lundi 25 novembre 2024

Juré n°2. Clint Eastwood.

« Présomption de culpabilité » comme le dit l’hebdomadaire Marianne 
dans ce « film de procès » comme le caractérise tout le monde.
Qu'ajouter de plus après 500 000 spectateurs en première  semaine pour le 40 ° film du vénérable réalisateur ? 
« La justice n’est pas la vérité » : cette vérité traverse ce film de deux heures qui nous régale d’ambigüités, de dilemmes, de nuances,  d’équivoques, de choix difficiles.
Nous suivons un juré - coupable comme nous tous- avec toutes ses contradictions et ses faiblesses, en cours de rédemption. Il est peu probable cependant qu'un protagoniste d'un crime jugé se trouve dans le jury qui doit décider: «guilty or not», mais il s'agit d'une fable.
Une leçon américaine est rappelée consistant à offrir sa chance à chacun et à croire aux capacités d’un homme à changer. 
Il s'agit ici, d'accepter les silences qui condamnent les uns et en sauvent d’autres.
La justice est fragile, mais ces deux heures nous confortent dans notre méfiance des jugements hâtifs. Un bon film, salutaire.

samedi 23 novembre 2024

Histoire d’une fille de ferme & autres nouvelles. Guy de Maupassant.

Après avoir aperçu quelques versions télévisées à mes yeux ringardes, il vaut bien mieux la lecture ou la relecture pour un des plus grands, des plus riches de nos écrivains.
Chaque mot compte et aucun n’est de trop : cruel, magnifique, juste.
« On est gai sur la colline, mélancolique au bord des étangs, exalté lorsque le soleil se noie dans un océan de nuages sanglants et qu'il jette aux rivières des reflets rouges. 
Et, le soir, sous la lune qui passe au fond du ciel, on songe à mille choses singulières qui ne vous viendraient point à l'esprit sous la brûlante clarté du jour. »
Les scènes de la campagne normande dans leur rude vérité m’ont paru plus touchantes que les comédies des ministères dans « L’héritage ».
Au-delà de l’évocation d’un siècle disparu, c’est toute la condition humaine qui est puissamment représentée : 
« L'hiver s'écoula. Il fut long et rude. 
Puis le premier printemps fit repartir les germes ; et les paysans, de nouveau, comme des fourmis laborieuses, passèrent leurs jours dans les champs, travaillant de l'aurore à la nuit, sous la bise et sous les pluies, le long des sillons de terre brune qui enfantaient le pain des hommes. » 
 L’auteur du « Horla » peut servir d’exemple d’efficacité et de profondeur dans chacun de ses portraits : 
« Toine, en effet, était surprenant à voir, tant il était devenu épais et gros, rouge et soufflant. C’était un de ces êtres énormes sur qui la mort semble s’amuser, avec des ruses, des gaietés et des perfidies bouffonnes, rendant irrésistiblement comique son travail lent de destruction. Au lieu de se montrer comme elle fait chez les autres, la gueuse, de se montrer dans les cheveux blancs, dans la maigreur, dans les rides, dans l’affaissement croissant qui fait dire avec un frisson : « Bigre ! comme il a changé ! » elle prenait plaisir à l’engraisser, celui-là, à le faire monstrueux et drôle, à l’enluminer de rouge et de bleu, à le souffler, à lui donner l’apparence d’une santé surhumaine ; et les déformations qu’elle inflige à tous les êtres devenaient chez lui risibles, cocasses, divertissantes, au lieu d’être sinistres et pitoyables. » Essentiel.

vendredi 22 novembre 2024

Progressiste.

