vendredi 18 novembre 2022

Encollés.

L’écriture appelle pause et pose : s’arrêter un peu, prendre soin des mots, se rappeler et faire le compte des oublis, tenter d’agripper une idée
dans la ribambelle des phrases comme un chat lance sa patte aux poussières qui lui apparaissent dans un rayon de soleil.
Les fake news déféquées à longueur de journée sur nos écrans corrompent notre fil d’actualité.
Les cravatés ou non, d’ici ou là, ont pu s’offusquer du hoquet d’un député : « qu’il retourne en Afrique ! » avec lequel ils avaient voté juste avant. Ces extrêmes  portent en leur sein blackblocks et skins qui les servent par leur radicalité abuzante.
Alors que les discussions sont atones dans le domaine culturel, le pass culture étant passé par exemple à l’as dans les commentaires, il se trouve que débordant des rubriques de fin de magazines, des avant-gardes rebelles ont mêlé récemment politique et artistique.
Pour parler de la soupe sur des tableaux puisque c’est fait pour en parler, certains modes d’action des causes les plus nobles en adoptant les codes publicitaires de la société desservent leur combat.
En salopant des œuvres emblématiques de notre civilisation sans aller jusqu’à détruire comme les talibans l’ont fait avec les Bouddhas de Bâmiyân, ils ont fait preuve du même fanatisme né de la conviction d’avoir raison. Ces "éco-terroristes" ont commis un sacrilège contre lequel les scrupuleux vigiles en matière de religion ne se sont guère exprimés. En opposant la vie, la survie, l’urgence climatique à l’art, nature contre culture, les collées aux couleurs de cheveux bien peu naturelles font peine. Elles entrent en contradiction avec tant de cultureux qui mettent du vert à toutes leurs interventions théâtrales ou plastiques. Ceux-ci ont souvent abandonné la mise en scène de la complexité en remplaçant les dialogues par des prêches. Et les héritiers de Duchamp ont eux depuis longtemps remisé la recherche du beau pour des carrières de pédagogues sans élèves, avec cependant essentiellement le public captif des lycées et collèges amené devant leurs vidéos.
Quand ils ne souillent pas de leurs aérosols les murs de nos villes, ils s’adossent très fréquemment au passé, témoignant d’un désarroi présent. A lire leurs intentions dans les biennales, l’accumulation de formulations stéréotypées expriment une vacuité qui inquiète tout autant que le réchauffement climatique. Pour reprendre des formules éculées : « quelle planète laissons-nous à nos enfants ? » il y a de quoi s’inquiéter en ne  sachant plus reconnaitre les enfants que nous avons déjà laissés à la planète. Ils sont aussi cucul que nous à leur âge, contre la guerre, la pauvreté, le patriarcat, le colonialisme… en aurait-on oublié ? Ah oui : l’humilité, la douceur, l’harmonie, l’enchantement.
Ces encollages sont venus au moins rappeler que les tournesols du tragique Van Gogh contribuent à rendre notre planète plus habitable et plus enviable que ce monde où de telles dégradations masochistes sont valorisées. Leur seul mérite, devenu rare, est d’être accomplies à visage découvert alors que les masqués des réseaux sociaux et les cagoulés autour des bassines sont dans l’anonymat,caractéristique de l’irresponsabilité et de la lâcheté. L’intransigeance de ceux-ci, leur violence, va-t-elle dans le même sens que ceux qui s’interrogent sur le type de production agricole souhaitable ? Ils appellent plutôt la dérision envers des rêves où chacun irait désherber son champ de blé au bout de son jardin. L’indépendance alimentaire serait réglée en même temps que la faim dans le monde et le chômage.  
Je pensais que les excessifs, les marginaux, les créateurs, les prophètes, les fous mettaient en mouvement les idées plus rapidement que les sages, les raisonnables, les concertants. Mais comme souvent au pays des effets pervers, pas toujours dans le sens souhaité : Poutine a plus fait pour l’Europe que l’association Jacques Delors, et remis plus en question les énergies fossiles à moyen terme (parce que les tanks ne tournent pas à l’électrique) que le quinquagénaire rapport du club de Rome.  
« Trop de colle ne colle plus, trop de sucre n’adoucit plus. » Proverbe chinois.

2 commentaires:

  1. Tout ce vacarme me parvient de bien loin. Je ne peux qu'être interpellée par la presse dont jouit l'oeuvre de Van Gogh. Des fois... je me dis que la notoriété de Van Gogh provient bien plus d'un désir de s'apitoyer sur son tragique destin de fils de pasteur protestant en mal de foi, artiste incompris, que de son oeuvre que finalement, je n'adore pas tant que ça, sans être tentée d'aller jeter de la soupe dessus. Pourquoi ne nous lassons-nous pas de vibrer devant le malheur des autres ? C'est ça, l'empathie ? Ou... est-ce de la pitié ? L'empathie... est-ce utile dans un tel contexte ? L'empathie agrandit-elle celui qui en devient objet ? Celui qui l'éprouve ? Qu'est-ce qui en découle ? Cela devient mystérieux pour moi.
    Des fois je me dis aussi que nous commençons à nous lasser des musées... qui mettent en boite, et sacralisent d'une certaine manière. Ce qui est sacralisé devient intouchable et finit empaillé, il me semble. Nous sommes bien ambivalents envers le sacré, quel qu'il soit. Une société qui se targue d'avoir la foi (anticléricale) dans le progrès, et la progression s'emploie à détruire le sacré dès qu'il émerge, il me semble. Et quand il finit empaillé...

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  2. Oui la biographie De Van Gogh n'est pas pour rien dans sa notoriété mais sa pâte attire une lumière qui gagne en éclat face à la nuit.

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