vendredi 15 janvier 2021

Le second degré en dessous de zéro.

Il m’est arrivé  bien des fois au cours de ma carrière de ne pas être accessible au second degré, quand par exemple, je surprenais un garçon battant un de ses camarades qui se défendait : « on s’amuse m’sieur ! » disait-il. La blague n'était pas bonne pour tout le monde.
Aujourd’hui, d'autres malhonnêtes me consternent : ceux qui ne savent pas prendre du recul, ni apprécier une complicité, avec qui c'est devenu impossible d’user de ce qu’on appelait « l’esprit » aux airs aristocratiques. L’expression « un homme d’esprit » approche de l’obsolescence dans un carnet de vocabulaire aminci.
On ne rit plus, les ricanements ont tout corrompu, le goût du clash est permanent, la compréhension a dégringolé les degrés, l’humour est mort.
Va donc dire :« Ça me tue ! » L’expression a ponctué nos indignations quand les atteintes à l’intelligence devenaient lancinantes, et puis un prof cette fois-ci a été tué pour des dessins. Coupez !
« Par quel enchevêtrement d’idées, de discours et d’errements en est-on arrivé à ce que, pour la première fois dans le monde occidental depuis la fin de la guerre, un journal soit décimé, avant de devoir se retrancher dans un bunker à l’adresse secrète ? Qui a nourri le crocodile en espérant être le dernier à être mangé ? Parce que c’est toujours la même chose : quand on est confronté à la peur, certains choisissent de pactiser. » 
Richard Malka, avocat de Charlie.
Le nombre de péremptoires sanguinaires a explosé, et pour des raisons supérieures à une imperméabilité aux plaisanteries, l’absurdité aggravée de mauvaise foi et de foi mauvaise recouvre la planète.
Les intégristes gagnent des parts de marché et ceux qui ne voient que complots de partout ne veulent plus comprendre ni histoire, ni science, quand la langue qui nous était commune est devenue essentiellement une source de malentendus. Trump a fait des émules bien au-delà des folklos à front de bison. L’école a failli chez nous aussi.
Des siècles de manipulation des symboles par les religieux auraient dû nous prémunir de ne pas tout prendre à la lettre : nous savons quand même que tous les croqueurs d’hostie ne sont pas des cannibales.
Le prophète n’avait pas posé les fesses à l’air devant un dessinateur de Charlie et le Christ du Gréco est bien trop blanc pour être le vrai. 
« Les couilles de mon grand-père, pendues dans l'escalier, dont ma grand-mère, se désespère de les voir se dessécher » comme disait la chanson, ne sont pas celles de mon pépé!
En matière de mythe, le bonhomme Noël se traine avec son traineau mais les séparatistes qui ne voient chez lui que les couleurs de Coca-Cola interdisent à leur progéniture d’imaginer au-delà des nuages autre chose que des phénomènes météorologiques.
Fantaisie bannie,  symboles incompris, lexique réduit :  le sourd, l’œil collé à la serrure, gueule! Mélanges, montages,  amalgames; la distanciation ne vaut que pour des raisons sanitaires et au jeu de la mise à nu des rois, personne ne gagne en humilité, en indulgence. 
Dans le monde littéraire où l’attention aux mots devrait être la raison de vivre, la distance entre l’œuvre et l’auteur se réduit, et la doxa actuelle cherche plus volontiers du côté de la braguette d’Hugo plutôt que vers ses vers. Voulant faire passer Rimbaud de la clandestinité des «invertis» aux ors de la République depuis que le gay est présentable, certains postulent pour lui au Panthéon. Quant à Sade qui figure toujours en bonne place dans les suppléments littéraires, verra-t-il une érosion des faveurs critiques quand tant d’autres moins sulfureux disparaissent coulés dans les piliers de ciment du politiquement correct ?
Pour m’en tenir à un format familier à ceux qui acquiescent à « OK boomer ! », je retiens une formule de papier de papillotes : 
« Celui qui veut écrire son rêve se doit d’être infiniment éveillé » Paul Valéry
Des envies de fermer les yeux  subviennent pourtant à la vue de l’inscription « ACAB » ( All Cobs Are Bastards) dans le prolongement de nos imbéciles « CRS : SS » et que meurent trois gendarmes qui n’ont même pas fait l’objet d’une brève chez Médiapart tandis qu'un croche-patte de la part d’un policier nourrit leurs lecteurs pour la quinzaine. 
« Un boomerang, c’est comme un frisbee, mais pour ceux qui n’ont pas d’amis »