L’autre jour, à la vue d’une liste de verbes irréguliers griffonnée à la main, j’ai eu un sentiment d’étrangeté, prouvant que je m'étais fait à la défaite de l’écrit.
Pourtant pour s’approprier un savoir, je ne vois rien de mieux, car si une recherche s’effectue sans effort, sans maturation, la mémoire n’aura rien acquis. 
Mais à quoi bon regretter l’encre violette quand même une ancienne élève quadragénaire rencontrant son vieil instit' déplore les évolutions de l’école, elle sait que c'est en vain.
Le temps pris pour apprendre à faire du vélo en classe se fait au détriment du lire, écrire, compter… voilà pourquoi votre fille République est malade !
Et la gauche, qui a oublié depuis Rocard d’analyser ses défaites, rejette toute idée d’évaluation de l’efficience du service public. Surdité et aveuglement ne sont pas moins néfastes que les fake news les plus grossières.
Mais trop de raisons de se lamenter se bousculent, que de bafouillants tapotis sur le clavier ne résoudront pas. Il reste juste à mettre son stylo à la brocante et retourner scroller en attendant le début du cours de calligraphie.
Nous profitons des avancées technologiques et je m’en voudrais d’entrer dans la cohorte des agents qui ont permis l’obsolescence du mot « progressiste ». 
La peur de l’avenir fondée sur les dégradations de l’état de la planète pourrait profiter aux écologistes, hélas leurs troupes courent les aéroports tout en adressant des leçons à la terre entière.
Les livres de développement perso de chez perso se vendent mieux que les essais envisageant le commun de chez ensemble.
On demande aux politiques d’indiquer la voie, d’élaborer des programmes dont pourtant personne ne croit en leur application. Ils se doivent de donner du sens collectif face à des corporations demandant toujours plus pour eux-mêmes sans qu’une hiérarchisation ne puisse émerger.
Les rapports entre individus se brutalisent alors que la race supérieure des « éveillés (woke) » énerve tout le monde. Ces sectaires se disant tellement bienveillants ont plus contribué à la victoire de Trump que les talents républicains. Le thème de l’avortement sensé être décisif d’après la presse que je lis, a participé entre autres à la confusion préparant une surprise attendue, bien que le mot «avortement»  soit remplacé par «droit reproductif». Certaines prophéties auto-réalisatrices ont pu voir le jour ; ce n’est pas pour ça que l’euphémisation adoucit les traumatismes.
Les communautés sont déjà suffisamment clivées sur les réseaux: l’interdiction d’entrer dans une salle parce que blanc me parait aussi scandaleuse que les lavabos réservés chez les sudistes de jadis. 
«Tel philosophe aime les Tartares, pour être dispensé d'aimer ses voisins » 
Jean - Jacques Rousseau
Les « inclusifs »ont tendance à beaucoup exclure, les « racisés»  à invoquer la race.
Le lexique se rétrécit lorsque « pluralité » ne va plus de soi.
La démagogie, les tactiques électorales polluent les élections où immédiateté, agressivité abiment la démocratie dans leurs jeux à la com’.
La distance entre la France des « assistés » et celle « des oubliés » s’allonge avec des boutefeux aux deux extrémités qui conjointement « battent le briquet ».
La compétition victimaire entraine de délétères présupposés quand un prolétaire blanc sera soupçonné à priori de racisme, alors que le sans papier sera lui accusé « de voler le pain des français » qu’il a pétri tôt ce matin. 
«  Le progrès a encore des progrès à faire. » 
Philippe Meyer

jeudi 21 novembre 2024

Franck Lloyd Wright. Benoit Dusart.

