jeudi 22 mai 2025

Les manuscrits enluminés. Audrey Pennel.

Sous le portrait de « Jean de Berry » la conférencière devant les amis du musée de Grenoble présente les productions qui ornèrent de nombreux livres entre la fin du XIV° siècle et le début du XV°.  Il dit: 
« approche ! approche» à l'un de ses vassaux lors d'une fête ritualisée en ce moyen-âge tardif. Charles V était son frère, Charles VI son neveu, tous trois finançaient des enlumineurs et autres peintres de vignettes, filigraneurs.
Dans les « Heures de Jeanne d'Évreux », « l'Arrestation du Christ et l'Annonciation », Jean de Pucelle avec ses grisailles donne une qualité sculpturale à ses personnages.
Autour de l’image charmante d’« Une amante déloyale offre un chapel de fleurs à son ami » apparaissent des vignetures, motif souvent repris.
« Honoré Bovet offrant son ouvrage à Valentine Visconti »
sous les armoiries de la duchesse d’Orléans « mi-partie Orléans aux lis, 
mi-partie Visconti à la guivre d’azur engoulant un enfant de gueules »
Outre cet aperçu de vocabulaire héraldique, l’illustration accompagne un texte défendant la duchesse d’Orléans, rendue responsable, en raison de ses origines lombardes, de la maladie du roi Charles VI.
Hommage de « bouche et de mains » d'« Édouard Ier d'Angleterre à Philippe le Bel ».
Un fond ornemental et naturaliste marque la solennité de la  
« Dédicace de la bible historiale  au roi Charles V par Jean de Vaudetar ».
Dans le livre du Voir-Dit « Vénus et les amants », le musicien  Guillaume de Machaut
dans les termes de l’amour courtois en appelle aux sens  « veoir », « oïr » « touchier ».
« Le chevalier en hommage devant Connaissance »
pour le Livre du Chevalier errant du  Maître de la Cité des Dames, joue avec les couleurs.
Dans le Roman de la rose, l’auteur endormi songe à l’ « Amant à la porte du jardin de Déduit (le Plaisir) » derrière les murs où sont sculptés des vices, accueilli par Oiseuse (l’Oisiveté)
« Livre du Gouvernement des Princes »
Pour les parures à la cour, Charles VI choisit pour emblème le cerf-ailé,
rabots et niveau pour Jean sans Peur, ours pour Jean de Berry, porc-épic et bâton pour Louis D’Orléans, princes de la fleur de lys, fidèles mécènes des artistes malgré l’affaiblissement du système monétaire à cause des rançons à payer… 
L’évolution de la mode suivant la longueur des houppelandes permet des datations.
Le chemin est long pour accéder au roi  « Traictés de Pierre Salemon » dans le style « Miroirs des princes ».
« Louis Ier d'Orléans reçoit un livre de Christine de Pizan »
, première femme de lettres de langue française ayant vécu de sa plume, par son collaborateur le Maître de la cité des dames.
« Le maréchal de Boucicaut en prière devant sainte Catherine »
dans son propre livre d’heures. A la différence du bréviaire destiné aux clercs, les livres d'heure s'adressaient aux laïcs.
Alliées au naturalisme flamand, les perspectives italiennes ouvrent vers l’azur. 
L'atelier de Bedford produit la « Construction de la tour de Babel. »
https://blog-de-guy.blogspot.com/2016/05/la-tour-de-babel-gilbert-croue.html
Les
frères de Limbourg
ont d’abord réalisé «  Les riches heures » du Duc de Berry actuellement conservées au Metropolitan Museum of art de New York
puis « Les Très Riches Heures » dont plus de 120 miniatures sont visibles 
au château de Chantilly. 

Les scènes de la vie paysanne esthétisées
contrastent avec les fastes de la vie aristocratique sur fond
d'architectures médiévales. 
Les trois frères enlumineurs sont morts victimes d’une épidémie de peste, en 1416, la même année que leur riche commanditaire qui a tenu un rôle majeur dans l’épanouissement du gothique international.

mercredi 21 mai 2025

Léviathan. Guillaume Poix, Lorraine de Sagazan.

