A l’entrée de la salle Rizzardo à la MC2, le
« programme » comme on disait, n’était pas disponible en version
papier. Mais sur l’ordinateur, devant lequel je campe, le texte présentant ce
moment théâtral sous titré « Une enquête démocratique » laisse
présager la subtilité :
« Le fascisme ne
prend pas forcément le visage d'un monstre, mais il peut avoir aussi celui d'un
animal de compagnie. »
Et tout le début, sous une pendule qui met le questionnement
historique à l’heure d’aujourd’hui, nous pouvons retrouver les qualités de la
production précédente à propos de Deleuze, jouée déjà à Grenoble:
Les dispositifs sont inventifs pour rendre accessible une
pensée exigeante qui est justement au cœur de la lutte contre le fascisme, parmi
d’autres penseurs, celle d’Hannah Arendt, incontournable quand il s’agit
d’examiner « la banalité du mal » :
« L’homme se tient sur
une brèche dans l’intervalle entre le passé révolu et l’avenir inconnaissable.
Chaque génération nouvelle, chaque homme nouveau doit redécouvrir
laborieusement l’activité de pensée pour se mouvoir dans la brèche ».
La confrontation des déclarations hallucinantes et le rappel
des actes ahurissants de Speer ou Himmler en regard de leur vie de pères de
famille ou d’homme de culture est efficace.
Les documents d’archives sont accablants et nous avons
encore à apprendre.
Mais lorsque « la bête » ne broute plus seulement
dans les pâturages tyroliens, le propos a besoin d’être surligné pour
convaincre : l’état d’urgence actuel a figé aussi les réflexions qui ne
peuvent s’en tenir à quelques éructations.
La passion des comédiens-chercheurs, leur désarroi face aux
leçons qui n’ont pas été tirées et les lourds nuages qui s’amoncellent sur nos
sociétés amènent à un ton plus déclamatoire, voire à des positions simplistes à
mes yeux : les fascismes excluent certes les pauvres mais ceux-ci peuvent
être séduits aussi par ces régimes autoritaires.
Et la poésie en sentences parait plutôt comme une fuite.
Le lancer de papiers final ne laisse pas la place au
spectateur que lui ménageait la semaine précédente Nasser Jermaï en plus poétique, plus politique, plus à
notre hauteur.
Parmi les causes du Mal accompagnant la lâcheté morale et le
manque d'empathie, figure la paresse intellectuelle. Alors ce serait péché que
de ne pas faire part de quelques réserves à propos d’un thème sous un titre
énigmatique où le point Godwin* guette bien entendu à chaque pas.
........
*Point Godwin : on écrivait aussi « reductio ad Hitlerum »
Wikipédia : « Instant
d’une conversation
où les esprits
sont assez échauffés pour qu’une référence
au nazisme
intervienne.
À un mois du scrutin, la campagne du Brexit a déjà atteint son point Godwin : Hitler a été
invoqué (avec Napoléon) par le champion du "non" Boris Johnson pour
rejeter tout projet d'union entre le Royaume-Uni et le continent. »
J'ai reçu une appréciation négative de ce spectacle de la part de quelqu'un dont j'apprécie la rigueur esthétique et intellectuelle, quelqu'un qui fait du théâtre et écrit pour le théâtre, d'ailleurs.
RépondreSupprimerCe que je critique dans les partis pris de ce qui a l'allure d'une posture démagogique, c'est l'inévitable croyance ? foi ? (puisque cela les engage, c'est hors de doute...) des acteurs postés devant nous que EUX ont forcément été vaccinés contre le fascisme, donc, qu'ils sont à la bonne place pour nous donner leurs leçons.
Et puis, avec le temps, j'en viens à récuser cette vision qui assigne sans appel une responsabilité écrasante aux.. individus ? sujets singuliers ?prenant part à ces drames historiques, faisant des procès sans la moindre reconnaissance de circonstances atténuantes, attenantes ainsi au contexte historique, relatif, où les événements sont situés.
Dans la tourmente collective de 1) la Révolution Française 2) la Révolution Russe 3) la deuxième guerre mondiale 4)... la guerre du Péloponnèse, (pas dans le bon ordre), les limites de la responsabilité individuelle commencent à devenir très floues. Déjà les Grecques dans leur théâtre avaient remarqué à quel point l'Homme était différent dans la foule, et ailleurs. Combien il était la proie de ? forces ? divinités ? pulsions ? chimères imaginaires ? hormones ? qui le dépassaient et le rendaient imprévisible et destructeur à certains moments cruciaux.
Pire encore, je crains la... bonne foi des donneurs de leçons. Ils se comportent comme si effectivement il était sous notre contrôle et responsabilité individuelle de décider la révolution.
Cette croyance qui occulte l'existence même de la pression du corps social me semble naïve, et dangereuse.
L'homo modernicus voudrait croire que l'individu est, ou devrait être, totalement libre de choisir son sort. Que liberté et choix sont synonymes, et que la question de la liberté peut être réduite à celle du choix individuel.
Quelle folie...
Et puis...
RépondreSupprimerJ'ai une question.
Qu'est-ce qui nous est si insupportable dans l'idée que les SS pouvaient être tendres avec leurs jeunes enfants, et envoyer d'autres à la mort ?
C'est une question. Parce que... je ne crois pas que le monde est prêt à se laisser réduire à ce que nous voulons croire de nous, ou des autres, pour se conformer à notre bon plaisir, ni à notre logique, ni à notre sacrosainte raisonnement.