samedi 5 juin 2021

Canoës. Maylis de Kerangal.

Quand la quatrième de couverture annonce que les sept nouvelles « sondent la nature de la voix humaine », on pourrait craindre un exercice de style, mais j’ai trop d’admiration pour l’auteur, je sais qu’elle dit la vérité.
Elle parle de femmes « de tout âge, solitaires rêveuses, volubiles, hantées ou marginales. Elles occupent tout l’espace. Surtout, j’ai eu envie d’aller chercher ma voix parmi les leurs, de la faire entendre au plus juste, de trouver un « je » au plus proche. » Elle parle pour chacun.
Son écriture précise rend le monde plus proche, plus riche. 
«  Il était quinze heures, le ciel était fade, couleur d’orge malade, et le silence revenu comparable au bourdonnement continu d’un frigo, un silence si étrange, si envahissant que je ne parvenais plus à le distinguer de moi-même… » 
Cet extrait tronqué ne peut rendre l’ampleur, l’acuité, la pudeur, la finesse, la simplicité de son écriture qui va, sans jamais peser, livrer quelques mystères. 
« Je m’attardais moi , moi, sur une autre théorie, ambiguë celle là, et tragique, celle de l’impasse évolutive, la sénescence de l’espèce au cours du Crétacé, les dinosaures atteints de gigantisme et pourvus subitement de structures anatomiques absurdes, devenus lourds et lents, incapables de rivaliser avec les autres mammifères-ils dodelinaient de la tête en secouant des collerettes vaines ployant sous le poids de cornes aberrantes, has been mélancoliques… » 
Toujours documentée, elle n’a pas besoin de la ramener :  
«Elle m’a parlé des coquelicots qui ne poussent que sur des terres calcaires, sur des terres remuées, retournées, aérées, de sorte qu’ils apparaissent souvent sur les champs de bataille ravagés par les combats… » 
165 pages : ce n’est pas assez, mais cette livraison permet d’attendre avec impatience la prochaine.

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