mercredi 12 avril 2023

Cordouan

Nous nous réveillons in extrémis à 7h45 et partons pour Royan.
Le brouillard issu de brumes maritimes denses nous enveloppe, nous ne regrettons pas nos vêtements chauds.
Après avoir laissé la voiture face à l’église moderne en béton qui domine la rade, il nous reste suffisamment de temps pour nous offrir un petit déjeuner dans une boulangerie ouverte : tous les commerces ou presque sont encore fermés aux alentours du port de plaisance.
Nous récupérons nos billets au kiosque « la sirène » à 9h 30 avant d’embarquer à 10h15 et démarrer à 10h30.
Les entrées maritimes persistent, toujours aussi compactes, et pendant les 45 minutes de traversée, nous perdons  la côte de vue.
Lorsque que les moteurs ralentissent  enfin, le capitaine nous informe sur les conditions de débarquement, alors que  nous flottons au milieu de nulle part baignés dans  une atmosphère cotonneuse, sans apercevoir la moindre silhouette du phare de Cordouan : 3 contingents de quarante personnes emprunteront l’un après l’autre le véhicule amphibie, le Jules Verne II que nous avons tracté à l’arrière du bateau depuis Royan. Ainsi, il sera plus facile de gérer le flux touristique dans cet espace limité surtout en marée haute et les passagers bénéficieront au mieux de la visite proposée par les gardiens. Tandis que nous attendons la 3ème fournée pour accoster, la brume se décide à se retirer, en nous laissant découvrir le monument, suivant l’ordre chronologique de sa construction ! Se devine d’abord le socle, puis la première partie érigée sous Henri III, peu à peu la 2ème partie datant de Henri IV émerge à son tour  puis tout le phare sort de sa chrysalide. C’est magique !
Le Jules Verne II vient nous charger puis nous  déposer au pied du phare, devant  la poterne en bois à l’entrée de la tour.
Nous sommes accueillis par Benoît, c’est l’un des deux gardiens responsables de ce monument historique : dreadlocks, tatouages maoris sur des jambes et un visage burinés par une vie au large, ce guide pittoresque s’avère très intéressant, passionné par le lieu et la vie qu’il y mène, il joue son rôle de pédagogue avec réussite.
Il nous explique en premier comment sont classés les phares existants : l’enfer, situé en pleine mer, le purgatoire, placé sur une île, et le paradis relié au continent. Cordouan entre dans la catégorie paradis de l’enfer. Ci dessus : le phare de la Jument situé à Ouessant.
Puis il relate l’histoire de l’édifice avec la construction commencée par Louis de Foix s’étendant sur une longue période de 25 ans ; les guerres de religion, les soucis financiers, les problèmes météorologiques, la peste à Bordeaux, tout cela  ralentit les travaux mais le phare est achevé en 1611, et culmine à une hauteur de 37 m, il  devient un symbole monarchique fort, Henri IV s’emploie à son embellissement et agrandissement. 
Il en fait un phare de prestige destiné à impressionner les bateaux étrangers et ainsi à prouver aux puissances maritimes environnantes la stabilité de son royaume après les guerres de religions. Surélevé à  67,5 m au XVII° siècle, ce qui correspond à sa hauteur actuelle,  il expérimente pour la première fois le prototype de lentille à échelon. 
Inventé par  Augustin Fresnel, cette lentille révolutionnaire équipe toutes les côtes et les phares du monde encore aujourd’hui.
Benoît nous entraine au rez-de-chaussée, dans un vestibule plus imposant que les deux petites  chambres latérales côté entrée,  tout en bois bien ciré  occupées autrefois par les gardiens.
En face, un escalier à vis mène à l’appartement du Roi au 1er étage. Malgré son nom, aucun roi n’y mis jamais les pieds, mais deux cheminées, inhabituelles dans un phare, dénotent par leur présence d’un certain luxe. L’une  d’elles est fictive, son existence s’explique par un souci de symétrie. L’autre est  fonctionnelle, elle servit aux gardiens successifs à se chauffer et à cuisiner.
