Au cours de
notre périple de cet été, entre cathédrales et lieux de mémoire de la grande
guerre, nous n’avons pas manqué de visiter de sites où l’art brut est en majesté.
Les grotesques « turbulents » d’Alain
Bourbonnais, fondateur du musée, occupent la 1ère salle. Des jeunes
guides manipulent pour nous avec des
gants protecteurs les fragiles mécanismes de ces poupées démesurées, articulées et mouvantes.
Ces personnages
carnavalesques sont les œuvres défoulatoires d’un architecte trop comprimé dans
les règles de son métier, pourtant mises ici à profit.
Dans le fond, une «bordélothèque » dont l’appellation a
été déposée par un maître en pédagogie bien connu par chez nous qui faisait vivre dans sa classe une
maxime d'Elisée Reclus : « L'anarchie est la plus haute expression de l'ordre ».
Mais c’est
surtout la collection acquise sur les conseils et avis de
Dubuffet, qui provoque notre enthousiasme.
Nous retiendrons :
- « La vie de Mauricette »
de Francis Marshall. Ce jeune
instituteur, traumatisé lors de sa nomination en Normandie par les mœurs et la misère qu’il découvre, s’exprime
à travers la vie d’une fillette imaginaire. Il confectionne des poupées à
l’aide de taie d’oreillers et de bas bourrés de tissus. De la ficelle aide à
modeler les différentes parties du corps et symbolise aussi l’empêchement,
la contrainte. Plusieurs scènes remplissent la pièce sans fenêtre et racontent
le maigre repas avec les membres de la famille, la vie à la campagne, jusqu’au tombereau servant de couche nuptiale. Ce n’est que poussière, couleurs ternes, tissus
usés, une vision glauque et sombre d'une frange de la France dans les
années 60 exprimée avec force.
- Dans un autre
genre, Emile Ratier trouve dans l’art une façon d’exorciser sa
dépression. Cet agriculteur inventif et
doué de ses mains survit à la guerre de 14, mais il a perdu la vue à cause du gaz
moutarde. Sur les conseils de son médecin, il sculpte, crée, des machines
souvent sonores et tactiles à partir de
bois et de matériaux de récupération.
- Les poupées de chiffons aux allures ethniques de Michel Nedjar dégagent quelque chose de mystique, à la fois brutes et raffinées.
- Beaucoup
d’artistes ont leur place derrière les vitrines, exprimant leur personnalité et
leur nécessité de créer sous des formes très variées. Certains sont
plus célèbres que d’autres, comme Héloïse ou Petit pierre, mais tous expriment par leur production
manuelle le plus profond d’eux-mêmes.
Le musée
s’étend dans le jardin où A.Bourbonnais a fait un construire un 2ème atelier et aménager un
étang alimenté par la rivière. Les rives sont devenues un décor champêtre pour installer des œuvres
naïves :
- Plus loin,
des animaux exotiques, que l’artiste n’avait jamais eu l’occasion
de voir autrement que par les images du chocolat Poulain, nous transporte dans
une jungle rêvée.
- Un artiste
hollandais a façonné différents animaux à partir de pièces de voiture, ainsi deux vautours en pneus près d’un palmier en tube et boîte de
conserve.
- Des
statues de personnages certains célèbres
comme Don Camillo, Danielle Gilbert, Michel
Drucker ou encore Jacques Martin
habillé en femme apportent humour et
couleurs.
- Mais le manège de Pierre Avezard dit Petit
Pierre reste l’attraction vedette
incontestable du jardin voire du musée. Une fois acquis par Bourbonnais,
il a été démonté puis remonté à l’identique dans sa forme semblable à celle
d’une attraction de foire
érigée avec des matériaux de bric et de broc. L’intérieur ressemble à une
juxtaposition de stands ou saynètes animés par une série de petits moteurs
reliés à un générateur central : de la
musique est diffusée pendant que tournent les automates , pompiers, danseurs, vaches et
vachers, qu’avancent les trams suspendus
à hauteur de têtes, que volent les avions, les hélicoptères.
Il y a même
une tour Eiffel, en bois, avec des étages rétractiles en cas de grand vent. Quelques farces se
cachent parmi ces jouets: un personnage indique : « regarde bien
celui qui boit » et crache de
l’eau sur le badaud quand il ne s’y attend
pas. Des écriteaux sous-titrent ou complètent l’intention de Petit Pierre né avec une
malformation du visage, rejeté par les autres, malgré une fratrie compatissante,
il ne fréquente pas beaucoup l’école et ne peut espérer qu’un travail ingrat et
solitaire : il devient alors vacher. Mais son patron, le voyant si créatif, pas mauvais bougre, lui
cède un bout de terrain et c’est là que Petit Pierre passe son temps libre à
inventer peu à peu son monde enfantin. Chaque week-end, il ouvre sa baraque au
public, sans rancune.
Un jeune
guide étudiant en histoire de l’art nous
a pilotés gentiment dans cette découverte du jardin, indispensable pour
commander les mécanismes fragiles du manège et nous documenter sur chaque
artiste.
Il en a été de même à
l’intérieur pour les « turbulents » ou « la vie de
Mauricette » : sinon le reste des œuvres peut être abordé librement,
des guides se tenant à disposition selon la demande.
Avant de
partir, nous dégustons un café commandé à l’accueil au « prix
estimé » et nous le consommons en toute quiétude dans le jardin d’attente. Puis nous passons
aux toilettes installées dans la « maison bleue », entre le jardin et
le musée. après avoir traversé une pièce entièrement peinte, vide, bordée de
bancs. Comme si le musée s’étendait …
Belle visite virtuelle, Guy.
RépondreSupprimerL'esprit de l'oeuvre de Francis Marshall me fait penser au Van Gogh du début dans "Les Mangeurs de pommes de terre".
Difficile d'imaginer l'Homme si dénué, dans une telle pauvreté... d'esprit...Triste.
Je ne cache pas que je préfère des oeuvres plus exubérants.
Bravo à Petit Pierre d'avoir réussi à garder la tête hors de l'eau.