mardi 25 novembre 2025

Le Dieu vagabond. Fabrizio Dori.

Alors qu’en ce moment, les dieux antiques ne sont guère vénérés, un ancien satyre de la bande à Dionysos, se met en route pour retrouver ses attributs perdus pour avoir contrarié Artémis.  
«- Tu ne te lasses jamais de raconter les histoires ?
- Les mythes sont faits pour être racontés. Sans ça, le monde s'appauvrit et meurt. » 
Les beaux dessins ne sont pas encombrés de trop de paroles gardant ainsi toute leur force, leur poésie. 
« Si vous ne voyez pas les choses clairement, 
c’est parce que vous les recouvrez constamment d’une couche de paroles,
Nous les satyres gardons la tête claire, solidement attachées au corps, 
et le corps bien ancré dans la terre. Le monde s’offre à nous spontanément. » 
La mythologie peut enseigner à notre société moderne désenchantée quand une rencontre avec Van Gogh nous entraine aussi vers les étoiles. Les silhouettes des vases grecs ont eu le temps de s’animer en 156 pages au graphisme soigné.  
Cependant cette joliesse, où l’onirisme est revêtu des codes élégants de l’art nouveau revu par le pop art, m’a parue un peu figée. Les personnages ayant volontiers la bouteille à la main m’ont laissé au régime sans alcool. J’aurai préféré des Dieux plus incarnés, moins lisses.

lundi 24 novembre 2025

L’étranger. François Ozon.

Le film donnera sans doute envie de lire le livre indispensable de Camus et celui de Daoud  « Meursault, contre-enquête ». Le mérite n’est pas mince. 
L’élégance et l’habileté du réalisateur, son originalité, son audace, se manifestent d’emblée dans l’attente du célèbre incipit qui arrive après une évocation des années 40 dans Alger la blanche : « Aujourd'hui, maman est morte ». 
Il joue aussi avec le cinéma où dans une salle un panneau notifie : « Interdit aux indigènes ».
Le choix d’une pellicule en noir et blanc comme le soleil et de toutes les nuances du gris, éloigne de l’anecdotique et des diagnostics psychiatriques concernant un condamné à mort qui dans la dernière phrase du livre de Camus souhaite :  
« qu'il y ait beaucoup de spectateurs le jour de mon exécution et qu'ils m'accueillent avec des cris de haine.» 
Nous sommes dans le théâtre de l’absurde dont l’expression ramène - pourquoi pas - à des exercices scolaires, donc à des interrogations, qui au-delà d’un idéal adolescent de sincérité concernent aussi notre rapport à la vérité à l’heure des bilans quand la déraison continue à aveugler le monde.
La sensualité des jeunes corps magnifiquement filmés accompagne la sobriété de passages oniriques allant vers la fable philosophique, alors que les silences, la lenteur, la routine font monter la tension dramatique jusqu’au procès et l’entrevue avec l’aumonier qui constitue pour moi un grand moment.

dimanche 23 novembre 2025

Lacrima. Caroline Guiela Nguyen.

Ces trois heures de spectacle nous ont fait atteindre un sommet d’émotions tout en proposant une multitude de pistes de réflexion au risque de faire apparaître bien fades d’autres propositions théâtrales. 
Quelle créativité autour d’un chiffon fut-il de haute couture !
La réalisatrice comme ses personnages aime le travail bien fait et livre un chef-d’œuvre de clarté abordant les problématiques de l’époque au moment où il est question ponctuellement de Shein, sans tomber dans l’anecdotique à l’obsolescence précoce, nous renvoyant plutôt aux enjeux éternels de notre condition humaine.
Pour la confection pendant des mois d’une sublime robe de princesse, nous partageons l’exigence du créateur soumis aux prescriptions de celle qui portera pendant 27 minutes la robe dont la symbolique dépasse les caprices. Nous admirons l’ardeur des ouvriers de la maison de couture, des dentelières d’Alençon et d’un brodeur de Mumbaï, en Inde, apportant chacun leur part à la beauté du monde.
Leur engagement percute leurs vies intimes et nous pouvons comprendre les burn-out tant la tension est pressante. Une passionnante documentation apparaît habilement à travers des témoignages destinés à une émission de radio quand les ouvrières du siècle précédent obligées au silence s’arrêtaient de respirer tant leur concentration était intense pendant des heures pour un centimètre carré d’or blanc.
La confrontation entre l’Occident et le Sud et notre hypocrisie saillante sont relevées: 
« Vous voulez les plus belles réalisations au prix les plus bas, et l'éthique en plus… 
Vous vous dites garants de la santé des employés, sans que l'exigence d'éthique ne vous coûte un centime … » 
Les urgences de notre univers toujours impérieuses, les échéances affolantes parfaitement rappelées, sont allégées par des sourires avec quelques facéties tempérant les tensions, éloignant le pathos. 
La mise en scène efficace, sans esbroufe, nous fait même subir sans broncher des paroles pas toujours audibles de certains acteurs, comme cela arrive quand une sirène d'alarme se superpose à des cris longtemps retenus. Dans la richesse de cette soirée, j’aime retenir les dialogues où se révèlent les difficultés de dire entre mères et filles, entre la doctoresse et la première d’atelier.
La précision de la description des personnages aux passions violentes ramène au format des séries devenu l’aune de nos addictions, alors que Boby Solo nous aurait susurré « Una lacrima sul viso ». 
Pour souligner la force de cette pièce de théâtre, j’aurai eu envie de la résumer dans une formule du genre : «  la beauté advient au prix des larmes et du silence » mais ce serait faire peu de cas de la subtilité de l’écriture humaniste de madame Nguyen. 

