dimanche 9 octobre 2022

Dark was the night. Emmanuel Meirieu.

Pour la première de la saison à la MC2, nous sommes invités à entrer dans l’album en couleurs présenté par Emmanuel Meirieu dont les spectacles précédents nous avaient bouleversés.
Inspiré par des faits réels, un puissant récit pose des questions essentielles sur notre condition humaine quand sont évoquées des distances incroyables et des années incalculables.
Le décor magnifiquement éclairé représente une décharge où un homme recherche la tombe de Blind Willie Johnson mort misérablement après que l’hôpital ait refusé de le soigner car il était noir. Et pourtant sur le disque embarqué sur la sonde spatiale Voyager en 1977, parmi les salutations en 55 langues et des photographies représentant notre planète, une des chansons du bluesman « Dark was the Night, Cold Was the Ground » (Sombre était la nuit, froide était la terre) synthétise notre humanité à côté de Bach et Mozart.
A côté d'un infatigable chercheur des traces du passé, l’enfant ayant prêté sa voix pour saluer les extra-terrestres susceptibles de lire ce disque, arrivé à la fin de sa vie, veille sur ses abeilles.
Les images envoyées dans l’espace intersidéral par les terriens peuvent paraître bien naïves et la tentative de décrire notre humanité en un disque semble vaine, bien que l’idée soit stimulante.
Que restera-t-il de nos cendres depuis notre grain de poussière, la terre?
La déploration face à des sépultures anonymes, négligées, se révèle dérisoire quand s’en creusent de nouvelles sous nos yeux. 
Si tant de messages humanistes délivrés par des conteurs à la belle voix font chaud au cœur, ils peuvent perdre de leur force par leur accumulation, similaires aux omniprésentes recommandations pour préserver la planète.
 

samedi 8 octobre 2022

Mo. Marie Hélène Lafon.

Lorsque j’ai lu la critique de Colombe Schneck évoquant Flaubert à propos de l'écrivaine d'Aurillac, je trouvais la comparaison un peu gonflée, et puis en me relisant, j’ai vu que j’avais fait pareil. 
Dans ces 144 pages, M. H. Lafon bouscule la ponctuation, bannit toute fioriture et nous trouble pour mieux retrouver son univers nu.
Peu importe le cadre - cette fois un centre commercial - nous sommes invités au cœur de la solitude, avec un homme de 33 ans dont la pauvre existence est décrite en quatorze stations commencée par une puissante et tendre scène d’ablution.
Mo pour Mohamed, prénom que portait déjà un frère mort, vit chez sa mère, et sa sensibilité contredit une douce indifférence au monde. 
Un certain malaise peut nous étreindre, signe de l’efficacité de l’auteure, tant le mystère de ce pauvre type reste entier même après le cri final, glaçant. 
A travers la description d’un morne quotidien, Mo enfermé sur lui-même tout en se montrant accessible à ce qui nous échappe le plus souvent, nous est proche. A chaque mot s’attache son contraire, ainsi la banalité va avec l’originalité, comme l’étrangeté avec la platitude, la douceur et la violence.  
Une fois encore avec une de mes romancières préférées je me retrouve en difficulté pour extraire des morceaux de ses tableaux épurés, tant je ne saurai choisir entre chair et minéral, pour dire l’amour et la haine, l’indifférence et le dépassement, les contradictions : la littérature, la vie.

vendredi 7 octobre 2022

L’école et l’écriture obligatoire. Anne Marie Chartier.

