Ces trois heures de spectacle nous ont fait atteindre un
sommet d’émotions tout en proposant une multitude de pistes de réflexion au
risque de faire apparaître bien fades d’autres propositions théâtrales.
Quelle
créativité autour d’un chiffon fut-il de haute couture !
La réalisatrice comme ses personnages aime le travail bien
fait et livre un chef-d’œuvre de clarté abordant les problématiques de l’époque
au moment où il est question ponctuellement de Shein, sans tomber dans
l’anecdotique à l’obsolescence précoce, nous renvoyant plutôt aux enjeux
éternels de notre condition humaine.
Pour la confection pendant des mois d’une sublime robe de
princesse, nous partageons l’exigence du créateur soumis aux prescriptions de
celle qui portera pendant 27 minutes la robe dont la symbolique dépasse les
caprices. Nous admirons l’ardeur des ouvriers de la maison de couture, des dentelières
d’Alençon et d’un brodeur de Mumbaï, en Inde, apportant chacun leur part à la
beauté du monde.
Leur engagement percute leurs vies intimes et nous pouvons
comprendre les burn-out tant la tension est pressante. Une passionnante
documentation apparaît habilement à travers des témoignages destinés à une
émission de radio quand les ouvrières du siècle précédent obligées au silence
s’arrêtaient de respirer tant leur concentration était intense pendant des
heures pour un centimètre carré d’or blanc.
La confrontation entre l’Occident et le Sud et notre hypocrisie
saillante sont relevées:
« Vous voulez les plus belles réalisations au prix
les plus bas, et l'éthique en plus…
Vous vous dites garants de la santé des
employés, sans que l'exigence d'éthique ne vous coûte un centime … »
Les urgences de
notre univers toujours impérieuses, les échéances affolantes parfaitement
rappelées, sont allégées par des sourires avec quelques facéties tempérant les
tensions, éloignant le pathos.
La mise en scène efficace, sans esbroufe, nous fait même subir
sans broncher des paroles pas toujours audibles de certains acteurs, comme cela
arrive quand une sirène se superpose à des cris longtemps retenus. Dans la
richesse de cette soirée, j’aime retenir les dialogues où se révèlent les
difficultés de dire entre mères et filles, entre la doctoresse et la première
d’atelier.
La précision de la description des personnages aux passions
violentes ramène au format des séries devenu l’aune de nos addictions, alors
que Boby Solo nous aurait susurré « Una lacrima sul viso ».
Pour souligner
la force de cette pièce de théâtre, j’aurai eu envie de la résumer dans une
formule du genre : « la beauté advient au prix des larmes et du
silence » mais ce serait faire peu de cas de la subtilité de l’écriture
humaniste de madame Nguyen.

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