Les formules peuvent varier : sortir de son couloir, de la
fatalité, prendre ses responsabilités. Tout en n’évacuant pas les difficultés
pour trouver un emploi, attendre que Jupiter s’occupe de tout, me semble court.
Celui qui a finalement choisi de devenir cariste, était loin
de la condition d’un chômeur qui vient de perdre son emploi dans un bassin de
chômeurs.
Tiens, à propos, le chômage : qui en parle, voire
propose des solutions dans cette période pourtant bavarde ?
Certes dans la restauration on est moins payé qu’un médecin,
mais des généralistes, on n’en trouve plus guère, pas plus que des conducteurs
de train, des éducateurs, des profs… refrain connu.
Après m’être compromis ci-dessus, du côté des opinions
minoritaires, je précise que je trouve que « le pognon de dingue » des
financiers est scandaleux et grand le mérite des gilets jaunes de remettre
au goût du jour le problème des inégalités.
Notre société, au système de protection sociale apprécié surtout
en dehors de nos frontières, est en crise, et Macron en est le nom.
Le journal « Le 1 » aura beau préciser que le
taux de prélèvements obligatoires de 45% en France (25% aux USA) permet à
la population de bénéficier des services
de l’Etat, cela reste inaudible à beaucoup. Mais quand quelques souteneurs, qui
savent bien ces données, promettent la
lune et se montrent plein d’indulgence envers des « subalternes » aux
réflexions sommaires et aux pratiques parfois détestables, la méfiance envers
les démagogues peut se rallumer.
Pour en revenir aux gueux qui se relaient aux carrefours, je
les connais ; fils de « pagus », je sais ce qu’est l’humiliation.
En d’autres printemps j’ai connu aussi la morsure des matraques.
Mais dans un contexte où personne n’écoute personne, dire
qu’ « on n’est quand même pas en dictature » est pris pour du
mépris, je me résous à la modestie sans plus chercher à convaincre quiconque.
Et plutôt que de courir après la première brassière de
sécurité venue, maculée de haine, choisir la réponse d’Oscar Wilde à son procès
à qui l’avocat de son adversaire demandait :
« La majorité
des gens tomberait dans votre définition des philistins et des ignares n’est ce
pas ?
- Oh, j’ai trouvé de
magnifiques exceptions. »
Cette citation figurait dans le nouveau « Magazine
littéraire » que j’avais acheté pour d’autres titres dont « Les
écrivains racontent les gilets jaunes ». Le plus original des romanciers
convoqués couvre deux pages pour dire ce qu’Hugo, pourtant prolixe, rassemblait
en une formule : « nous les petits, les sans- grade ». L’un en
profite pour parler de lui, un autre pour excuser toute violence, puisque la
Marseillaise de Rude, celle de l’Arc de triomphe, a été commandée par Thiers, « le futur boucher de la commune (tiens
tiens) », et Nathalie Quintane, une écrivaine, de s’enflammer : «… des bals et chansons sur les ronds
points, des rondes et des chorégraphies sur les passages piétons, des cabanes
et même une potence… » Vite un R.I.C (Référendum d’Initiative
Citoyenne) sur la peine de mort ! Alors que tout ce qui est intellectuel
est méprisé depuis longtemps, ceux qui devraient être les gardiens de
l’exigence, des nuances, de la profondeur, se droguent à l’épique et si cela se
finissait au bout d’une pique, leur inspiration s’en trouverait ragaillardie.
Maintenant que le hasch va devenir thérapeutique, ne reste-t-il plus que la
fragrance des lacrymos pour faire pleurer Margot ?
Les formes prises par la colère jaune ont mis en cause bien
des usages de notre démocratie, telle que la déclaration préalable de
manifestation. Pourtant les adeptes de la judiciarisation du moindre geste
n’ignoraient pas que les entraves à la circulation sont illégales.
Les abstentionnistes ont rencontré ceux qui n’ont jamais
admis le verdict des urnes, ils réclament maintenant de voter à la moindre
occasion. Ils useront ainsi plus utilement de leurs fins de semaines que lors
de ces samedis rageurs de décembre.
Ils se sont passés de tous les stratèges communicationnels
habituels, avec leur habit très visible à l’efficacité avérée, si bien que le
moindre cycliste précautionneux nous dit quelque chose.
Ils régénéreraient parait-il la démocratie : alors
qu’ils jugent illégitimes les élus, de quel droit se proclament-ils Le Peuple ?
Leur capacité de nuisance conforte un sentiment de toute puissance quelque peu
infantile, mais s’il se trouve des sociologues pour s’émerveiller d’une
politisation express sur les ronds poings, c’est qu’il y avait déficit.
Quand le port du gilet s’impose pour avancer dans la file
qui s’étire devant un lieu de ralentissement, la devise républicaine y perd son
premier mot : liberté.
Chacun lutte bien entendu pour ses enfants, le planétaire et
le prolétaire, est-il besoin de le préciser ?
A la radio, une actrice en fin de course ne
comprend plus qu’on fasse des enfants alors que pour ailleurs, il est incorrect
de trouver qu’une famille avec dix affamés ça commence à faire beaucoup. Une
espèce vivante qui ne se reproduit plus
ou qui se multiplie sans frein est menacée et il ne s’agit pas du moustique du
marais Poitevin mais de nous pauvres humains qui se sentent en ce moment si bêtes.
D’un côté : la petite fille de riche se sent si pauvre et de l’autre : un enfant n'est plus forcément une
richesse pour les pauvres.
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