jeudi 7 janvier 2021

La Fabuloserie.

Au cours de notre périple de cet été, entre cathédrales et lieux de mémoire de la grande guerre, nous n’avons pas manqué de visiter de sites où l’art brut est en majesté.
Ainsi  à DICY où se trouve le musée d’art singulier "La Fabuloserie".
Les  grotesques « turbulents » d’Alain Bourbonnais, fondateur du musée, occupent la 1ère salle. Des jeunes guides manipulent pour nous  avec des gants protecteurs les fragiles mécanismes de ces poupées démesurées, articulées et mouvantes. 
Ces personnages carnavalesques sont les œuvres défoulatoires d’un architecte trop comprimé dans les règles de son métier, pourtant mises ici à profit.
Dans le fond, une  «bordélothèque » dont l’appellation a été déposée par un maître en pédagogie bien connu par chez nous qui faisait vivre dans sa classe une maxime d'Elisée Reclus : « L'anarchie est la plus haute expression de l'ordre ».
Mais c’est surtout la collection acquise sur les conseils et avis de Dubuffet, qui provoque notre enthousiasme. 
Nous retiendrons :
- « La vie de Mauricette » de  Francis Marshall. Ce jeune instituteur, traumatisé lors de sa nomination en Normandie par les  mœurs et la misère qu’il découvre, s’exprime à travers la vie d’une fillette imaginaire.
Il confectionne des poupées à l’aide de taie d’oreillers et de bas bourrés de tissus. De la ficelle aide à modeler les différentes parties du corps et  symbolise aussi l’empêchement, la contrainte.
Plusieurs scènes remplissent la pièce sans fenêtre et racontent le maigre repas avec les membres de la famille, la vie à la campagne, jusqu’au tombereau servant de couche nuptiale.  Ce n’est que poussière, couleurs ternes, tissus usés, une vision glauque et sombre d'une frange de la France dans les années 60 expriméavec force.
- Dans un autre genre, Emile Ratier  trouve dans l’art une façon d’exorciser sa dépression. Cet agriculteur inventif  et doué de ses mains survit à la guerre de 14, mais il a perdu la vue à cause du gaz moutarde. Sur les conseils de son médecin, il sculpte, crée, des machines souvent sonores  et tactiles à partir de bois  et de matériaux de récupération.
- Les poupées de chiffons aux allures ethniques de Michel  Nedjar dégagent quelque chose de mystique, à la fois brutes et raffinées.
- Beaucoup d’artistes ont leur place derrière les vitrines, exprimant leur personnalité et leur nécessité  de créer  sous des formes très variées. Certains sont plus célèbres que d’autres, comme Héloïse ou Petit pierre, mais tous expriment par leur production manuelle le plus profond d’eux-mêmes.
Le musée s’étend dans le jardin où A.Bourbonnais a fait un construire un  2ème atelier et  aménager un étang alimenté par la rivière. Les rives sont devenues un décor champêtre pour installer des œuvres naïves :
- Des ravissantes et fragiles petites éoliennes amènent une touche délicate,
- Plus loin, des animaux exotiques, que l’artiste n’avait jamais eu l’occasion de voir autrement que par les images du chocolat Poulain, nous transporte dans une jungle  rêvée.
- Un artiste hollandais a façonné différents animaux à partir de pièces de voiture,  ainsi deux vautours en pneus près d’un palmier en tube et boîte de conserve.
- Des statues de personnages certains  célèbres comme Don Camillo, Danielle Gilbert,  Michel Drucker ou encore Jacques Martin habillé en femme apportent humour et couleurs.
- Mais le manège de Pierre Avezard dit Petit Pierre reste l’attraction vedette  incontestable du jardin voire du musée. Une fois acquis par Bourbonnais, il a été démonté puis remonté à l’identique dans sa forme semblable à celle d’une attraction de foire érigée avec des matériaux de bric et de broc. L’intérieur ressemble à une juxtaposition de stands ou saynètes animés par une série de petits moteurs reliés à un générateur central : de la musique est diffusée pendant que tournent les automates , pompiers, danseurs, vaches et vachers, qu’avancent les trams suspendus  à hauteur de têtes, que volent les avions, les hélicoptères.
Il y a même une tour Eiffel, en bois, avec des étages rétractiles  en cas de grand vent. Quelques farces se cachent parmi ces jouets: un  personnage indique : « regarde bien celui qui boit » et crache de l’eau sur le badaud quand il ne s’y attend pas.
Des écriteaux sous-titrent ou complètent l’intention  de Petit Pierre né avec une malformation du visage, rejeté par les autres, malgré une fratrie compatissante, il ne fréquente pas beaucoup l’école et ne peut espérer qu’un travail ingrat et solitaire : il devient alors vacher.
Mais son patron, le voyant si créatif, pas mauvais bougre, lui cède un bout de terrain et c’est là que Petit Pierre passe son temps libre à inventer peu à peu son monde enfantin. Chaque week-end, il ouvre sa baraque au public, sans rancune.
Un jeune guide étudiant en histoire de l’art  nous a pilotés gentiment dans cette découverte du jardin, indispensable pour commander les mécanismes fragiles du manège et nous documenter sur chaque artiste.
Il en a été de même à l’intérieur pour les « turbulents » ou « la vie de Mauricette » : sinon le reste des œuvres peut être abordé librement, des guides se tenant à disposition selon la demande.
Avant de partir, nous dégustons un café commandé à l’accueil au « prix estimé » et nous le consommons en toute quiétude  dans le jardin d’attente. Puis nous passons aux toilettes  installées dans la  « maison bleue », entre le jardin et le musée. après avoir traversé une pièce entièrement peinte, vide, bordée de bancs. Comme si le musée s’étendait …

1 commentaire:

  1. Belle visite virtuelle, Guy.
    L'esprit de l'oeuvre de Francis Marshall me fait penser au Van Gogh du début dans "Les Mangeurs de pommes de terre".
    Difficile d'imaginer l'Homme si dénué, dans une telle pauvreté... d'esprit...Triste.
    Je ne cache pas que je préfère des oeuvres plus exubérants.
    Bravo à Petit Pierre d'avoir réussi à garder la tête hors de l'eau.

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