Le dallage en marbre noir et blanc du sol aux dessins géométriques se marie parfaitement à la pierre claire des murs.
Le 2ème étage  est entièrement réservé à la Chapelle Royale. Le plafond me rappelle le Panthéon de Rome avec son oculus, ou encore ces coupoles à caisson de la Renaissance italienne. Mais l’autel, les vitraux de saint Michel entre autre, rendent ce lieu pareil à n’importe quel autre édifice religieux de l’époque.
De forme circulaire contrairement à l’appartement du Roi, de forme carrée, la pièce baigne dans une lumière tamisée. Le dessin du  dallage en marbre coloré noir gris et blanc respecte la géométrie de la chapelle en partant du centre et se déployant  vers l’extérieur.  Le guide attire notre attention sur le buste de Louis de Foix qui mérite sa place en tant que mécène important du phare, car il suppléa aux manques financiers du Roi. Cordouan est le seul phare à abriter une chapelle et un tel luxe d’ornements.  Encore consacrée aujourd’hui, un prêtre  y célébra le mariage d’un marin employé par la compagnie « la sirène » assez récemment. Puis nous continuons pour atteindre la salle des girondins au 3ème étage.
Elle sert de départ à un escalier plus sophistiqué, « une voute rampante hélicoïdale » appuyé sur le pourtour des murs.
Nous voilà donc au 4ème étage, dans la salle du contrepoids et sa machinerie, nous grimpons au 5ème dans la salle des lampes et au 6ème, utilisée comme chambre de veille.En se penchant vers l’intérieur, nous apercevons le rez-de-chaussée par l’oculus qui traverse tous les paliers. Ce puits, reproduit à chaque étage, a permis de monter les matériaux et déverse la lumière.
Enfin, nous sortons sur la coursive extérieure ou chemin de ronde, au pied de la lanterne aux deux couleurs rouge et verte.
De là nous bénéficions d’une vue sur l’océan, des couleurs marines subtiles  sous un ciel de plus en plus ensoleillé ; et la marée qui se retire découvre le chemin constitué de grosses dalles menant jusqu’à la poterne.
Notre gardien passionné nous raccompagne jusqu’à la couronne. Cet anneau en bas de la tour  comprend  des espaces privatifs, 4 chambres, une cuisine des locaux techniques et un groupe électrogène.
Si le phare, monument classé, se visite à la bonne saison, il continue d’être surveillé toute l’année par ses gardiens. Il doit subir des restaurations fréquentes dues aux conditions climatiques. Lors des grains ou simplement du mauvais temps, la pluie bat la façade ouest et rince les pierres calcaires mais côté est le sel se dépose et l’érosion de la pierre apparait très nettement sous forme de trous.
Nous aurions bien trainaillé un peu plus à l’intérieur de l’anneau mais le temps nous presse et l’heure de rendez-vous fixé par le capitaine du bateau approche. Puisque la marée est basse nous empruntons la chaussée dallée encore un peu  immergée délimitée par des piquets.
Les pieds dans l’eau jusqu’aux chevilles nous pataugeons au milieu des  bancs de sable. L’un d’eux est la survivance d’une île végétalisée,  érodée par la tempête et rabotée à une hauteur d’ 1,5 m. C’est agréable de barboter dans l’eau tiède et le sable, à condition d’éviter les coquilles coupantes des huitres à moitié enfoncées.
Le véhicule amphibie nous récupère sur une émergence sableuse ressemblant à une plage entourée d’eau et nous confie rapidement au bateau prudent stationné un peu plus loin. Nous  sortons nos sandwichs pendant une traversée  différente de celle de ce matin, sous le soleil avec des teintes d’été et une vue plus dégagée sur la côte.

3 commentaires:

  1. Visite passionnante, là. Je suppose que le jeune guide n'habite pas sur place. Y a-t-il des habitants dans le phare à l'heure actuelle ?
    Un bel édifice mémorable.

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  2. Oui ils sont deux pour entretenir les lieux, ils logent sur la couronne au bas du phare;

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