Si avec ce blog, je suis toujours concerné quotidiennement  par l’écriture, je m’en suis voulu d’avoir acheté cet ouvrage sans doute acquis pour perpétuer l’illusion d’être encore pédagogiquement « dans le coup », alors que cette dernière expression trahit mon éloignement depuis dix sept ans des écrits écoliers.
Cependant dès l’entame de ces 332 pages, j’ai été passionné par le sujet et la façon de l’aborder, à rebours des ouvrages universitaires situés si souvent en surplomb. Les réflexions nuancées s’appuient sur des documents témoins des pratiques des élèves et des maîtres et mesurent la distance entre la théorie des circulaires ministérielles et les usages depuis les premières tablettes en cire jusqu’aux écrans dialoguant avec les tableaux blancs numériques.
J’ai vérifié qu’il s’agissait pour les premiers clercs de tenir des comptes et j’ai dégrossi ma vision d’une école qui ne commence pas avec Jules Ferry.
Un sujet d’un concours de 1826 embrasse l’histoire des idées : 
« En explicitant ce qu’est le vrai courage, le candidat traitera forcément de la morale de l’Antiquité (qui fait l’éloge du suicide), de la morale aristocratique (qui fait l’éloge du duel) de la morale chrétienne (qui condamne l’un et l’autre mais fait l’éloge du martyre) alors que la mort par les armes au service de son roi ou de sa patrie, est acceptée de tous… »  
Autre temps. 
«  Si on ne fait plus copier la morale laïque dans les cahiers c’est peut être qu’on perçoit mieux à quel point elle reste un chemin non tracé » 
La plume d’acier venant après la plume d’oie a permis l’apprentissage de masse même si « en 1967, seuls 24% des enfants ont effectué une scolarité sans redoubler. » 
Les techniques, les formes, jouent sur le fond avec l’apparition des classeurs signe de la secondarisation du primaire, de la même façon, les QCM ont formaté les exercices. 
«  avec l’arrivée des smartphones, c’est l’oral qui est devenu pérenne […] quand les nouveaux outils technologiques effacent la frontière entre oral et écrit, comment concevoir encore une entrée inaugurale en écriture ? » 
Le bon sens ne met pas en péril la profondeur des réflexions : 
«  Seul l’usage donne (ou non) son efficacité à l’outil, ce qu’oublient les croyances technolâtres vs technophobes. Il est donc impossible de dire que le numérique améliore ou détériore les apprentissages « en général » » 
L’écriture a partie liée à la lecture : 
«…  les églises ont promu la lecture pour fixer à la lettre les savoirs religieux, c’est le pouvoir d’état qui a régi l’écriture. »  
Ma perception d’une diminution de l’écrit à l’école n’a été ni contredite ni validée, pas plus que n’a été éclairée ma perplexité devant le peu d’appétence des enseignants eux-mêmes envers cette forme d’expression.
La clarté de la rédaction de ce travail éloigne toute nostalgie, prolongeant d’une manière apaisée les débats antérieurs replacés dans une histoire aux multiples déterminants : 
«  …écrire à la main ou à la machine, qu’on soit débutant ou expert, est toujours un travail.» 
Un travail !  

jeudi 6 octobre 2022

6 mois. Printemps été 2022.

Nous sommes cernés par les images, mais depuis les masques sur la bouche et le nez, nous sommes devenus plus attentifs aux regards et celui des photographes nous est encore plus précieux quand le papier les supporte.
 
Toujours aussi riche, le beau magazine ( 29 €) varie les sujets et prend le temps d’être complet. 
Le dossier à propos de la Turquie va voir du côté de l’imaginaire nostalgique de l’empire ottoman, où à travers des photos sur les plateaux de séries télévisées. La fiction peut éclairer la réalité alors que le caractère autoritaire du régime se manifeste avec évidence, en particulier envers le peuple kurde. 
L’œil tendre et rieur de Sabine Weiss nous repose.  
L’actualité à Kaboul et au Tigré est tragique et rude en Allemagne au moment des inondations ou à la frontière biélorusse avec les migrants. 
Même les jeux olympiques devant des tribunes vides à Tokyo ne peuvent nous distraire, de la même façon le Bataclan a perdu sa connotation festive, les tatouages des témoins inscrivent le drame sur les peaux. 
Si la mémoire de la guerre au Libéria se dissimule, le récit d’une photographe revenant dans la maison dévastée de sa jeunesse est poignant et la fatalité dans le destin de deux frères drogués aux E.U. est cruelle.  
Un tour chez les transhumanistes nous éclaire sur notre temps comme le reportage trafiqué consacré à la ville des « fake news » ouvre le débat sur la vérité des images.  
La trajectoire de Bill Gates est intéressante, le Brésil du XIX° siècle est saisi par un riche amateur au moment de ses métamorphoses,  les lumières de Lisbonne sont comme je les aime, bien cadrées, et l’album d’une grande belle famille à Buenos Aires, chaleureux, ils s’appellent Flores

mercredi 5 octobre 2022

Les Sables d’Olonne # 1.

