mardi 28 octobre 2008

Les vrais gens


L’économie réelle se rappelle au bon souvenir de la virtuelle qui ne se la pète plus : elle a claqué, la financière ! C’est le récit de ces jours : les milliards, des milliers de milliards sortent des bouches… et des usines de jouets ferment en Chine. Vieille dispute entre réel et virtuel : les ados s’accrochent à leurs jeux fictifs et puisque la télé dit montrer les « vrais gens » ce doit être vrai, comme un discours du baptisé du Fouquet’s dans un hall d’usine. La littérature est aussi le lieu des vapeurs étourdissantes, même si des romans ont mieux rendu compte du réel que bien des documentaires. Derrière nos Windows, en blog, en bandes, en blagues nous nous défendons pour ne pas nous « embotter ». « Mais c’est pas vrai ! »est notre cri de désarroi ultime. Dans le fracas ouaté des fortunes qui se défont et des infortunes qui redoublent, les yeux dans les yeux, le réel n’a-t-il, dans les champs de la Toussaint, que la couleur noire d’une pierre tombale, l’incertitude d’un trait charbonneux sur une page blanche qui n’arrive pas à choper cette lumière fuyante, d’une heure d'hiver à la ramasse ? Mon môme au génome me suggère quelque mot flouté pour une rime ; en ce qui concerne mes vérités de l’heure je ne sais que picorer dans les pages des journaux.
Dans Libé de ce lundi un morceau d’un article de Thomas Clerc, ex-professeur du secondaire à propos du film « Entre les murs » : « Privé de toute réelle possibilité de transmission, le corps enseignant se réfugie dans le bavardage légal, occupation dont cette corporation a le secret : les conseils de classe, les conseils de discipline, les réunions de crise sont les dérisoires issues d’une parole qui, dépourvue de performativité (celle de l’autorité compétente), n’a plus que la procédure démocratique pour exutoire tardif . »

dimanche 26 octobre 2008

Loin de quoi ? Laurent Sagalovitsh


Ce livre de chez Actes Sud est un régal. Depuis Vancouver où l’ennui ne s’enfuit ni à coups de Temesta ni de whisky, un jeune se cherche,loin de sa famille encore tellement présente. L’humour-on ne peut plus juif- vient mêler dans le shaker une passion pour l’AS Saint Etienne, une mère abusive, une colocataire fumante, des mouettes, un Mont d’or enterré dans le jardin, n’importe quoi ; tout ça secoué avec une mauvaise foi communicative où dans l'absurde tout peut être dit. La couverture évoquait pour moi « Le cri » de Munch, j’avais évité jusque là cette lecture et puis j’ai souri tout du long : « Cruyff …Overmars devaient avoir tout de même un peu de sang juif au bout des crampons sinon comment expliquer cette nonchalance, cette capacité à encaisser les défaites les plus cruelles…et pourtant continuer à clamer à la face du monde qu’ils étaient les meilleurs… » Comme ceux qui parlent aux arbres ne sont pas des poètes à plein temps, les hypocondriaques dans la vraie vie ne sont pas vraiment drôles mais celui là nous réjouit vraiment avec son mal de vivre.

Le jour où Nina Simone a cessé de chanter.


Enfin nous avons pu obtenir des places à « La Faïencerie » à la Tronche pour le spectacle de Darina Al Joundi que nous n’avions pu voir à Avignon tant elle avait connu les faveurs du public dans le festival off. Il faut dire que c’est du vigoureux ! La superbe femme qui joue sa propre vie nous attend dès notre entrée dans la salle. « Je ne vous attendais plus ». Elle attaque d’emblée par la mort de son père et le scandale qu’elle déchaîna à interrompre les litanies du Coran pour être fidèle à l’amour de sa vie qui ne voulait surtout pas de ça à son enterrement. Il ne sera pas enterré en Syrie la tête tournée vers les étoiles mais vers La Mecque : vaincu. Dans sa robe rouge, la rebelle crie sa colère, et son courage ne peut susciter que notre admiration. La liberté de ce père de critiquer les religions, s’est payée de séjours dans bien des prisons du Moyen-Orient ; c’est d’un autre ordre que nos petites audaces désinvoltes. L’interprétation vise à un certain détachement, les moments d’émotion se situant pour moi au moment où le noir se fait sur scène entre deux tableaux et qu’elle accompagne la superbe voix de Nina Simone. Une âpreté parfois drôle, une crudité encore plus extravagante quand on l’imagine là bas au Liban.
La guerre avec les kalachnikovs s’entend moins en ce moment, mais les guerres intérieures font toujours saigner. Au-delà d’une performance scénique, un processus de reconstruction d’une personnalité remarquable.