Le conférencier devant les amis du Musée de Grenoble présente le plus célèbre des architectes américains qui se considérait lui même comme un prophète, un génie,
ayant inspiré le film « Le rebelle » avec Gary Cooper.
Franck Lloyd Wright est né en 1867 dans le Wisconsin, qui n’appartenait pas encore à la  
« ceinture de la rouille » (Rust Belt) - « Paysage du Wisconsin » John Steuart Curry - où sa mère institutrice, adepte du transcendantalisme, l’encourage à choisir la voie de l’architecture.
Après la crise de 29, il envisage  l’utopique « Broadacre City » pour que chaque foyer habite une maison digne.
Ses « Maisons usoniennes » sont disséminées dans de grands espaces. Pas de domesticité; cave et garage sont sacrifiés bien que l'automobile comme la sienne tapissée de fourrure  avec laquelle il entretient une relation passionnelle permette cet étalement urbain.
La construction organique a recours aux matériaux issus des ressources locales.
La cheminée structure un ensemble évolutif dans les « Maisons de la prairie »  où l’horizontalité permet l’intégration à la nature environnante. Les pièces où mobilier et éclairage électrique souvent intégrés s’opposent par leur fluidité à la raideur victorienne encore de mise.
Il a appris le métier chez Adler et Sullivan représentants de l'école de Chicago. Il s'en séparera pour construire la « Maison Winslow » dont la façade contraste avec le côté jardin.
L’expansion de sa maison « Oak Park Studio » a suivi l’agrandissement de sa famille avec 6 enfants qui pourront jouer à leur aise. Pour les 14 associés la salle de dessin octogonale comporte deux étages.
En 1893 l’exposition universelle se tient à Chicago où le pavillon du Japon va l’influencer au point de devenir un grand collectionneur d’estampes  
« La fraîcheur du soir à Shijo-Kawara »
Il  a construit l’« Hôtel impérial »  à Tokyo dans les années 20 entouré de bassins pour lutter contre les incendies. Celui-ci  a résisté à un tremblement de terre terrible par une structure en porte à faux comme lorsqu'un garçon de restaurant tient un plateau au bout des doigts.
« Le temple de l’unité »
en béton pour la communauté universaliste unitarienne face à l’église épiscopalienne d’Oak Park se divise en deux parties cubiques bien éclairées, tournant le dos à la rue sillonnée par les tramways.
Des vues virtuelles permettent de mesurer l’importance du « Larkin Administration Building » au mobilier remarquable un des premiers à être climatisé, démoli en 1950.
« La maison Robie » inscrite au patrimoine mondial de l’UNESCO « interroge l’espace au-delà de la construction, elle casse la boîte ».
La salle à manger marque le caractère sacré du repas familial.
« La maison Hollyhock »
(rose trémière) à Los Angeles et ses sept salles de bains 
est aussi peu conventionnelle que sa propriétaire.
Les influences de l’art maya sont visibles dans « La maison Charles et Mabel Ennis » conservée malgré des fragilités, elle a servi de décor au film Blade Runner.
« Taliesin West »
, du nom d’un poète gallois, au bord du désert de l’Arizona fait écho
à la maison du Visconsin incendiée à deux reprises où il avait installé sa nouvelle compagne Mamah Borthwick assassinée à coup de hache.
Il se trouvait alors à Chicago pour travailler aux jardins de « Midway » lieu de café-concert où il incorpore des « textile blocs » qui apparaissent comme des murs tissés. 
« Entré dans une nuit profonde » il confie le chantier à ses anciens maîtres architectes.
En 1935, Frank Lloyd Wright, qui a déjà 67 ans, relance sa carrière d'architecte avec la « Maison sur la cascade », maison secondaire devenue légendaire.
Pour le « Siège de la société Johnson », célèbre pour ses cires, il élève des coroles au dessus des employés : « Le cadre auquel nous avons abouti quand nous avons édifié le bâtiment administratif de la Johnson Wax s'est traduit par un accroissement notable de leur efficacité. Si vous leur permettez d'être fiers de ce qui les entoure et heureux d'être où ils sont, si vous leur donnez de la dignité et de la fierté dans leur cadre de travail, cela se révélera du meilleur effet pour la production. Un cadre salubre dont les travailleurs puissent tirer orgueil est rentable. »  
Le mur rideau de la tour de recherche est habillé de briques et de pyrex.
Il prend sa revanche sur le MOMA qui l’avait exclu quand la mode privilégiait Le Corbusier en se voyant confier « Le  musée Guggenheim » recyclant un plan de parking qui tranche avec les rectitudes newyorkaises. Celui-ci ouvre en 1959, six mois avant la mort de Franck Lloyd Wright, dix ans après la disparition de Solomon Guggenheim.

mercredi 20 novembre 2024

Animal. Cirque Alphonse.