samedi 22 novembre 2025

Les derniers jours de l’apesanteur. Fabrice Caro.

Cette chronique de la vie d’un lycéen juste avant de passer son bac dans les années 80 est moins originale que le précédent roman de l’auteur multicarte
 mais tout aussi plaisante à lire. 
« Et je passais un temps infini, les yeux béants devant des fiches bristol où tout était surligné en jaune fluo, la moindre formule, le moindre mot, de sorte que le fluo en perdait de fait sa fonction.» 
La nostalgie des années Sting, « Cercle des poètes disparus » et « Jonathan Livingstone le goéland » s’illumine dans la douce lumière d’un humour léger.
« Maman il s’est passé du temps depuis mes bons points et mes vingt en orthographe, j’ai grandi, les filles sont passées par là, les fêtes et les copains aussi, […] j’ai lâchement abandonné mon 103 sport et mes goûters au Nutella, Cathy Mourier m’a quitté… »
 Pendant 216 pages lues d’un trait, la banalité prend des couleurs quand l’imagination des adolescents s’enflamme. 
« Elle était lascivement allongée sur la courbe de la fonction exponentielle, sautait à la corde avec la double hélice d’ADN … » 
Les passions théâtralisées sont mises à distance, bien qu’une réussite au Bac représentât alors un passage vers l’âge adulte plus tranché que maintenant. 
« Guillaume Marchand était allongé par terre, sur le bitume, le visage entre les mains, comme un joueur de Roland-Garros à la fin d'un match, et, sans l'expression du visage, il était difficile de déterminer s'il s'agissait d'une marque de joie ou de désespoir infini ». 
Les postures de la jeunesse, les maladresses, constituent pourtant un éternel recommencement. 
« Nous prônions la liberté à tout-va mais nous empressions à la moindre occasion de tout codifier à l'extrême : nos groupes, nos habitudes, notre façon de nous habiller, nos places dans chaque cours, immuables, alors que nous avions le loisir de nous asseoir où nous voulions. Nous ne valions pas mieux que nos parents dont nous aimions moquer la rigidité. »

vendredi 21 novembre 2025

Modifié.