vendredi 24 octobre 2008

Chili con carne


Et non « chili Concarneau » comme disait une jeune bretonne. Philippe Djian m’avait mis l’eau à la bouche dans un de ses premiers roman : plat décontracté et goûteux, facile. Une super sauce bolognaise aux haricots rouges. Dans une cocotte faire revenir pas mal d’oignons dans de l’huile d’olive. J’ai adopté l’oignon surgelé : je me prive d’une raison de pleurer. Ajouter 500g de viande de bœuf hachée avec un bouillon Kub, de l’ail, du cumin, du piment de Cayenne, sel, poivre. Attendre un peu pour ajouter des tomates auxquelles peut s’adjoindre du concentré, quelques rondelles de carottes. Ajouter une bonne boite de haricots rouges, égouttés, rincés, leur jus étant en général assez gluant. Laisser bloublouter une heure. Le cumin dominera les fumets, le piment pour se souvenir et à défaut de cacao, un morceau de chocolat ajoutera à l’exotisme. Succès garanti en particulier auprès des ados.

Mes hommes de lettres


Bande dessinée de Catherine Meurisse. Premier dessin : Lors d’une séance de dédicace Victor Hugo attend en vain le client à côté de l’auteur de « Et si c’était vrai ? » devant lequel s’étire une longue file d’admirateurs. Renart est le narrateur du moyen âge de ce Lagarde et Michard en images, il poursuit jusqu ‘au XVI° où il ricane : « Quand je pense que j’ai zappé Villon ! » Comme Hugo qui du fond de son cercueil se plaint : « déjà mes funérailles à la 8°case ? Eh bien c’est vite torché » Se lit en vitesse avec des petits rappels ; « je suis le ténébreux, le veuf,l’inconsolé, le prince d'Aquitaine à la tour abolie… », des clins d’œil, de la légèreté, comme on feuillette un album de photos où il fait bon revoir des visages un peu perdus de vue.

mercredi 22 octobre 2008

Séraphine de Martin Provost.


Le sujet du film est assez banal, finalement mais ne manque pas d’intérêt : l’originalité artistique naît souvent en dehors de la raison et du conformisme, la révélation au public tient du hasard. Yolande Moreau apporte toute sa singularité, sa poésie, elle incarne avec une force extraordinaire cette femme de ménage inspirée par son ange gardien, qui se vouera à son art, corps et âme. Elle parle aux arbres, et à notre capacité d’empathie ; la reconstitution du début du XX° siècle est légère, les sentiments pudiques. L’apparition de la relation marchande va-t-elle précipiter la folie de la naïve artiste ?