Le plaisir de jouer de la troupe familiale venue du Québec déborde du plateau.
La Belle province nous fournit ici un beau moment de cirque chorégraphié, de fortes performances acrobatiques accompagnées de musique originale en direct, du « funk agricole ».
Les chanteurs sont convaincants à la fois jongleurs, équilibristes, nous entrainant dans un rythme trépidant avec une autodérision candide, un humour réconfortant.
Roue de tracteur, poulets couineurs en latex, œufs à cuire, fourches, seaux de grains, énorme cloche, brouettes, taureau mécanique… les objets les plus prosaïques sont prétextes à cabrioles, tour de force et d’habileté.
L’originalité rencontre la poésie et l’évocation d’une campagne à ce point ludique laisse penser au travail nécessaire pour régler un tel spectacle devant prendre plus de temps que la maturation d’une moisson. Les images proposées  jouant avec les clichés ne s’enferment pas dans la nostalgie. 
Le vrai vieux (78 ans) qui grimpe à une perche portée par un hercule de foire ne sera pas celui qui grimpe au cocotier pour être secoué au point d’en tomber, les mômes jetés en l’air dans la ronde des poulets sont recueillis pas des bras solides et tendres, les deux femmes qui s’équilibrent sur des bidons de lait portent au plus haut la complicité de ce groupe de neuf autour de la tribu Carabinier.

mardi 19 novembre 2024

Idéal standard. Aude Picault.

Une infirmière en néonatalogie sur la pente descendante, pour ce qui concerne sa courbe de fertilité, se met en ménage avec un ingénieur financier. 
Nous sommes en ville dans un univers plus féminin que chez Dupuy et Berberian mais aussi finement traité. 
Les papotages amicaux peuvent produire de petites blessures quand il est si souvent question de problèmes de couple et que se rappellent les normes de tous côtés. La solitude éloigne pourtant les rêves de prince charmant.
Le propos féministe s’inscrit dans un récit de vie sans éclat, avec un sourire sans illusion.
Quand il est question de femme trentenaire, Bridget Jones, franche et drôle, devenue une référence archétypale s’impose. Mais suite au succès du personnage, les critiques affluent comme dans le domaine de la BD, avec la question : « Faut-il en finir avec la BD « girly » ?Maintenant que la déconstruction supplante la construction, j’en suis à aimer encore davantage le genre incarné par Penelope Bagieu ou Margaux Mottin, certes plus étroit que celui dont Bretecher fut la pionnière, mais aussi bien vu. Ces 150 pages sont de la même veine. 
Les dessins frisottants, légers, aux discrètes couleurs pastels s’accordent à un scénario limpide. 
Un certain romantisme ne disparait pas sous l’acuité du regard. Champagne ! 

lundi 18 novembre 2024

Anora. Sean Baker.

Liaisons dangereuses d’une stripteaseuse chez les oligarques russes à New York.
Un prix pour l’actrice principale Mikey Madison aurait été mérité, quant à la palme à Cannes, 
il faut croire que la concurrence ne devait pas être vigoureuse, ni très inventive.
Youri Borissov est aussi intéressant.
Nous passons cependant de bons moments chauds, sentimentaux, drôles, alors que tombe la neige, que les émotions sont celles de la coke, que nous en sommes à plaindre de pathétiques méchants et que la chair même ficelée joliment est plus frénétique que romantique.
L’histoire (2h 20) de ces paumés dans un monde perdu, sans sommeil, vigoureusement menée, nous emmène une première fois vers les lumières de Las Vegas pour y revenir quand les promesses ne tiennent plus. 
Qui parle encore de rêve américain ?