samedi 22 mai 2021

Nœuds de vie. Julien Gracq.

Je ne comprenais pas le titre au moment où j'ai abordé la première partie de ses
«notules», dont la suite est à venir en 2027, 20 ans après sa mort, et puis j’ai plongé dans les paysages décrits par le géographe.
« Presque tous les paysages des contrées faites d’alluvions récentes sont ingrats : aussi bien le Bourbonnais que la Crau, le plateau suisse que le Bas Dauphiné : mouvements de terrain inharmonieux, incohérents, sont ceux de la boite à sable des Kriesgspiele ou des chantiers en proie aux bulldozers, végétation coriace et branchue, qui tend partout vers le groupement abâtardi du fourré, yeux d‘eau louche qui font penser non à des étangs, mais à des creux de marnières et de ballastières noyées. »
Finalement, par petites touches, je m’aperçois qu’il s’agit bien d’enlacements, de détours lorsque l’auteur, cité dans de nombreux articles, entre finement, poétiquement, dans les détours des fonctions « lire » et « écrire »,la complexité rencontre l’originalité. 
Ses portraits sont ciselés : 
« Le pharmacien, ami de jeunesse de mon père, violoniste et boute-en train comme lui, avait la laideur avenante et mobile, la turbulence et le lorgnon bas perché d’Offenbach, qu’il adorait ; sa femme, dans une des deux ou trois familles de la haute dévotion florentaise, raccourcissait avec pondération la bride à son mari bohème… » 
Ses appréciations sur le milieu littéraire sont âpres, et on aime ça.
Il parle de l’œuvre d’un collègue :
« … prend aujourd’hui pour moi je ne sais quelle apparence parcheminée et cuite, comme le visage de certaines vedettes, précocement rôti par les sunlights. » 
Comme l’usage du dictionnaire n’est plus guère usité, il vaut mieux garder son téléphone à portée de main : ainsi j’ai découvert le mot « gemmail » (panneau constitué de morceaux de verre translucides colorés juxtaposés et superposés, sans sertissage), il convient parfaitement à une appréciation de la poésie.
L’acte d’écrire nous révèle à nous mêmes : 
« Ecrire sans discontinuer, ce n’est pas tant céder à la préférence abusive qu’on a pour son moi, qu’aliéner ce moi dans son fort le plus reculé, en le soumettant tout entier aux mécanismes extérieurs du langage.»
 Et ses réflexions de solitaire vont bien au-delà de sa fenêtre : 
« La Terre a perdu sa solidité et son assise, cette colline, aujourd’hui, on peut la raser à volonté, ce fleuve l’assécher, ces nuages les dissoudre. Le moment approche où l’homme n’aura plus sérieusement en face de lui que lui-même, et plus qu’un monde entièrement refait de sa main à son idée – et je doute qu’à ce moment il puisse se reposer pour jouir de son œuvre, et juger que cette œuvre était bonne. »

1 commentaire:

  1. Un style truculent, bien que je ne sois pas d'accord avec l'extériorité du langage...
    Bien vu pour la dernière phrase. Très très bien vu...

    RépondreSupprimer