« La terre était
informe et vide, les ténèbres étaient au-dessus de l’abîme et le souffle de
Dieu planait au-dessus des eaux. Dieu dit : « Que la lumière soit. » Et la
lumière fut. Dieu vit que la lumière était bonne, et Dieu sépara la lumière des
ténèbres. »
et les lamentations de Jérémie :
« Il me fait
habiter dans les ténèbres,
Comme ceux qui sont
morts dès longtemps »
Du néant, de la mort, depuis les zones noires et les mises
en scènes dramatiques, la force lumineuse, détachant les volumes, va jaillir du
« ténébrisme ».
La modernité pointe son nez au XVII° siècle, au milieu
d’un bouleversement culturel et spirituel décisif pour notre civilisation.
C’est le temps de la reconquête catholique, du concile de
Trente, quand des sciences remettent en cause les connaissances. L’homme
va-t-il être privé de la grâce, de la lumière ?
« Saint Jérôme » le traducteur de la bible en latin,
fait face au crâne : « memento mori ». Le « ténébrisme » se distingue du clair obscur qui
procède par degrés, il assume le face à face, le contraste.
Si la lumière de Jacopo
Bassano vient de l’intérieur du tableau, le peintre maniériste annonce
le Caravage en particulier dans « La déposition du Christ »
Michelangelo Merisi dit Caravaggio, peintre
maudit, eut les faveurs de princes de l’Eglise car il remplissait les maisons
de Dieu. Au cours de ses fuites, de la Lombardie, à Rome, Naples, à Malte, il
reçut de nombreuses commandes. Puis l’engouement passé, oublié des siècles
suivants, il est redécouvert dans la seconde partie du XX°. Il inspire de
nombreux romans dont « La Course à l'abîme » de Dominique
Fernandez et plus récemment « La mort subite » d’
Álvaro Enrigue, des films dont « Caravaggio »
de Dereck Jarman.
Mon voisin de conférence m’envoie un commentaire de Fernandez
extrait de
son dernier livre « Nous avons sauvé le monde » à propos de la phrase de Poussin : « Caravage a détruit la peinture » :
« Ce qu'a détruit
le Caravage ce n'est pas tant la peinture, mais l'illusion que la beauté, la
propreté, l'hygiène, la bienséance vestimentaire sont le bien de tous. Beauté,
propreté, hygiène, noblesse dans le maintien, dignité dans les manières,
correction dans les vêtements, de telles valeurs ne sont pas universelles,
elles sont un luxe qui n'appartient qu'à certaines classes de la
société. »
Baglione, un de ses concurrents malheureux, peut nous
éclairer, tout autant que ses nombreux laudateurs :
« Une tête de sa main
se payait plus cher qu'une grande composition de ses rivaux, tant était grande
l'importance de la ferveur publique ...ferveur publique qui ne juge pas avec
les yeux mais regarde avec les oreilles.»
« L'Arrestation du Christ » au moment du baiser de Judas montre la
proximité du bourreau et de sa victime comme dans sa dernière œuvre « le
martyre de Sainte Ursule » où brillent aussi les cuirasses.
Par contraste sa « Corbeille de fruits », œuvre
de jeunesse, inondée de lumière est originale par la vue en contre plongée et
les marques de pourrissements, de flétrissures, qui n’embellissent pas la
réalité.
Parmi sept versions, « Saint
Jean Baptiste » à la grâce alanguie, est bien vivant,
dénudé par la lumière, qui éclairait aussi le célèbre « Bacchus », jeune
homme, un peu las.
Quand celui qui est désigné par Jésus, semble
interroger : « qui ? moi ? » au moment de « La vocation de Saint Matthieu »,
une « lumière de soupirail » éclaire le bureau
du fisc comme les tavernes à venir.
Deux versions de « Saint
Mathieu et l’ange » écrivant sous la dictée sont également
fortes, mais je préfère la charmante complicité du jeune et du vieillard qui
fut refusée pour son trop grand naturel, dont ne subsiste qu’une copie, car la
toile originale fut détruite par les bombardements de Berlin à la fin de la
seconde guerre mondiale.
Les ténèbres ont couvert la terre, la
sauvagerie se déchaine lors de la flagellation du Christ, ou au moment de la
mise au tombeau, Le Caravage, qui a beaucoup vécu la nuit est sublime, son
désir de lumière éclate avec « La conversion de Saint Paul ».
Le « caravagisme », lumière et naturel, trouvera
en Bartolomeo Manfredi un disciple qui n’est pas
seulement un théoricien, voir son « Arrestation
du Christ ».
Artemisia Gentileschi et la violence de « Judith décapitant Holopherne » répond à un viol qu’elle avait subi et
n’était pas resté caché.
De Francesco Guarino, « Sainte Agathe » qui eut les seins coupés, est saisissante.
Mais pour conclure sur un bel équilibre, ce « Le
baptême du Christ » de Battistello ira bien, non ?
Il y eut un temps aux amis du musée de Grenoble où Le Caravage
était cité presque à toutes les conférences, j’en ai retenu
quelques pages dans les archives de ce blog, quand il fut question du noir:
http://blog-de-guy.blogspot.fr/2014/09/le-noir-damien-capelazzi.html
Et lorsqu’il fut exposé à Montpellier :
Voilà un peintre dont la modernité s'empare avec délectation...
RépondreSupprimerEn voyant les images que tu as mises, je vois à quel point une certaine hystérisation ? dramatique se dégage des tableaux qui ont presque valeur de mises en scène théâtrale.
Une juxtaposition brutale des contraires, lumière et ombre(s).
Oui, c'est un peintre pour notre modernité...