L’ancien otage du Hezbollah dans les années 80 nous conduit à
Corps-Nuds, la commune bretonne de son enfance au nom étrange avec une église dont
le clocher conviendrait plutôt à une église orthodoxe. A travers le souvenir
d’un accident qui coûta la vie à dix-huit jeunes de ce village en 1949 se
revisite toute une époque.
« Entourée d'un
étrange non-dit, la tragédie ne traduisait pas la volonté de cacher mais plutôt
de garder pour soi, à l'échelle du bourg, la trace d'un traumatisme trop lourd
et sa part intransmissible. »
L’ancien journaliste, fils de boulanger, nous livre 320
pages de gratitude, pleines d’odeurs, de nuances, où chaque mot est pesé pour
restituer le plus justement ses souvenirs.
« Je n’aime pas
la nostalgie, cette mélancolie complaisante, maladie qui ne veut pas être
soignée, je préfère le nevermore, ce
jamais plus qui ne regrette rien, ce désespoir maitrisé, point hésitant
entre l’oubli et le souvenir. »
Son enfance heureuse dans une après-guerre laborieuse,
austère, lui a permis de résister pendant une détention de trois ans, qu’il se
garde de brandir comme un étendard.
« Je n'ai fait
aucun cauchemar pendant ma captivité. Mes rêves étaient tous bienfaisants.
La
hantise de la mort qui me harcelait pendant la journée, s’évanouissait par
miracle pendant la nuit.»
Des références au mal, au malin, venues de son passé d’enfant de
chœur peuvent aujourd’hui s’agiter comme sonnette :
« Le démoniaque
est toujours là. Je le vois aujourd’hui dans cette fatigue générale, la
violence triomphale trop consciente d’elle-même, la morosité paralysante et
surtout cette confusion qui fait passer le faux pour le vrai. Cette
apathie face au mensonge, d’essence diabolique, a fini par gagner les meilleurs
esprits. »
Le provincial évoque des paysages virgiliens, comme le
suggère le dessin de première page avec
un virage qui s’avèrera mortel sous
un ciel aux couleurs du peintre Nicolas Poussin.
Les tableaux du passé, peints avec sincérité, nourrissent
une paisible sagesse.
« Aime ton
destin, aime ton sort.
Ne t’attarde pas sur ce qui te manque ou t’a fait mal.
Dépasse ton ressentiment. »
Oui, j'aime bien Jean-Paul Kauffmann comme écrivain, comme personne (publique). Son verdict sur la modernité me semble juste, en précisant que dans un contexte où la folie sociale pousse à perdre le Nord, les gens qui résistent sont forcément très rares, et je ne suis pas sûre du tout d'en faire partie... C'est une incitation à l'humilité quand on jette un regard en arrière, la main sur le coeur, pour JUGER les ancêtres, dans leur contact avec la folie sociale, et il vaut mieux rester humble, à mon avis. On ne sait jamais à quel moment on pourrait être amené à dire, avec surprise et consternation extrêmes, qu'on a fait le mal, tout en croyant faire le bien...
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