1 commentaire:

  1. Amen.
    Il fut un temps où il me semble que la civilisation française brillait par une forme de légèreté vaporeuse qu'on pouvait voir dans les tableaux de Watteau, ou entendre dans les vers de Verlaine.
    Tu sais, Guy, tout ça est vieux... comme le monde.
    Des fois je me demande ce qu'ont pu être les émois, les ressentis de ma vieille grand mère maternelle, celle qui a fait ses courses en calèche au début de sa vie, pour regarder les avions dans le ciel à la fin. N'a-t-elle pas pensé... les mêmes choses que nous devant la déperdition de savoir, de décence ?
    Je ne sais pas. C'est probable même, mais.. elle n'en parlait pas. Nous, génération des baby boomers, nous étalons tous dans l'espace public, et ça vaut pour moi comme pour ceux qui m'entourent...
    Mais je me trompe. La civilisation française a toujours été multiple, très multiple. Le meilleur côtoie l'abject.
    Toujours passionnée par mon intarissable travail de comparer ce lieu à celui que j'ai quitté il y a tant d'années, je trouve qu'il manque... un fondement de bon sens à toutes les couches de la société. Il me semble que ce terrible manque vient de vouloir détruire la paysannerie dans ses attaches à la terre. Celui qui n'a plus les pieds sur terre ne peut plus penser. C'est peut-être lapidaire, mais ça fait office de vérité pour moi.
    Pour la lettre...
    Ce problème est vieux comme le monde, et insoluble, parce que la lettre, c'est le niveau B.A. ba de la langue. C'est le niveau sur quoi repose tout le reste, donc, régulièrement, quand le monde va très mal, quand l'Homme a perdu le Nord, comme il le fait de plus en plus souvent depuis que tout va très vite, il doit retrouver... le fond ? le fondement ? la lettre pour repartir.
    Juste un exemple qui m'est cher : le mot "esclavage" qui pose un terrible problème à la civilisation. DANS LE TEMPS... le mot "esclavage" renvoyait à une institution, une manière d'organiser les rapports sociaux, une manière d'organiser des solutions à la déchéance, même, comme il était possible (à Rome) de se vendre en esclavage, et d'acheter sa liberté. La condition de l'institution de l'esclavage était fort complexe, et variée, dans le monde, selon les peuples.
    Mais nous ? nous avons toujours le mot "esclavage", sans avoir... l'institution de l'esclavage, sans avoir.. une législation pour l'encadrer, et nous avons surtout beaucoup de préjugés, une tonne d'IGNORANCE BIEN PENSANTE autour des pratiques de nos ancêtres. Donc... sans l'institution de l'esclavage comme FONDEMENT, ou sens littéral, où est le sens... LITTERAL du mot "esclavage" maintenant ? N'a t-il que des sens.. métaphoriques/figurés ?
    Les mots, parfois si vieux, et qui semblent éternels, et éternellement... les mêmes pour nous, ne le sont pas.
    Et... ça fout une sacrée pagaille...
    Pour l'humour, mille fois d'accord, mais je dis ça... sans humour ! ;-) (Mais mea summa culpa, je me répète, je n'ai jamais trouvé que les caricatures de Charlie Hebdo étaient de l'humour, ni qu'elles étaient de l'art...si elles étaient de l'humour, je trouve qu'elles étaient d'un humour qu'il valait mieux.. NE PAS METTRE SUR LA PLACE PUBLIQUE A GRANDE ECHELLE. Nous pouvons tous savourer des choses... abjectes et racistes en privé, où nous avons besoin de nous défouler, et échapper à toute la.. SACRE PRESSION d'être des saints vivants, alias des "civilisés", mais attention à l'espace public.)

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