A l’occasion d’un déménagement, « une fin du monde au petit pied », depuis la
littéraire rue de l’Odéon à Paris rendue familière, l’écrivain digresse et on
le suit.
Dans une formule contenue parmi ces 220 pages, les mots de
la littérature, oui, « frappent
le réel à petits coups de marteau » ainsi que l’écrit Walter Benjamin.
« Pour en graver
l’image comme en relief : la touffe d’absinthe flagellée par le blizzard,
le hennissement désespéré du cheval dans la nuit, le gant perdu dans la
panique. »
Ce travail jamais achevé laisse surgir l’aubaine d’une
rencontre qui vient pour moi, à point nommé.
Il est question d’une colossale bibliothèque, ne contenant
pas que des livres, à mettre dans des cartons. Olivier Rolin a eu la bonne idée de marquer
sur la page de garde l’endroit où les romans ont été lus, et comme il a beaucoup
voyagé, les citations, les évocations d’auteurs rares s’agrémentent des
paysages alors traversés.
J’ai révisé avec lui, et j’ai appris qui était Tom
Paine, député de la Convention : « anglais de naissance,
américain d’adoption, français par décret » qui ne parlait pas un mot de
français et dont il fallait traduire les
discours.
Tant d’autres découvertes pourraient accabler le lecteur sous une
trop brillante érudition mais les quelques faiblesses de sa mémoire nous
rapprochent :
« Je doute
malheureusement de n’avoir jamais le loisir de répondre à ces signaux venus du
passé, le monde entre-temps a rétréci, comme ma vie. Il me revient aussi, mais
alors « vaguement « n’est pas le mot qu’il faut, c’est un lambeau,
une diaphane pellicule d’un souvenir que je ne peux saisir, dont je ne puis
même deviner la forme, une chose immergée dans une profonde eau noire et dont
j’aperçois, aussi indistincte que ces bribes de rêve qui subsistent un instant
au réveil avant de s’évanouir… »
De la même façon que nous parviennent par ces pages, des
airs de Sibérie, les ronchonnements et autre nostalgie d’un conscrit habillent
gracieusement mes propres abandons :
« … je m’étonne
du nombre d’êtres différents qu’avec le temps abrite cette enveloppe informe
qu’on appelle « moi » : ce jeune fanatique ignorant et crédule
au point d’ajouter foi aux galéjades de « La chine en construction »,
le vieil écrivain sceptique qui est son dernier avatar éprouve à le contempler
la surprise qui le saisirait si lui revenaient, étranges mais incontestables,
des souvenirs d’une vie de coccinelle ou d’escargot… »
Merci pour ces bribes d'une belle écriture séduisante, dans le bon sens du mot.
RépondreSupprimerOui, je trouve que les souvenirs s'effacent à devenir flous, autour de quelques puits de lumière. Pour le retour en arrière sur soi, combien il est salutaire comme... régression, au fur et à mesure que le temps n'en finit pas de passer.
Dans le meilleur des cas on peut se regarder, enfant, jeune militant idéaliste, avec une certaine tendresse, non pas pour ses égarements mais pour les chemins que prend une vie. Et je crois que le rejet, le reniement de ce qui nous a fait vivre dans le temps n'est pas une solution viable, à la longue. C'est dur d'être Homme, et le rester.
J'ai écrit à quelqu'un cette semaine que je nous trouve bien insignifiants à nous laisser... accabler si facilement en face de l'érudition d'un vrai érudit.
Le vrai drame n'est pas d'être exclu par autrui, c'est de s'exclure soi-même par orgueil, sentiment secret de ne pas... mériter, envie, jalousie. Et c'est péché. C'est humain, mais c'est péché quand-même...