Encore récemment « global » se conjuguait
aimablement avec « local », dans les discours, mais
l’universalisme a du plomb dans ses ailes de géant et désormais le
général s’efface devant le particulier. Le blé ukrainien nourrissait des populations au delà de ses frontières, ceux qui vont l'attendre peuvent regretter l'avènement d'un monde en phase de démondialisation.
Les manifestations de Bangui en faveur de la Russie sont extravagantes et l’indifférence du
monde à l’égard de la situation en Europe est très répandue. Dans un des pays les plus pauvres de la planète, ces photos posées fleurent l'artifice: Marioupol est si loin de la RCA.
L’hostilité de certains africains à l’égard de la France me choque,
avec des porteurs de pancartes écrites en français, rejouant sempiternellement
les décoloniaux pour mieux accueillir de gentils et efficaces nouveaux
venus de Moscou, Téhéran, Ankara, Pékin, tout à fait désintéressés.
L’affectivité souvent brouille la raison, même si je ne vais
pas renier des années de passion, de plaisir aux couleurs de latérite, lors de
rencontres au Cameroun ou au Mali, « terres damnées » pour « damnés
de la terre ». Cependant je ne me priverai pas de dire mes désaccords avec ces
ivresses collectives dont je sais aussi tous les excès depuis les virages d’un
stade ou sur les boulevards lorsque sont sortis les calicots.
Les outrances sur les réseaux sociaux n’ont pas besoin de
mégaphones, l’anonymat permet tous les abus ; la démesure est devenue la
norme, la radicalité écrase la nuance. « Grande gueule » devient un
titre de gloire et modéré synonyme de timoré. Le refus de reconnaître toute
intelligence à l’adversaire peut pourtant nuire à la crédibilité de l’opposant
systématique. Dans notre putain de monde complexe, la caricature rassure et
dans les confusions idéologiques présentes pour se faire comprendre rapidement
il vaut mieux revêtir tout contradicteur de la cagoule du Ku Klux Klan.
Je ne
vais pas déplorer la perte du second degré et me mettre martel en tête à la moindre
saillie excessive, je sais comme tout amateur de boisson forte, qu’il ne faut
pas en abuser. Parmi ces jeux avec les mots, où s’ébattent « résilience »,
« soutenabilité » et « transition », l’essentiel surgit d’un
extrait du réquisitoire du parquet antiterroriste à l’issue du procès des coupables
de l’attentat du 13 novembre 2015 où 131 personnes ont perdu la vie :
« L’effroi, c’est
faire sortir de la paix. C’est la disparition du rideau derrière lequel se
cache le néant, rideau qui permet normalement de vivre tranquille. Ce rideau
est irrémédiablement déchiré, et l’on sait alors pour toujours que le néant, la
mort, existent. Le terrorisme, c’est la tranquillité impossible. Votre verdict
n’aura pas pour vertu de réparer ce rideau déchiré et de rendre leur
tranquillité originelle aux victimes. Il ne guérira pas les blessures, visibles
ou invisibles, il ne ramènera pas les morts à la vie, mais il pourra au moins
les assurer que c’est, ici, la justice et le droit qui ont le dernier
mot. »