vendredi 29 mai 2020

Mon vieux.

Depuis sa naissance, je dis « ma grande » à ma petite fille et chaque jour offre l’occasion de m’émerveiller de cette vie qui pousse. Dans la ronde des adjectifs, je m’amusais aussi lorsque je disais sans y penser «  ma vieille » à une copine et qu’elle s’en offusquait. Je croyais prolonger encore longtemps cette familière indifférence envers le temps qui passe, quand un virus couronné est venu plomber l’atmosphère en surlignant le fait que la vieillesse conduisait à la mort : quelle nouvelle !
Dans l’échéancier des risques, une place nous est assignée qu’aucune distanciation ne pourrait abolir. Mes jeunes voisins plus insouciants des barrières, moins nés confits, accusent mon âge.
J’ai beau rire à répéter cette scénette vécue devant une supérette, je crains d’avoir été dans le même panier que la vieille. Une espèce de Tatie Danielle qui n’arrivait pas à se dépêtrer de son Caddie, rembarra la dame venue obligeamment l’aider : «  je vous ai rien demandé ! » 
Et quand elle se mit à poursuivre ses rouspétances dans la file d’attente à l’extérieur, un monsieur amusé a recueilli quelques sourires complices, quoique sous cape, lorsqu’il remarquait : « madame vous pourriez au moins être polie, c’est pour les gens de votre âge que l’on prend toutes ces précautions ».
C’est vrai : je suis de ces personnes à risques et pas toujours commode de surcroit.  Essayant de me désengluer du sentimentalisme qui envahit les antennes, me prend l’envie de raccourcir : nous avons mis mémé loin de chez nous, nous prendrons la suite. Qui alimente les EHPAD sur lesquels on se lamente ?
Dans la période, des bébés aux pépés qui ne savent plus compter après septante, tout le monde a eu le temps de calculer, de s’ennuyer, voire de se reposer.     
Dans les catégories sportives on était sénior à 19 ans et depuis belle lurette  j’ai doublé le cap des vétérans qui fut à 35 ans. Les dénominations concernant l’âge m’indiffèrent et je mets dans le même sac à hystéries les palinodies à cet égard et les pétages de plomb lors d’un confinement qui se passa essentiellement sur canapé loin du Chemin des Dames. Si je fais le mariole à ce sujet c'est que  le cacochyme n'est pas complètement valétudinaire.
Pivot et Comte Sponville ont beau bougonner ou faire les beaux, refusant le terme «  vieux »  ou le valorisant, ils font du feston autour du napperon qui supporte la « vanité », comme on disait du crâne figurant sur des « natures mortes » (« still life » en anglais).
Rares sont aujourd’hui les ancêtres à vivre sous le même toit que leurs petits enfants. Au XIX° siècle, cachés dans l’âtre, ils aidaient la maîtresse de maison à équeuter les haricots. Les deux parents ne reviennent plus à midi, l’école garde les petits, et les EHPAD les impétrants de « l’âge d’or ». L’asile où l’on meurt n’est pas forcément indigne à l’écart des actifs ardents, des laborieux affairés, la vie dure. 
Pour l’heure : cédant à la facilité on peut dire que ça a fait Boum chez les boomers et les masques tombés ont laissé des marques. Les contraintes budgétaires se sont desserrées, des prisonniers ont été élargis, et même pas un merci. Chaque jour qui passe, des oubliés de l’open bar budgétaire se signalent : les restaurateurs corses après les restaurateurs, les écrivains et les professionnelles du foot, et dans les lucarnes : les porteurs sains et les faux négatifs, les asymptomatiques et les râleurs automatiques… Les inspecteurs des travaux finis, les faut qu’on, tous ceux qui ne risquaient pas leur peau ne mettent pas de gants pour taper sur ceux qui ont pris leurs responsabilités.   
Si l’on n’a pas vu tant que ça d’écoles en détresse, c’est que le passage du présentiel à la présence ne s’est pas mal passé, alors personne n’en parle. 500 milliards lâchés par l’Europe avaient fait 19 secondes au JT, depuis c’est 750, mais une amende abusive à Trifouilli a occupé des millions de gazouilleurs. Et toujours les jamais contents ont priorité au crachoir contre un système qui a payé 35 millions de français pendant deux mois. Nous sommes empêchés de voir les inégalités, les plus criantes, mais qui ne sont pas celles qui gueulent le plus : le cheminot n’est plus le chemineau.
« Comme le disait un vieux fakir de mes amis : place au jeûne. » Frédéric Dard 
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Le dessin d'un cubain est pris dans "Courrier international"
Le tableau à la fondation Calderara à Vacciago 
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Bonus: Le film d'animation de mes petits enfants réalisé avec leur papa pendant le confinement: https://youtu.be/gQO8ljNJYjE


