dimanche 23 novembre 2025

Lacrima. Caroline Guiela Nguyen.

Ces trois heures de spectacle nous ont fait atteindre un sommet d’émotions tout en proposant une multitude de pistes de réflexion au risque de faire apparaître bien fades d’autres propositions théâtrales. 
Quelle créativité autour d’un chiffon fut-il de haute couture !
La réalisatrice comme ses personnages aime le travail bien fait et livre un chef-d’œuvre de clarté abordant les problématiques de l’époque au moment où il est question ponctuellement de Shein, sans tomber dans l’anecdotique à l’obsolescence précoce, nous renvoyant plutôt aux enjeux éternels de notre condition humaine.
Pour la confection pendant des mois d’une sublime robe de princesse, nous partageons l’exigence du créateur soumis aux prescriptions de celle qui portera pendant 27 minutes la robe dont la symbolique dépasse les caprices. Nous admirons l’ardeur des ouvriers de la maison de couture, des dentelières d’Alençon et d’un brodeur de Mumbaï, en Inde, apportant chacun leur part à la beauté du monde.
Leur engagement percute leurs vies intimes et nous pouvons comprendre les burn-out tant la tension est pressante. Une passionnante documentation apparaît habilement à travers des témoignages destinés à une émission de radio quand les ouvrières du siècle précédent obligées au silence s’arrêtaient de respirer tant leur concentration était intense pendant des heures pour un centimètre carré d’or blanc.
La confrontation entre l’Occident et le Sud et notre hypocrisie saillante sont relevées: 
« Vous voulez les plus belles réalisations au prix les plus bas, et l'éthique en plus… 
Vous vous dites garants de la santé des employés, sans que l'exigence d'éthique ne vous coûte un centime … » 
Les urgences de notre univers toujours impérieuses, les échéances affolantes parfaitement rappelées, sont allégées par des sourires avec quelques facéties tempérant les tensions, éloignant le pathos. 
La mise en scène efficace, sans esbroufe, nous fait même subir sans broncher des paroles pas toujours audibles de certains acteurs, comme cela arrive quand une sirène se superpose à des cris longtemps retenus. Dans la richesse de cette soirée, j’aime retenir les dialogues où se révèlent les difficultés de dire entre mères et filles, entre la doctoresse et la première d’atelier.
La précision de la description des personnages aux passions violentes ramène au format des séries devenu l’aune de nos addictions, alors que Boby Solo nous aurait susurré « Una lacrima sul viso ». 
Pour souligner la force de cette pièce de théâtre, j’aurai eu envie de la résumer dans une formule du genre : «  la beauté advient au prix des larmes et du silence » mais ce serait faire peu de cas de la subtilité de l’écriture humaniste de madame Nguyen. 

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