 

Le titre déjà n’hésite pas sur la métaphore pompière. 
« Le Léviathan est un monstre colossal, dragon, serpent et crocodile, 
dont la forme n'est pas précisée ; 
il peut être considéré comme l'évocation d'un cataclysme terrifiant capable de modifier la planète, et d'en bousculer l'ordre et la géographie, sinon d'anéantir le monde. » 
Wikipédia
Au moment où l’extrême droite se déchaine contre les juges, un spectacle mettant en question la justice excite la curiosité.
Mais le mélange des genres, les affèteries de mise en scène brouillent le propos bien que le voile qui respire au plafond soit poétique.
Il est question de comparution immédiate dans le palais de Thémis tenant en son poing un glaive, une arme de catégorie D  pourtant interdite dans l’espace public.
« Le Canard enchainé », en se contentant de décrire les audiences expéditives, en a relevé pendant des années toute l’injustice.
Un ouvrier a conduit une moto sans permis et sans casque,
un SDF a insulté une policière, 
une mère a volé des vêtements pour sa petite fille dont le père violeur a la garde.
Dans un lieu qui a justement à voir du côté de la théâtralité, les situations des prévenus n’ayant blessé personne sont tellement caricaturées qu’elles perdent de leur force. Juge et avocats aux mouvements de pantins s’agitent et crient. Un cheval arrive sur scène comme un chien dans un jeu de quilles et mange quelques pages du code pénal.
La plaidoirie en faveur d’une justice réparatrice peut s'entendre, prononcée par le seul acteur à la belle voix, sans bas sur le visage, ni allure de marionnette. Une brève apparition d’un surveillant de prison filmé en vidéo, nous a  surpris par son naturel, son humanité.
Le jeu avec le silence final est bienvenu.
Autant le choix des marionnettes était judicieux dans une pièce d’Ibsen pour traiter de l’incommunicabilité, autant cette déshumanisation des travailleurs de la justice me parait contestable en s’invitant dans le grand carnaval où, Trump, le fou devenu roi, fait exploser  toutes les valeurs en s’attaquant en premier lieu à la justice.

mardi 20 mai 2025

Deux filles nues. Luz.

De la belle ouvrage ! L’ancien dessinateur de Charlie est à la hauteur voire au delà de ses  productions précédentes. 
Le beau livre aéré nous offre un point de vue original et fécond : nous suivons la vie d’un tableau d’Otto Mueller par… le tableau lui-même depuis le premier coup de pinceau en 1919 jusqu’à son accrochage en 2000 au musée Ludwig de Cologne.
Peu après avoir produit cette œuvre révélée seulement à la fin d’un récit mouvementé,l’artiste quitte Berlin sans Maschka, sa femme avec laquelle il reste cependant en contact :  
« Les Muses, on les invoque, on ne les convoque pas. » 
Au-delà des premiers plans qui voient se succéder divers acheteurs, on peut repérer par les fenêtres, les signes de la montée du nazisme, jusqu’à la confiscation de la toile présentée à l’exposition de « l’art dégénéré » organisée par les nazis sous les intitulés :
« Gaspillage des deniers allemands, 
Manifestation de l’âme juive, 
La folie comme méthode, 
Comment les esprits dérangés voient la nature, 
Insultes à la féminité allemande, 
Leur idéal : crétins et prostituées, 
L’insulte aux héros allemands de la grande guerre »
 en compagnie de Picasso, Kandinsky, Dix, Grosz, Chagall, Kirchner… 
« Qui l’aurait cru, Alice… 
Les nazis ont organisé la plus extraordinaire exposition d’art moderne de l’Histoire. » 
Quand on sait l’histoire du dessinateur, la réflexion sur la liberté d’expression acquiert encore  plus de force, alors que sous nos Windows crient à la liberté ceux qui la bafouent le plus grossièrement. L’art n’est pas anodin quand on voit l’acharnement des nazis à spolier les collectionneurs souvent juifs et les artistes. Cette approche sensible, parfaitement agencée et documentée donne matière à réflexion : bien sûr, avec nos yeux du XXI°, ces œuvres « dégénérées » ont acquis de la noblesse, mais si l’on évite d’employer des termes aussi lourds, est ce que tout tas de vêtement, charbon ou de fils de fer, à condition d’être entreposé dans un centre d’art contemporain peut se proclamer œuvre d’art ?

lundi 19 mai 2025

Moi, ma mère et les autres. Iair Said.

Un jeune juif revient dans sa famille en Argentine à l’occasion de la mort de son oncle,
il repart de chez sa mère après la mort de son père.
Pour lutter contre sa peur de l’avion, il cherche des somnifères, mais pour endormir le spectateur cette triste comédie suffira. 
Il serait, de surcroit, trop facile de jouer avec les mots pour un film présenté à Cannes dans la sélection de l’ACID (Cinéma indépendant pour sa Diffusion) sous le titre « Most people die on Sunday ».
Le sentiment dominant est l’indifférence envers ce fils immature joué par le réalisateur dans des séquences embarrassantes, hormis la connaissance que nous pouvons acquérir de rites religieux. 
Pour traiter du thème de l’euthanasie, de l’homosexualité, un ton burlesque peu approprié tourne à la maladresse parfois glauque.

dimanche 18 mai 2025

Baie de Somme # 2

La visite programmée dans la baie nous contraint à un lever matinal.
Nous avons rendez-vous à 9h au phare le Hourdel avec nos accompagnateurs Margaux et Guillaume qui se répartissent le groupe de touristes.
Pour notre part, nous profiterons des explications de Margaux.