mardi 21 octobre 2008

Citoyenneté. Faire classe # 7


A tant prononcer son nom, elle se cache, la citoyenneté. Encore un coup de « l’effet pervers » : les adultes ont besoin de se préserver des souffrances du Soudan et de la Palestine distillées dès potron-minet; alors chez les petits plus encore, l’indifférence croît.
La générosité enfantine est si facile à manipuler. J’ai porté mes héritiers sur mon dos dans les défilés, mais je désapprouve aujourd’hui les pancartes dont on affuble les gamins comme le bébé roumain tendant la sébile de sa mère. Connaissant tous ces abus, ces écueils, nous devons être modestes et sages. Nous ne devons pas renoncer à lutter contre l’individualisme ambiant, ni abandonner le désabusé qui peut s’asseoir déjà sur les bancs de la communale. Les prises de conscience s’opèrent très tôt et des actions peuvent se réaliser. Les « pièces jaunes » relevaient plus de la charité que de la justice, mais j’ai laissé la tirelire se remplir et les bouchons en plastique de Bigard s’accumuler… Mes stylos pour l’Afrique que j’avais quémandés n’étaient pas d’un ordre différent. La correspondance avec des classes d’où proviennent les noyés des barcasses des Canaries a été plus éphémère tant la différence des univers est incommensurable. Même si quelques années plus tard une jeune infirmière de mes élèves anciennes est partie au Mali prendre des nouvelles de sa correspondante de C.M. Engage toi, trompe-toi, vis !
- Débattre de l’actualité, pour souvent en gérer les angoisses qui l’accompagnent, mais ne pas être soumis aux dictats de la mode du jour.
Cela réclame du doigté pour un équilibre qui sait cultiver une connivence avec le supporter de l’O.M. dont l’équipe vient de subir une défaite, et lutter contre l’invasion de conformismes « trop puissants », « trop classe », pas assez « en classe », les « casser » ! Bien connaître le quartier, pour éviter les impairs et inviter les pères qui se font trop volontiers la paire.
- Réserver un temps où s’expriment les problèmes concernant la vie de classe.
Cela peut éviter que les problèmes relationnels débordent ailleurs. Le respect de l’emploi du temps rassure, il est le garde-fou contre les bavardages sans fin. Je connaissais plus d’une instit’ avec le minuteur sur le bureau. Une boîte à dépouiller collectivement où se disent les contrariétés, les conflits à mettre au jour, laisse la possibilité aux timides de « vider leur sac ».
A utiliser cependant avec parcimonie si elle devient le déversoir des délations. Autrement plus sérieuse de toutes façons que « le bureau des pleurs » que j’ouvrais à la fin de chaque correction après un contrôle pour les contestations de notes qui s’en trouvaient ainsi dédramatisées.
Les difficultés à aborder, à traiter les désagréments du quotidien deviennent de plus en plus évidentes. La psychologue est souvent dans l’escalier comme on disait du temps « des concierges - jamais - là- quand - on - en - a – besoin ». Avec un nombre grandissant d’enfants à prendre en charge, elle ne fait que passer. Les blocages sont mis sous le tapis, ils seraient restés anodins s’ils avaient été pris en compte très tôt. Les impuissances à surmonter les conflits intimes ressortent d’autant plus que des simulacres à gérer la planète sont proposés trop tôt. Je participe à un manifeste contre le racisme, mais le pauvre , hors mode, se verra traité de Tchétchène.
- Donner accès aux enfants aux institutions concrètes qui gèrent la cité. Les extraire du chauvinisme de quartier mais les préserver des communicateurs friands de singes savants.
Parlement des enfants et conseils en tous genres s’affichent dans tous les supports de com’ et les silences s’enkystent pour des solitaires qui n’osent parler derrière tous ces tapages.
Comment former des individus responsables, si les adultes renvoient sans cesse les explications à des causes lointaines qui s’agglutinent aujourd’hui autour du mot «mondialisation»? C’est une réalité souvent féroce mais le mot, cache nos impuissances.
La proclamation de valeurs ne peut s’accorder avec des excuses en introduction. Le goût de la complexité n’abolit pas la nécessité de la clarté. Comment croire à son métier, s’il n’y a pas l’espoir d’un impact ?
La sainte république a été tellement invoquée qu’il ne suffit pas de lui adjoindre le terme laïque tout autant usé pour être audible. La tolérance n’est pas l’ignorance. Qu’il faille s’arrêter à chacun de ces mots signe bien nos faiblesses.
J’appréciai l’assiette de gâteaux de l’Aïd et à l’étonnement de certains de mes camarades je ne perdais pas une occasion de livrer des références concernant les fêtes religieuses ou profanes qui justifiaient nos congés. Pâques et le premier mai. Il n’est de laïcité éclairée que dans la connaissance des autres. Et bien ridicules ceux qui s’abstiennent de chanter Noël.
Les superstitions s’étendent, les privilèges se creusent, les lumières du XVIII ième qui devaient rayonner du cœur de chaque individu sont à réactiver. « Tout se vaut !» : Non ! Dans l’indifférenciation tragique des valeurs comment situer la loi, comment la croire, quand il est nécessaire d’avoir recours à des radars robotisés pour venir à bout des passe -droit. Vive le radar neutre et l'impôt!
La triade républicaine s’amollit sur les en-têtes des papiers administratifs, elle dicte cependant notre ligne de conduite.
Liberté : le baptême soixante-huitard a garanti pendant mes années repentantes de beaux restes pour accepter des trajectoires pas forcément conformes à mes goûts.
Egalité: le sens méticuleux de la justice de mes petits clients m’a tenu en éveil pour ne pas privilégier un individu plus qu’un autre. Je pointais la liste des prénoms de la classe que je citais dans mes exercices de grammaire. Le dynamisme d’un groupe passe par un quadrillage maniaque qui réserve un temps de parole à chacun. Personne ne s’endort.
Fraternité : la présence de l’adulte préserve des tensions destructrices entre pairs. Mais dans ce domaine les acquis sont fragiles, les effusions collectives fugaces. Et vains les cours de morale qui ne s’appuient pas sur une pratique.
Ces mots Lib' ég' frat' ont-ils perdu de leur éclat lorsque le mur de Berlin, par son écroulement, a fêté le bicentenaire de la chute de la Bastille ? And the Wall of the street était de sable itou. Est ce que l’ordre ancien sous de nouveaux oripeaux ne nous incite pas à faire le deuil de nos espérances, à renoncer ? L’éternelle recherche qui distingue la raison et la croyance, qui secoue les situations établies, se trouve dans le temps de la jeunesse, dans les cartons de l’enseignant, dans des logiciels pour une société plus juste, dans les travées d’une gauche qui ferait université au delà d’un été .