »
Pagnol disait :  
« Telle est la vie des hommes. 
Quelques joies, très vite effacées par d'inoubliables chagrins
Il n'est pas nécessaire de le dire aux enfants. »
J’avais retardé la diffusion du « Château de ma mère » à mes petits enfants pour que soit divulguée le plus tard possible cette sentence.

samedi 14 octobre 2023

Au commencement du septième jour. Luc Lang.

Livre lu avec voracité d’autant plus que la découverte d’un auteur est excitante, tant  le style  est puissant, précis, faisant confiance au lecteur. 
« Il s’assoit, commence à manger, taraudé par son éternelle gourmandise, les goûts sont enivrants, les consistances délicates, soyeuses. Mais les ondes gustatives sont sans force, sans persistance ni métamorphose, elles sont courtes et sèches,  elles claquent et s’éteignent comme les couleurs avortées d’un feu d’artifices sous une pluie d’orage »  
Trois livres en un de 622 pages. 
Trois univers l’un proche est impitoyable, l’autre grandiose, le plus éloigné désespérant, sont décrits magnifiquement : papa travaille dans l’informatique, son frère ainé élève des moutons dans les Pyrénées, au Cameroun, la sœur essaye de soigner. 
« Les vitres étaient baissées et, malgré la vitesse, l'atmosphère croupissait, liquoreuse. » 
Maman a eu un accident très grave, les enfants, les « tigrichons », vont la voir.  
«  Bonjour mesdames, voici Elsa et Anton, nos enfants. 
Elles abandonnent leur travail viennent saluer « la demoiselle et le grand garçon en visite »
Dans ce roman dense, haletant, des souffrances, des chutes, des repères qui fuient, GPS et voiture moribonde, les autoroutes, les pistes défoncées, des questions sans réponse, des rêves, des cauchemars, et  des moments de grâce, de poésie, des occasions de réfléchir :   « Mais chez vous, en Europe, l'obsession de s'accroître, de s'étendre, de grossir, accapare tout votre être. Vous en oubliez le passé qui pourtant vous irrigue, vous courez au-dessus de l'abîme et découvrez le présent à l'instant de votre mort, comme la remontée soudaine d'une mélancolie du futur... »

samedi 7 octobre 2023

Les deux Beune. Pierre Michon.

Ce sont deux rivières en Dordogne, bien décrites en 150 pages poétiques baignées de pluie.
«…  un brouillard dense dérobait à mi-jambe les arbres, scintillants mais drapés, cagoulés, harnachés comme pour un sacrifice. Je revois ce brouillard ; je revois ce fourreau que tissaient les eaux perfides et tricoteuses de la Beune, et qui le long de la falaise montait gainer les peupliers, l’auberge, l’église. » 
Elles coulent en bas du village où est nommé un jeune instituteur qui fantasme sur la buraliste.
Ce livre se voulant hors du temps nous épargne les outrances féministes de l’heure, mais la description redondante d’un désir mâle univoque censé être original au départ, ramène à une voix masculine datée. 
« Elle lâcha le flipper, elle tourna les talons et vivement amena dans le brouillard ses façons de glamour, ses aplombs de grue, son fourreau de nuit sous quoi régnait, absconse, absolue, la fente considérable. » 
Me conviennent mieux des mots choisis pour saisir un sourire qui 
« n’était pas une peinture de guerre, cette réclame ou ce bouclier d’ivoire… » 
mais plutôt  
« cet arc en ciel de l’âme, changeant, vibrant. »
Les métaphores sont nombreuses, alors je ne peux m’empêcher de me souvenir que la quintessence des saveurs campagnardes contenue dans la tartiflette peut s’éventer au bout d’un moment, et le plat de fête devenir bourratif. 

samedi 30 septembre 2023

Irréfutable essai de successologie. Lydie Salvayre.

Au début de ces 168 pages j’ai apprécié l’ironie, la vigueur du style autour de nos obsessions : 
«…  coach en mieux-être, coach sportif, coach parental, coach de vie, coach de cœur, coach de deuil, coach de sexe, coach mental, coach de com, coach d’éloquence, coach d’intimité, coach de compétence, coach de performance, coach de productivité, et coach de désintoxication aux coachings… » 
Habilement présentées les citations crépitent : 
« Les œuvres d’art sont d’une infinie solitude ; rien n’est pire que la critique pour les aborder. Seul l’amour peut les saisir, les garder, être juste avec elles. » 
« Ne prêtez pas un seconde d’attention à ces propos du dénommé Rainer Maria Rilke qui n’en fut pas à sa première ineptie. »
 Et j’avais cité sur ce blog  l’ancienne prix Goncourt : 
Les  longues énumérations font le tour de  quelques questions : 
« Efforcez- vous, pour plaire à la classe moyenne, d’être moyennement brillant, moyennement profond, moyennement optimiste et moyennement moral. Ou affectez de l’être. »
Et puis, je me suis lassé de mépriser tant d’arrivistes, et la galerie de portraits pourtant bien troussée m’a paru vaine : facile de juger l’influenceuse bookstagrameuse, et déjà bien parcouru le milieu littéraire, même lorsque l’on peut reconnaître   l’écrivain transfuge qui tant s’expose : 
«  écrivains engagés dans la publicité de leur engagement ».
Je crains que dans cette parodie de livre de développement personnel où elle fustige les flatteurs, elle ne soit exempte de tout reproche, quand inévitablement nous nous retrouvons du bon côté : 
« Il est devenu, aujourd’hui, tout à fait superflu de lire, je puis vous l’affirmer sans la moindre nostalgie. Nos cerveaux saturés d'informations incessantes et sans lien les unes avec les autres, ne disposent, en effet, que d'une part réduite d'attention aux œuvres littéraires. Et le nombre de lecteurs véritables, je veux dire de lecteurs ayant un contact intime, direct, charnel, avec elles, ne représente plus qu'une infime partie de la population. »