* elle commence par une présentation de l’écosystème et de sa protection :

interdiction de ramasser des galets, technique pour se dégager des sables mouvants, et interdiction d’approcher les phoques à moins de 300 m sous peine d’une amende de 135 € dressée par le personnel avec gilet « phoque » dans le dos patrouillant sur le site.

* Elle poursuit avec la présentation de l’estuaire et distingue estuaire de baie. Effectivement, le fleuve la Somme et les autres rivières déversent leurs eaux dans la mer.

* Pendant l’exposé, des détonations de chasseurs retentissent et perturbent les phoques, les poussant à déménager en se servant des courants.

Lorsqu’ils ne sont pas dérangés, nous les repérons, et les percevons mieux grâce à la puissante lunette de Margaux ; ils se prélassent sur des plages sablées, ressemblent à de nobles romains allongés sur le flanc.
De couleur noir blanc ou brun, il en existe 2 variétés : Le phoque gris, au museau allongé, sans front, plus balaize que l’autre, et le phoque veau de mer avec des narines en V, une tête ronde munie de gros yeux ronds.
Ils passent leur temps à buller au soleil, à emmagasiner la chaleur sous toutes les faces car ils se refroidissent vite dans l’eau, malgré 10 cm de graisse. Leur reproduction nécessite 11 mois de gestation dont 2 mois de pause pour atteindre le bon moment et sortir leur petit dans de bonnes conditions. Quant à leur alimentation, elle requiert 3 à 6 kg de poissons par jour (6kg pour le gris)

* Nous surplombons un magnifique panorama du haut de la digue donnant sur les vasières (bans de sables inégaux et trous d’eau) et les mollières (prés salés).

Au loin se détachent Saint Val’ry et en face le Crotoy ; d’un autre côté, un bunker allemand penche, chahuté par une tempête et l’érosion. Il n’est pas étonnant que ce site attire plus d’un million de personnes chaque année.

Les curieux se déversent de plus en plus nombreux  au fur et à mesure que l’heure avance et au moment où nous quittons les lieux, nous nous félicitons d’avoir été un peu matinaux.

Nous retrouvons la voiture garée au parking payant, maintenant bien rempli, pour aller à Noyelles sur Mer.

Plus précisément, nous cherchons un petit village de cette commune du nom de Nolette caractérisé par son cimetière chinois.
Durant la 1ère guerre mondiale, la Chine en conflit contre l’Allemagne envoie en 1917 cent quarante mille ouvriers sous contrôle britannique afin de les employer dans les usines et remplacer les hommes partis au front : ils déchargent des munitions, travaillent dans les fermes mais ne devaient pas participer directement aux combats. Cependant, ils finirent quand même par ramasser les morts sur les champs de bataille et déminer les terrains. Certains furent rapatriés en Chine à la fin de la guerre, d’autres choisirent de rester mais succombèrent à la grippe espagnole. 842 ouvriers chinois, « Chinese Labour corps », laissèrent leur peau sur le territoire français. Pendant leur présence, sous contrôle britannique donc, ils  menèrent une vie difficile, contraints dans leur liberté, cantonnés au même endroit. Ils ne pouvaient se rendre « en ville » sinon accompagnés par des soldats, ce qui laissait supposer à la population qu’ils étaient prisonniers.

Le cimetière bien fléché heureusement s’étend au bout d’un chemin non bitumé en pleine campagne. Une enceinte le délimite, nous la franchissons par une porte d’entrée constituée d’un portique  sinisant au-dessus d’un portillon au loquet métallique intéressant. Une série de stèles blanches identiques s’élèvent dans des allées rectilignes, à l’image  des cimetières militaires de Normandie, mais plus petit et ombragé par quelques pins dont le plus gros marque le centre. Seuls les idéogrammes gravés pour les noms indiquent l’origine des défunts, avec en plus une phrase en anglais pour leur rendre hommage. 

Ce lieu parfaitement entretenu, nous ouvre une page d’histoire que nous ignorions, et force la reconnaissance envers ces hommes venus de si loin, si mal traités.

samedi 17 mai 2025

Vers les îles Eparses. Olivier Rolin.

