Au douzième Printemps du livre à Grenoble intitulé « Seul
et ensemble », l’historien Pierre
Rosanvallon http://blog-de-guy.blogspot.fr/2011/11/la-societe-des-egaux-pierre-rosanvallon.html qui vient de lancer une collection dénommée
« Raconter la vie » était tout à fait à sa place, ainsi que ses
comparses. Il a présenté cette entreprise « porte-voix ».
Le trou est béant entre le peuple et les politiques, qui ne
l’a pas constaté ? Alors cette initiative éditoriale qui se veut lieu de
lien social, vise à donner la parole aux « invisibles », invisibles
d’abord à eux-mêmes.
En face quelle expression portent nos représentants, de qui sont-ils
les porte-paroles ? Chez eux la parité a progressé, mais la diversité des
groupes sociaux a régressé. D’avantage de femmes mais pas d’ouvriers, même au comité
central du PC. Et ce n’est pas nouveau : des brochures sur « la
malreprésentation » étaient écrites dès 1789. A l’âge de l’hyper
visibilité factice (réseaux sociaux, téléréalité…), la société est opaque aux
yeux d’une caste politique et médiatique dans l’entre soi, qui ne cherche même
pas à savoir.
« Raconter la vie veut contribuer à
rendre plus lisible la société d’aujourd’hui et à aider les individus qui la
composent à s’insérer dans une histoire collective. »
Quand un tiers des français vit dans l’année un moment
fort : rencontre, séparation, perte d’emploi, réussite ou échec à un
examen, comment rester sur des catégorisations sans dynamique, des généralités
qui ne disent plus rien ?
« Pour
« raconter la vie » dans toute la diversité des expériences, la
collection accueille des écritures et des approches multiples - celles du
témoignage, de l’analyse sociologique, de l’enquête journalistique et
ethnographique, de la littérature »
Parce qu’ « écrire agrandit le regard », ces
livres et ce site web appelés à se multiplier, visent à faire vivre une « démocratie
narrative ».
Il s’agit de regagner de la confiance face aux stéréotypes:
opposer le réel à des visions fantasmées, agressives. Le récit de la vie
quotidienne autour d’une mosquée peut
contrer bien des appréciations globalisantes.
Par exemple dans un livre de la collection à 5, 90 €,
« Les courses ou la ville », on demande au livreur de capsules
« Nespresso » de ne croiser le regard de personne car cela
dévaloriserait la marque !
L’irlandais Robert
McLiam Wilson nous apporte un air venu hors de l’hexagone, en regrettant la
faveur du mot anglais « chav » qui signifie
« racaille beauf » avec un mépris, y compris de la gauche,
qu’elle ne se serait pas permis avec des minorités ethniques, mais là il s’agit
de blancs. Il jette un regard sans concession sur le 6°arrondissement de Paris,
quartier de la classe médiatique, monocolore comme certains quartiers de Johannesburg
au temps de l’apartheid et nous rappelle une émission «Benefits Street» (la rue
des allocations familiales) retransmission de téléréalité aux effets ravageurs.
Maylis de Kerangal,
la romancière, écrira à propos d’un cuisinier, après Annie Ernaux sur les
Supermarchés http://blog-de-guy.blogspot.fr/2014/04/regarde-les-lumieres-mon-amour-annie.html
. Elle qui travaille plutôt dans la fiction « polyphonique,
omnivore », ne souhaitant pas que la littérature se soumette au réel, est
pourtant investie dans cette entreprise. Attachée à traduire des trajectoires
individuelles, elle signale l’importance de sa présence à une opération
d’implantation d’organe qui a pu infuser dans tout son dernier ouvrage.
Dans la lignée de tentatives du XIX° siècle autour de
Balzac, l’auteur de « la comédie humaine », avec des brochures de 8 pages qui traitaient aussi bien des
rentiers que de la condition carcérale, Rosanvallon & compagnie comptent
bien multiplier les styles pour capter les mouvements, sortir des
pétrifications, livrer des représentations sensibles plutôt que des discours
sur la tolérance, quand on ne sait pas grand chose du travail de ceux qui nous
apercevons sur le quai d’une gare, où au fond d’un abattoir.
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