Les manières des réseaux Internet ont envahi tout l’espace.
Il n’y a pas un article dans la presse qui ne précise lorsque la parole est donnée à un témoin : « le prénom a été modifié » comme si mentionner son identité recelait un danger.
Avatars, pseudos et anonymes rejoignent les cagoulés, les voilées d’une société qui prône par ailleurs la transparence et l’expression sans filtre des individualités.
Tellement de gens craignent que Big Brother les surveille tout en rêvant d’être l’objet d’attentions particulières à fort potentiel de followers. 
Parmi les maladies mentales dont nous nous affublons dès les cours de récréation où le mot psychopathe est courant, paranoïa et grosse tête se portent bien, quand montent sur leurs égos les angoissés d’eux-mêmes.
La modestie est une qualité unanimement louée, alors que chacun réclame une place éminente dans le récit des existences sans que cette promotion doive forcément à des qualités remarquables. La proclamation submerge la reconnaissance et pendant ce temps la notion de responsabilité a du mal à être réhabilitée. Je fais ce que je veux mais ne réponds de rien : il doit bien y avoir dans le coin un paillasson en poil de bouc émissaire pour m’essuyer les pieds.
L’I.A. qui décidément me préoccupe, occupe bien des conversations au moment où l’E.I. qui n’est pas seulement mentionné lors des commémorations pointe à nouveau le bout de la kalachnikov en Syrie et place ses pions en Afrique.
Depuis les déserts passés et à venir, et « c’est pas pour dire », on rêverait que des paroles comme celles du premier ministre éthiopien, avant la COP 30, soient performatives : 
« Nous demandons à nos partenaires globaux de ne pas nous financer parce que nous sommes impactés, mais d’investir avec nous parce que nous sommes visionnaires.»
Parmi quelques expressions dont on abuse, « je ne sais pas » ne fait pas partie de la ronde, alors que ce serait l’occasion d’habiller la sincérité avec élégance. 
Par contre « On va voir ce qu’on va voir » montre ses muscles à tous propos tandis qu’il pourrait se contenter de s'annoncer avant quelque mâle combat de MMA (Mixed Martial Arts).
Marine (Tondelier), verte ou marron, (Le Pen) sont dans ce registre de la puissance bravache. Ces permanentes du spectacle aiment dramatiser et toute nuance apparaissant comme une faiblesse est bânie. Les fortes couleurs crépusculaires de l’apocalypse écologique ou migratoire découragent les modestes, les petits joueurs que nous sommes. Elles chérissent leurs victimes spécifiques. Leurs suiveurs minés par le complotisme qui va bien au-delà du cercle des shootés à l'hydroxychloroquine se perdent en interprétations, se bouffent la vie dans la méfiance systématique plutôt que de, choisir, inventer, aimer, faire confiance.
Si le « Rassemblement » ramasse tant de suffrages et C News tant de spectateurs, les excès woke n’y sont pas pour rien.
La radicalité de la gauche nourrit la radicalité de la droite.
La radicalité de la droite nourrit la radicalité de la gauche.
Pour l’instant, en superficiel scripteur, je ne fais pas appel à d’artificielles phrases venues des machines chauffantes, je livre mon jus depuis quelques arbres déchiquetés en recopiant les mots d’Eric Sadin qui regrette que des milliards d’individus trouvent dans les technologies : « l’occasion de ne plus exercer leurs facultés fondamentales, au premier rang desquelles celles de parler et d’écrire à la première personne. […]
Saisit-on qu’une vie privée de l’expression de nos facultés et de liens actifs avec nos semblables ne peut faire que le lit de la tristesse, de la rancœur et de la folie. »
Que soit interdit l'anonymat sur les réseaux sociaux ! 