Nous partageons la vie de l’écrivain embarqué sur un bateau militaire qui ravitaille quelques garnisons françaises sur des îles minuscules du Canal du Mozambique.
Cet exotique séjour, au-delà de la description de terres inconnues dans l’Océan Indien, revient sur la prise de conscience de l'auteur à propos de son vieillissement, déjà finement exploré, avec le détachement qui convient.
Les mots des marins font voyager : 
« Le bateau se rapproche lentement du quai, chassant une masse de cannettes, de bouteilles en plastique, d’épaves diverses, on lance des pommes de touline, que récupèrent des lamaneurs en combinaison orange, on capelle les aussières sur les bollards, on les raidit… » 
Parfois ses hésitations dans la description ajoutent à l’étrangeté, à la richesse du spectacle de la nature qu’il rend avec sobriété sans en effacer la couleur.
« … ces oiseux, frégates, fous, hérons cendrés, d’autres dont j’ignore le nom (un cardinal ?), rouge et noir jacassant au milieu d’un bosquet de lantaniers aux fleurs jaunes et rouges, à l’odeur poivrée, et surtout les sternes fuligineuses qui tournoient par centaine de milliers au-dessus de l’île, du côté du phare. »
Pour tromper l’ennui, rien de tel que quelques livres bien mis en valeur, quelques notes spontanées, sans apprêt dans son écriture, la recherche du mot juste dans ces îles à dix mètres au dessus du niveau de la mer où le bleu est plus que bleu. 
«  dans d’autres langues, blue, azul, c’est peut être mieux, parce qu’il y a quelque chose de fluide, de longuement alangui dans le blue anglais, qui va avec le glissement de l’eau (et la couleur bouge respire), quelque chose d’ailé et de salé dans l’azul espagnol ou portugais. » Avec la même honnêteté, il décrit le jeune équipage qui le conduit, sans forcer leur intimité, respectueux de leurs personnalités, affronté, sans dramatiser, à son âge.
« Habitué qu'on est à soi-même et à son apparence, on ne s'est pas vu se transformer en cet être de papier mâché en qui les autres, qui ne vous connaissent pas, identifient immédiatement un semi-vivant. […] Parfois je m'en amuse, mais pas toujours. »

vendredi 16 mai 2025

Effets pervers.

« Sans porter de jugement de valeur ».: l’hypocrite expression qui venait inévitablement avant un jugement de valeur a disparu comme la recension des « effets pervers » après une mesure prétendument positive. Pourtant les 35 heures passées à la moulinette théorique se sont
inscrites dans la pratique.   
Aujourd’hui toute décision est précédée de critiques, les opposants passent devant les décideurs.
Une opinion à propos des ZFE (Zones à Faibles Émissions) mettant en évidence la coupure entre métropoles en vélo et périphéries au Diesel me semblait pertinente. Voilà encore des analyses justes de ceux qui ont les mains propres, mais pas de mains. Quelle proposition avancer pour améliorer la qualité de l’air sans contrainte?
De toutes les nouvelles négatives qui tombent pour nos scripteurs, il se pourrait que naissent des effets positifs comme le réveil de l’Europe face aux abandons américains.
Les populistes nous affolent, ils nous raniment.
La brutalité de Trump révèle l’opportunisme des possédants, le cynisme des puissants, la faiblesse des hommes, elle nous ouvre les yeux.
Mais ses attaques tellement sommaires contre le wokisme renforcent les wokistes qui avaient hâté son avènement. De même que les accusations d’antisémitisme contre des Universités confortent les antisémites.
Au cours de ces hystériques batailles, la fatigue peut redonner de la place à des propos plus nuancés, des mesures plus mesurées.
Pour avoir glorifié la justice quand elle était attaquée,
 j’en suis à regretter la judiciarisation de notre société aux manières amerloques.
Alors que des médias se plaignent de l’inertie du pouvoir, ils ne cessent de flatter ceux qui entravent l’efficacité de l’exécutif. Sont convoqués, à tous coups, les avocats qui sont aux divergences publiques ce que sont les cellules psychologiques à la moindre contrariété et la fleur blanche à chaque drame. 
Ces professionnels comblent nos renoncements face à nos responsabilités. Nous sous-traitons notre popote aux livreurs ubérisés, nos enfants aux nounous. Nous prétendons être épidémiologiste, professeur à la place du prof, avoir droit à un avis sur tout mais pas sur nous. Taxes US, réchauffement et faillites pédagogiques, mais tais-toi tonton ! 
« Mon souci principal : essayer d'oublier mes soucis secondaires. »