Un orage nous surprend au matin, assez vite relayé par le soleil. Avant de démarrer la journée, je tourne un bon moment autour de la Tassimo de Bosch pour en comprendre le fonctionnement  et parvenir à sortir deux thés à la menthe sur lesquels nous comptions pour le petit déjeuner.
Nous voilà fin prêts à partir à la découverte des Sables d’Olonne, sous une alternance de soleil et de nuages.
Nous trouvons un emplacement pour garer la voiture rue Printanière. Sans risque de PV, sa situation près du centre culturel et du musée du blockhaus hôpital offre l’avantage de repérer facilement  notre véhicule et de parvenir à pieds au centre-ville. L’Office du Tourisme siège en front de mer, le long de cette longue promenade appelée le remblai.
Aménagée récemment avec de la végétation et des pistes cyclables sans sacrifier les trottoirs pour les piétons, le remblai dispose encore de belles maisons du XIX° siècle, d’un style typiquement balnéaire.
Des collégiens suivent leurs cours d’EPS sur la plage. Là, aucun restaurant ou baraque à frites ne la réduit ni ne la défigure, contrairement à Cannes.
Derrière la promenade se cache le quartier de l’île Penotte.
Il doit sa célébrité aux décorations murales en mosaïques  dont les tesselles colorées proviennent de toutes sortes de coquillages ou de morceaux de verre. L’artiste locale Danièle Arnaud-Aubin en est l’auteur.
Elle propose dans la rue Assas et les ruelles voisines des réalisations naïves et populaires sur des murs clairs fraichement peints.
Outre des scènes marines, elle s’amuse à placer des lézards, des chats et des souris, des rats, mais aussi des « masques », des personnages tels Dracula, des scènes de plage ou des grosses femmes inspirées de Nicky de Saint-Phalle. Quelques roses trémières ajoutent leur poésie et leurs couleurs.
Les halles centrales dans le style Baltard se situent près du palais de justice, pas très loin. Elles méritent vraiment une petite visite.
Nous y accédons par le haut, surplombant des étals soignés de légumes, de fleurs mais peu de poissonniers.
Nous descendons l’escalier, entre deux escalators, afin de parcourir les allées. 
De là nous découvrons une reproduction du Vendée Globe apposée sur les contremarches : avec du recul, nous distinguons un  globe terrestre et un voilier.  Nous franchissons la porte de sortie du bas.
L’église Notre Dame de bon Port s’élève de l’autre côté de la rue étroite. Elle supporte un drôle de clocher à Bulbe.
Justement à propos de ruelles, l’Office du tourisme nous a recommandé de faire le détour par la rue du paradis aujourd’hui renommée rue Manuel, et surtout la rue de l’enfer. Cette dernière détient le record de la ruelle la plus étroite du monde. En effet elle se rétrécit en entonnoir jusqu’à ne mesurer plus que 40 cm de large à son aboutissement.  Le restaurant du palais face à l’entrée haute des halles retient notre attention. Nous commandons une ballotine de poulet au chorizo aux petits légumes et une andouillette frites suivi d’un mille feuilles, le tout arrosé de 2 verres de blancs O.V.N.I. et de 2 cafés.

mardi 4 octobre 2022

Vernon Subutex. Luz-Despentes.

 
Je n’ai vraiment aucune inclination pour Despentes
quoique
alors c’est par Luz que j’ai abordé la punk la plus révérée du milieu « trapenardeur », 
pour assouvir quand même ma curiosité à propos de "l'incontournable" de la littérature contemporaine. 
« Son histoire de bonnes femmes post ménopausées qui fument des clopes en discutant avec des paumés ne fera pas trente entrées. » 
La complaisance que je craignais envers la drogue et la déglingue est bien là, mais cette immersion en milieu rock and coke a paru puissante et instructive à celui que l’époque affole depuis son canapé.
Le récit d’une déchéance depuis la responsabilité d’un magasin de disques jusqu’au caniveau permet un regard panoramique sur la société : bourge XVI°, clocharde véhémente, bobos en tous genres, milieu culturel qui aime tant être égratigné par Despentes, trader et D.J., baiseurs et baisés, gosses plus maltraités que des chiens, bières et chips, clefs USB et réseaux sociaux…
La figure de l’anti héros devenue habituelle m’a semblé vraiment représentative du laisser aller contemporain ponctué de bouffées de violence.
Le domaine musical est le lieu commun de l’ouvrage de 300 pages où le dénommé Vernon fait valoir une compétence très forte parsemée de mots absolus, alors qu’il néglige jusqu’aux conditions même de sa survie. 
« Il ne se sentit ni triste, ni désespéré, c’est une autre humeur, qu’il ne connaît pas, un bruit blanc l’image qu’avait l’écran de télé, la nuit, quand il était plus jeune un brouillard de points, un chuintement. Il n’y a plus que le froid qui lui paraisse bien réel. »

lundi 3 octobre 2022

Chronique d'une liaison passagère. Emmanuel Mouret.

Edouard Baer et Cécile De France en costume XVIII° servaient bien le film précédent d'Emmanuel Mouret,  fin observateur des intermittences des cœurs.
Cette fois Sandrine Kiberlain et Vincent Macaigne mettent parfaitement en lumière un propos  à l’élégance très contemporaine qui veut éviter la lourdeur, les attachements.
Les dialogues sont essentiels alors qu’aucune scène de sexe n’illustre la liaison joyeuse d’une mère célibataire et d’un homme marié : la maîtresse met la musique et le nounours danse.
Le passage de la passade à des émotions non maîtrisées est finement observé.
Nous sourions et saisissons en flânant quelques réflexions utiles sur notre place d’être humain quand est évoquée la nature pour le nid d’un oiseau mais pas pour un immeuble.
La légèreté imprime, les maladresses sont des délicatesses, la fragilité une force.