jeudi 20 novembre 2025

Dunkerque # 1

Après avoir pris nos douches, rangé nos affaires  et suivi les exigences du logeur, nous sommes prêts  à décoller à 9h en direction de Dunkerque.
L’autoroute que nous empruntons s’engage dans des paysages de cultures moissonnées, parsemés  d’éoliennes,  et  le chemin des Dames annoncé en cours de route par un panneau n’est pas si loin. 
Nous ne croisons pas beaucoup  d’aires où boire notre café, nous prenons patience en écoutant à  la radio les stations successives de Ici (ex radios bleu)  nous divertissant de jeux et d’infos parfois incongrues, comme celle de deux wallabys échappés d’un enclos en Belgique.
A l’heure du repas, après avoir vu un 1er terril, avoir  contourné Lille par de grands axes extrêmement chargées nous bifurquons vers ARMENTIERES.
Pas de doute, nous voilà bien dans le Nord.
En ville, les maisons de briquettes rouges d’un ou deux étages s’appuient les unes aux autres  jusqu’à la place centrale où le beffroi parait si imposant avec son clocher que  l’église placée derrière lui fait l’effet d’une petite sœur.
Nous entrons manger au « Cristal » installé sur la place, désert à l’exception d’un client, comme l’ensemble de la ville. Puis nous continuons notre route assiégée par les camions désireux de doubler celui de devant mais sans en avoir toujours les capacités tandis que quelques gouttes de pluie apparaissent sur le pare-brise floutant  un paysage désespérément plat.   
Lorsque nous arrivons à DUNKERQUE, nous branchons le GPS pour nous guider vers le centre et nous nous arrêtons rue Maréchal French ; très centrale cette rue dispose encore de places de stationnement libres, ce qui nous permet d’investiguer la ville à pied, à commencer par l’Office du tourisme comme à notre habitude. Il loge dans le beffroi Saint Eloi, avec en face, de l’autre côté de la chaussée une église portant le même  nom et dotée d’un 2ème beffroi.
Renseignements  habituels pris auprès de l’employée de l’ODT, nous achetons deux billets pour monter dans le beffroi.
Un ascenseur nous transporte jusqu’au 5ème étage, au milieu des cloches dont le bourdon s’appelle Jean Bart ; nous pouvons aussi tourner autour d’un écrin en verre dans lequel se tient un carillon en bois,  avec son clavier particulier formé de grandes touches reliées aux cloches et avec son banc destiné au sonneur. 
Une soixantaine de marches raides dans une cage d’escalier particulièrement exiguë  basse de plafond  restent encore  à gravir avant d’atteindre la terrasse :
et là, récompensés de nos efforts, nous dominons la ville, les bassins du port, la mer, éclairés par quelques rayons du soleil de nouveau parmi nous. 
Le panorama mérite l’ascension !Avant de descendre et de se rapprocher de l’église Saint Eloi, nous la découvrons d’en haut discernant parfaitement son architecture en fonction des toits.
Ils se découpent en trois parties, dont la centrale à 2 pans  recouvre la nef. Quant aux 2 parties latérales, elles présentent une succession de toits à 4 pans.
L’église autrefois nommée  "cathédrale des sables", adopte une forme allongée avec une façade néogothique. L’intérieur se divise en 5 vaisseaux,  la nef étant plus élevée et plus large que les 4 autres. Il abrite dans le chœur le tombeau du célèbre corsaire Jean Bart.
Fortement endommagé durant la  guerre de 14 par des bombes de Zeppelin puis durant  la deuxième guerre mondiale comme dans beaucoup d’autres villes, l’édifice nécessita des travaux de restauration jusqu’en 1985,
et reçut de nouveaux vitraux de style moderne mais discrets révélant la pierre claire des piliers. En témoignage de l’Histoire, subsistent  encore sur la façade des impacts de balles.

mercredi 19 novembre 2025

Goya de Carlos Saura. Jean Serroy.

Plutôt qu’un biopic à propos du géant espagnol après lequel « commence la peinture moderne » (Malraux), il s’agissait de la présentation devant les Amis du musée de Grenoble du film éminemment personnel de Carlos Saura sorti en 1999 sous un premier titre « Goya à Bordeaux ». 
Sa vision propre rejoint l’univers de l’octogénaire devenu sourd qui avait documenté avec vigueur les atrocités napoléoniennes, se situant du côté des « lumières » bien de chez nous.
« J'ai essayé de donner ma propre vision de Goya, réfugié à Bordeaux dans ses dernières années quand il vivait avec son amie et maîtresse, Leocadia Zorilla - qui était beaucoup plus jeune que lui - et avec sa fille Rosarito âgée de 12 ans. J'essaie de raconter ce qu'il était et ce qu'il pensait, ce qu'il faisait à 80 ans dans son exil bordelais : ses passions, ses affections, ses haines, ses hallucinations, ses rêves, ses monstres... » 
Le réalisateur d’une cinquantaine de films a gagné quelques « Césars » et des « Goyas », équivalent des « Oscars »,
il avait déjà approché la vie et l’œuvre de l’auteur du « Très de mayo »
La ressemblance de l’interprète aux 200 films, Francisco Rabal avec Francisco Goya, est frappante et ajoute de la vraisemblance à un film plein d’imagination.
Une naissance clôt en spirale les 100 minutes commencées sous le signe de la mort.
Le peintre de cour sans complaisance,
a aimé la belle et riche duchesse d’Albe
et fait passer l’ordre terrestre au dessus du divin lors du 
«Miracle de Saint-Antoine de Padoue ».
Dans le déroulement chronologique des souvenirs sont évoquées ses sombres estampes, 
ses  gravures crépusculaires, et ses maîtres : « Vélasquez, Rembrandt... et la nature ».
Pour évoquer la riche carrière du natif de Saragosse où se mêlent l’intime avec la grande Histoire, des procédés habiles sont mis en œuvre,  
comme l’appareil du cabinet secret qui permet 
la superposition de La Maja vêtue et de La Maja nue.
Le passé se heurte au présent tandis que la mémoire tourmentée du vieillard réveille une imagination où les couleurs s’assombrissent.
Le cinéma réalise les rêves romantiques en voyant l’au-delà du monde, la réalité intérieure donnant du sens à la réalité extérieure, sans que le bon goût y mette les doigts.