Nous partageons la vie de l’écrivain embarqué sur un bateau
militaire qui ravitaille quelques garnisons françaises sur des îles minuscules
du Canal du Mozambique.
Cet exotique séjour, au-delà de la description de terres
inconnues dans l’Océan Indien, revient sur la prise de conscience de l'auteur à propos de son
vieillissement, déjà finement exploré, avec le détachement qui convient.
Les mots des marins font voyager :
« Le bateau se
rapproche lentement du quai, chassant une masse de cannettes, de bouteilles en
plastique, d’épaves diverses, on lance des pommes de touline, que récupèrent
des lamaneurs en combinaison orange, on capelle les aussières sur les bollards,
on les raidit… »
Parfois ses hésitations dans la description ajoutent à
l’étrangeté, à la richesse du spectacle de la nature qu’il rend avec sobriété sans en effacer la couleur.
« … ces oiseux,
frégates, fous, hérons cendrés, d’autres dont j’ignore le nom (un
cardinal ?), rouge et noir jacassant au milieu d’un bosquet de lantaniers
aux fleurs jaunes et rouges, à l’odeur poivrée, et surtout les sternes
fuligineuses qui tournoient par centaine de milliers au-dessus de l’île, du
côté du phare. »
Pour tromper l’ennui, rien de tel que quelques livres bien
mis en valeur, quelques notes spontanées, sans apprêt dans
son écriture, la recherche du mot juste dans ces îles à dix mètres au dessus du
niveau de la mer où le bleu est plus que bleu.
« dans d’autres
langues, blue, azul, c’est peut être mieux, parce qu’il y a quelque chose de
fluide, de longuement alangui dans le blue anglais, qui va avec le glissement
de l’eau (et la couleur bouge respire), quelque chose d’ailé et de salé dans
l’azul espagnol ou portugais. » Avec la même honnêteté, il décrit le jeune équipage qui le
conduit, sans forcer leur intimité, respectueux de leurs personnalités,
affronté, sans dramatiser, à son âge.
« Habitué qu'on
est à soi-même et à son apparence, on ne s'est pas vu se transformer en cet
être de papier mâché en qui les autres, qui ne vous connaissent pas,
identifient immédiatement un semi-vivant. […] Parfois je m'en amuse, mais pas
toujours. »
Le hasard voudrait que je perde une connaissance pour ma recherche quasi fanatique du "mot juste" pour rendre compte de mon monde ? du monde autour de moi. C'est une éthique, la recherche du mot juste, mais une éthique qui peut éloigner autrui par... son âpreté ? Seraient-ce les écrivains qui sont condamnés à la recherche du mot juste ? Les amoureux du Verbe, et de son pouvoir ? Ceux qui résistent à la pression de... traduire le Verbe en chiffres, en en faisant un unique identifiant pour notre plus grand malheur ?
RépondreSupprimerUn souvenir pour l'époque où on faisait transaction par carte bancaire contre SIGNATURE manuscrite, en signant SON NOM, et on ne tapait pas... son "code". Comme le quotidien NOUS DETERMINE. Je sais que ce sont les Français qui ont fait passer le monde entier dans le système de taper des codes chiffrés pour PROUVER qu'on est qui on dit être dans une transaction avec la carte. Quel triste cocorico, de rouler les mécaniques en professant que c'est comme ça qu'on a laissé son empreinte sur le monde moderne ! (un vrai point d'exclamation là, et je ne les emploie quasiment jamais...) En nous faisant passer de l'ère de la signature manuscrite au code chiffré. Triste France, quand bien même où elle aurait la maîtrise du monde...Je n'applaudis pas, là, mais pas du tout.
Pour le vieillissement, je ne sais pas quel âge j'ai par rapport à Olivier Rolin, mais je ne le laisserais pas me dire quel doit être mon expérience du vieillissement qui a commencé... à ma naissance, techniquement, et qui continue, qui continue, comme l'aventure qu'est chaque vie humaine singulière.
Quel luxe, pourtant de faire un tel voyage... ce serait une aventure, et je ne suis pas contre les aventures au point où j'en suis, quand notre besoin collectif d'ordre nous a si grandement étouffés que nous ressentons la terrible pression sur les poumons que provoque... le deuil d'une personne chère ? de notre liberté ?
Beau vocabulaire étoffé, quand même, et ça, c'est un plaisir à une époque où le français peine à rester debout, de mon point de vue. Dans la finesse, en tout cas.