jeudi 2 mai 2024

Joan Miró. Sophie Bernard.

Depuis 4 ans la « conservateure en chef » du Musée de Grenoble prépare l’exposition « Un brasier de signes » consacrée à  l’iconoclaste Miró. Devant les Amis du Musée, elle a présenté un large panorama choisi parmi les 130 œuvres qui seront Place Lavalette jusqu’au 21 juillet 2024, dont « Bleu II » parmi trois « bleus » en prêt du Centre Pompidou pendant un an. Dès les années 30, le conservateur André Farcy avait acquis un dessin d’un des piliers de la modernité né en 1893.
Après le tableau « La ferme » de la période « détailliste » acheté par Hemingway,
« Intérieur »
au « réalisme magique » annonce
un vocabulaire nouveau par ses simplifications, ses grossissements, ses schématisations. Assiette et torchon sont abstraits, la paysanne monumentale s’ancre comme lui en Catalogne à Montroig.
Miró se dégage de toute convention picturale lorsqu’il s’installe à Paris au milieu des années 20, années effervescentes. Au contact d’Eluard, Tzara, Leiris, Char… il se découvre :  
« tout ce que je suis, tout ce que je deviendrai ». « La sieste », dada et surréaliste, vient après plusieurs études préparatoires où le réel s’est décanté : la baigneuse fusionne avec une maison, la Sardane se réduit à un cercle en pointillés sur fond propice au rêve.
En contrepoint, « L’addition », aux têtes de fèves, s'inspire d’Ubu de Jarry, mystérieuse, limoneuse, parmi ses immenses toiles «moins peintes que salies, troubles comme des bâtiments détruits, aguichantes comme des murs délabrés» Leiris. 
Son « Mirómonde » au langage onirique peuplé d’étoiles et de points, s’épure.
Du «  Catalan » ne reste que le béret en apesanteur,
Il réduit « Le toréador » à une tête d’épingle .
« Peinture »
(1927) témoigne de son goût pour le cirque partagé avec Calder.
Il ambitionne « d’assassiner la peinture »
au moyen de la peinture et expérimente avec le laconique « 
Portrait d'une danseuse » 
des sculptures matiéristes
et des collages de papier de verre, papier goudron, fil de fer, chiffons, 
pour un « Sans titre » de 1929.
Dans les années de guerre civile espagnole, le « Personnage » au pastel, mi-homme mi-oiseau fait partie d’une cohorte inquiétante
comme la « Tête d’homme » spectrale, grotesque.
«  L’objet du couchant » présente une féminité menaçante . 
Après avoir quitté la Catalogne, sa sensualité palpite dans un « dessin poème » de 1937.
Réfugié en Normandie, il produit « Constellations », une série de peintures en petit format sur des supports de fortune. 
« Je ressentais un profond désir d’évasion. Je me renfermais en moi-même, à dessein. La nuit, la musique et les étoiles commencèrent à jouer un rôle majeur, dans la suggestion de mes tableaux ».
En 1947, il retrouve Pierre Matisse qui a contribué à sa notoriété en Amérique où il quitte la peinture de chevalet pour des formats très grands : « Grande bande »  de 5 m du musée de Grenoble parsemée
de « Miróglyphes en liberté » selon le mot de Jacques Dupin, son biographe. En 1956, il s’installe à Palma de Majorque.
Son « Personnage devant le soleil » ébahi au cœur de l’espace, enfantin et cosmique, attendrit Prévert :« Gentil spectre, intimidant de beauté solaire ».
« Bleu I »
est l’aboutissement d'une ascèse propre à un archer japonais, 
le temps de la méditation est plus long que celui de la réalisation épurée.
Avec le minimum de moyen, le maximum d’intensité : «  Sans titre 26 »
Dans une période exubérante il lacère ses toiles, les brûle. 
« Silence »  libre et violent, contre Franco, serait « la négation de la négativité ».
Grâce à Maeght, il s’essaye à la sculpture en bronze :  
« Femme »  1969, rejoint d’antiques représentations.
Le noir envahit « Personnages et oiseaux dans la nuit » de 1974. Il avait rencontré la calligraphie orientale et la peinture japonaise, il a suivi un parcours parallèle à l’éphémère groupe Cobra qui voulait fusionner expressionnisme, surréalisme et abstraction.
« Femme »
(1978) aux touches violentes, exprime une émotion violente, entre l’orgasme et la mort. Tout en contraste, le peintre du silence crie, l’aérien éclabousse, gribouille.
L’azur côtoyant toujours les ténèbres, il expérimente jusqu’à sa mort en 1983. 
« Ce qui compte, ce n’est pas une œuvre, c’est la trajectoire de l’esprit ».

1 commentaire:

  1. Bof. Je retiens ta citation ," assassiner la peinture par le biais de la peinture", et je dis, comme j'ai dit il y a longtemps à un metteur en scène qui avait massacré l'"Antigone" de Sophocle dans une piètre réécriture : "mais ça ne rime à rien de DECONSTRUIRE le théâtre sur la scène, strictement à rien". Je ne peux pas suivre Miro, et tant d'autres sur ce chemin qui finalement rejoint l'interdit des RELIGIONS MONOTHEISTES dans la condamnation de la représentation.
    C'est une déclaration de ma foi, là. Je n'irai pas voir l'expo.
    Merci pour le compte rendu.
    Ce qui me semble plus grave, c'est qu'à la longue, le statut de l'artiste comme intermédiaire artisan entre Ciel et Terre, le statut SACRE de l'art en Occident, mais pas que, s'effrite, pour ne pas dire s'effondre.
    Maintenant j'entends parler de comédiens/musiciens... saltimbanques à la radio. Je ne sais pas comment les mots viennent aux autres (et des fois pas comment ils me viennent non plus...) mais le saltimbanque est un produit de la société de consommation, et le terme traduit un manque de respect, à mes yeux, même si celui qui l'a employé n'en était pas conscient.

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