1 commentaire:

  1. Ça ne fait pas plus de deux ans que j'ai réalisé que le vieillissement était l'épreuve la plus difficile qui m'attendait. On peut dire que j'ai été inconséquente sur ce chapitre. Ma déjà piètre imagination n'était pas à la hauteur de l'épreuve du vieillissement.
    Tu sais déjà qu'il existe le mot "gâté" pour les deux... extrêmes ? pôles ? de l'existence, celui du début, et de la fin. "Gaté" pour les enfants, "gâteux" pour les vieux (et je me dis vieille maintenant, sans excuse, sans honte, mais en essayant de ne pas trop fanfaronner non plus, avec juste un brin de provocation.)
    On dirait que... "les gens du milieu" se sentent toujours dans le bon droit de la majorité ? la norme ?
    C'est sûr qu'être à midi, debout sur ses deux jambes, la tête haute, le regard devant, et pas... à quatre pattes, ou s'appuyant sur sa canne, ça fait rêver. Qui ne rêve pas d'être debout, la tête haute, pas en train de regarder les crottes de chien par terre, de préférence... pas derrière un masque, avec un sourire FRANC pour accueillir le monde, et être accueilli par lui ?
    Si on voulait vraiment rêver... je dirais que ceux qui sont debout, qui POURRAIT AVOIR LA TETE HAUTE.. si souvent ils ne s'interdisaient pas eux-mêmes de se tenir droits, pourraient avoir la dignité ? la décence ? de ne pas trop sévir dans le désir o combien étouffant de protéger autrui.
    C'est vraiment un art de côtoyer le vieux et le petit enfant, sans les écraser de... ses deux jambes debout, dans l'insouciance de la force de l'âge, comme on dit.
    Depuis longtemps maintenant je regarde la société écraser ses extrêmes sous les bonnes intentions teintées (sinon bariolées) de mépris. Sous les certitudes de savoir ce qu'il faut à l'autre, et sans écoute.
    Depuis longtemps je constate... l'absence d'écoute, pas seulement au niveau politique, mais au niveau individuel, dans les familles. A un tel point que je me dis des fois que plus on clame haut et fort les bonnes intentions dans l'espace public, (en sachant qu'on clame autant pour soi que pour les autres, et peut-être plus pour soi que pour les autres) plus on... s'autorise ? à être sourd dans les lieux où on est censé... PRATIQUER CE QU'ON PRECHE. Ce que je viens de dire, je le dis avec cette expérience qui vient d'avoir vécu et essayé d'apprendre un peu de mes... erreurs, et égarements.
    De quoi décourager de prêcher, tu ne trouves pas ?
    Quant à moi, je trouve que si la religion est attaquée de toutes parts, la prêche a de beaux jours devant elle.
    La bigoterie n'a pas disparu non plus ; elle a trouvé de nouvelles manières de se manifester.
    Fin de sermon pour aujourd'hui ! Mais je m'autorise à dire toute ma nostalgie pour une vieille religion embellie par de beaux rites.. LUXUEUX pour nous faire rêver. Se laver les mains plusieurs fois par jour avec du gel hydroalcoolique ne fait pas mon bonheur en matière de rite de purification...

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