« Fabrice à Waterloo » figure parmi un des
épisodes les plus fameux de la littérature française; « il faut avouer que notre héros était fort peu héros en ce
moment »
L’honnêteté de l’écriture, son naturel, se retrouvent tout
au long des 529 pages.
« Mais le lecteur
est peut être un peu las de tous les détails de procédure, non moins que de
toutes les intrigues de cour. De tout ceci on peut tirer cette morale, que
l’homme qui s’approche de la cour compromet son bonheur, s’il est heureux et,
dans tous les cas, fait dépendre son avenir des intrigues d’une femme de
chambre. »
Ces intrigues de cour peuvent sembler lointaines, les
évanouissements plus vraiment de saison, les promesses démentes, les
générosités démesurées et quelques bassesses inconcevables. C’est dans ce
monument, le coup de pistolet :
« La politique
dans une œuvre littéraire, c'est un coup de pistolet au milieu d'un concert,
quelque chose de grossier et auquel pourtant il n'est pas possible de refuser
son attention. »
En passant, l’air de rien, sont glissées quelques réflexions
de bon sens :
« L'amant songe
plus souvent à arriver à sa maîtresse que le mari à garder sa femme ; le
prisonnier songe plus souvent à se sauver que le geôlier à fermer sa porte ;
donc, quels que soient les obstacles, l'amant et le prisonnier doivent
réussir. »
Le récit qui au détour d’une subordonnée donne des
indications décisives est parfois contemplatif:
« L’imagination
est touchée par le son lointain de la cloche de quelque petit village caché
sous les arbres : ces sons portés par les eaux qui les adoucissent prennent une
teinte de douce mélancolie et de résignation, et semblent dire à l’homme : La
vie s’enfuit, ne te montre donc point si difficile envers le bonheur qui se
présente, hâte-toi de jouir »
Il nous fait partager des passions en changeant souvent la
focale.
« L'amour observe
des nuances invisibles à l’œil indifférent, et en tire des conséquences
infinies. »
Des amours invraisemblables peuvent se lire aujourd’hui
comme d’utiles moyens de résilience.
Del Dongo arrive à la prison où l‘a mené le meurtre,
présenté comme anodin, d’un rival :
« Mais ceci
est-il une prison ? Est-ce là ce que j’ai tant redouté ? » Au
lieu d’apercevoir à chaque pas des désagréments et des motifs d’aigreur, notre
héros se laissait charmer par les douceurs de la prison. »
L’homme ne m’a pas semblé le personnage principal :
la Sanseverina est forte :
« … elle voulait
toujours ce qu'elle avait voulu une fois ; elle ne remettait jamais en
délibération ce qui avait été une fois décidé. Elle citait à ce propos un mot
de son premier mari, l'aimable général Pietranera : quelle insolence envers
moi-même ! disait-il ; pourquoi croirai-je avoir plus d'esprit aujourd'hui que
lorsque je pris ce parti? »
Clélia est déterminée :
Le problème, c'est que quelqu'un qui reste éternellement tributaire de la même position se barre la possibilité d'APPRENDRE quoi que ce soit, y compris de sa propre expérience. Il s'agit de RESTER éternellement le/la même, en niant la dimension de devenir.
RépondreSupprimerJe vois cette idéologie prônée partout autour de moi : dans l'idée de rester fidèle... à soi-même, comme si soi-même était un être monolithique, toujours... le même.
Comme si la fidélité n'était pas surtout d'être fidèle... à autrui ? à une personne plus qu'une idée ? Il y a beaucoup de fidélités possibles.
Comment pourrait-on être le même dans les divers âges de la vie ? Il y a un mince fil de nous-mêmes qui peut perdurer, certes, mais vouloir être toujours égal à soi-même, c'est la catastrophe assurée, je trouve.
Ce très vieux débat est celui qui a miné en Grèce classique. Il nous secoue à des moments où nous sentons le sol se dérober sous nos pieds, et où le Nord se déplace vers le Sud, et vice versa.
S'il y a quelque chose qui n'est pas nouveau... c'est bien ce vieux débat...